L’islamiste, un « conservateur » comme les autres ?, par Gabrielle Cluzel.
L’islamisme n’avance pas seulement à Trappes ou ailleurs, il avance aussi tranquillement dans le champ sémantique.
La preuve par Leïla Slimani, invitée, ce dimanche, sur le plateau de « Clique TV » – diffusé en clair sur Canal+ – à l’occasion de la sortie de son dernier livre Le Parfum des fleurs la nuit.
Leïla Slimani est dotée d’un talent littéraire certain – en 2016, elle a remporté le Goncourt pour Chanson douce -, d’un charme naturel indéniable et de l’aisance des gens bien nés. Son candide journal de confinement depuis une luxueuse maison normande avait déclenché ire et sarcasme, mais en dépit de ce couac, elle demeure la coqueluche des critiques et des librairies – La Procure fait de chacun de ses bouquins son « coup de cœur », Les Inrocks a qualifié récemment l’un de ses textes d’« aussi magnifique que nécessaire ». Et c’est forte de cette aura qu’elle donne son avis sur les grandes polémiques du moment.
Ainsi, dans Libération, il y a quelques semaines, a-t-elle témoigné de son « profond dégoût » pour les « violences policières » : « J’ai les cheveux frisés et la peau mate, je sais ce que c’est qu’un flic qui me demande avec insistance mes papiers même si je ne suis pas la plus à plaindre. » Sage précision.
De même, en septembre dernier, dans l’émission « C Politique », sur France 5, elle avait défendu Maryam Pougetoux – vice-présidente de l’UNEF, arrivée voilée lors de son audition à l’Assemblée nationale -, jugeant « indigne » le comportement des élus qui avaient quitté l’Hémicycle : « Il y a une grande différence entre être contre le voile et s’attaquer à une femme voilée. »
Cette fois, appelée à commenter le débat Darmanin-Le Pen par Clément Viktorovitch et Mouloud Achour qui animent l’émission, c’est au secours des islamistes que l’écrivain franco-marocaine a volé, levant les yeux au ciel : « L’utilisation de ce mot islamiste, islamiste, islamiste, islamiste… tout le temps… mais un islamiste, ce n’est pas un terroriste ! Moi, je viens d’un pays qui est dirigé par les islamistes […] il y a beaucoup de pays, dans le monde arabe, qui sont dirigés par les islamistes, ou avec des islamistes qui sont députés. » Bref, pourquoi la France en ferait-elle tout un plat ? Ce n’est, pour Leïla Slimani, qu’affaire de goût, de menu sur la carte : « Vous pouvez aimer, pas aimer, moi personnellement, je n’aime pas leur programme, m’enfin, faut pas les confondre non plus avec des terroristes ! » Personne – il y a aussi sur le plateau l’acteur Kad Merad et la journaliste Catherine Ceylac – ne bronche ni ne lui apporte la contradiction, ne fait remarquer que la France n’est pas, justement, du monde arabe, que le régime d’aucun de ces pays, puisqu’on en parle, ne fait franchement envie, et que quelle que soit la méthode employée, islamistes et terroristes ont, in fine, le même objectif : installer la charia. Au contraire, Catherine Ceylac l’aide, dans un sourire, à préciser sa pensée : « Vous aviez signé une tribune dans 1 “Je hais LES intégristes”. » Leïla Slimani saisit la balle au bond : « Oui, je hais les intégristes de toutes les sortes, de toutes les religions ! » « Toutes les religions défendent une forme de patriarcat, mais je peux respecter qu’il y ait des conservateurs dans toutes les religions, je connais des gens qui sont des juifs très conservateurs, je les respecte tant qu’ils ne m’obligent pas à adhérer. »
Bref, relativisons, chers amis. Un islamiste est une sorte de militant de Sens commun, un Tory, un prêtre en soutane façon Don Camillo, ou ce brave Rabbi Jacob. Il faut le « respecter ». On croyait, jusque-là, qu’il y avait, bien séparés et à ne pas confondre, d’un côté le terroriste et l’islamiste, de l’autre le musulman « ordinaire ». Grâce à la main tendue de Leïla Slimani (façon de parler), l’islamiste, étiqueté simplement « conservateur », passe la ligne de démarcation pour rejoindre la cohorte de ceux qu’il ne faut pas stigmatiser. Convenons que la rhétorique est dangereusement meuble.