Relations entre l’Union européenne et la Turquie : une partie de poker menteur, par Philippe Kerlouan.
Ursula von der Leyen et Charles Michel, au nom de l’Union européenne, rencontrent, mardi, Erdoğan : ils se disent prêts, la main sur le cœur, à renouer avec le président turc à condition qu’il poursuive « la désescalade actuelle ». Pas question de se laisser marcher sur les pieds !
Erdoğan doit filer doux, sinon gare ! Mais en diplomatie, il ne suffit pas de se payer de mots ni de jouer les fiers-à-bras pour remporter la partie.
Erdoğan avait, ces derniers temps, multiplié les provocations, non seulement avec la Grèce voisine, mais aussi en menant, dans les conflits du Moyen-Orient, une politique qui ne répondait pas spécialement aux intérêts européens. Il pratique, en outre, une conception très particulière des droits de l’homme : il dénonçait récemment la convention d’Istanbul pour donner des gages aux conservateurs et vient de faire arrêter dix amiraux retraités, coupables d’avoir signé une lettre ouverte désapprouvant le projet de développer à Istanbul un canal de navigation.
Les dirigeants de l’Union européenne, Macron en tête, se prétendent intraitables. Si Erdoğan donne des gages supplémentaires d’apaisement, ils sont disposés à « renforcer encore cette dynamique plus positive » et à « établir des contacts avec la Turquie de manière progressive, proportionnée et réversible ». Dans le cas contraire, ils menacent de prendre des sanctions, notamment contre le tourisme, secteur crucial dans ce pays, confronté à une crise économique et financière. Un moyen imparable, dans leur esprit, de contraindre le président turc à se tenir à carreau.
Erdoğan n’est pas né de la dernière pluie. Il sait s’adapter aux circonstances, prêt à se déguiser en agneau, s’il le faut, pour mieux satisfaire ses appétits de loup. Devant les ambassadeurs européens, le 12 janvier, il exprimait son intention de « remettre sur les rails » ses relations avec Bruxelles. Quelques jours après, s’entretenant avec la présidente de la Commission européenne, il déclarait que « l’avenir de la Turquie est en Europe », formule ambiguë qui aurait pu l’inquiéter mais qu’elle a prise pour un signe d’amitié.
Macron est content de lui : sa fermeté a été payante ! Un diplomate européen, cité par Le Figaro, ne lui a-t-il pas tressé des lauriers ? « La France », a-t-il déclaré, « peut considérer à bon droit que l’approche de fermeté prônée par Emmanuel Macron a joué son rôle, du moins a contribué à renverser la logique pour le moment. » Notre Président doit frétiller de joie, à entendre ce compliment. Mais, à y regarder de près, sa fermeté est accommodante : sur France 5, le 23 mars, il a concédé que « si vous dites du jour au lendemain : nous ne pouvons plus travailler avec vous, plus de discussions, ils ouvrent les portes et vous avez trois millions de réfugiés syriens qui arrivent en Europe ».
Au moins reconnaît-il, dans ce duel diplomatique, qu’Erdoğan dispose d’une carte maîtresse, que les dirigeants européens lui ont complaisamment fournie. À tout moment, il peut exercer son chantage et il le sait. Si la fermeté et le dialogue sont nécessaires dans les relations internationales, encore ne faut-il pas se laisser rouler dans la farine. Chacun se croit le plus fort, mais on peut se demander si les Européens sauront faire front à la rouerie d’un président qui ne respecte pas les règles : Erdoğan est habile au jeu du poker menteur !