UA-147560259-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Projet de loi contre le séparatisme : pour ne pas stigmatiser l'Islam, l'État renforce son pouvoir sur toutes les religions.

Photo © Valery HACHE / AFP

Le refus de principe de distinguer entre les religions, et donc entre l’islamisme et les autres religions, est le péché originel du projet de loi sur les principes républicains présenté par le gouvernement. Du fait de cet indifférentisme, le combat contre la minorité islamiste permet à la République de renforcer son pouvoir sur toutes les religions. Explications de Grégor Puppinck, docteur en droit et directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ).

Auditionné à l’Assemblée nationale, Mgr de Moulins-Beaufort, représentant de l’Église catholique, s’est déclaré « bien embarrassé » par le “projet de loi confortant le respect des principes de la République”. C’est ce même sentiment que partagent de nombreux chrétiens, catholiques et protestants, à l’égard d’un texte dont ils pressentent les dangers, même s’ils peinent à les décrire clairement et à y opposer des arguments de fond.

La peur de l’islamisme pousse les Français à consentir à des abandons de libertés au profit des « principes de la République ». Certes, le danger de l’islamisme est réel, et ce texte contient quelques dispositions qu’il convient de saluer, mais il porte aussi fortement atteinte aux libertés de religion, d’association, d’expression, ainsi qu’aux droits éducatifs des parents. Il est en outre complété par un décret autorisant le fichage des personnes en fonction de leurs seules convictions religieuses et politiques, et non plus seulement de leurs actions. C’est une législation de combat dont on perçoit à peine l’étendue des conséquences.

Mais la peur de l’islamisme justifie-t-elle une telle réduction des libertés et, pour reprendre les termes du Défenseur des droits, un tel « renforcement global du contrôle de l’ordre social ». Renoncer à nos libertés par peur de l’islamisme, n’est-ce pas précisément un objectif du terrorisme et donc, déjà, une victoire de cette idéologie mortifère ? Ne vaudrait-il pas mieux combattre directement, et seulement, les islamistes ? Cette question doit être posée.

L’erreur indifférentiste

Alors que le projet de loi avait été présenté initialement comme visant, avec raison, à combattre l’islamisme radical, la mention de cet objectif a été progressivement supprimée, et remplacée par la lutte contre toutes les atteintes d’inspiration religieuse aux « valeurs de la République », requalifiées ensuite de « principes » de la République par le Conseil d’État. Par ce texte, toutes les associations religieuses, familles et écoles hors-contrat seront soumises à de nouvelles charges, surveillées par les autorités, menacées de sanctions administratives, atteintes dans leurs libertés et entachées de suspicion. Toutes les entreprises et les associations qui souhaitent passer une convention avec l’administration ou recevoir une subvention de celle-ci devront se soumettre à un « contrat d’engagement républicain ». Sur ce point encore, le Défenseur des droits observe avec justesse que le texte « prévoit des interdictions et des sanctions d’application tellement vastes qu’elles sont hors de proportion avec la difficulté qu’il souhaiterait traiter ».

Cette disproportion résulte du refus de principe de distinguer entre les religions, et donc entre l’islamisme et les autres religions. Il découle lui-même d’une erreur factuelle fondamentale de la laïcité suivant laquelle toutes les religions seraient égales, car fausses, extérieures à la rationalité publique. Cet indifférentisme est cause d’injustices, car qu’est-ce qu’il y a de commun entre le père Jacques Hamel et ses assassins ? Pourquoi traiter les victimes juives et chrétiennes comme leurs bourreaux islamistes ? Cet indifférentisme est cause d’injustices, mais c’est sur lui que repose l’affirmation par la République de sa supériorité sur toutes les religions. Finalement, du fait de cette erreur, le combat contre la minorité islamiste permet à la République de renforcer son pouvoir sur toutes les religions.

Le mystère des principes républicains

L’usage de la contrainte et des sanctions prévu par cette loi sera-t-il au moins efficace ? Saura-t-il faire entrer par la force les « principes de la République » que l’école n’a pas su transmettre par l’intelligence ? Et quel est le contenu de ces principes dont on prétend imposer le respect ? Le gouvernement n’a pas su les définir précisément dans le projet de loi et a confié cette mission au Conseil d’État qui devra s’en acquitter… après l’adoption de la loi. Voilà un nouvel exemple de dépossession du législateur. De fait, le contenu précis de ces valeurs républicaines reste un mystère réservé aux initiés.

Certes, les grands principes « de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public », qui sont les seuls mentionnés dans le projet de loi, ne sont pas injustes en soi, mais susceptibles de nombreuses interprétations. Et peut-on se convertir à des principes abstraits et universels ? Ces principes répondent-ils au besoin de vérité et d’identité des personnes susceptibles de se radicaliser ? Accéder à l’universel suppose au préalable d’être enraciné et d’avoir réglé ses propres problèmes d’identité.

La résistance des identités

Force est de constater la persistance du besoin « d’enracinement » des personnes issues de l’immigration, même à la troisième génération. N’est-ce pas une preuve de la résistance de la nature humaine contre l’utopie de la société liquide ? La situation actuelle de « séparatisme » signe l’échec de l’idéal universaliste ; et ses promoteurs sont piégés car, selon les termes de Bossuet, ils chérissent les causes d’une situation dont ils déplorent les effets : ils sont favorables à l’immigration par universalisme, mais ne veulent pas des immigrés tels qu’ils sont, également par universalisme. Cette contradiction ne peut être résolue qu’en forçant les immigrés et leurs enfants à se convertir à l’universalisme, ce qui est impossible, car un homme déraciné a besoin d’identité. La radicalisation est la réponse au déracinement : ces deux mots ont d’ailleurs la même racine.

Comment des personnes déracinées pourraient-elles croire en outre en la sincérité du Gouvernement et en ses valeurs lorsque, par exemple, Mme Schiappa, auteur bien connu de romans pornographiques, s’empresse de préciser que l’interdiction de la polygamie est sans conséquence sur le libertinage des « plans à trois », ou lorsque l’interdiction des associations non-mixtes est assortie d’une exception à la demande des loges maçonniques, tel que cela apparaît dans les travaux en Commission ? Que dire d’un renforcement du contrôle pénal d’internet qui laisse intacte le fléau de la pornographie ? Que dire de la crédibilité d’un gouvernement qui confie à cette même Mme Schiappa la mission d’annoncer la pénalisation des certificats de virginité et des propos sexistes ? Lorsque la loi fait référence à la conception républicaine de « dignité », comment ne pas voir qu’elle n’est pas celle de l’islam, ni d’ailleurs des autres religions ?

Le besoin d’enracinement est humain et donc respectable, même si certains de ses modes d’expression doivent être réprouvés. Il faut se souvenir que saint Thomas d’Aquin protégea les enfants juifs de ceux qui voulaient en faire de bons sujets de la monarchie catholique, en les convertissant de force. Il enseignait en effet que les droits naturels des parents sur leurs enfants priment ceux de la société, même lorsque ces derniers se trompent en matière religieuse. Ainsi, le problème n’est pas tant le besoin naturel d’enracinement que l’immigration massive qui exacerbe ce besoin sous forme de radicalisation.

Les droits des minorités contre la République

L’universalisme républicain pourrait aussi se heurter au droit international. En effet, que se passera-t-il lorsque les musulmans de France invoqueront le respect des droits des minorités contre les principes républicains ? De nombreux textes, telle la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques de l’ONU, garantissent à ces personnes, entre autres droits de l’homme, celui « de jouir de leur propre culture, de professer et de pratiquer leur propre religion et d'utiliser leur propre langue, en privé et en public, librement et sans ingérence ni discrimination quelconque. » Pourquoi les Hongrois et les Roms de Bulgarie et de Roumanie pourraient-ils bénéficier de ces droits, et non les Maghrébins de France ? La question doit être posée, car l’immigration, lorsqu’elle est massive, crée moins des Français que des minorités.

La primauté des valeurs républicaines sur les consciences

Une telle affirmation des « principes de la République », y compris aux dépens des libertés, constitue un profond changement social : il modifie l’équilibre entre la tradition démocratique et la tradition républicaine de nos institutions.

Depuis l’après-guerre, le modèle démocratique dominait les institutions politiques occidentales. Il a été conçu comme un ensemble d’institutions et de mécanismes neutres, associés à des libertés indéfinies, c’est-à-dire laissant à chacun le choix d’en déterminer l’usage. En un mot, la démocratie ne disait pas ce qu’il faut penser, faire ou croire, et garantissait à chacun l’exercice de ces libertés dans les limites de l’ordre public. Comme des règles du jeu, le consensus démocratique se plaçait en-deçà des convictions personnelles.

À présent, la démocratie perd sa neutralité axiologique et s’élève au-dessus des convictions personnelles pour les encadrer. Les fondations de la vie sociale s’élèvent pour devenir des murs. C’est ainsi que la tradition républicaine est réaffirmée aux dépens de la tradition démocratique.

Ce phénomène d’encadrement axiologique de la vie sociale s’observe aussi au niveau européen. La Cour européenne des droits de l’homme soumet ainsi l’action des États au respect des valeurs de la « société démocratique », valeurs qu’elle définit de façon évolutive et qui visent paradoxalement à encadrer la démocratie élective. De même, la Commission européenne entend imposer aux gouvernements européens, et plus encore à leurs électeurs, le respect de « valeurs » libérales qui seraient constitutives de « l’État de droit ».

Ces concepts « d’État de droit » et de « société démocratique » sont les équivalents européens des « principes de la République » affirmés par le Gouvernement. Le projet de loi sur les principes de la République participe ainsi du phénomène de moralisation du pouvoir qui s’idéologise, se ferme au pluralisme et réprime pour se défendre des valeurs concurrentes, en particulier lorsqu’elles sont d’inspiration religieuse. Car il ne faut pas se leurrer, ce sont bien les religions qui sont aujourd’hui les principales sources d’opposition aux valeurs structurant la société occidentale. En cela, le projet de loi ne se trompe pas de cible en visant toutes les religions.

Le renversement d’appréciation entre l’État et les religions

En Occident, ce mouvement d’encadrement axiologique est particulièrement manifeste s’agissant du domaine religieux qui, jusqu’à présent, était reconnu comme sacré, et donc séparé, dépassant le plan temporel et profane. C’est pourquoi, par exemple, les ministres du culte disposent jusqu’à maintenant d’une plus grande liberté d’expression que les laïcs, car leurs propos bénéficient aussi de la protection de la liberté religieuse. Tel n’est plus le cas avec le projet de loi : non seulement il prévoit de sanctionner les propos tenus au sein des lieux de cultes, mais il les réprime plus durement encore que les mêmes propos exprimés en un lieu profane. La religion n’est plus une source d’immunité, mais un facteur aggravant. De même, le projet de loi s’immisce dans le fonctionnement interne des communautés religieuses, en violation du principe d’autonomie, en forçant celles-ci à adopter un fonctionnement « démocratique » fondé sur le vote, et non plus sur l’obéissance. C’est ce que firent les communistes pour tenter de détruire l’Église de l’intérieur.

Le renversement de l’appréciation de l’État et des religions est un phénomène culturel majeur. En 1948, lorsque les fondations du droit contemporain de la liberté religieuse furent posées, l’État était considéré comme une menace à contrôler, un Léviathan froid et dangereux, et les religions comme des ressources à valoriser, des expressions de notre humanité et des bastions de la liberté face aux totalitarismes. Au XXe siècle, ce sont les croyants qui étaient les victimes, et les États qui étaient les bourreaux. Aujourd’hui, la situation tend à s’inverser, au bénéfice de l’État et au détriment des religions, mais aussi du droit à la liberté de religion dont la légitimité est de plus en plus contestée. C’est le retour du Léviathan au profit duquel, selon Hobbes, les individus, par peur d'une mort violente, abdiquent leurs libertés en échange de la sécurité. Ecraser ou convertir ?

Face à la peur de l’islamisme, seule la République paraît encore capable « d’écraser l’infâme », car l’histoire témoigne de sa capacité à recourir à la force, et même à l’injustice pour s’imposer.

Quant aux catholiques, ils semblent avoir largement renoncé à l’autre mode d’intégration des étrangers : l’annonce explicite de l’Évangile et le baptême. Nombre d’entre eux espèrent même, sans rancune, trouver protection contre l’islam auprès de la République. C’est se bercer d’illusions, car ils seront les prochains sur la liste, avec les évangéliques, dont les écoles et les chapelles prolifèrent plus encore que les mosquées salafistes. Des députés et des experts auditionnés s’en sont d’ailleurs vivement inquiétés en commission parlementaire ; et les récents propos de Mme Schiappa contre les évangéliques sont de mauvais augure.

Mgr de Moulins-Beaufort a jeté un froid au sein de la commission parlementaire lorsqu’il a déclaré qu’« il est déjà trop tard », exprimant par-là ses doutes à l’égard de la capacité du droit pénal à résoudre le problème du séparatisme et de la haine, la civilisation étant le fruit des mœurs, et non de la répression. Peut-on sérieusement lui donner tort ? Car – et c’est là où le bât blesse –, les principes de la République ne suffisent pas à constituer une civilisation. Ce ne sont pas ces principes, même imposés par la loi, qui convertiront à la France des personnes déracinées, mais le partage de la grandeur de notre roman national et, plus encore, osons le dire, le partage de l’Évangile qui sous-tend notre civilisation, et dont les principes de la République sont eux-mêmes un reflet.

Source : https://www.valeursactuelles.com/

Écrire un commentaire

NB : Les commentaires de ce blog sont modérés.

Optionnel