Personne ne peut nier que M. Buisson ait eu un comportement pour le moins indélicat. Cela dit, les allées du pouvoir ont toujours été – et peut-être davantage sous la Cinquième République – un lieu d’affrontements féroces où tous les coups semblent permis. Le problème est donc plutôt d’ordre éthique que d’ordre moral. D’ailleurs, on peut aussi comprendre M. Buisson : après tout, d’autres collaborateurs (par exemple M. Pascal, l’une des « plumes » du président) prenaient des notes afin de pouvoir écrire un ouvrage ; lui, il enregistrait… Mais, au fond – et c’est la seule chose qui compte vraiment – qu’a-t-on « appris » jusqu’à présent, si ce n’est rien que tout le monde ne sût déjà (par exemple, que l’hypothèse Borloo était grotesque et Mme Bachelot particulièrement nulle) ?
Il est donc prématuré de parler de « scandale d’Etat », comme le fait M. Désir. De plus, si la divulgation des enregistrements ne profite certainement pas à M. Buisson, elle pourrait profiter, en revanche, à M. Hollande ou …à M. Sarkozy. C’est selon. Pour le savoir il faudrait pouvoir répondre à la question sur la fameuse « ligne Buisson » de 2012. En clair, M. Buisson a-t-il fait perdre M. Sarkozy – qui, dès lors aurait toutes les raisons de se débarrasser de lui – ou l’a-t-il « boosté » entre les deux tours – auquel cas, c’est M. Hollande qui pourrait se féliciter de son éviction, dans la perspective de 2017 ? Il est évident que personne n’a, ni n’aura jamais, la réponse.
Plus intéressante est l’approche franchement politique de la question. Il est révélateur d’entendre Mme Kosciusko-Morizet affirmer que M. Buisson voulait « faire gagner les idées de Charles Maurras ». Elle-même et tous ceux qui, à sa suite, dans la presse et le microcosme politicien, vilipendent « ce pelé, ce galeux » de Buisson n’ont sans doute pas lu Maurras, mais cela importe peu ici. Tous ont flairé le danger : « la bête immonde » bougerait-elle encore ? Cependant, même si on ne peut qu’être d’accord avec nombre des analyses de M. Buisson, lui-même reste un bon exemple de ce syncrétisme pervers qui ravale Maurras au rang de penseur d’extrême droite.
On sait que le mot « droite », dans son acception politique, trouve son origine dans l’Assemblée constituante de 1791. Se réclamer de la droite (ou de l’extrême droite), c’est donc s’inscrire dans un système partisan et se séparer d’une pensée maurrassienne plutôt anti–parlementaire (dans le sens actuel du mot) puisque prônant une monarchie royale absolument soustraite aux partis. Or, M. Buisson est bien sur cette ligne, selon laquelle il serait possible d’obtenir certaines « avancées » de l’une des factions portée au pouvoir, c’est-à-dire de composer avec le régime actuel, conçu comme une sorte d’alternance monarchique.
Si cette « affaire » pouvait servir à rappeler ces quelques évidences, elle aurait au moins été utile à quelque chose.