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  • Boualem Sansal : La France en voie de faire allégeance au Calife ? Discours sur l'Islamisme

    Boualem Sansal et Daniel Pouzadoux  

     

    Intervention de Boualem Sansal devant la Fondation Varenne [13 décembre 2016]*. Importante tant par son contenu - nous laissons nos lecteurs le découvrir - que parce qu'elle a été faite devant de grands noms de la presse française et d'illustres personnalitésLFAR 

    Il ne faut désespérer ni Billancourt, ni le Qatar, ni l’institut  

    Mesdames et Messieurs, bonjour, bonsoir,

    Daniel Pouzadoux m’a fait l’amitié de m’inviter à votre cérémonie et il a poussé la gentillesse jusqu’à me demander de venir au pupitre dire quelques mots.  Je le remercie très chaleureusement.  Je vais le faire en essayant de ne pas vous ennuyer, j’ai tendance ces derniers temps à me répéter, et pas de la meilleure façon, je veux dire la politiquement correcte. 

    Je ne sais pas si vous l’entendez mais je vous le dis, parler devant vous n’est pas facile, dans la salle je vois de grands noms de la presse française… c’est impressionnant. Et flatteur pour moi, dans mon pays, l’Algérie, j’ai droit au traitement pour lépreux, on lâche les chiens, on jette des pierres. En ce moment, à la suite d’un supposé amalgame, blasphème, ou mauvaise pensée de ma part, on délibère à mon sujet, et la fumée n’est pas blanche, ça ne dit rien de bon. Mais passons, rien n’est certain tant qu’il n’est pas arrivé.  

    Je voudrais, avec la permission de Daniel, et la vôtre aussi, vous dire deux trois choses sur l’islamisme. Il y a d’autres sujets mais celui-ci les dépasse, il tient le monde en haleine, et la France en premier, elle est une pièce essentielle dans son programme de domination planétaire.  C’est ici qu’il gagnera ou perdra face à l’Occident, il le croit, voilà pourquoi il s’y investit avec tant de rage, derrière laquelle cependant agit un monde étonnant de froide intelligence et de patience.

    Personne ne peut mieux qu’un algérien comprendre ce que vous vivez, ce que vous ressentez, l’Algérie connaît l’islamisme, elle en a souffert vingt années durant. 

    Je ne veux pas laisser entendre que l’islamisme est fini dans ce pays, simplement parce que le terrorisme a reflué, c’est tout le contraire, l’islamisme a gagné, à part quelques voix dissonantes qui s’époumonent dans le désert, rien ne s’oppose à lui, il a tout en main pour réaliser son objet. Tout son programme, dont le terrorisme est un volet important mais pas le plus important, il en est dix autres qui le sont davantage, ne vise que cela : briser les résistances, éteindre les Lumières avec un grand L et installer les mécanismes d’une islamisation en profondeur de la société. On peut dire que l’islamisme ne commence véritablement son œuvre qu’après le passage du rouleau compresseur de la terreur, à ce stade la population est prête à tout accepter avec ferveur, humilité et une vraie reconnaissance.

    On en est là en Algérie, le programme se déroule bien, les islamistes travaillent comme à l’usine, ils contrôlent tout, surveillent tout, le point de non-retour est franchi et le point final arrive comme un coup de poing. Encore quelques réglages et nous aurons une république islamique parfaite, tout à fait éligible au califat mondial. Vous en entendrez parler, je pense.

    Un  exemple  pour  le  montrer :  dans  la  petite  ville  où j’habite, à 50 kms d’Alger, une  ville universitaire dont la population, 25000 habitants environ, se compose essentiellement  d’enseignants,  de  chercheurs  et d’étudiants,  il  y  avait  avant  l’arrivée  de  l’islamisme, dans les années 80, une petite mosquée branlante, coloniale par son âge, que ne fréquentaient que quelques vieux  paysans  des  alentours ;  aujourd’hui,  après  deux décennies de terrorisme et de destruction, et alors que le  pays manque  de  tout,  il  y  en  a  quinze,  toutes  de bonne taille et bien équipées, eau courante au robinet, hautparleurs surpuissants,  climatisation  et  internet  à tous les étages, et je vous apprends que pour la prière du  vendredi  elles  ne  suffisent pas  pour accueillir  tous les  pénitents.  Il faudrait clairement en construire quinze autres ou réquisitionner les amphis et les laboratoires.  Attention, je ne fais pas d’amalgame, ni de persiflage, je ne dis pas que les pénitents sont des islamistes, aucun ne l’est, je vous l’assure, n’ayez crainte, je dis simplement que les islamistes ont bien travaillé, en peu de temps ils ont assaini le climat et fait de nous de bons et fidèles musulmans, ponctuels et empressés, et jamais, au grand jamais j’insiste, ils ne nous ont demandé de devenir des islamistes comme eux. « Point de contrainte en religion », c’est dans le Coran, sourate 2, verset 256.   

    En Algérie, on suit avec beaucoup d’inquiétude l’évolution des choses en France.  Je ne parle pas de nos islamistes, ils se félicitent de leurs avancées chez vous, ni de notre gouvernement, tout entier mobilisé au chevet de son vieux président, M.  Bouteflika, je parle de ceux qui ont de l’amitié pour vous et ceux qui ont des parents en France et qui voudraient les voir continuer de vivre leur vie française le mieux possible. Je vous le dis, ceux-là sont inquiets, très très inquiets et même désespérés. Ils vous en veulent pour cela.

    Inquiets parce qu’ils constatent jour après jour, mois après mois, année après année, que la France ne sait toujours pas se déterminer par rapport à l’islamisme : est-ce du lard, est-ce du mouton, est-ce de la religion, est-ce de l’hérésie ?  Nommer ces choses, elle ne sait pas, c’est un souci. Pendant ce temps, le boa constrictor islamiste a largement eu le temps de bien s’entortiller, il va tout bientôt l’étouffer pour de bon.  Insouciante qu’elle est, la mignonne est allée faire amie-ami avec les gros cheikhs du Golfe que chacun sait être les géniteurs et les dresseurs du boa et surtout d’anciens redoutables détrousseurs de caravanes. 

    Inquiets de voir la France des libertés verser dans le maccarthysme. Que se passe-t-il, bon sang, il n’est plus possible, pour personne, de parler de certains sujets liés à la Chose sans se voir aussitôt traîné au tribunal et condamné sévèrement.  On en sort encore avec des amendes, des sursis et des marques à l’épaule, mais le jour n’est pas loin où on se verra appliquer la vraie charia. 

    Inquiets et dégoutés de  voir  cette  grande  nation laïque et avant-gardiste exhiber à tout bout de champ ses  imams  et  ses  muftis,  ses  pachas  de  l’UOIF,  ses commandeurs du CFCM, et, pour la note moderne, deux trois sœurs cagoulées à l’arrière-plan, comme jadis au temps des colonies de papa elle promenait de cérémonies en cérémonies ses caïds chamarrés bardés de médailles, ses marabouts en boubous et autres sorciers en plumes, et repousser fermement ceux qui peuvent parler  aux  gens  sans  réciter  un  seul  verset  ou  lever  de doigt  menaçant  au  ciel.  On croirait que la France n’a pas été décolonisée en même temps que ses colonies ou que la laïcité y a été abrogée par un édit du grand imam.

    Inquiets et en colère de voir que les algériens de France, pourtant instruits de la vraie nature de l’islamisme, et pis, qui savent qu’il a lancé une OPA sur leurs enfants, ne s’engagent pas plus que ça dans la lutte contre lui, pas au-delà des protestations de principe : « C’est pas ça l’islam » ; « L’islam est paix, chaleur et tolérance », « l’islam est une chance pour la France ». Misère, comment le dire :  l’urgent n’est pas de sauver l’islam de l’amalgame mais de sauver les enfants de la mort  

    Inquiets et effarés de voir l’Europe se déliter et devenir un amplificateur de crises et fabricant d’un islamisme européen véritablement monstrueux, qui par ses prétentions totalitaires et ses haines tous azimuts, s’apparente au nazisme-fascisme d’antan, qu’il contribue de la sorte à ressusciter.

    Désespérés en fin de compte de voir que la France et l’Europe sont à mille lieues de pouvoir concevoir et mener ensemble le seul combat qui puisse venir à bout de l’islamisme : le contre-djihad, conçu sur le principe même du djihad.  Et le djihad n’est pas la guerre, c’est mille chamboulements dans mille domaines différents, menées sans restriction ni frein, dans un mouvement brownien accéléré irréversible.

    Après tout ça, y-a-t-il de l’espoir ? Oui, il existe, il est puissant, la France est un grand pays avec une immense histoire pleine de ressort et d’énergie, il continue de vivre et de se projeter dans l’avenir, mais chacun sent que l’effort coûte de plus en plus, que le poison islamiste court dans ses veines, que la langueur de la décadence le travail, que le pays perd de sa cohérence et de son unité, que le gouvernement n’y entend goutte, que l’Europe est un boulet, bref chacun comprend que la fin approche. L’espoir est précisément là, dans cette horrible sensation que l’Histoire est finie, c’est là que le désespoir trouve sa meilleure énergie. 

    Il y a une condition cependant, un vrai challenge de nos jours, la France    doit retrouver l’usage de la parole libre et en faire une arme.  Si le terrorisme se combat dans la discrétion et la patience, par le renseignement et l’infiltration, l’islamisme se combat par la parole, dite au grand jour, haut et fort. Ce combat a toujours été celui des journalistes et des écrivains, qu’ils reprennent le flambeau, il est à eux. 

    On  n’oubliera  pas  de  mener  ce  combat  en  premier contre l’armée des idiots utiles et des bienpensants, qui avec une poignée de

  • Macron, le sophiste

    A Athènes, le 7 septembre

     

    Par Hilaire de Crémiers

    La gloire de Macron passe comme la fleur des champs du printemps. Peut-être serait-il utile de comprendre pourquoi ?

     

    2840298611.jpgEmmanuel Macron se pense un chef. Il l’a dit et répété ; et comme un chef charismatique dont le jeune âge et la fulgurante carrière rehaussent le prestige. 

    Un mariage qui devient un modèle

    Anne Fulda l’a finement noté dans son livre consacré à « ce jeune homme si parfait » : il a l’intuition qu’il peut tout. Son mariage atypique en est la plus belle preuve ;  il en a calculé le caractère original ; il en savoure, maintenant plus qu’avant, la force  symbolique. Cette preuve du « tout est possible pour lui » est telle qu’il n’hésite pas à l’offrir en image à la France : Brigitte Trogneux sera bien à ses côtés, sinon dans le statut officiel dont il eût aimé qu’il lui fût dévolu, mais dans le rôle effectif de première dame de France. C’est qu’elle a décelé, la première, son génie personnel ; elle a décidé de l’accompagner, de l’aider à être ce qu’il doit être : elle est un modèle, la première française à avoir appréhendé le phénomène Macron.

    Lui n’a cessé de mûrir son dessein. Son ardeur juvénile, son intelligence qui domine et dépasse toute règle et toute normalité, devaient se reporter comme naturellement sur la politique. Oui, il l’épouserait aussi, la vieille politique, mais à sa façon singulière, sûr et de la puissance de son charme et de l’efficacité de son attrait. Sa modernité technique est le gage d’un succès garanti ; il est en lui-même, par lui-même, pour lui-même, dans toutes ses conceptions, une « start up » qui n’agit que dans « la performance », hors des voies communes. Pragmatique et audacieux, concret et plein de rêves, généreux et indulgent mais, en même temps, fort, et, s’il le faut, implacable, tel qu’il se définit lui-même dans son long entretien au Point (31 août 2017. La politique française ne peut que céder ; elle le doit pour se mettre enfin au service de cette nouvelle manière d’être et d’agir. La jeunesse macronnienne la transformera ; il en sera le maître, pas seulement élu, mais plutôt choisi du fond du cœur, aimé comme il doit l’être. Ne l’a-t-il pas annoncé au cours de la mémorable soirée du 7 mai où il célébrait sa triomphale élection dans la cour du Louvre ? Souvenons-nous de cette  «lumière» jaillissant de «la nuit», de ce « présent » émergeant du «passé» : c’était républicain, royal, impérial, français, européen, mondial, tout à la fois et en même temps. Il incarnait à pas majestueux l’histoire en marche, plus encore que la République. Deux mots encadraient son homélie laïque qui appelait à la conversion des cœurs autant que des esprits du fond du triangle pyramidal : «bienveillance» et «amour». Meilleur que Dieu. Comme l’Antéchrist de Soloviev. 

    L’homme qui est et peut tout

    Car c’est fait. Il a vaincu, et avec facilité, dès sa première bataille dans le champ politique. À 39 ans. Le voilà marié à la France.

    Il est président et même quelque chose de plus, une sorte de roi, toujours à sa façon, différente de celle d’autrefois, certes, mais dont l’idée incontestablement l’obsède. Il est aussi Napoléon mais le pacifique, le républicain, celui du Testament de Sainte-Hélène qui étend au monde entier ses vastes conceptions où le réel et l’idéal, la passion et la philosophie, les immenses attentes du monde et les réponses appropriées se rejoignent en s’embrassant sur une ligne d’horizon parfaite, celle qu’il décrit à longueur de discours, d’interventions, d’entretiens, devant le Congrès à Versailles, devant les ambassadeurs, devant les journalistes.

    Il est encore un héros ; le héros, spécifiquement politique, réservé à nos temps, ces temps dont il dit aux journalistes du Point qu’ils obligent à « renouer avec l’héroïsme politique ». Il y a en lui un demi-dieu dont quelque « Transcendance » pour parler son langage, le regarde avec faveur tant il excelle dans ses entreprises qui régénèrent ses frères en humanité. Enfin, une telle vertu, au sens fort du terme, celui de l’antique Romanité et de la transgressive Renaissance, l’élève au rang de divinité. Ce n’est pas pour rien que le nom de Jupiter a été lancé. Dans son entretien avec les journalistes du Point, il se croit obligé de revenir dessus ; il n’en reste pas moins qu’il s’est voulu « jupitérien ».  

    Il prétend qu’il n’a pas l’esprit religieux, mais il confesse qu’à 12 ans, chez les Jésuites, il a demandé le baptême et qu’il  a connu alors une exaltation mystique dont son père l’aurait détourné. La vie a passé très vite ; il n’est plus qu’agnostique, ce qui n’est qu’un mot pour échapper aux questions contraignantes.

    Car il a l’esprit religieux, comme tout le monde. Même le prétendu athée, dit fort justement Dostoïevski ! Tout dépend de ce en quoi l’homme met sa  confiance. Macron maintenant a la religion de lui-même ; il n’est pas le seul de son espèce. Il est à lui-même sa propre origine, sa propre création et sa propre fin. Cette foi le justifie intimement et l’autorise à être ce qu’il est. Il s’appartient lui-même et tout lui appartient. Il voit, il sait, il pense, il décide, il commande. Il y a « lui » qui est chargé de « réussir » sa vie pour « réussir » celle des « autres » et il y a bien sûr ces « autres » qui ne savent pas réussir comme lui. À lui, donc, de vouloir et d’agir. L’investiture démocratique n’a fait que confirmer sa destinée. La moindre de ses phrases porte le sceau de cette certitude intérieure qui le convainc de son rôle irremplaçable ; une finalité supérieure oriente sa vie ; il est fait pour « le moment historique » que vivent la France et le monde ; il le dit en toute simplicité. Ecoutez sa voix prophétique : son souffle inspiré va recréer l’Europe en qui il croit d’abord et qui enfantera la nouvelle France, pour mieux guider le monde sur les voies du salut.

    Le sophiste qui n’est plus qu’un sophiste de plus

    Illusion ! Le tort premier de Macron est de s’imaginer que son histoire a un caractère exceptionnel. Elle est fort banale, surtout en nos temps démocratiques. Tous ses prédécesseurs ont partagé, à des degrés divers, les mêmes sentiments, même ceux qui se voulaient et se disaient normaux. D’avoir eu l’onction républicaine, d’y avoir seulement aspiré, d’avoir réussi à l’obtenir, ne fût-elle que fictive, aléatoire et éphémère, n’ayant l’aval effectif que d’une minorité parmi d’autres minorités, soudainement devenue majorité par défaut, rejet ou élimination – ce qui fut le cas pour lui précisément –, persuade ces esprits de leur supériorité intrinsèque ou plutôt les confirme dans cette persuasion. Ils sont convaincus que l’autorité suprême leur revient de droit, que le pouvoir est fait pour eux comme ils sont faits pour le pouvoir. Leur personne serait investie d’une légitimité qui ne pourrait être remise en doute. Ni  Hollande, ni Sarkozy n’ont lâché cette idée, ni, avant eux, tous les autres !

    Macron, perdant sa popularité en à peine quatre mois d’exercice du pouvoir, en impute la responsabilité à l’incompréhension des Français.  Du coup, il changera sa communication, il fera de « la pédagogie », le grand mot à la mode dans une démocratie décadente, ce qui, pour qui réfléchit bien, est gravement outrageant pour le corps électoral. Que vaut donc le vote de l’électeur ?      .

    Il y a du sophiste chez lui. Hippias se flattait devant Socrate d’apprendre aux jeunes Grecs à réussir : réussir était son but et faire entrer de l’argent, beaucoup d’argent, également. Gorgias enseignait que la politique était l’art de la persuasion ; Protagoras,  qu’elle était le lieu de l’accomplissement de l’homme supérieur qui était la mesure de toute chose ; Calliclès, que le tout de la politique était de savoir dominer la cité. Il n’y a plus de Socrate pour ramener doucement par une fine ironie ces esprits aussi fats que faux à la véritable intelligence du bien de la cité, à l’exacte notion de justice, à la simple vérité de l’homme, loin des vastes et fumeuses considérations.  

    Il suffit d’écouter Macron pour savoir qu’il ne sait rien sur le fond de vrai ni d’utile. Ce qui ne l’empêche pas, comme un sophiste qu’il est, de savoir « baratiner » sur tout, même sur le vrai et l’utile. La sophistique est toujours la même à laquelle est vouée décidément la démocratie française. Comme  jadis la démocratie athénienne. Athènes en est morte. On préférait y condamner Socrate.

    Reste que l’enfant adulé, l’adolescent adoré, le jeune homme idolâtré, le candidat glorifié, le président apothéosé va se heurter à son heure de vérité. Les lois – mêmes les meilleures – ne changeront pas la réalité politique ; la technique ne remplace pas l’esprit. Les institutions ont leurs propres mécanismes qui le broieront lui aussi. Il dit qu’il essaye de se garder du temps pour lire. Est-il permis de lui conseiller de lire ou de relire « le maître-livre » de celui qui fut, à ce qu’il dit, son maître en philosophie, Paul Ricoeur : L’Homme faillible.  

  • Société & Education • Professeur de lycée giflé ou la décomposition française

     

    Par   

    TRIBUNE - Une enseignante a été giflée par un élève dans un lycée professionnel de Gagny, mardi 10 octobre. La scène, filmée par un élève, a été diffusée sur les réseaux sociaux. Barbara Lefebvre, qui a enseigné en banlieue, revient sur cette agression [Figarovox, 18.10]. Et elle le fait non seulement de façon descriptive, détaillant les symptômes du mal qui ronge l'école, mais aussi en remontant aux causes structurelles, idéologiques, sociétales et finalement politiques, les plus profondes et les plus générales. Une très belle analyse qu'on ne peut qu'approuver ici et dont on doit saluer le courage intellectuel et la lucidité. Grâce à de tels auteurs, tout de même, une réaction monte peu à peu du pays et une prise de conscience. Ce ne sera pas sans effets. Bravo ! Lafautearousseau

     

    barbara-lefebvre-1_5858139.jpgIl y a quelques jours, dans un lycée professionnel de Gagny, une enseignante était molestée par un élève qui, l'ayant acculée contre le tableau, lui avait asséné une gifle, pendant qu'un autre filmait et que des rires gras résonnaient dans la classe, constituant la désolante bande-son de cette courte vidéo. 

    Cet événement aurait dû rester inconnu de tous, comme tant d'autres violences physiques et psychologiques déployées dans nos établissements de l'école élémentaire au lycée.

    Bien sûr, des experts en violences scolaires expliqueront qu'il s'agit d'un fait marginal, que les médias - et les néo réacs qui gangrènent la société - focalisent sur ces actes isolés à des fins idéologiques indignes de la noble mission de l'école de la République.

    Ces experts sont formels : il ne faut surtout pas répondre à la violence scolaire par un « discours sécuritaire ». Tout est pédagogie, médiation, travail sur soi… Il paraît en effet que l'immense majorité des élèves sont heureux d'aller à l'école. Circulez.

    Quant à ces vieux barbons de profs qui témoignent quasi unanimement, dans les enquêtes de ces mêmes experts, d'un climat scolaire de plus en plus dégradé, il faut leur faire admettre que tout cela ne relève en rien de la crise de l'éducation dont Hannah Arendt avait analysé les contours dès 1954.

    Encore et toujours, c'est la « violence institutionnelle » qui est tenue pour responsable de la crise de l'éducation, c'est la structure bureaucratique et pyramidale de notre Ecole qui génère ces dysfonctionnements créateurs de violences... Les élèves, l'éducation familiale n'y sont pour rien, ce sont des victimes du système, eux aussi. Circulez.

    Les transformations culturelles subies par l'Homo democraticus postmoderne atomisé par la mondialisation et la métropolisation n'ont rien à voir là-dedans non plus.

    Le lycéen qui se croit autorisé à frapper son enseignante (l'aurait-il fait s'il s'était agi d'un enseignant …) révèle l'état de déréliction du corps social où toutes formes d'autorité légitime et de hiérarchie ont été déconstruites avec minutie et délectation par le gauchisme de salon depuis cinquante ans.

    On ne dira jamais à quel point l'acculturation qui sévit dans notre société a été l'arme de destruction massive de nos civilités et de notre morale civique. Sur ce désert culturel ont poussé des plantes toxiques. Cette acculturation s'est traduite depuis presque trois décennies par une montée ininterrompue des violences dans l'école (et logiquement au-delà).

    Violences entre élèves, violences envers les adultes. Certaines de ces violences trouvent leur origine et leur expression dès la petite enfance. Mais le déni continue. Le réel est réduit à rien ou presque rien, il est donc le signe du Rien.

    Les enseignants démissionnent en plus grand nombre chaque année, la plupart d'entre eux n'iront plus au bout de leur carrière et se réorientent au bout de dix ou vingt ans, alors qu'ils devaient tenir presque quarante ans ; on baisse le niveau des concours pour recruter. Mais tout va bien ! C'est pourtant le déracinement de tout ce qui bâtit une culture commune qui a lentement mais sûrement conduit à une dégradation généralisée du climat scolaire dans nos écoles.

    Sans la littérature française d'abord, la rigueur d'une syntaxe et d'une grammaire appuyée sur l'enseignement des lettres classiques ensuite, sans l'histoire enfin, il n'y a pas d'identité commune sur quoi fonder une cohésion sociétale a minima.

    Les quartiers de l'éducation prioritaire sont loin d'être les seuls concernés par les ravages de l'acculturation et des violences induites. Presque partout, on cherche à y échapper en évitant telle école, tel collège, tel lycée. A Paris même, à quelques rues d'écart, une école peut être désertée au profit d'une autre.

    Les stratégies parentales sont toujours plus complexes. Ces stratégies d'évitement ne sont pas la cause du problème, comme l'ancienne ministre de l'Education le faisait croire en culpabilisant les familles, elles sont la conséquence de la dégradation de notre école publique.

    Combien ai-je entendu de parents d'élèves regretter devoir inscrire leur enfant dans le privé, ou le faire domicilier à dix kilomètres du domicile familial s'obligeant chaque jour à d'épuisants trajets. Ils estimaient que l'Education nationale n'était plus en mesure d'assurer la sécurité de leur enfant ou proposer un niveau d'instruction suffisant.

    Ce déracinement culturel a commencé sous la présidence Giscard d'Estaing, le président jeune et moderne, passionné d'Europe et d'ultralibéralisme. Avec lui, ce fut le collège unique : une massification scolaire qui ne rima jamais avec la véritable démocratisation promise. Sous Giscard, les idéologues du pédagogisme furent promus « experts de l'éducation », ils ont ainsi occupé tous les postes clés, de la formation enseignante à la rédaction des programmes et aux instructions qui les accompagnaient.

    Les décennies mitterrandienne puis chiraquienne auront été leur âge d'or, culminant avec le tunnel des ministères Jospin-Lang-Allègre-Bayrou de 1988 à 2002. La droite ne fut pas plus au rendez-vous : hier comme aujourd'hui, l'éducation est un non sujet pour elle. C'est sans doute pourquoi Xavier Darcos a dû souffrir rue de Grenelle, car pour lui c'était « le » sujet.

    La droite ne connaît qu'une solution aux problèmes de l'école : donner aveuglément toujours plus d'autonomie aux établissements, encourager l'Ecole privée, réduire les effectifs (sauf pour les ZEP qui continuent de bénéficier d'une politique de discrimination positive ruineuse pour les contribuables et sans efficacité pour les publics concernés).

    Le ministère a été contraint de s'exprimer sur l'affaire de Gagny. Cela a été fait sobrement, inutile de faire de grands discours. L'Education nationale a dû réagir depuis le sommet de la hiérarchie uniquement parce que le cas a été révélé par la mise en ligne de cette vidéo sordide sur Snapshat et Twitter, véritables poubelles de la sociabilité postmoderne.

    Mais hélas cet événement n'a rien de surprenant. Ce lycée « qu'il ne faut pas stigmatiser » comme l'institution s'évertue à le clamer, avait déjà défrayé la chronique en 2009 quand une vingtaine d'inconnus cagoulés, armés de barres de fer et de couteaux avaient fait intrusion dans l'établissement. Une douzaine d'élèves avaient été blessés lors de la rixe et une enseignante avait été légèrement blessée avec une arme blanche.

    On avait lu, déjà, que ce lycée était formidable, sans histoire, que personne ne comprenait ce qui s'était passé. Des enseignants insultés, physiquement menacés, ce n'est ni rare, ni méconnu de l'institution scolaire. Des élèves harcelés, qui vont en cours la peur au ventre car leurs agresseurs sont dans l'impunité totale, depuis longtemps voire toujours, ce n'est ni rare, ni méconnu.

    Combien d'élèves dissimulent à leur entourage qu'ils vivent un cauchemar entre ces murs ? Jusqu'au matin où ils ne peuvent plus se lever, écrasés par des douleurs psychosomatiques ou des crises de panique.

    Combien d'enseignants gardent pour eux ces violences intra-muros ? Certains de nos collègues, par discrétion, par honte, par peur du jugement de leurs pairs, ont décidé que les murs de leur classe serviraient aussi à enfermer leur secret.

    Quand un enseignant a « des problèmes pour gérer sa classe » comme on dit pudiquement, il trouve rarement du soutien auprès du chef d'établissement qui a, en général, reçu pour consigne (implicite ou non) du rectorat ou de l'inspection académique le fameux « pas de vague ».

    Le soutien est plus fréquent auprès des collègues, mais il en est toujours pour accabler l'enseignant en difficulté en lui reprochant d'en faire trop, de vouloir trop bien faire...

    Ainsi, cette enseignante qui avait confisqué le téléphone portable (raison pour laquelle le lycéen lui aurait asséné la violente gifle) a fait preuve d'autorité, elle voulait incarner le respect de la règle commune. Certains enseignants penseront qu'elle aurait dû fermer les yeux, laisser l'élève envoyer ses texto tranquillement ou supporter la sonnerie intempestive de cet objet qui devrait être interdit dans tous les établissements.

    Il y a encore une décennie, des millions d'élèves allaient à l'école sans posséder de téléphone. Des millions de parents pouvaient supporter l'idée que leur enfant ne serait pas traçable pendant les sept ou huit heures où ils l'avaient confié à l'institution scolaire ! Cet objet est devenu une obligation sociale, une addiction généralisée qui invente des sociabilités, permet les délations, encourage tout à la fois le voyeurisme et le flicage.

    Le smartphone n'a pourtant rien à faire dans l'espace scolaire. Et cette enseignante a eu raison de le confisquer à l'élève.

    C'est aussi par cet objet que son agression fut connue. Peut-être a-t-elle vécu cette publicité comme une humiliation ? Mais en cherchant à faire respecter la règle et aussi une forme de common decency, elle a osé faire ce que tant d'autres ne font plus, soit qu'ils sont accablés par la tâche, soit qu'ils sont devenus les complices des élèves qu'ils considèrent comme leurs égaux.

    Pour ces enseignants-là, l'acte d'éduquer ne relève plus d'aucune forme de verticalité, ne répond plus à aucun ordre hiérarchique.

    Cette horizontalité pédagogique qu'on a cherché à imposer depuis plusieurs décennies ce n'est pas le calme plat, la paix perpétuelle de l'illusion égalitaire. C'est au contraire la mise en équivalence de toutes les passions, de toutes les impulsivités, de toutes les revendications individuelles au nom d'un « droit à » auquel personne ne veut déroger au profit du bien commun.

    La passion de l'égalité en oubliant la transmission d'une culture exigeante pour tous aura décidément conduit l'Ecole de la République dans l'impasse.   

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    Barbara Lefebvre est enseignante et co-auteur de les territoires perdus de la République (Pluriel, 2002-2015) et Une France soumise (Albin Michel, 2017)

  • Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 2/8, Le Liban centenaire

    Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

    De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

    Quelle place pour les chrétiens ?

    C’est à ces questions que répond ce dossier.


    par ANNIE LAURENT

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    2/8 : Le Liban centenaire

     


    L’État libanais actuel est né en 1920. Petit panorama de son histoire jusqu’à la !n de l’occupation syrienne (2005).

     

    L’année 2020 est pour le Liban celle du centenaire. C’est en effet le 1er septembre 1920 que, par un discours solennel prononcé à Beyrouth, le général Henri Gouraud, haut-commissaire français, proclama la reconnaissance internationale de l’État du Grand Liban dans ses frontières actuelles.

    Cette naissance plongeait ses racines dans les tragédies survenues entre 1840 et 1860. Soutenus par les Ottomans qui dominaient la région, les druzes perpétrèrent alors des massacres de chrétiens dans la montagne du Chouf et à Zahlé, grande cité de la Bekaa. Le 9 juin 1861, suite à une intervention militaire destinée à secourir les survivants, Napoléon III et ses alliés européens obtinrent des Turcs la signature d’un Règlement organique instituant un « Gouvernement autonome » (Moutassarifat) pour le Mont-Liban. Celui-ci était doté d’un gouverneur nommé par le sultan et assisté d’un Conseil administratif de 12 membres issus des six principales communautés, chrétiennes et musulmanes, peuplant le territoire.

    À partir de 1864, le gouverneur fut obligatoirement un chrétien sujet de l’Empire.

    Une nouvelle étape vers l’indépendance fut franchie à l’issue de la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la réorganisation du Levant post-ottoman. Le traité de Versailles (28 juin 1919) créa alors la Société des Nations (SDN); il instaura aussi des mandats, qui bénéficièrent à la Grande-Bretagne et à la France.

    À la première furent attribuées la Mésopotamie et la Palestine tandis que la seconde obtenait la Syrie et le Liban. La mission des puissances mandataires consistait à administrer provisoirement les populations des territoires qui leur étaient confiés en vue de les aider à s’organiser comme États souverains.

    C’est durant les travaux préparatoires du traité de Versailles que furent définis les contours du futur Liban. Dès le 9 décembre 1918, le Conseil administratif vota une motion réclamant la pleine souveraineté sur une superficie élargie englobant des régions vitales comme la plaine fertile de la Bekaa, mais aussi celle du littoral avec ses ports, ainsi que le Djebel Amel (Sud) et l’Akkar (Nord), dont le Liban avait été amputé à diverses reprises dans son histoire.

    Trois délégations officielles se succédèrent à Paris, dont l’une était conduite par le patriarche de l’Église maronite, Mgr Elias Hoayek, pour défendre ces revendications qui furent donc entérinées. Le pays du Cèdre échappait ainsi à son intégration dans divers projets régionaux qui émergeaient depuis la fin de l’Empire turc : royaume ou nation arabe, Grande-Syrie. 


    Rôle décisif de la France


    Les maronites, soutenus par la France, ont joué un rôle décisif dans l’avènement de la République libanaise. Pour eux, comme pour la plupart des catholiques d’autres rites, le Liban avait vocation à offrir aux chrétiens un État où ils seraient pleinement citoyens, ce qui n’était pas garanti par les régimes se réclamant de l’islam où la dhimmitude (protection-assujettissement), bien qu’officiellement abolie par le sultan turc en 1856, pouvait être restaurée puisqu’elle s’inspire du Coran (9, 29).

    Une partie des grecs orthodoxes, héritiers de l’Empire byzantin, préféraient cependant l’incorporation du Liban à la Syrie. Le projet de « foyer chrétien » ne se confondait pas avec un système mono-confessionnel. Les maronites n’envisageaient pas l’exclusion des musulmans (sunnites, chiites et druzes) établis sur les terres pour lesquelles ils revendiquaient la libanité. Mais, si les chiites et les druzes étaient favorables à leur incorporation au Liban, les seconds préférant cependant qu’il fût confié à un mandat britannique, la majorité des sunnites optèrent pour le rattachement du pays à la Syrie, certains allant jusqu’à refuser les cartes d’identité libanaises établies par le Haut Commissariat français.

    L’agrandissement du territoire libanais ne faisait pourtant pas l’unanimité chez les maronites.
    En 1932, Émile Eddé, figure éminente de la communauté et fondateur du Bloc national, remit au Quai d’Orsay une Note sur le Liban dans laquelle il estimait nécessaire l’abandon du Nord sunnite et du Sud chiite. Pour lui, le Liban idéal devait assurer aux chrétiens, tous rites confondus, une écrasante majorité, 80 % si possible.

    Déjà en 1919, il avait attiré l’attention du patriarche Hoayek sur le danger d’intégrer trop de populations qui risqueraient à l’avenir d’en rompre l’équilibre. Les musulmans de ce nouveau Liban devenant un jour majoritaires n’auront de cesse, soutenus par leurs frères des États voisins, de le transformer en État islamique, lui disait-il. « Vous regretterez, Béatitude, cette initiative dans moins de cinquante ans ! » (1).


    Vers l’indépendance


    En 1941, le général Georges Catroux, parlant au nom de la France libre, annonça l’abolition des deux mandats mais le Liban devra attendre deux ans pour obtenir son indépendance effective.

    L’acte fondateur fut négocié en 1943 par les deux principaux dirigeants du pays, le président de la République Béchara El-Khoury (maronite) et le chef du gouvernement Riad El-Solh (sunnite). Ce « Pacte national » prit la forme d’un compromis intercommunautaire : les chrétiens renonçaient à la protection française – d’ailleurs
    devenue pesante car, dans les faits, le mandat s’apparentait à un protectorat – tandis que les musulmans oubliaient leur rêve d’intégration arabe.

    La déclaration de R. El-Solh est significative : « Nonobstant son arabité, il [le Liban] ne saurait interrompre les liens de culture et de civilisation qu’il a noués avec l’Occident, du fait que ces liens ont eu justement pour effet de l’amener au progrès dont il jouit » (2).
    Avec la Constitution de 1926, calquée sur celle de la IIIème République française mais sans mention de laïcité, ce Pacte non écrit a constitué l’ossature des institutions libanaises jusqu’en 1989.
    Il a aussi engendré un système sui generis fondé sur des données confessionnelles, en commençant par la répartition des principales charges de l’État. La présidence de la République est réservée à un maronite, celle du Conseil des ministres à un sunnite et celle du Parlement à un chiite. La répartition confessionnelle s’applique aussi aux portefeuilles ministériels et aux sièges parlementaires. Pour les postes les plus élevés
    de l’administration (diplomatie, armée, justice, etc.) le critère confessionnel prime souvent surcelui de la compétence ou du mérite.
    En outre, chaque religion dispose de sa propre juridiction pour le droit personnel (mariage, filiation et héritage). C’est pourquoi il n’y a pas de mariage civil au Liban; de même, une musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, sauf si ce dernier adhère à l’islam, selon une prescription du Coran (2, 221).

    Depuis quelques années, ces dispositions sont contestées par une partie de la population, mais les hiérarchies religieuses tiennent au maintien du statu quo.
    Cette « démocratie consensuelle », comme l’appellent les Libanais, est destinée à permettre aux dix-huit communautés reconnues (13 chrétiennes, dont les Arméniens rescapés du génocide de 1915, 4 musulmanes et une juive) d’être associées au fonctionnement de l’État sans perdre leur identité, ce qui soulève la question de la primauté d’allégeance de chaque citoyen.
    Il s’agit donc d’un système fragile, susceptible d’être ébranlé à la moindre secousse, interne ou externe, comme l’a montré la guerre (1975-1990).
    Celle-ci avait pour cause initiale la question palestinienne. En 1948, la création de l’État d’Israël, refusée par les pays arabes, a déclenché un conflit qui a provoqué l’exode de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, dont 142000 se sont réfugiés au Liban où ils ont été très bien accueillis, en particulier par les Églises.

    La défaite arabe de 1967 entraîna un nouvel afflux d’exilés. Dès 1968, le régime syrien d’Hafez ElAssad facilita leur armement au Liban-Sud sous prétexte de soutenir la guérilla anti-israélienne.
    En défendant la « cause » privilégiée des Arabes, Assad, dont la confession alaouite, minoritaire et hérétique aux yeux de l’islam sunnite, lequel est majoritaire en Syrie, cherchait à obtenir la légitimation de son pouvoir à Damas.

     

    2.jpgBéchir Gemayel (1947-1982), Samir Geagea et le général Michel Aoun, trois fortes personnalités chrétiennes du Liban.

     

     

    L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, multiplia alors au Liban les installations militaires, encercla les grandes villes et organisa sa propagande, notamment auprès des journalistes étrangers. Incapables de s’opposer à cette déstabilisation à cause de la faiblesse de leur armée, les dirigeants libanais crurent pouvoir compter sur la Ligue arabe dont leur pays est l’un des fondateurs, mais celle-ci, invoquant la solidarité arabe, imposa au président Charles Hélou l’accord du Caire (3 novembre 1969) qui consacra la mainmise de l’OLP sur leur territoire. « Les Palestiniens ont fait aux Libanais ce que les Israéliens avaient fait aux Palestiniens : ils les ont transformés en réfugiés sur leur propre sol natal », remarque Jean-Pierre Péroncel-Hugoz (3).


    La guerre de 1975-1990


    C’est dans ce contexte que la guerre éclata. Le dimanche 13 avril 1975, à Aïn-Remmaneh (banlieue de Beyrouth), un commando abattit quatre chrétiens devant une église. Un moment après, un autobus rempli de Palestiniens armés rentrant d’une parade fut pris sous le feu de miliciens chrétiens que l’attentat du matin avait mis en état d’alerte. Vingt-sept Palestiniens succombèrent et la capitale s’embrasa.

    Plusieurs formations politiques chrétiennes, telles que les Kataëb de Pierre Gemayel ou le Parti National Libéral de Camille Chamoun, s’étaient préparées à la résistance armée.
    À partir de 1976, la Syrie s’imposa comme acteur majeur dans le conflit. Sous prétexte de rétablir un ordre qu’elle avait contribué à défaire en s’attachant l’allégeance de partis et personnalités libanais, druzes, musulmans et même chrétiens, Damas déploya son armée dans le pays voisin avant d’y imposer une tutelle qui sera totale de 1990 à 2005.

    Par ailleurs, à deux reprises, Israël intervint militairement chez son voisin du nord : en 1978, il s’agissait de repousser les Palestiniens au-delà du fleuve Litani, zone dont la sécurité fut ensuite confiée à une milice mixte (chrétienne et chiite) contrôlée par l’État hébreu; en 1982, Tsahal, l’armée israélienne, envahit le Liban jusqu’à Beyrouth inclus.
    Le but de l’opération « Paix en Galilée » était double : chasser l’OLP, ce qui advint la même année; signer un traité de paix avec le Liban, ce qui échoua, Béchir Gemayel, allié d’Israël et tout juste élu président, ayant été assassiné le 14 septembre 1982, peu avant sa pri

  • Une réforme jacobine, par Himaire de Crémiers.

    Du libéralisme au jacobinisme et du jacobinisme au totalitarisme, il n’est qu’un pas que Macron franchit sans scrupule.

    Il y a tout lieu de penser qu’il faudra passer par le 49-3. Que de cris, que d’indignation en perspective ! De quoi alimenter la rhétorique parlementaire, d’un côté comme de l’autre ! C’est ce qu’on appelle en France la vie politique. Et si vous souriez ou émettez un doute sur l’intérêt de pareilles institutions, vous serez soupçonné d’entretenir dans vos pensées un antiparlementarisme par définition coupable : vous attentez à la démocratie ! Où est Aristophane ?

    hilaire de crémiers.jpgL’exécutif à cette heure est certainement décidé à user de ce procédé commode qui permet d’arrêter des débats devenus oiseux et de faire aboutir une réforme qui, dans l’état, reste inachevée par principe puisqu’elle suppose par elle-même plus d’une vingtaine d’ordonnances sans compter les décrets d’application. Les 41 000 amendements qui se subdivisent en autant de sous-amendements, n’auront été que des querelles de mots par rapport à un texte indigeste que deux ans de gestation et de concertation n’ont fait qu’alourdir de multiples considérations contradictoires que le législateur prétend réduire peu à peu à une unité factice.

    Niant l’évidence, le gouvernement, pendant quelques jours encore, va s’échiner à déclarer que le 49-3 n’est pas dans son intention puisque nul plus que lui n’a le sens du respect de la démocratie. Quand il passera à l’acte, il se dira donc contraint et forcé. Avec les mines de circonstance !

    La réforme imposée

    Étant donné la situation, la demande d’application du 49-3 viendra très vite et, peut-être même, au moment où ces lignes paraîtront, la procédure sera-t-elle entamée. L’émoi sera aussi grand que la manœuvre grossière. Même stratagème des deux côtés, l’obstruction systématique servant le parti présidentiel dans sa résolution, tout autant que la procédure d’urgence redynamisera l’opposition. Tel est le fonctionnement de la République aujourd’hui, tel il fut depuis toujours ; c’est structurel. Que de farouches attitudes ! Que de lyriques discours ! Quelle hypocrite habileté à profiter ainsi les uns des autres ! Et comme il devient intéressant en ces circonstances de sièger alors qu’à l’ordinaire les gradins sont vides

    Ainsi donc le président et le gouvernement veulent en finir avec cette loi organique et cette loi ordinaire qui portent la réforme du régime des retraites pour en faire un système unique, dit universel, par points. Cette réforme est, selon les dires de la macronie, la plus géniale qui ait jamais été conçue . Elle doit illustrer le quinquennat ; elle est « la matrice des autres réformes », celle qui justifie le mieux la conquête du pouvoir par ces parangons du progressisme.

    Et voilà qu’elle leur pourrit la vie ! Alors même que Macron voudrait maintenant se dégager du temps pour passer, selon ses propres paroles, « au régalien », afin de donner du sens à l’Acte II de son quinquennat : belle stratégie, assurément, où « le régalien » n’est pas exercé pour lui-même dans la plénitude de la fonction du chef de l’État, mais en vue de gagner les présidentielles de 2022.

    En fait, Macron est obligé de faire du Macron, à chaque instant, en politique intérieure comme en politique extérieure. Pour être lui-même électoralement parlant, en vue de s’identifier au pouvoir, dans cet esprit de conquête perpétuelle qui le caractérise.

    C’est toujours ce même mécanisme qui le lie et l’entraîne. Celui qui le pousse, en l’occurrence et en dépit du bon sens, à faire de sa réforme des retraites un enjeu de gouvernement. Immédiat, global et définitif. Or son idée de départ était d’un simplisme si extravagant qu’au contact des réalités et des oppositions légitimes elle se transforme en un système d’une folle complexité, créant autant de régimes que de classes d’âge et de transitions spécifiques que de statuts particuliers. Le Conseil d’État s’est refusé à cautionner un tel texte. D’où la nécessité de procéder par ordonnances et par décrets et, tant qu’à faire, pour l’heure, de recourir au 49-3.

    Dans le même temps pour habiller son message il lui a fallu donner à cette réforme qui aurait dû rester pratique, de hautes raisons métaphysiques, relevant d’une logique théorique où les mots d’égalité et de solidarité servent de normes suprêmes. Rien de plus sophistique : tous sur la même échelle et dans le même cadre ! Qu’y a-t-il de plus républicain ? Chacun sait bien que cette égalité est concrètement toute relative : il est toujours des gens plus égaux que d’autres. Personne ne s’y retrouve, ni les cadres supérieurs surtaxés et non garantis, ni les petits salaires à qui l’État fera la charité s’il le veut bien. Le « minimum retraite » ne saurait fonctionner pour de pauvres gens sans travail ! « Le niveau de vie digne », notion que les parlementaires sont si heureux d’avoir concoctée, n’est qu’un alignement de mots qui juridiquement n’a pas de signification.

    On est allé chercher des modèles à l’étranger, dans des pays beaucoup moins variés et divers que le nôtre et où la structure communautaire est beaucoup plus forte. Nous sommes français ; nous avons une histoire, y compris une histoire sociale, perturbée stupidement par des institutions de guerre civile permanente La Ve République n’y échappe pas. Macron, non plus. Après tout, il n’est qu’un chef de bande qui s’est emparé de l’État, qu’il le veuille ou non.

    Sa réforme est marquée de ce stigmate originel. Il accapare tout ce qui est un enjeu de pouvoir. Il a pris littéralement possession des retraites. Comme du reste. Comme du grand débat. Comme de la Défense, comme de la dissuasion nucléaire qu’il imagine à sa façon, comme de l’Europe qu’il prétend diriger, comme de l’Agriculture où il distribue les bons et les mauvais points, comme de la Santé, comme de tout. Il n’est plus un chef d’État ; il est le monsieur qui répond à tout, qui organise tout, qui sait tout, qui fait tout. Avec tous les revers, les échecs, les désillusions qu’un tel comportement entraîne ! Rien ne semble le corriger. Du coup, c’est toujours la faute des autres…

    Il en est ainsi pour les retraites. Il a la vision d’ensemble du système à laquelle il pense que tout le monde devrait se rallier. Mais voilà : la réalité est tout autre. Comment voulez-vous, pour prendre cet exemple, que les avocats qui ont leur propre régime et leur propre caisse qui fonctionnent bien et qui sont bénéficiaires, renoncent à ce qui leur appartient en propre pour payer des cotisations plus élevées et recevoir des pensions moindres ! C’est un vrai problème, non ? Ainsi des autres… Et comment ménager tout le monde ?

    Car le défaut essentiel du système Macron est qu’il se situe dans la logique continue du système républicain pris en main par les technocrates, formés à cet effet. Macron en est le dernier avatar. La République est à lui ; les retraites sont donc à lui.

    La fin de toute citoyenneté

    La vérité d’aujourd’hui est que leur retraite n’appartient plus aux Français. Cette réforme ne fait que s’ajouter à la série des autres réformes qui toutes allaient déjà dans le même sens. La retraite perd définitivement son caractère d’épargne. Pour parler le langage macronien, on passe d’un monde à un autre. À son origine, fort ancienne au demeurant, la retraite était un prélèvement de salaire pour les vieux jours. Le droit du travailleur français était direct et personnel ; et cette conception dominait encore les esprits jusqu’à récemment. C’est ce que l’État républicain cherche à démolir irréversiblement. Dès le sein de sa mère jusqu’à sa mort, le citoyen doit dépendre de l’État. C’est ce que veut la République ; c’est ce que veut Macron ; et, d’ailleurs, il l’a ouvertement dit.

    En effet, malgré une gestion de plus en plus centralisée, organisée dès 1941 – pour raison d’occupation –, puis après 1945, subsistait cette idée qu’employeurs et salariés, selon leur profession, sous le regard de l’État, fixaient leur régime, leur cotisation, leur pension ; c’était encore leur affaire. Certes la solidarité intergénérationnelle était déjà appliquée selon laquelle une génération payait pour une autre dans une succession qui assurait en principe l’équilibre du système, puisque l’esprit républicain refusait – fort stupidement d’ailleurs – toute capitalisation (encore que…) pour promouvoir la seule répartition.

    La tentation fut alors invincible chez les hauts fonctonnaires, à Bercy, et chez les politiciens de service, avides de domination et donc de systématisation, de tout uniformiser, en jouant démagogiquement sur le fait des inégalités des régimes et des droits dont, d’ailleurs, l’État employeur était le principal responsable. À quoi s’ajoutait le non-remplacement des générations en raison de la question démographique et de l’allongement de la durée de vie, ce qui laissait prévoir un inéluctable déficit budgétaire.

    La réforme Juppé qui se voulait rationnelle, fut la manifestation évidente de cette tentative d’une mise sous contrôle total de l’ensemble du système social français. Bien sûr, sur le moment, devant la révolte populaire et, d’abord, bien sûr, de ceux qui étaient considérés comme les privilégiés des régimes spéciaux, il dut renoncer.

    Mais le même esprit se maintint et la mise en œuvre s’opéra progressivement de Raffarin en Fillon. La loi Macron-Phlippe n’est que l’aboutissement du projet. L’État fait tout, décide de tout, règle tout. Il fixera l’âge d’équilibre, l’âge-pivot si besoin est, la valeur du point, et tout ce qui en dépend. Le budget de la Sécurité Sociale, dont celui des retraites, est désormais entièrement préparé par ses fonctionnaires ; les lois de financement, avec les innombrables arrangements joints et que personne ne voit, sont votés par des députés aux ordres dans des séances qui n’en sont pas. Philippe a concédé une « conférence de financement », temporaire, à des syndicats ridiculisés qui n’obtiendront rien et qui passent leur temps à se disputer.

    Le but, maintenant, c’est de s’emparer des caisses, par une audacieuse opération de captation, pour créer, là aussi, cette unité de caisse si chère à l’État puisqu’il en est le maître exclusif et qu’elle constitue son principe substantiel. Les masses financières en jeu sont telles que nul ne pourra s’aviser de le braver. La République aura l’assurance de sa pérennité. Elle se sera enfin débarrassée des citoyens auxquels elle laisse pour l’amusement la comédie électorale. Elle sera à elle-même et sa cause et sa fin, ce qui fut toujours son but. Il n’est rien de tel qu’un libéral comme Macron, voire ultra-libéral, pour enfermer le peuple dans le pire jacobinisme.

    Et pour donner de l’allure à l’ensemble, il est proclamé que l’État saura tirer profit de cette réorganisation pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin, du pauvre et du déshérité. Vu ce que l’on constate aujourd’hui dans les rues de nos villes et dans le fond de nos campagnes où la misère gangrène le tissu social, le croira qui voudra.

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  • Sur le site officiel de l'Action française, Europe : la leçon Capétienne, l’éditorial de François Marcilhac.

    «  L’Europe, comme civilisation, comme Histoire, est bien vivante, a tweeté le Prince le 12 février. Mais au lendemain du Brexit, l’Union Européenne doit s’interroger sur sa capacité à fédérer autour de seuls principes économiques ou supranationaux.  »

    La parole princière se fait de moins en moins rare, et nous ne pouvons que nous en féliciter ! Non que le comte de Paris soit amené à s’exprimer sur l’actualité pour s’exprimer : il n’est pas un commentateur politique, mais sa fonction est bien d’éclairer les Français sur les grands enjeux et les grands principes de la politique française.

    françois marcilhac.jpgComme il le soulignait en conclusion d’un texte remarqué, publié à la fin de janvier, sur son blog et intitulé  : «  Il nous faut retrouver le temps du politique  » : «  Il est urgent de ne plus attendre. La France a de nombreux atouts. Son existence millénaire lui donne une intelligence exceptionnelle des relations internationales et le fait qu’elle soit une grande nation sans volonté de puissance impériale devrait lui permettre de jouer un rôle décisif dans l’équilibre et la composition des États en vue des actions communes imposées par les impératifs sociaux et écologiques », alors que, «  tenue par une Union européenne frappée d’inertie, [elle] ne sait pas comment jouer son rôle spécifique dans le concert des nations  » [1].

    Malheureusement, l’actualité nous donne un nouvel exemple de cette inertie liée à l’aveuglement de dirigeants français, obéissant aux «  seuls principes économiques et supranationaux  ». Le samedi 15 février, Macron, à la cinquante-sixième Conférence de Munich sur la sécurité, y est encore allé de son couplet sur «  l’aventure européenne  » et ses regrets sur le fait que le prétendu «  couple franco-allemand  » — on sait que l’expression est franco-française, les Allemands préférant parler du «  moteur franco-allemand  » (der deutsch-französische Motor) — ne produise pas davantage de fruits, en matière militaire comme en matière économique et financière. «  Je n’ai pas de frustrations, j’ai des impatiences  », a-t-il déclaré, appelant Berlin à «  des réponses claires  » afin de «  donner une nouvelle dynamique à l’aventure européenne  ». On comprend que les Allemands, gens raisonnables, n’aient pas envie de se voir entraîner par Macron dans une quelconque aventure, surtout en matière financière et militaire — nous passerons sur ce que peut avoir de symptomatique l’expression «  avoir des impatiences  » utilisée par le fondateur des Marcheurs, puisqu’elle vise au sens propre un trouble neurologique causant un besoin irrépressible de bouger les jambes.

    Dans notre précédent éditorial, nous citions ces propos du Prince tenus dans L’Incorrect  : «  La difficulté de la France, souvent   » — il parle de ses dirigeants — «  c’est de chercher l’intérêt de l’Europe avant ses propres intérêts   ». Or «   il faut que le gouvernement regarde l’intérêt de notre nation avant tout. C’est sa première responsabilité pour moi.  » Macron nous livre tous les jours un exemple catastrophique pour notre pays de cette «  difficulté  » de nos dirigeants à concevoir l’intérêt français avant un hypothétique intérêt européen : lui seul croit en l’existence d’un projet européen partagé par nos vingt-six partenaires, alors que ces derniers voient, avant tout, dans l’ «  Europe  » une organisation dont ils cherchent à retirer pour eux le maximum de profit, en matière économique et …militaire, justement, puisque qui dit Europe, dit OTAN, à savoir les États-Unis.

    Macron, qui est si fier d’avoir fait succéder le traité d’Aix-la-Chapelle à celui de l’Élysée, s’étonnerait moins du refus des Allemands de s’embarquer dans une quelconque «  aventure  » européenne si ses connaissances historiques remontaient, justement, jusqu’à 1963 : le Parlement allemand, en ratifiant le traité de l’Élysée, le fait alors précéder d’un préambule, qui rendit furieux De Gaulle, visant à affirmer que le partenariat franco-allemand s’inscrivait dans «  le renforcement de l’Alliance des peuples libres et, en particulier, une étroite association entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique  », et concevant «  la défense commune dans le cadre de l’Alliance de l’Atlantique nord et l’intégration des forces armées des États membres du pacte  ».

    De même, le président français s’est félicité des propos tenus la veille par son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, acceptant sa proposition de «  dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans [la] sécurité collective  » de l’Europe — un dialogue qui, à lui seul, s’il était effectif, remettrait en cause notre souveraineté atomique par l’extension à l’Union européenne de la défense du pré carré. Or son homologue allemand a aussitôt ajouté :  « Il ne suffit pas de renforcer l’Union européenne dans le domaine militaire, nous devons aussi continuer à investir dans le lien transatlantique », ajoutant : « La sécurité de l’Europe est basée sur une alliance forte avec les États-Unis.  » On comprend pourquoi certains parlementaires conservateurs allemands proposent déjà de placer l’arsenal nucléaire français sous commandement commun de l’OTAN ou de l’Union européenne… Macron a ouvert la boîte de Pandore. Et, parce qu’il est européen avant tout — «  Je ne suis pas prorusse, je ne suis pas antirusse, je suis pro-européen !  », a-t-il martelé. —, on peut se demander, en effet, s’il n’est pas prêt à livrer notre arsenal nucléaire au commandement de l’OTAN. Le fait qu’il invite nos «  alliés de l’OTAN  » dans le saint des saints nucléaire, la base de l’île Longue, à Brest, est-il la première étape de ce renoncement à notre souveraineté atomique ? En tout cas, à la différence de 1963, où le Bundestag réclamait déjà cette intégration, la question se pose pour l’actuel locataire de l’Élysée. Bientôt suivrait évidemment notre siège permanent au Conseil de sécurité. Macron est prêt à tout pour donner des gages «  européens  ».  

    La situation actuelle a une histoire. Elle commence non pas tant avec Giscard, qu’avec Mitterrand et le traité de Maastricht, qui, faut-il l’oublier, en transformant la Communauté européenne en Union européenne, fut le premier acte de notre perte de souveraineté politique et monétaire — c’est le traité de Maastricht qui fonda aussi l’euro. Le Prince, dans sa tribune publiée sur Marianne le 13 mai dernier, à l’occasion des élections européennes, rappelait que son grand-père déplorait « le “déficit démocratique” […] après le traité de Maastricht ». Or, de fait, le comte de Paris n’avait pas attendu les effets de Maastricht pour dénoncer le traité : il les avait prévus. Il avait publié, le 2 septembre 1992, dix-huit jours avant le référendum, une déclaration appelant les Français à « sauver la France » en votant massivement contre le traité. « Le “oui“ proposé par l’élite politique en faveur de Maëstricht, notait-il, est la “fuite en avant” que nos hommes politiques ont presque toujours préférée au courage de mettre en place les urgentes et indispensables réformes pour assurer la rénovation du destin de la France. Votre “non” massif sauvera la France. Libérée, elle sera en mesure de négocier, à nouveau, comme l’avait fait préalablement la Grande-Bretagne, les clauses du traité de Maëstricht qui entravent notre souveraineté nationale. »

    Aujourd’hui, le Royaume-Uni a recouvré son indépendance. La France, si elle avait refusé Maastricht, serait peut-être encore au sein de la CCE, mais celle-ci serait différente de ce qu’elle est devenue, avec l’euro, puis le carcan supplémentaire du traité de Lisbonne. Ceux qui, à l’époque, préférèrent suivre, plutôt que le capétien, le politicien, plutôt que le comte de Paris, Mitterrand, portent une lourde responsabilité morale. Mitterrand, dans un de ses sophismes qu’il chérissait, déclarait alors : « La France est notre patrie  ; l’Europe est notre avenir.  » Le disciple dépasse le maître  : pour Macron, qui n’obéit qu’à des «  principes supranationaux  », pour reprendre les mots du Prince, non seulement l’Europe est toujours «  notre  » avenir, mais elle est aussi devenue «  notre  » patrie. La lutte est plus rude qu’en 1992 et qu’en 2005. Cette fois, que les Français écoutent le Prince : qu’ils se ressaisissent en ne se laissant plus duper par les sirènes du renoncement.

    [1] https://comtedeparis.com/le-temps-du-politique/

  • Sur le blog de Michel Onfray, au Point: ”Le surgissement du mot 'science' ne doit pas fonctionner comme un argument d'au

    Sébastien Le Fol: Un conseil pour commencer, quel philosophe faut-il lire en confinement?

    Michel Onfray: Ce peut être un stoïcien, car ils sont les philosophes du combat contre l'adversité par excellence: ils donnent des recettes pour lutter contre l'inquiétude, la peur, la crainte, l'angoisse, la vieillesse, la maladie, la souffrance, la trahison, la mort bien sûr. Je songe aux Pensées pour moi-même de Marc-Aurèle, aux Lettres à Lucilius de Sénèque, ou au Manuel d'Épictète. Mais, s'il ne fallait qu'un philosophe, ce serait Montaigne, qui, dans les Essais, les contient tous. Permettez-moi de signaler qu'une excellente version en français d'aujourd'hui a été publiée chez Bouquins Laffont-Mollat car le texte en ancien français du XVIe siècle n'est plus lisible en effet que par peu de gens. Toutefois, l'idée n'est pas de lire comme on lit sur la plage, en dilettante, légèrement, mais de façon soutenue, avec un crayon à la main et un petit cahier à disposition pour synthétiser, certes, mais surtout pour commenter ce qu'on lit et en faire un profit existentiel personnel.

    SLF: Même si l'enseignement est organisé à distance, que faut-il apprendre à ses enfants qui ne soit plus enseigné dans l'Éducation nationale?

    MO: Ce qu'on y apprenait jadis! À savoir lire, écrire, compter, calculer, donc analyser, penser, construire un esprit critique –toutes choses qui passent pour réactionnaires aux yeux des nihilistes qui, d'une façon orwellienne emblématique, se présentent depuis des années comme des progressistes! On peut aussi et surtout en profiter pour faire ce que l'école n'a jamais vraiment fait: enseigner l'art, qui est une véritable école de sensibilité. On peut ainsi apprendre des poèmes et se les réciter, lire de la poésie à plusieurs, mais aussi des histoires, lire des nouvelles de Maupassant à ses enfants, leur faire découvrir le théâtre ou l'opéra, textes et livrets à la main. Regarder des émissions intelligentes –les archives de l'INA d'Apostrophes, par exemple. Ces archives disponibles sur le Net permettent de laisser tomber les séries débiles au profit des travaux sur l'art d'Alain Jaubert, Palettes, ou les vingt-trois émissions de Grand'art de l'excellent Hector Obalk. Idem avec le cinéma: il est devenu une activité de marchands cupides, mais, avant cela, il a rendu possible un grand nombre de chefs-d'œuvre pendant la première moitié du XXe siècle. On ne se trompe pas en préférant le noir et blanc qui ne se résume pas aux Tontons flingueurs –très bon, au demeurant… Regardez les intégrales des grands: Jean Vigo, Carné, Renoir, Grémillon, Tourneur, Duvivier, Clouzot, ou, celui qui est pour moi le plus grand critique de notre société: Jacques Tati!

    SLF: Sommes-nous encore capables de nous ennuyer?

    MO:Pour ma part, j'ignore et j'ai toujours ignoré ce qu'est l'ennui! J'ai la chance d'être un lecteur compulsif depuis longtemps (et un auteur compulsif depuis longtemps aussi…) de sorte que les livres ont toujours été pour moi une issue de secours à toutes les impasses dans lesquelles j'aurais pu me trouver. Montesquieu a écrit cette phrase magnifique: "Je n'ai jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture n'ait dissipé." Dès lors, je n'imagine pas ce qu'est s'ennuyer pour quelqu'un d'autre! S'ennuyer, c'est n'avoir rien d'autre à fréquenter que soi. Or le monde est vaste en dehors de soi!

    SLF: Qu'est-ce qui nous a fait accepter sans sourciller (pour la plupart d'entre nous) cette privation de liberté? Les amendes pour non-respect des règles de confinement ou la peur de la mort?

    MO: Le bon sens… C'est d'ailleurs beaucoup plus tôt qu'il aurait fallu faire preuve de cet élémentaire bon sens. J'ai pour ma part signalé sur le plateau de télévision d'Audrey Crespo-Mara dès le 28 janvier, juste avec un peu de bon sens, que la Chine n'était pas un pays à prendre la décision de fermer une ville de plusieurs millions d'habitants sans de sérieuses raisons et qu'il y avait là l'aveu d'une menace véritable! Un pays totalitaire n'a que faire de dizaine de milliers de gens en plus ou en moins à cause d'un virus qui n'aurait été, disait-on partout à l'époque, qu'une grippe moins mortelle.

    SLF: Le coronavirus marque-t-il une nouvelle étape dans l'effondrement de la civilisation judéo-chrétienne que vous analysez dans votre livre Décadence?

    MO: Il s'inscrit dans ce qui existait déjà… Il prend sa place dans le mouvement d'effondrement. La pandémie montre l'impéritie du chef de l'État et du gouvernement, les propos incohérents parce que contradictoires d'Emmanuel Macron (restez chez vous mais allez voter, confinez-vous mais vous pouvez faire des exercices physiques, les écoles ne seront pas fermées puis elles sont fermées, le virus ignore les frontières mais on les ferme tout de même, etc.), conséquemment la démonétisation totale de la parole d'Emmanuel Macron à qui personne n'obéit. Il montre également le cynisme d'une ministre de la Santé démissionnaire qui tente de sauver sa peau en avouant dans un même mouvement qu'elle a préféré sa carrière à la vérité qui aurait épargné des vies. L'idéologie de l'Europe maastrichtienne, massivement matraquée depuis des décennies, tombe comme un fruit pourri: le résultat de cette politique libérale est qu'on trie les vieux à l'entrée des hôpitaux pour les laisser mourir dans leur coin, mais aussi qu'on envoie à la guerre, pour utiliser le mot du chef de l'État, un personnel soignant à qui on est incapable de fournir de simples masques ou du gel hydroalcoolique pour se protéger du mal qu'ils côtoient au plus près… Tout ce qui advient n'initie ni ne précipite la chute mais montre en pleine lumière quelles formes elle prend.

    SLF: Dans ses Essais sur l'histoire de la mort en Occident, Philippe Ariès a montré à quel point notre société a refoulé la mort. Ce déni ne nous rend-il pas très vulnérables?

    MO: Il n'y a pas de dénégation ou de refoulement de la mort, mais un nihilisme face à la caducité du discours chrétien sur elle. Jadis, la religion catholique disposait du monopole du discours sur la mort –Bossuet en avait formulé le contenu de manière sublime. Seuls quelques rares athées ou libres penseurs, quelques déistes ou francs-maçons n'y souscrivaient pas. Aujourd'hui, ce discours chrétien ne marche plus, même chez bon nombre de ceux qui se disent catholiques… Il s'agit donc moins d'un retour de la mort refoulée que d'une angoisse devant elle, décuplée par l'incapacité à y faire face et à y répondre avec une sagesse post-chrétienne. Les médias qui moulinent la mort vingt-quatre heures sur vingt-quatre mettent les Français face à ce trou dans l'être, dans leur être: ils expérimentent moins le retour de la mort refoulée que le nihilisme de l'époque qui, sur ce sujet comme sur tous les autres, n'a rien à proposer.

    SLF: Nous manquons de masques: La Chine nous en envoie un million. Le coronavirus fait prendre conscience aux Européens de leur extrême vulnérabilité. Serions-nous devenus le nouveau tiers-monde ?

    MO: De la même manière que la chute de l'URSS a montré que l'Ouest avait fantasmé pendant plus d'un demi-siècle sur cet empire marxiste-léniniste qui s'avérait un Tigre en papier, l'épidémie montre cruellement que cette Europe maastrichtienne présentée depuis un quart de siècle comme un monstre économique susceptible de faire pièce aux grands empires du monde chute sur ceci: elle n'est pas capable de fabriquer et de fournir des masques aux soignants qui accueillent les victimes de l'épidémie! L'Italie, qui fait partie de l'Union européenne et qui est forte de 60 millions d'habitants, enregistre plus de morts du coronavirus que la Chine, un pays de 1 milliard 300 millions d'habitants! De fait, l'Europe est devenue le nouveau tiers-monde –en abréviation, NTM…

    SLF: Tout le monde imaginait que la prochaine crise viendrait de l'économie. Or c'est un virus qui met le monde à genoux. Pourquoi avons-nous sous-estimé ce risque? De nombreux scientifiques nous avaient mis en garde…

    MO: Le virus n'existe pas indépendamment de l'économie! Dans une économie mondialisée, tout se tient. La voie libérale maastrichtienne a fait du profit l'horizon indépassable de toute politique. Produire des masques et les stocker? Pas rentable… Investir dans la recherche? Pas immédiatement rentable. Disposer d'un service de soins performant pour tous? Pas rentable, laissons les soins aux riches qui auront les moyens de se les offrir et les pauvres à leur solitude. Le virus arrivant, il révèle, au sens photographique du terme, la vérité des choix économiques, donc politiques, qui ont été faits depuis Giscard, Mitterrand compris, jusqu'à Macron.

    SLF: La parole scientifique serait-elle devenue à ce point inaudible dans notre "démocratie des crédules", pour reprendre l'expression de Gérald Bronner?

    MO: Attention à ne pas souscrire à la faribole de la science qui dirait le vrai! Relisons Bachelard qui invite à faire la science de la science pour examiner les véritables conditions de possibilité du discours scientifique! Les médecins de Molière, avec leurs clystères et leurs sangsues, se réclamaient de la science. En URSS, Lyssenko qui luttait contre la génétique de Mendel en la niant était aussi un scientifique! Greta Thunberg se réclame elle aussi de la science pour légitimer ses imprécations apocalyptiques. Or la science obéit à son temps et la génération spontanée défendue par Aristote a été science jusqu'à ce que Pasteur montre, plusieurs siècles plus tard, que c'était baliverne. Le surgissement du mot "science" ne doit pas fonctionner comme un argument d'autorité qui interdirait toute réflexion critique. En présence de toute science, le philosophe active d'abord l'épistémologie! Lire ou relire ce grand livre qu'est La formation de l'esprit scientifique.

    SLF: Cette crise peut-elle provoquer un sursaut civique et moral dans nos sociétés?

    MO: Elle peut provoquer pas mal de choses, mais je crois moins aux lendemains qui chantent qu'à une colère qui monte. Pour l'heure, elle se retient pour cause de décence, de début de confinement, d'abattement intellectuel et moral, d'informations parcellaires. Or il ne pourra pas ne pas y avoir un effet Buzyn: son entretien dans Le Monde a montré l'immense cynisme de nos gouvernants dans cette affaire –le sien compris… Mais cette crise ne refera pas à elle seule et d'un seul coup un esprit civique que cinquante années de propagande généralisée ont définitivement détruit en France.

    SLF: Y a-t-il des épisodes historiques qui peuvent nous inspirer pour nous reconstruire?

    Il ne sert à rien de chercher des raisons de comprendre le présent dans notre passé. Le présent suffit bien à qui fait fonctionner son intelligence, sa raison, sa réflexion, son esprit critique. Le simple exercice du bon sens suffit pour se prémunir de la propagande dans laquelle nous vivons sans cesse. Il faut penser les faits et ne jamais laisser le soin de leur commentaire aux autres –le mien compris…

  • Sur le blog de Michel Onfray, l'art de la comédie.

    Le président de la République des mots

    Chacun l’aura compris, Emmanuel Macron n’est pas un bon président de la République. Il s’avère juste le président des mots, celui qui parle, parle sans discontinuer, celui qui verbigère, qui étourdit à force de paroles, qui s’enivre de mots et voudrait griser son auditoire, tous ses auditoires, avec cette logorrhée qui n’en finit pas, qui n’en finit plus. Il voulait une parole rare? Elle est pluriquotidienne et dupliquée en éléments de langage partout serinés par ses perroquets de ministres –je ne parle pas de sa porte-parole, un précipité, au sens chimique du terme, de cette logocratie... Il avait promis la rareté de son verbe sous prétexte qu’il ne serait ni Sarkozy ni Hollande. Or, il est le premier sans l’action et le second sans la bonhommie: c’est à la fois un Sarkozy qui ne fait rien d’autre que laisser voguer le bateau maastrichtien et un Hollande méchant qui ne peut s’empêcher de cacher sa nature dès qu’il parle avec un quidam critique dans un bain de foule.

    Il parle sans cesse et sa parole se montre accablante, démonétisée, dévalorisée. Il n’est pas orateur, mais il croit que son pouvoir hypnotique, celui du serpent qui convoite l’oiseau, fera tomber de la branche tous ceux qui auront entendu sa rhétorique, sa sophistique. Mais il prend sa volubilité pour  de l’éloquence, il croit que son amphigouri est une ligne claire, il pense que son bavardage est l’atticisme postmoderne. Il se trompe lourdement; il trompe lourdement.

    Il a beau convoquer le général de Gaulle en faisant savoir que, sur sa photo officielle, le volume Pléiade du général se trouve entre celui du pédophile Gide et celui du dandy Stendhal, il ne parvient pas à nous convaincre qu’il pourrait être en même temps de Gaulle, Gide et Stendhal. Il est juste Emmanuel Macron. Après que chacun ait obtenu la certitude qu’il n’était pas de Gaulle, suspendant mon jugement sur Gide dont j’ignore les raisons qui l’ont fait choisir, je formule l’hypothèse qu’il se confine dans le seul beylisme -un mot issu de Stendhal, dont le nom était Henri Beyle.

    Qu’est-ce que le beylisme? Léon Blum a consacré un ouvrage à cette question. C’est un mélange de culte de soi et de l’énergie, de recherche passionnée du bonheur et d’égotisme, de souci narcissique et de volonté dynamique. Je dirai: c’est l’une des modalités du dandysme. Mais le dandysme était l’apanage de l’aristocratie, même déclassée; le beylisme, c’est juste le dandysme des petits-bourgeois en place. C’est Baudelaire pour le confiseur d’Amiens.

    Cette pandémie du coronavirus aura fait ressortir, comme une vieille blessure devient une rougeur avec l’hiver, cette évidence qu’en régime maastrichtien, le chef de l’Etat ne saurait être chef de ce qui de toute façon n’est plus un Etat. Il ne lui reste plus que le pouvoir de déposer des gerbes au pied des monuments, de fleurir les tombes de chrysanthèmes, de couper des rubans et, comme au bon vieux temps de la III° république: de faire des discours! De longs discours, d’interminables discours, de pénibles discours.

    Au moins, sous la III°, il n’y avait ni prompteurs ni plumes cachées derrière le président, il n’y avait ni oreillette ni nègre appointé dans une sous-pente pour écrire les discours  -de Gaulle écrivait les siens, il les apprenait par cœur et n’avait besoin d’aucune prothèse en la matière… Il y eut Debray et Orsenna pour Mitterrand, Henri Guaino pour Sarko, Aquilino Morelle pour Hollande, jadis Sylvain Fort pour Macron avant que ce dernier ne jette la plume aux orties, on saura probablement pour quelles raisons un jour, quand il n’y aura plus de courage pour lui à le dire mais juste des bénéfices.

    Au moins, sous la III°, les hommes politiques avaient été formés au latin et à ses périodes en traduisant Cicéron et Tacite. Ils savaient écrire et mémoriser parce qu’à l’école on apprenait et à écrire et à mémoriser: les dictées et l’analyse logique, l’orthographe et la grammaire, les récitations et le par cœur forgeaient des épées et de fines lames. A l’école d’après Mai 68, celle de Macron, nous n’avons plus que des couteaux à beurre sans lames et sans manches. C’est dire l’état de la coutellerie française…

    Macron n’est pas même intéressant à écouter. Il annone, il déclame, il professe. Il n’a pas été nourri au verbe de Cicéron mais à celui de Brigitte Trogneux, son professeur de français devenu comme chacun sait son épouse; il n’est pas allé à l’école romaine de La Guerre des Gaules mais à celle des Jésuites de La Providence d’Amiens; il n’a pas appris l’Histoire chez Tacite ou, mieux, chez Suétone, mais avec L’Art de la comédie d’Edouardo de Filippo qu’il a traduit, nous dit l’hagiographie, avec madame Trogneux.

    Or L’Art de la comédie, c’est tout un programme auquel il est resté fidèle. Cette pièce incarne la scie musicale d’alors chez les profs fascinés par la formule du     théâtre dans le théâtre: la fiction est-elle réelle, le réel est-il fiction? "Ma pauvre dame, on n’en sait donc plus trop rien…" disait-on alors sur les estrades. Mais quand on est devenu président de la République, il est bon qu’on ait tranché ces questions existentielles d’adolescent. Or, Manu n’a pas encore tranché…

    On ne peut expliquer les entrechats présidentiels qu’avec cette hypothèse que le chef de l’Etat est resté sur scène avec Madame Trogneux comme quand il avait quinze ans et qu’elle en avait trente neuf: le virus n’est rien d’autre qu’une grippette mais il faut confiner tout le monde, il faut rester chez soi mais vous devez aller voter, il faut rester confiné mais vous pouvez aussi faire vos exercices physiques, il ne faut pas fermer les frontières mais il faut les clore, on se fermera pas les écoles mais on les ferme, le virus n’a pas de passeport mais il a celui de Schengen, la maladie ignore les frontières mais on peut l’y contenir tout de même.

    Dernière volte-face en date: le masque ne sert à rien mais il faut le porter. C’était le sens de l’intervention à Mulhouse dont le verbe présidentiel a commencé par nous préciser que c’était une ville d’Alsace dans la région Grand Est. Nul doute que les français auront été heureux de l’apprendre de la bouche d’or du président de la République élu au suffrage universel direct. Il fallait bien tout ça pour ça…

    En décor marron de cette pièce alsacienne, on voyait un camp militaire dont il nous a été dit comment il avait été monté: "On a réalisé une grosse (sic) opération logistique avec la conception, la validation, l'acheminement et le déploiement dans des délais contraints: 24 heures pour être désignés, 24 heures pour être acheminés, 48 heures pour être déployés", affirme le chef d'escadron Nicolas, chef des opérations du RMED de La Valbonne. Du même: "On a mis 5 jours pour développer ce module. Récemment, pour mettre au point notre nouvelle antenne chirurgicale, on avait pris deux ans."

    Cinq jours pour une toile de tente accueillant trente lits! Qu’en aurait pensé Napoléon? Gageons que le chef d’escadron se verra épingler la décoration créée par l’Empereur lors d’une prochaine remise de ces breloques à l’Elysée des mains mêmes du chef des Armées, Emmanuel Macron, soldat de troisième classe…

    Sûr que si l’on avait fait appel aux héros de Camping 3, le film de Fabien Onteniente, avec Claude Brasseur en généralissime, Franck Dubosc en sous-officier du génie, celui de l’Armée, et Mylène Demongeot en cantinière également responsable de la buvette du mess, le campement aurait été plus vite monté sur le parking!

    On peut désormais facilement imaginer ce que serait la réponse militaire française aux premières heures d’une guerre bactériologique décidée par un pays ennemi de la France et nous n’en manquons pas! Y compromis chez les tenants de la petite guerre de ceux qui prennent leurs ordres auprès de l’Etat islamique replié en position d’attente mais toujours actif. Il doit bien rigoler Amir Mohamad Abdel Rahmane al-Maoula al-Salbi, le nouveau chef de l’Etat islamique, en voyant que, dans l’urgence, la France des kouffars se hâte lentement à préparer puis à aligner des lits de camp!

    Où est l’équivalant du capitaine Charles de Gaulle et de sa doctrine militaire d’avant-guerre qui nous permettrait de faire face aux périls à venir? Pauvre armée française dont le même de Gaulle écrivait dans Vers l’armée de  métier (1934) qu’elle avait taillé dans le chêne du temps la belle sculpture de l’histoire de France. Cinq jours pour mettre sur pied un hôpital miliaire de trente lits en temps de paix! A quelle humiliation les dévots du veau d’or maastrichtien ont-ils contraint cette armée (mais aussi cette police, ce personnel de santé, méprisés pendant des mois avant cette épidémie alors qu’il se contentait de dénoncer la faillite programmée de la santé française…) pour qu’elle se dise fière de ce qui devrait entraîner sa honte?

    Pendant ce temps, les problèmes du non respect du confinement dans les banlieues est abordé place Beauvau dans une visioconférence datée du 18 mars. Le Canard enchaîné nous apprend qu’elle a permis à Laurent Nunez, secrétaire d’Etat à l’Intérieur, de prendre une décision: interdit de "mettre le feu aux banlieues en essayant d’instaurer un strict confinement"!

    C’est le monde à l’envers. C’est l’action de la police qui mettrait le feu aux banlieues qui refusent de respecter l’ordre public, autrement dit: qui méprisent la loi. Le confinement ne sert à rien s’il n’est pas respecté par tous, c’est le message que l’Etat français diffuse sur tous les supports médiatiques. Mais, en ce qui concerne les territoires perdus de la République, la République elle-même donne l’ordre de laisser faire à ceux qui sont censés la garantir. On ne peut mieux dire que le chef de l’Etat autorise les banlieues à contaminer à tout va qui elle voudra! Le message est on ne peut plus clair. Le jour venu, il faudra s’en souvenir.

    Le préfet du Nord aurait quant à lui expliqué que les commerces illégaux (drogue, mais probablement aussi marché noir des masques de protection…) "exercent une forme de médiation sociale". Encore un disciple d’Edwy Plenel qui va se voir épingler la breloque au veston lors du prochain 14 juillet, et ce des mains même du président de la République des mots!

    Car, ce qu’il faut retenir de cette allocution de Mulhouse, outre la leçon de géographie de la France pour les nuls, outre la démonstration de camping des prouesses techniques de ce qu’il est convenu d’appeler le Génie dans l’armée, outre la dix-millième verbigération présidentielle, c’est qu’on aura vu, et c’est le seul message valable quand ce qui est dit pèse aussi lourd qu’un postillon, c’est qu’Emmanuel Macron n’apparaît plus en compagnie de son épouse en jupe courte et haut-talons, comme lors de l’hommage à Simone Weil dans la cour des Invalides, en lui tenant la main, mais seul comme un chef de guerre qui serre les mâchoires qu’il cache désormais derrière un masque.

    Sur ledit masque, Sibeth Ndiaye nous disait le jour du point presse de Mulhouse: "Lorsque nous ne sommes pas malades ou pas soignants, ce n’est pas utile: il n’y a pas de raison que le président de la République déroge aux prescriptions qui sont celles pour l’ensemble de la population". Puis l’on a vu le président portant un masque… C’était un énième effet du en même temps.

    En avril 2019, Sibeth Ndiaye avait dit: "J’assume de mentir pour protéger le président de la République". C’est la dernière fois qu’elle a dit une chose vraie. On ne l’y a pas repris depuis.

    Pour conclure, au moins ce propos: à Mulhouse, le président a appelé à une Opération "Résilience". Encore des mots…

    Car cette guerre ne fait que commencer: comment pourrait-elle générer déjà sa résilience? Pour ce faire, il va falloir attendre les ruines qu’elle aura générées: ruine de l’Etat français, ruine de la classe politique confinée dans ses maisons de campagne, ruine de l’économie du pays, ruine de la parole présidentielle, ruine des élites, ruine de l’Etat maastrichtien, avant d’autres ruines dont on saura lesquelles dans deux ou trois mois. A cette époque seulement on pourra parler de résilience. Mais il faudra que les animaux sortis des cages où on les aura confinés pendant des mois entendent ce langage alors qu’ils retrouveront la liberté en bandes, en hordes, en meutes. La résilience est toujours minoritaire. Car ce qui fait bien plutôt la loi en pareil cas, ce sont les pathologies et leurs effets diffractés dans la vie concrète.

    Michel Onfray

  • L'imagination au pouvoir ? Partie 1 : La retraite à 50 ans ? par Jean-Philippe Chauvin

    Mai 68 avait inscrit sur les murs qu’il fallait mettre « l’imagination au pouvoir », et les royalistes de l’époque l’avaient traduit en « oser imaginer autre chose que ce qui existe », en somme imaginer un nouveau régime, autre que la République consumériste de l’époque, qualifiée plus tard de « Trente glorieuses » par Jean Fourastié et traitée de « Trente hideuses » par Pierre Debray.

    396556_jean-philippe-chauvincorr.jpgMais la formule allait plus loin et, au-delà de la condamnation d’une société matérialiste et froidement « réaliste », de ce réalisme que dénonçait avec force et colère Georges Bernanos, les monarchistes, comme les gauchistes ou les hippies, voulaient « un autre monde » : « pure utopie ! », disaient certains qui continuent à le clamer, à l’abri dans le confort intellectuel de la démocratie obligatoire et forcément représentative, et l’article de Stéphane Madaule, professeur de grandes écoles, dans La Croix datée du lundi 30 décembre 2019, a tout pour les amuser ou agacer, selon leur humeur ou leur tempérament…

     

     

    Sous le titre « Je rêvais d’un autre monde », l’auteur avance quelques propositions qui peuvent surprendre, c’est le moins que l’on puisse dire, mais qui me semblent avoir le mérite d’ouvrir au moins quelques pistes pour la réflexion ou la stimulation de celle-ci, et que le vieux royaliste que je suis peut entendre et, éventuellement, apprécier.

     

    Ainsi, sur le partage du travail, Stéphane Madaule propose, en s’appuyant sur la robotisation croissante de notre société et des moyens de production (« Les robots nous remplaceront de plus en plus, surtout pour les tâches répétitives, et c’est une bonne nouvelle »), une mesure qui ferait sûrement bondir l’actuel Premier ministre et ses séides : « Pourquoi continuer à s’astreindre à travailler de plus en plus longtemps et bénéficier finalement d’une retraite au rabais en fin de vie, au moment où la santé commence à vaciller ? Pourquoi ne pas envisager de s’arrêter de travailler à 50 ans, pour mieux partager le travail, ce qui permettrait au passage de lutter contre les inégalités ? ». Une remarque, au passage : la robotisation, que M. Madaule semble privilégier pour la production des biens matériels, a effectivement souvent été évoquée comme le moyen privilégié de « libérer du temps pour l’homme », mais (et Bernanos le royaliste côtoie le républicain Michelet dans cette méfiance à l’égard de la Machine) le capitalisme, dans son exercice industriel, l’a récupérée à son bénéfice, y voyant le moyen d’une plus grande production comme d’une meilleure productivité, au risque d’esclavagiser un peu plus les ouvriers (comme l’a cinématographiquement démontré Charlie Chaplin  dans « Les temps modernes »), et il n’est pas sûr que l’actuel mouvement d’automatisation, non plus seulement dans les usines, mais aussi dans les activités d’échanges et de distribution, ne laisse pas sur le carreau nombre de personnes à moindre qualification, désormais considérées comme « inutiles ». Le cas des caisses automatiques remplaçant de plus en plus les personnels humains avant que de faire totalement disparaître la fonction de caissière sans, pour autant, proposer d’autres fonctions aux personnes ainsi remplacées et, la plupart des cas, condamnant celles-ci au licenciement ou à la précarité, doit nous inciter à une légitime prudence ! N’étant pas « propriétaire de leur métier », les personnels de la Grande Distribution deviennent de plus en plus la variable d’ajustement de celle-ci, et la robotisation, ici comme ailleurs, apparaît bien comme un véritable « faux ami » tant que les machines restent la propriété exclusive du Groupe qui les emploient.

     

     

    La proposition d’une « copropriété » entre les salariés et les dirigeants de l’entreprise serait un moyen d’éviter une telle fragilisation des personnels, ici du Commerce, mais ailleurs de l’Usine. Il me semble que cela pourrait se faire dans une économie de « cogestion productive et distributive », mais que le système capitaliste actuel, libéral et individualiste, fondé sur l’Argent plus que sur le Travail ou la Fonction, empêche une telle possibilité qui, pourtant, aurait aussi l’immense mérite d’éviter, au moins en partie, la spéculation et la malfaçon. Autre problème, à ne pas négliger : la mondialisation, forme privilégiée du capitalisme individualiste contemporain, ne constitue-t-elle pas un véritable contournement des règles nationales ou locales qui pourraient impulser ou voudraient garantir une telle « copropriété » dans l’économie ? C’est là que l’on peut comprendre le mieux le rôle majeur de l’Etat qui doit tenir sa place de protecteur des nationaux et des intérêts de ceux-ci, en particulier des travailleurs et des catégories sociales réellement productives et laborieuses : or, la République contemporaine, qui n’est plus exactement celle voulue (ou rêvée…) par le général de Gaulle (lecteur du corporatiste royaliste La Tour du Pin dont il essaya -en vain- d’appliquer quelques idées à travers la « participation » longuement défendue par lui-même en 1968-69, contre l’avis de son premier ministre Pompidou et du patronat), ne jure que par la Bourse et la Banque, la mondialisation et l’adaptation des Français à celle-ci, et s’effraye de la moindre velléité de protectionnisme ou de « corporatisme »… L’incarnation macronienne de cette République « mondialisée », malgré le renforcement de l’Etat (mais surtout à l’égard de sa propre population…), est très éloignée de cette « copropriété économique » qui, pourtant, pourrait motiver les énergies sociales françaises qui existent bien, mais qui sont trop négligées par les dirigeants actuels et, sans doute, trop craintes par les féodalités financières et économiques qui « se partagent » le champ français, voire qui le pillent à leur propre bénéfice !

     

     

    Mais la proposition du professeur Madaule d’un « partage plus équilibré entre le travail et le temps libre » mérite l’attention, au-delà des considérations et des réserves que je viens de faire sur la robotisation qu’il vante un peu rapidement à mon goût. 50 ans comme âge de la retraite, évoque-t-il dans sa démarche intellectuelle, et cela peut surprendre à l’heure où il nous est chanté sur tous les tons qu’il faut travailler toujours plus longtemps, au moins jusqu’à 64 ans en attendant que cela soit, comme le veulent la Commission européenne et l’Allemagne, 67 ans, et, pourquoi pas, 69 ans comme le réclament déjà les banquiers allemands… En fait, il n’est pas inintéressant de poser ainsi cette question du partage du travail, même si l’on peut nuancer ou approfondir cette idée, bien sûr. D’abord parce que l’âge de départ à la retraite tel qu’il peut être ici proposé n’est pas, et ne doit pas être une obligation mais doit se voir comme une proposition qu’il s’agirait d’accueillir et d’organiser selon un cadre légal, et, pourquoi pas, « corporatif » au sens professionnel du terme. Ne serait-il pas utile de créer une sorte d’échelle de « pénibilité du travail », indexée aussi sur l’espérance de vie sans incapacité physique majeure (c’est-à-dire l’espérance de vie en bonne santé) et qui assurerait une meilleure reconnaissance des particularités de chaque métier ? Un régime universel des retraites n’a pas vraiment de sens dans une société aussi hétérogène que la nôtre, avec des métiers très différents et complémentaires dans le cadre de la vie économique et sociale, et l’égalitarisme technocratique est plus souvent créateur (ou mainteneur) d’injustices que d’autre chose ! Pourquoi vouloir appliquer, effectivement, les mêmes règles et le même système de points à des ouvriers du bâtiment et à des professeurs d’histoire, par exemple ?

     

     

    D’autre part, le retrait à 50 ans d’une activité (ou d’une structure) professionnelle n’est pas, ne doit pas être une sorte de mort professionnelle comme on peut le constater aujourd’hui : est-il normal que, lorsqu’un professeur part à la retraite, il disparaisse des tablettes de l’Education nationale et que l’accès aux domaines et ressources informatiques officiels de celle-ci lui soit désormais interdit, comme s’il n’était déjà plus rien, même après quarante ans de bons et loyaux services ? N’y a-t-il pas un véritable champ d’expériences et de richesses à valoriser parmi ces personnels sortis des structures mais encore tout à fait aptes, pour beaucoup, à y tenir encore un rôle, ne serait-ce que de transmission et de formation des collègues nouvellement arrivés dans le métier ? Ne peuvent-ils être utiles dans l’encadrement de certaines classes, dans l’organisation de la vie des établissements et, pourquoi pas, dans l’aide aux élèves, pris individuellement ou en groupe ? Aujourd’hui, la retraite apparaît comme une sorte de « rejet » de celui qui s’en va, alors qu’il faudrait, pour ceux qui le souhaitent, maintenir un lien avec l’institution, surtout en un temps où les vocations manquent à l’appel ! Et ce qui est vrai et serait souhaitable pour l’enseignement l’est et le serait dans nombre de secteurs d’activité économique de notre pays. Après tout, ne serait-ce pas une bonne manière de « partager le travail » tout en accordant une plus grande liberté d’action et de pratique à ceux qui quittent leur poste professionnel ? En ce sens, l’âge de 50 ans, même s’il me semble personnellement (en tant que professeur d’histoire qui compte 57 printemps…) un peu précoce pour prendre sa retraite (mais aurai-je la même opinion si j’étais ouvrier du bâtiment, exposé tous les jours aux aléas de la météorologie ?), ne me semble pas absurde.

     

     

    Se poserait néanmoins la question du financement, diront (avec raisons) certains. C’est aujourd’hui celle qui paraît la plus compliquée à résoudre et qui imposerait une véritable remise à plat du système tout entier, mais est-ce totalement impossible ? Je ne le crois pas, et ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent en ce domaine, mais plutôt l’imagination et l’audace au pouvoir…

     

    (à suivre)

  • Face au coronavirus, Didier Raoult, seul à proposer une stratégie contre la maladie.

    Source : https://www.valeursactuelles.com/

    Plutôt que de lutter contre le virus, les autorités sanitaires préfèrent tirer dans les pattes de l’un des leurs. Une stratégie regrettable, dénonce Benoît Rittaud, d’autant que la réalité semble bien donner raison au chercheur marseillais.

     

    Didier Raoult va vite. Très vite. Il fonce, l'intendance statistique suivra. En temps normal ses méthodes hétérodoxes mériteraient mille reproches : court-circuitage des canaux ordinaires de la science, communication fracassante sur les réseaux sociaux, annonces spectaculaires lancées sans précautions oratoires ni méthodologiques… Sauf que le franc-tireur marseillais n'est pas là pour faire de la science mais pour mener une guerre. Une guerre dont en tant qu'infectiologue mondialement réputé il a tout pour être le chef d'État-Major. Comme dans toute guerre, le cadrage initial devrait être binaire : SARS-CoV-2 contre Homo sapiens. Malheureusement, cette clarté de principe s'est vue compliquée par la propension de la sous-espèce Homo sapiens gallus, peut-être inspirée par les rivalités gauloises de jadis, à tirer au moins aussi volontiers sur son propre camp que sur celui de l'ennemi. Nos plus hauts gradés nationaux ont ainsi affirmé carrément que les masques de protection ne servaient à rien (un mensonge aujourd'hui avoué), retardé la politique de tests massifs (qui pourtant s'impose selon l'OMS), méprisé les dispositifs de caméras infrarouges mis en place en Asie, et regardé avec condescendance les premiers jours de malheur chez nos frères Italiens.

    À cela on peut offrir l'excuse d'une tactique politique certes pas très jolie mais qui semblait seule disponible : feindre d'être les organisateurs d'une catastrophe qu'on ne peut éviter. Voilà qui est désolant, mais faire semblant de maîtriser la situation peut en effet constituer la première étape d'une reconquête. En revanche, nul pragmatisme, si machiavélien fût-il, ne justifie l'affrontement interne persistant entre les troupes marseillaises de Didier Raoult et les autres, notamment parisiennes, qui les prennent de haut tel un Martin Hirsch affirmant sur Europe 1 que « la chloroquine n’a jamais marché sur un être vivant » ou un Axel Kahn raillant dans un tweet tel résultat de l'IHU de Marseille.

    La vaste étude européenne Discovery qui devait nous dire le fin mot de l’histoire n’a certes toujours pas délivré ses résultats préliminaires. Mais un peu de patience, que diable…

    Au lieu de mener la guerre contre SARS-CoV-2 comme le font ses congénères, la branche gallus d'Homo sapiens s'offre donc le luxe d'une guéguerre intestine entre deux de ses groupes. Selon le premier, parisius, il est urgent d'attendre. Jugeant sans doute que l'effondrement économique, les difficultés psychologiques du confinement ou encore le déclassement de la France et de l'Europe, voire de l'Occident, sont des craintes un peu surfaites, parisius estime que rien ne saurait remplacer une bonne grosse étude scientifique internationale avec tests en double aveugle, échantillons randomisés et autres plans d'expérience qui, dans quelques mois à peine, nous offriront sûrement toutes les certitudes nécessaires. Celles-ci devraient, n'en doutons pas, permettre de lever le confinement en toute sécurité avant Noël. La vaste étude européenne Discovery qui devait nous dire le fin mot de l'histoire n'a certes toujours pas délivré ses résultats préliminaires, mais un peu de patience, que diable…

    De son côté, Homo sapiens massalioticus, sans doute mû par quelque folklorique bon sens méridional, estime au contraire qu'il convient d'agir au plus vite face à une situation qui, il faut en convenir, présente divers inconforts parmi lesquels des hôpitaux saturés, une récession inévitable, et accessoirement quelques décès. Fort de cette logique qui fleure sans doute un peu trop la province, l'IHU Méditerranée-Infection de Marseille s'est donc lancé dans une grande campagne de dépistage et de soins, tenant quotidiennement les comptes des résultats — flatteurs — de sa politique sur une page facétieusement intitulée "Southern France Morning Post" (allusion aux données fournies quotidiennement par le South China Morning Post — qui les tire en fait de la collecte menée par l'université Johns Hopkins).

    Laissons là l'ironie : depuis le début de l'épisode, la proposition de Didier Raoult constitue la seule vision stratégique véritable a avoir été proposée en France. Jamais chacun de nous n'avait eu autant intérêt à être Marseillais. La stratégie tient en deux aspects indissociables : le dépistage précoce (avec, dans l'idéal, un confinement des seuls malades), et le traitement, là aussi précoce, à l'aide de 600 mg quotidiens d'hydroxychloroquine (administrés en trois fois 200 mg) et d'un complément d'azithromycine (un antibiotique), sous contrôle médical. Primum non nocere dit l'adage hippocratique : « d'abord ne pas nuire ». L'hydroxychloroquine, en plus d'être extrêmement bon marché, n'a que des effets secondaires parfaitement connus, elle n'est à proscrire que dans des cas bien documentés et faciles à identifier en amont.

    Depuis le début de l’épisode, la proposition de Didier Raoult constitue la seule vision stratégique à avoir été proposée en France

    On parle surtout du traitement, mais le dépistage est lui aussi un pilier stratégique pour limiter la propagation du virus. Le dépistage massif mené à Marseille permet d'accumuler quantité de données, ainsi que de permettre aux cas asymptomatiques (porteurs mais sans symptômes manifestes) de redoubler de vigilance pour ne pas contaminer leur entourage. Rien à voir, donc, avec la stratégie actuelle de confinement, qui consiste plus ou moins à faire de chaque famille un mini-foyer de la maladie. La stratégie Raoult tient donc toute entière en deux paragraphes de quelques lignes. Les avez-vous comprises ? Si oui, alors vous venez de passer un test d'intelligence auquel bien des personnes haut placées s'ingénient à échouer, car à peu près tous ceux qui ont critiqué le traitement de Didier Raoult l'ont fait à l'aide de sophismes. (On passera charitablement sur les critiques ad personam, notamment sur le fait que Didier Raoult a affiché par ailleurs son scepticisme sur l'alarmisme climatique.)

    Parmi ces sophismes, les détracteurs ont voulu monter en épingle ce couple d'Américains morts brutalement après avoir ingéré « préventivement » de la chloroquine. Les malheureux ont fait tout ce qu'il ne fallait pas : l'automédication, ainsi que l'ingestion d'un produit non destiné à la consommation — en l'occurrence du phosphate de chloroquine destiné à l'entretien des aquariums, à une dose sans rapport avec la dose médicale. Le vocabulaire de la guerre dispose d'un terme pour désigner ce genre de drame. Il s'agit d'un dommage collatéral, qui a tous les risques de se reproduire à chaque prochaine annonce de traitement potentiel, quel qu'il soit.

    Sur la méthode : aux habituelles publications scientifiques sur un ton feutré, Didier Raoult a préféré les vidéos YouTube. Certes. Sauf qu'il lui avait été jusque-là impossible de faire connaître son message, et que ce n'est que grâce à son tapage qu'il a pu être entendu des responsables politiques comme du reste de la profession, réussissant finalement à faire inclure l'hydroxychloroquine à l'essai européen Discovery.

    On ne peut que s'étonner d'une organisation d'un système de santé qui conduit à ce que le lauréat 2010 du grand prix de l'INSERM doive se résoudre à employer une tactique qu'on imaginerait réservée aux seuls guérisseurs et rebouteux. Serait-ce que le traitement n'est qu'une poudre de perlimpinpin de plus à ajouter à l'interminable liste des « remèdes miracles » des marchands ambulants de nos westerns de jadis ? Il semble de plus en plus que, fort heureusement, ce soit le contraire qui soit vrai.

    Le traitement doit se faire au début de la maladie, ce qui explique que le traitement “compassionnel” tenté sur des patients en réanimation ne fonctionne pas

    Les détracteurs ont contesté la première étude faite par Didier Raoult, arguant du fait qu'elle portait sur trop peu de patients (24) et sans groupe témoin. La seconde, (80 patients), a subi les mêmes foudres. Là encore, il faut comprendre que nous ne sommes pas dans des temps ordinaires, où la science peut prendre le temps de suivre tranquillement des protocoles : il faut faire vite, quitte à revenir sur ce qui aura été tenté sans succès — autant il est aujourd'hui de bon sens de vouloir étendre le traitement à l'hydroxychloroquine au vu des premiers résultats, autant il faudra savoir revenir en arrière sans hésiter si les résultats venaient à se dégrader. Une étude chinoise avec groupe témoin suggérant des résultats contraires à ceux de l'IHU de Marseille a été elle aussi brandie contre l'hydroxychloroquine, mais là encore l'argument était spécieux : non seulement le test n'incluait pas d'azithromycine, mais l'hydroxychloroquine était administrée en une seule dose quotidienne de 400 mg, là où Didier Raoult préconise 600 mg en trois prises. Preuve que ces détails ont de l'importance : une autre étude, chinoise elle aussi, s'est ensuite révélée bien plus favorable lorsque la posologie se rapprochait de celle de Marseille.

    Enfin, le traitement à l'hydroxychloroquine et à l'azithromycine doit se faire au début de la maladie et non lorsque celle-ci devient grave. C'est la raison pour laquelle le traitement « compassionnel » qui a été tenté sur des patients en réanimation ne fonctionne pas et que Didier Raoult prévoit d'ores et déjà que l'essai « Discovery », tel qu'il est conçu, sera un échec qui ne signifiera rien. Il est donc possible que le salut vienne de la base plutôt que du sommet. D'ailleurs, face aux atermoiements la fronde s'étend désormais à des niveaux de plus en plus élevés, comme cette tribune publiée dans Le Figaro, mais aussi cette pétition lancée par plusieurs spécialistes ainsi que deux anciens ministres de la Santé. Cette pétition a atteint les 375 000 signatures à l'heure où ces lignes sont écrites, un chiffre qui est probablement obsolète à l'heure où vous les lisez.

    Les pays victimes du paludisme, où la chloroquine est administrée depuis des années, sont moins victimes que les autres du coronavirus

    Des remontées de terrain de plus en plus nombreuses semblent confirmer l'efficacité du traitement. Le fait que la mortalité à Marseille soit nettement plus faible qu'ailleurs commence à crever les yeux. Les « conversions » au traitement Raoult se multiplient, les services de certains hôpitaux commencent à le pratiquer, sous le manteau ou au grand jour. Des pays étrangers s'y lancent, ayant compris que c'était la meilleure chose à faire faute de meilleure option. Il apparaît aussi que les pays victimes du paludisme sont moins victimes que les autres du coronavirus, c'est-à-dire les pays dans lesquels la chloroquine est administrée depuis des années préventivement au paludisme. Ce n'est pas une preuve, mais dans le cadre d'une médecine de guerre, voilà un important élément d'appréciation.

    Notre pays sera-t-il donc le plus frileux à se lancer pour de bon dans un traitement pourtant issu d'un scientifique de nos rangs ? Il est plus que temps de retrouver l'esprit pionnier d'un Pasteur. L'échec n'aurait que des inconvénients limités, alors que le succès nous permettrait fièrement d'entonner La Marseillaise.

  • Héritiers, donc critiques par Axel Tisserand

    Pour la rubrique « critique des idées » nous proposons un texte d’Axel Tisserand sur le récent ouvrage universitaire portant sur l’Action française face au nazisme.

    Il l’a envoyé au rédacteur en chef de Le Bien Commun, Charles du Geai. Ce texte a été publié dans le n° de decembre 2019. Voici la présentation de Charles du Geai : « Je veux insister ami lecteur, sur l’importance de ce débat. L’Action française a depuis longtemps fait le choix de l’héritage critique, celui du fils qui sait qu’il doit le respect au père, mais que le respect n’est pas la servitude, et que n’est perpétué que ce qui est critiqué. Rendons hommage à Michel Grunewald, il a donné ses raisons, il a signé un long et passionnant entretien dans la dernière livraison du Bien Commun, distinguant le nationalisme allemand des idées d’A.F. Rendons également hommage à Axel Tisserand. Ami lecteur, quand on te dira que les camelots du roi sont essentiellement antisémites, souviens toi de ce débat, et répond, avec la certitude de celui qui a étudié : ignorant. »

    maxresdefault.jpgMichel Grunewald, De la « France d’abord » à la « France seule  » – L’Action française face au national-socialisme et au Troisième Reich. Pierre-Guillaume de Roux, 27 euros.

    Michel Grunewald est professeur à Université de Lorraine (Metz). Spécialiste de civilisation allemande, il a publié et coordonné notamment des ouvrages sur la « révolution conservatrice » allemande, l’Action française et la perception du national-socialisme dans l’Europe francophone et germanophone ».

              C’est un livre passionnant sur l’Action française que Michel Grunewald, professeur à l’université de Lorraine et spécialiste de civilisation allemande a récemment publié chez Pierre-Guillaume de Roux  : De la « France d’abord » à la « France seule  » – L’Action française face au national-socialisme et au Troisième Reich. Mais c’est aussi un livre contradictoire.

    Avec l’objectivité du scientifique, voire sa froideur, en tout cas, comme il le revendique, après Tacite, sine ira et studio – sans colère ni complaisance  –, l’auteur analyse la doctrine politique de l’Action française en en montrant la richesse, voire la complexité, dans un domaine bien précis  : les rapports avec l’Allemagne.

    Faisons immédiatement un sort aux textes antisémites que l’AF, Maurras en tête, a publiés durant cette période. Ils sont le plus souvent terribles. Mais comment oser écrire que «  Maurras et ses amis ne perçurent pas le caractère spécifique de l’antisémitisme nazi », alors que Maurras a écrit, même durant la guerre, des textes nombreux sur le sujet ?  Il n’y a donc jamais eu aucune «  porosité  » entre les deux, car, à aucun  moment, Maurras n’approuve les décisions hitlériennes s’agissant des Juifs. Ses torts, ils sont déjà suffisants : avoir poursuivi ses polémiques antisémites, avoir approuvé les deux statuts. C’est même cette extrême distance entre ces deux conceptions de l’antisémitisme qui l’aveugla sur la possibilité de continuer ses diatribes. C’est pourquoi évoquer la concomitance d’une radicalisation, perçue par l’auteur, des textes antisémites de l’AF, avec les rafles de juillet 42 et les premières déportations dans les camps de la mort comme si l’AF approuvait les premières ou connaissaient les secondes se lirait plutôt sous la plume d’un pigiste de Libé. En 1949, Maurras (Octave Martin) écrira des pages très fortes sur le sujet dans sa critique du livre de Bardèche Nuremberg ou la terre promise, rappelant que l’État français DEVAIT protection aux Juifs français ET étrangers. De même, il n’est pas acceptable d’affirmer  : «  Au fur et à mesure de la détérioration de la situation militaire des forces de l’Axe, les maurrassiens renforcèrent leurs attaques contre la “Juiverie” internationale, présumée responsable principale de la guerre  », car cela laisse supposer que l’AF souhaite la victoire allemande comme Laval — leur ennemi. Ce que l’AF dénonce, en accusant à tort les Juifs, c’est cette guerre civile qui s’amplifie en France en même temps que la guerre mondiale se rapproche du territoire national, ce qui n’est évidemment pas la même chose. Quant aux «  analogies […] désormais [sic] troublantes  » (p. 255) entre la rhétorique antisémite de l’AF et celle de Goebbels que croit déceler Grunewald dans un discours de 1943 de ce dernier, sur le rôle des Juifs dans la guerre, elles sont fausses puisque précisément Goebbels voit dans « le Reich national-socialiste […] une puissance […] à même de s’opposer à eux et à leur ambition de domination universelle  », ce que Maurras refusa toujours de penser, lui qui, il n’était pas le seul à l’époque, dénonçait une alliance objective au plan international entre les Juifs et l’Allemagne nazie — Grunewald a, à juste titre, suffisamment insisté sur ce point. La responsabilité des Juifs dans la guerre est un topos de droite, mais pas seulement, qui précède la guerre elle-même, et qui contamina jusqu’à un Julien Benda, pourtant lui-même juif, lorsqu’il écrit dans la NRF du 1er octobre 1938 : «  Certains de mes coreligionnaires approuvent l’idée d’une guerre contre Hitler parce qu’il persécute Israël ; sinon ils s’émouvraient fort peu qu’il veuille faire de la France une nation de troisième ordre. On a parfois du mérite de n’être pas antisémite.  » La reprendre durant la guerre, sans plus d’originalité, ne signifie aucun rapprochement. En revanche, de la part de Maurras, cette reprise ne fait que confirmer son aveuglement sur ce point, alors que, dans la bouche de Goebbels, elle vise à justifier la politique d’extermination, déjà commencée et que le monde ignore encore.

    Le plus étrange, en fait, est, qu’après avoir montré la lucidité de l’AF sur l’évolution de l’Allemagne entre les deux guerres, voire à plusieurs reprises, relevé le prophétisme de Maurras, Daudet, Bainville ou Delebecque – les auteurs les plus fréquemment cités –, après avoir insisté sur le refus du racisme, qui, dans le nazisme, atteint une dimension inégalée dans l’histoire, après avoir cité des textes pourtant définitifs sur le caractère spécifique du national-socialisme au sein du nationalisme allemand, après avoir également bien montré en quoi «  La France seule  » n’avait jamais signifié la France isolée, après avoir aussi suivi, comme fil rouge, la lecture de Fichte par Maurras et l’AF et son évolution, comment peut-il donner l’impression, dans son dernier chapitre et dans la conclusion, de n’avoir pas lu l’ouvrage qu’il a écrit et, encore moins, les textes qu’il a cités  ? Manquent des textes fondamentaux, comme la préface de Devant l’Allemagne éternelle dans lequel, explicitement, Maurras dénonce la différence de nature entre le pangermanisme prussien et le nazisme  : « Un nouveau statut de l’humanité se prépare, un droit particulier est élaboré  : un code de nouveaux devoirs, auprès desquels les pauvres petites corvées et translations pangermanistes de 1918 feront l’effet de jeux d’enfants. Le racisme hitlérien nous fera assister au règne tout-puissant de sa Horde et dernier gémissement de nos paisibles populations ahuries  ». Comment mieux discerner la spécificité du nazisme ? Et après cela, comment prétendre que l’AF n’était pas «  à même d’imaginer que le dessein hitlérien d’édifier un empire de la race aryenne n’avait rien de commun avec un nationalisme classique  »  ? Or, depuis toujours, l’AF refusa de considérer le germanisme et, a fortiori, le germanisme national-socialiste, comme un nationalisme classique.

    D’ailleurs l’auteur reconnaît avec raison  : «  À ce qu’ils considéraient comme un fanatisme racialiste d’inspiration partiellement religieuse, les maurrassiens opposaient de façon récurrente leur propre conception de la nation et du nationalisme  ».  En 1935 – et ce n’est pas le premier texte –, Daudet écrit  : «  le racisme mène au conflit inévitable du germanisme et de la latinité […] La dernière guerre européenne était une guerre de nations. La prochaine sera une guerre de races, donc inexorable, une guerre d’extermination.  » Le mot y est. La lucidité est totale. Comment ne pas saluer la même lucidité de Daudet, parlant, dès 1933, de «  la vague hitlérienne  » comme de «  la vague anticatholique de la croix gammée  »  ?

    C’est vrai, «  Maurras et ses compagnons envisagèrent d’emblée le national-socialisme en situant celui-ci dans le cadre de l’histoire globale de l’Allemagne et en reliant cette réflexion à la dénonciation du nationalisme allemand à laquelle ils procédaient depuis l’origine  »  : mais cel    a ne leur interdit pas d’en voir la spécificité  : pour eux, l’arrivée de Hitler au pouvoir «  représentait pour le Reich et l’Europe un changement d’époque  ».  Il n’y avait donc pas de génération spontanée du national-socialisme. Montrer que le nazisme est un fruit monstrueux du germanisme, ce n’est en rien nier son caractère spécifique, au contraire. En ce sens, l’AF est-elle si loin que cela de l’historien protestant libéral Edmond Vermeil, que cite l’auteur —, pour lequel le nazisme est «  une “dégénérescence” de ce nationalisme  » ? Car, parler de «  dégénérescence  », c’est encore penser le nazisme dans la perspective du nationalisme allemand.

    Chez Maurras et chez Vermeil, le nazisme n’est pas hors sol.  D’ailleurs, par le caractère prophylactique de son patriotisme constitutionnel, à qui le philosophe politique allemand post-national-socialiste Habermas donne-t-il raison — probablement sans le savoir ? À Maurras ou à Vermeil ?

    Axel Tisserand

    Michel Grunewald, De la « France d’abord » à la « France seule  » – L’Action française face au national-socialisme et au Troisième Reich, Paris, Pierre-Guillaume de Roux,  2019, 347 pages, 27 euros.

  • Beau succés pour le banquet camelot 2019 de nos amis du GAR

    Le Banquet Camelot inaugurant la saison du Groupe d’Action Royaliste se tenait en ce premier jour de décembre. Comme à l’accoutumée, nous nous sommes retrouvés avec joie, pour quelques riches heures de partage, de rires, de chants et d’échanges placées sous le signe de l’amitié et de la convivialité et motivées par l’avancée de notre noble cause. S’il est une particularité à retenir de ce banquet en particulier, c’est le rythme extrêmement soutenu auquel se sont succédées les interventions. Autour de la grande tablée où les conversations allaient bon train, étaient rassemblés depuis midi plus de cinquante convives et de nombreux invités attendant impatiemment la première intervention, revenant d’autorité à notre cher Frédéric Winkler, organisateur infaillible de nos banquets.

    Comme le veut la tradition de nos banquets, l’adresse de l’intervention débuta par quelques mots sur Baudouin IV de Jérusalem, figure tutélaire de notre banquet d’automne. S’ensuivit un rappel des relations historiques et des liens d’amitié ancestraux entre l’Écosse et la France. Frédéric insista sur le cas particulier de l’Irlande, dont le lien entretenu avec notre pays fut différent en raison des persécutions et de l’émigration : il rappela la création du régiment de la brigade irlandaise par Louis XIV et le rôle de ces soldats dans la victoire de Fontenoy, sous Louis XV. Frédéric rappela ensuite le rôle des régiments Suisse auprès du Roi de France, ainsi que la visite du Comte de Chambord en Irlande, toutes ces références nous permettant de saisir l’amitié des peuples voisins pour notre belle terre de France. Enfin – et pendant que l’équipe de salle s’activait pour prendre les nombreuses commandes, Frédéric Winkler insista sur la présence de représentants du Caucase et de la Russie amie. Quelle tragédie que le sort de l’Empire russe, d’une tradition et d’une culture si riches, mis en miettes, pulvérisé par les allemands avec l’appui de réseaux très opaques, dont l’un des agents n’était autre que le funeste Lénine…


    Parmi les très nombreux invités de ce banquet automnal, la première à intervenir fut Stéphanie Bignon, présidente et fondatrice de l’association Terre et Famille, dont la devise est « S’enraciner pour s’élever ». Cette ingénieur, spécialisée dans les travaux sous-marins depuis 30 ans, ayant œuvré auprès de l’industrie et de la recherche biologique, archéologique et pétrolière nous a expliqué comment elle était venue au royalisme non par biais familial mais par cheminement personnel, au gré de longs moments d’absence de la terre ferme. Durant ces périodes où elle n’était pas soumise au joug médiatique et à ses influences négatives, puisque son métier l’emmenait loin du tumulte et des idées reçues, elle a pu lire posément Charles Maurras. Lors de son retour de mission, elle a décidé de s’investir dans la vie locale en élevant des bovins charolais, en participant à la vie communale en charge du patrimoine. Au cœur de ses premières préoccupations, en tant que jeune baptisées, catholique et royaliste, il y eut la restauration de l’église du village, puis du presbytère. Dans la foulée, elle réussit à installer un prêtre dans le presbytère restauré, en dépit de la crise des vocations. Les fondations étant posées, elle instaure un chapelet mensuel, sans que personne ne s’interpose. Selon Stéphanie Bignon, on ne peut que suivre la logique du royaliste lorsqu’on comprend ce qu’est intrinsèquement la France, et cette logique est indissociable du catholicisme. Elle analyse la mainmise républicaine par une stratégie qui tient en quelques mots : la « sidération par le chaos ». Dans ce système par essence perverti, on assiste démuni et sidéré à la négation du diable, à la négation du vice, à la négation du péché. Les esprits sont tant corrompus et pervertis qu’on en vient à leur faire apprendre que le terme « absolu » accolé à la monarchie est synonyme de « total », « intégral », ce qui est dévoyer le sens initial correspondant à « délié de toute influence, en particulier de celle de l’argent ».


    Une fois ces bases posées, Stéphanie Bignon évoqua, à la stupéfaction générale, le cas de Jérôme Laronze, paysan résistant au diktat agro-industriel. Cet homme, représentant de la paysannerie à la française, fut tué au début des événements. Opposé au système qui nous asservit, il voulait élever à l’ancienne dans la ferme qui lui appartenait. Jérôme Laronze dut subir une inspection du troupeau par la DDPP : au cours de cette inspection, les animaux furent effrayés par les méthodes des représentants du système et six bœufs périrent noyés. Jérôme Laronze était entouré d’avocats et de gens dont l’influence locale pouvait lui permettre de s’adresser à la presse. Il dénonça donc la pratique dont il avait été victime dans la presse locale, avec l’appui de sa sœur. Forcé au silence et menacé suite à l’article, il reçut un verdict fatal concernant son troupeau, et le bétail fut euthanasié. Alors qu’il continuait de se battre, il fut assassiné de deux balles dans le dos. Cette histoire est tristement représentative de l’état de détresse dans laquelle se trouve notre paysannerie, et de l’état d’abandon dans lequel elle est laissée par la république des coquins. Ceci n’est pas étonnant, dans la mesure où le ver est dans le fruit : les denrées alimentaires sont cotées en bourse. Il devient donc urgent, pour notre salut, de chasser les marchands du temple.


    L’intervenant suivant n’était autre que le gilet jaune royaliste bien connu sur les réseaux sociaux, Thibaut Devienne, qui nous présenta son combat et son analyse du terrain. Il insista sur la dimension de sincérité ayant innervé le mouvement des gilets jaunes à ses débuts et sur la réalité du mouvement initial en tant que jacquerie, à savoir une insurrection populaire non dirigée, horizontale et sans but. Thibaut Devienne revint sur les multiples sources aux origines de ce conflit inédit : vie chère, mesures gouvernementales impopulaires, souci lié à un quotidien de plus en plus anxiogène. Verdict : comme à son habitude, la république a tenté de faire passer les gilets jaunes pour des « fachos antisémites et violents » et en a tué la dynamique dans l’œuf alors qu’il s’agissait d’une expression unique en son genre du pays réel. Par conséquent, le mouvement s’enlise depuis de longs mois, faute de figure de proue. Profitant d’un intermède de passe-plats favorable, Frédéric Winkler fit alors un point sur l’avancée de l’édification de la statue de Sainte Jeanne d’Arc à Saint-Pétersbourg, dont le financement depuis juin permit la fonte et la poursuite du projet. Il insista sur l’amitié franco-russe dans l’histoire, la preuve de celle-ci résidant dans l’acceptation par les autorités de faire édifier une statue de Sainte catholique, une première au sein de la religion orthodoxe. Rebondissant sur l’événement, Frédéric ajouta que le mouvement du GAR avait ainsi dépassé le cadre strictement royaliste, en insistant sur notre point d’ancrage : notre attachement à la terre ancestrale et aux libertés individuelles, et notre volonté de ne laisser à l’État que la sphère régalienne. Or, jusqu’à présent, que constatons-nous ? L’État a liquidé la francophonie pour y substituer le globish. Notre combat dépose donc nos frontières : il s’agit désormais de la survie de notre langue, de notre héritage, de notre culture, il s’agit du noble combat français par excellence.

    Le Prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme, nous ayant fait l’honneur de sa présence, nous proposa sa vision des gilets jaunes, une vision qui portait à réfléchir : selon le Prince, les Français fortunés expatriés sont les premiers gilets jaunes, mais leur départ n’a pas été correctement analysé. En réalité, asphyxiés par la fiscalité française, et puisqu’ils en avaient les moyens, ils ont précédé le combat des gilets jaunes en quittant le pays. Ce sont les premiers gilets jaunes, qui ont pris des décisions radicales à cause de l’enfer fiscal. La seconde ligne a surgi car le problème de fond n’a jamais été résolu, et sont donc apparus ceux qui n’avaient pas pu fuir l’enfer et l’oppression des taxes : les classes laborieuses, pieds et poings liés à leur quotidien, qui ne peuvent plus profiter des petits plaisirs simples de la vie. Le Prince évoqua ensuite la question de l’écologie, détournée de ses racines pour le profit de quelques-uns, qualifiant le label « bio » d’insupportable tant il devrait être normal de produire au naturel. Avant de prendre congé, il nous encouragea à continuer le combat et nous invita à rassembler les idées les meilleures émanant du débat d’idées actuel.

    L’intervention très attendue de Marion Sigaut, laquelle nous régala plus tard de Fanfan la Tulipe, fut quant à elle axée sur la paysannerie et sa liquidation par les industriels et spéculateurs, à travers trois exemples : sud-africain, palestinien et français. En Afrique du Sud, les usufruitiers furent chassés pour faire du profit en 1960, puis les terres furent privatisées pour rentabiliser davantage la vente des matières premières. La terre africaine fut transformée en gigantesque entreprise agroalimentaire, avec pour seul objectif d’abrutir les gens qui la travaillaient en les coupant de leurs méthodes ancestrales au profit de méthodes ultralibérales occidentales.


    En Palestine, les colons juifs ont acheté la terre. L’administration ottomane a ensuite voulu lever un impôt en obligeant les paysans à se déclarer propriétaires. Jusqu’alors, l’agriculture palestinienne était communautaire : le village gérait ses propres affaires sur un modèle quasi corporatiste. Le nouveau modèle a ruiné les paysans, contraints à la vente de leur bien pour des motifs de spéculation. Le nouvel ordre mondial fait main basse sur la terre et la propriété, et nous sommes tous en danger si nous ne sommes pas vigilants. Tout est progressivement privatisé et confisqué, le retour à la terre devient donc plus que jamais nécessaire afin d’échapper à l’oppression.

    S’ensuivit l’analyse sociale, politique et économique de Jean-Philippe Chauvin. Le 5 décembre signifiant le début de quelque chose que nous ne maîtrisons toujours pas et venant d’agglomérer à la colère des gilets jaunes, il nous évoqua le sujet des retraites et la réforme de leur financement.


  • Libertés, des racines à la Quête par Frédéric Winkler

    TERE DE FRANCE, MULT ESTES DULZ PAIS (Chanson de Roland)
    Lanza del Vasto disait : « Tais-toi beaucoup pour avoir quelque chose à dire qui vaille d’être entendu. Mais encore tais-toi pour t’entendre toi-même ».
    La terre de France est vendue aux plus offrants, lorsque l'on ne la donne pas, comme ce fut le cas pour les Minquiers et les Ecrehous en 1953. Lorsque nos « prêteurs » financiers réclameront les dettes abyssales de l’Etat ripoublicain, incapable de payer, qui sait ce qu’ils prendront ! On ne respecte plus ni les Champs, châteaux, domaines, jardins, maisons, rivières et lacs jusqu'aux églises que l'on détruit et les monastères qu'on exporte, pierre par pierre à l’étranger. Tout est soldé dans notre pays de cocagne !

    48148_500781593301674_1708701184_n.jpgLes sites avec vue imprenable, ports et décors de vacances deviennent propriétés privées pour des touristes d'ailleurs.
    Mais ce n'est pas tout car l'usine est fermée, raflée. L'atelier et l'entrepôt, la spécificité française et le savoir-faire disparaissent. Le magasin, la boutique, les champs, croulent sous une fiscalité honteuse. Cela même avec, quelquefois des ministres se ridiculisant en laissant croire aux bonnes affaires pour la France, lorsqu'un fleuron de notre économie part à l'étranger. On délocalise, mot la mode, pour ne pas dire que l'on dévisage et déshumanise nos spécificités. Voilà triste mais véridique la constatation de notre vécu d'aujourd'hui.
    Les métros sont devenus des lieux de vie pour mendiants et « SDF » dont certains, donnèrent pourtant leur sang pour la liberté de ceux qui, par dédain, les croisent en les oubliant. Alors que nous assistons à cette société du spectacle où l'argent coule à flot et navigue, quand il n'engraisse pas des inutiles, simulant la gouvernance de nos institutions.
    Le libéralisme a couvert au nom du progressisme, nos villes, de tours immondes où s’est entassé par nécessité, le peuple désargenté. Alain Paucard avait parlé du règne des « Criminel du béton » dans un pamphlet. Ces logements sont à l'image de l'homme désiré par nos technocrates : anonymes, cosmopolites et déracinés... L'homme ne respectera son environnement citadin que lorsque celui-ci sera harmonisé avec la nature, dans le sens du beau, du bon et du bien, non pas, comme trop souvent, dépourvu de vie, de beauté, d'espace verts, véritables ghettos agressifs aux couleurs criardes, tout à fait étranger à notre éthique historique.
    Quant aux paysans, ils sont endettés. Ce n'est que soupirs, plaintes dans les autres professions, comme pour la jeunesse, cela se termine quelquefois par la dépression et le suicide ! Ce système a créé les cultures intensives, favorisé les regroupements des terres avec les Safer, de tristes mémoires, pour le profit des plus gros, détruisant des cultures multiséculaires, fruit de la souffrance comme de la richesse d’un monde paysan en disparition. Mais pas seulement car ces destructions imbéciles, massives des haies ancestrales, protégeaient la faune et la flore, que l'on refait benoitement aujourd'hui, se rendant compte de la catastrophe dont l’incidence est aussi climatique. La politique révolutionnaire du « table rase » est une utopie intellectuelle, il était temps de s'en rendre compte !
    Mais était-ce pour décourager de « nouveaux Chouans » qui désireraient s'y cacher, comme le dit la chanson de Gilles Servat : « Madame la colline », véritable plaidoyer contre les bulldozers et les tronçonneuses. La république aurait-elle peur d'une autre révolte à l'Ouest, n'a-t-elle pas fait déjà ce qu'il fallait pour éliminer les Bretons ? De la Révolution à la Guerre de 14 en passant par le Camp de Conlie !!!
    Bref, la république détruit l'agriculteur, métier jadis libre par excellence et dont la vocation est de nourrir son prochain...Cet univers croule aujourd'hui sous les charges et les contraintes étatiques les plus diverses. L'emprise des trusts financiers se fait de plus en plus sentir, la nourriture industrielle tente de remplacer la traditionnelle production nutritive. La communauté européenne dirige l'économie Française, « geler » la terre, laisser en friche, quelle honte, exode rural, pollution, désertification, abandon des communautés rurales, arrachage des vignes, quotas laitiers, destruction du cheptel, reconversion, remembrement. N'oublions jamais que le monde rural est la sève de notre peuple et sa disparition sera sans retour. Pour se libérer des fléaux comme la fiscalité, il faut établir de saines institutions pour remédier aux inacceptables situations des démunis comme aux pressions sur la communauté nationale. De nombreuses mesures permettraient de réduire la misère morale et sociale qui règne dans notre pays et ainsi redonner aux citoyens l'espérance d'un avenir meilleur. L'urbanisme mieux géré permettra à notre jeunesse de connaître d'autres horizons que l'univers restreint des tours grises, parkings et centres commerciaux des banlieues étouffantes.
    Un Etat qui depuis des années laisse s'installer la misère du monde sur notre territoire, appauvrissant un peu plus sa population qu'il devrait protéger, ne laissant aucune chance d’intégration pour ceux qui le désirent réellement. Un Etat qui autorise des "zones de non droit" dans lesquelles s'installent des commerces parallèles et des trafics, tolérant chaque jour des agressions, des viols, des trafics, des enlèvements, des braquages, des assassinats, des tortures. Un Etat qui laisse des armes de guerre circuler dans des endroits bien connus et dont nos commerces en sont, chaque jour, les victimes. Une justice à deux vitesses, trouvant continuellement des excuses à des agresseurs alors que la population souffre de ses incohérences
    La république détruit tout ce qui nous est cher comme le tissu social. Le bilan est lourd aujourd’hui, depuis plus de deux cent ans, ce n’est que mensonges, révoltes et massacres, endettement, déshumanisation, vols des biens sociaux ouvriers et pillage des valeurs qui faisaient la grandeur de la France. Aujourd’hui, à coup d’Ordonnances, elle limite les droits sociaux comme les protections élémentaires du peuple. Une caste de parvenus confisque l’énergie économique et financière de notre pays au nom d'une soi-disant « liberté » ayant détruits les libertés réelles, vécues jadis. C’est ainsi en s’y réclamant, que la république berne le peuple dont elle a enlevé toute volonté et pouvoirs. Bref qu’elle soit maquillée de rose, rouge ou bleu, elle entraîne notre pays vers sa disparition, transformant les citoyens en « agent économique » corvéables à merci, numérotés, étiquetés, contrôlés, comme le disait Proudhon. Bref des robots qui demain seront délocalisables pour le profit des puissances d'argent qui dirigent les paltoquais politiciens, toujours entourés d’ailleurs de « cornichons » à l’abri des courants d’air, chers à Bernanos, formatés BFMTV, nous entraînant chaque jour, un peu plus vers l'abime... Il suffit pourtant de regarder ce système, d‘avoir un peu d’analyse, de sens critique et ne pas perdre de temps à croire inlassablement à une bonne république, comme à une Vie, comme les « benêts » devant un rêve impossible !
    Mais qu’importe, notre espérance est ailleurs, dans les esprits libres de demain, qui reprendront leur destin en main et décider dans tout ce qui les touche, c'est le principe de subsidiarité. Cette responsabilité, ce sens des libertés, que nous avons oublié par paresse, parfois soumission ou confort mais que le système s'est approprié boulimiquement.
    Il est temps en effet, que la France retrouve le chemin de l'élévation, celui des promesses de son baptême, comme aimait à dire Jean Paul II, celui d'une destinée communautaire et non matérialiste aux ordres d'un internationalisme financier. Pour symboliser ce chemin oublié, écoutons Jean Gionot dans « La Chasse au Bonheur »: « Il faut faire notre bilan. Nous avons un héritage laissé par la nature et par nos ancêtres…Une histoire est restée inscrite dans les pierres des monuments ; le passé ne peut pas être entièrement aboli sans assécher de façon inhumaine tout avenir. Les choses se transforment sous nos yeux avec une extraordinaire vitesse. Et on ne peut pas toujours prétendre que cette transformation soit un progrès…Nos « destructions » sont innombrables. Telle prairie, telle forêt, telle colline sont la proie des bulldozers et autres engins ; on aplanit, ou rectifie, on utilise ; mais on utilise toujours dans le sens matériel, qui est forcément le plus bas. Telle vallée, on la barre, tel fleuve, on le canalise, tel eau on la turbine. On fait du papier journal avec des cèdres dont les croisés ont ramené les graines dans leurs poches. Pour rendre les routes « roulantes » on met à bas les alignements d’arbres de Sully. Pour créer des parkings, on démolit des chapelles romanes, des hôtels du XVIIe, de vieilles halles…Qu’on rejette avec un dégoût qu’on ne va pas tarder à payer très cher tout ce qui jusqu’ici, faisait le bonheur des hommes »
    Nous désirons apporter une analyse structurée afin de construire. Les moyens de communication restent un outil créant une opinion sympathisante, plus qu’hier, nécessaires à la solution libératrice et empiriquement royale. L’Etat républicain s’écroulera de ses incompétences et scandales, comme de l’exaspération de la population.
    Mais tant que la majorité des citoyens vivra dans un faux bonheur matérialiste, tant que l’homme se couchera au lieu de s’élever, rien n’avancera. Il ne s’agit pas de refaire ce qui a existé, comme disait Paul Valéry, mais de retrouver l’esprit qui animait les bâtisseurs de cathédrales. Cela ne veut pas dire qu’il faille attendre. Cela veut dire qu’il faut, chaque jour, faire avancer ses idées et convaincre. Il faut que chacun prenne conscience de l'avenir que nous prépare les financiers du Nouvel ordre Mondial. Le « prêt à penser » couplé par le matérialisme que nous avons, par faiblesse accepté nous entraînent vers l'abêtissement et l'abaissement de l'esprit humain. Non qu'il faille se détourner de ce que la technique apporte mais ne pas en être dépendant, gagner en autonomie dans l’alimentation comme dans le comportement. S’alimenter chez les petits producteurs proches comme se détourner des supermarchés du mondialisme, c’est un chemin demandant un effort sur soi-même, une révolution intérieure.
    Les libertés à reprendre se nomment : famille, métiers, communes, villes, salaires, repos, conditions de vie, de travail, retraites et apprentissages, identité et culture, francophonie et langues régionales, bref la citoyenneté pleine et entière, telle que l'entendaient les grecs anciens dans la Cité. Aménager le maximum de nature et d'espace verts dans nos cités pour retrouver l'harmonie et l'équilibre dans nos vies. Recherchez dans vos archives municipales, dans les affranchissements des communes aux temps médiévaux et vous verrez l'ampleur des droits et pouvoirs perdus. Il n'y a pas de régime idéal mais reste seulement celui qui forgea notre histoire. Celui qui apporte cette possibilité du bien, cette vie communautaire disparue et oubliée.
    Chaque jour, être imperméable aux sirènes du régime comme retisser les relations sociales. Trouver, retrouver ce temps où nous nous regardions, dans notre pays, en frères. Ne jamais penser que c'est irréalisable et que vous êtes seule, le système s'évertue à vous le faire croire. Lorsque des dizaines de gens commenceront à réagir ainsi, beaucoup de choses changeront. Retrouver l'humanisme de notre sang par l'éthique chevaleresque que nous défendons, courtoisie, sens du service, respect et honneur, voilà ce qui fera la différence demain. Il est temps et puis qu’importe les résignés, nous devons renouer ce lien séculaire de Peuple et Roi. Sceller un nouveau destin commun, une nouvelle aventure, retrouvons ce fil conducteur comme l’envol de l’oiseau France qui, au-delà de la droite et la gauche, tel un phénix renaît de ses cendres, pour le sourire demain aux visages de nos enfants… Notre jour viendra !
    FW (à suivre, Projet de société)

  • Question de vie ou de mort, par Hilaire de Crémiers.

    Les gens qui nous gouvernent étaient persuadés qu’ils allaient changer la vie. C’était leur programme ! Comme leurs prédécesseurs. Or la question qui se pose aujourd’hui c’est de savoir tout simplement comment survivre.

    Oui, il convient de commencer par dire que la France est admirable dans l’effort qu’elle fournit aujourd’hui pour survivre. Car, aujourd’hui, il s’agit de cela ; survivre. Et il y en a encore pour un long bout de temps, quand il faudra affronter demain les conséquences des décisions prises précisément aujourd’hui.

    hilaire de crémiers.jpgLa France toujours là

    La majorité des Français qui se savent, se sentent et se veulent français – ça existe encore ! –, en ont parfaitement conscience et y consentent volontiers, même quand on leur demande, à la plupart d’entre eux, de rester confinés chez eux plusieurs semaines, cinq, six, peut-être plus, alors qu’ils ne souhaiteraient pas mieux que d’aider si la possibilité leur en était offerte ; ce qu’ils font dès qu’ils en ont l’occasion, ne serait-ce qu’en famille, cette famille dont on retrouve en ces jours difficiles toute la vertu, ou entre voisins, ce qui n’est autre que l’exercice de la charité.

    Qui ne saluerait le dévouement jusqu’à l’épuisement des personnels de santé, comme il a été si justement signalé depuis le début de la crise ? Et, tout aussi bien, de tous les agents qui maintiennent le minimum d’activité économique, sociale, administrative, policière, sécuritaire, indispensable à la vie des citoyens ? Le pays s’organise, et comme par lui-même, faute de direction ferme, ne serait-ce que pour subvenir aux plus urgents besoins – le privé venant au secours du public – ; et d’abord pour les fabrications et le transport des produits nécessaires, sanitaires et vitaux, alimentaires et ménagers, ensuite pour les services en tous genres, sur la suggestion et à l’initiative d’entrepreneurs ou de particuliers et, heureusement, avec l’accord et le soutien des pouvoirs publics nationaux et, surtout, locaux, régionaux et municipaux, indépendamment même des administrations centrales qui se sont révélées souvent défaillantes. Grandes leçons pour l’avenir.

    Il est donc bon de le dire ; la France n’est pas en-dessous de tout. Et il est encore meilleur de le redire, alors qu’il était de bon ton jusqu’à dernièrement de fustiger, vilipender, ridiculiser la France et les Français dans tout leur passé, dans tous leurs comportements jusqu’au sommet de l’État, ce qui était proprement scandaleux. Pour reprendre la distinction si juste de Maurras, une France légale qui prend parti systématiquement contre la France réelle, telle se présente la doctrine officielle de la puissance publique, tant dans la formulation de sa pensée que dans l’exercice de son action. Le savent bien les hauts fonctionnaires et les personnes qui sont à des postes de décision dans notre République. Bon nombre en souffrent et s’en affligent ; car comment faire quand on a le sens français ? Ils font comme ils peuvent ; « ils font avec » selon leur expression familière, pour sauver la France d’elle-même, préserver l’État de la sottise de l’État ! Quel Français n’en a pas fait l’expérience ; la doctrine d’État ne cesse d’aller contre l’État ; ce qu’on ose appeler « l’esprit » de la France, cet esprit de révolution permanente et de dissolution nationale, ne cesse de marcher contre la France ; c’est ainsi chez nous et, pour ainsi dire, constitutivement, pour ne pas dire constitutionnellement. Il est des gens parfaitement placés pour comprendre la pertinence de ce genre de propos. Les résultats sont là ; il ne faut pas s’en étonner. Ils sont flagrants en période de crise. Que faudra-t-il comme expérience supplémentaire pour que le mal soit dénoncé là où il réside essentiellement ? Tout le reste est littérature et vaines polémiques.

    Ainsi, ce peuple français tant méprisé par ceux qui prétendent le régenter, tant insulté par ceux qui osent lui dicter sa ligne de conduite, sait faire preuve encore et toujours de ce courage séculaire qui lui fut tant de fois salutaire au cours de son histoire. La France tient bon ; elle fait face. C’est une bonne nouvelle dans la tempête qui vient et dont elle n’a essuyé pour l’heure que les premiers vents. Oui, combien de temps peut-elle tenir encore ?
    La question est là.

    Incertitudes majeures

    Il faut dire maintenant que l’État a intérêt lui-même à ce que la France tienne. Et ceux qui sont les maîtres de l’État, dûment ou indûment peu importe, pareillement. Leur sort se trouve lié ; il faut que la France s’en sorte ! Ils en ont la compréhension et, aussi, l’appréhension. Pardi ! Ils ne s’attendaient pas à un tel coup. Où sont les rêves de 2017 ? Souvenez-vous ; ils allaient changer la vie, créer le monde nouveau. Et le monde de toujours leur revient dans la gueule avec la Camarde en surcroît. Quelle leçon !

    D’où le langage des autorités, du chef de l’État en premier, qui expriment leur souci aux Français ; se faire comprendre au mieux dans la série des décisions qui doivent être prises au fur et à mesure que se déroulent les événements, ce qui n’est pas toujours très clair et peut paraître ambigu. Et pour cause ! Il s’agit de signifier progressivement que la France doit s’ingénier à trouver des réponses à une situation implacable et surtout totalement imprévue, à l’opposé de toutes leurs savantes prévisions. Et ce qui ne peut être dit nettement – car ce serait un terrible aveu –, c’est que cette situation est d’autant plus redoutable que le régime, – oui, le régime, cette République qui va de Chirac à Macron, pour ne pas remonter plus haut –, plus encore que le gouvernement d’aujourd’hui, avec ses ministres qui sont ce qu’ils sont, donc, oui, le régime, en tant que tel, n’a rien su anticiper et, quand il a fait ses prévisions, il les a faites au rebours des intérêts de la France et des Français, de telle sorte qu’il laisse les Français démunis devant la catastrophe. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire !

    Inutile d’épiloguer sur l’état de l’hôpital public, sur la disparition des stocks de masques, sur l’impossibilité de tester en nombre faute de matériel dédié, ne serait-ce que d’écouvillons, sur le manque cruel de lits, d’appareils, de personnel. Qui y pensait ? La France, grande puissance ? Quel déclin, mais la faute à qui ? Des professionnels pestaient, mettaient en garde contre des règles budgétaires absurdes et des réductions de prévisions dont les conséquences pouvaient être dramatiques, alors que les coulages de politiques ineptes ou inutiles, munies de ministères, de secrétariats, d’administrations, d’agences, de comités redondants et superfétatoires pompaient les réserves budgétaires, rien n’y faisait ; la décision était entre les mains du politique incompétent entouré de ses escouades de communicants démagogues et de technocrates omnipotents qui ne sont souvent que des aventuriers et qui se font à cette occasion une situation. Ainsi fonctionnent les démocraties modernes, et singulièrement la nôtre. D’où l’état actuel de la France. Pareil état est tellement récurrent dans notre République et ce dans tout domaine, militaire, hospitalier, administratif, éducatif, industriel, agricole, qu’il faut s’aveugler pour ne pas voir que la France, en continuant sous ce régime de mort, court à sa perte.

    Reste à Macron à jouer au chef de guerre ; la figure de Clemenceau le fascine ; il se rappelle ses classes. Il lui plaît d’entrer dans la peau d’un personnage historique. Il va donc faire la guerre à outrance, « la guerre », « la guerre », « la guerre », comme il l’a répété. Sait-il que le même Clemenceau avait fait partie de gouvernements radicaux et socialistes, qui, avant la guerre de 14, pendant que l’Allemagne augmentait considérablement ses budgets militaires en prévision de la guerre qu’elle anticipait, eux, refusaient systématiquement d’accorder des crédits supplémentaires aux Armées françaises. Il vaut la peine de relire les comptes rendus de séances. Telle est la réalité jamais dite ; elle est toujours la même en République ; rien de nouveau. Et quand le vieil anarchiste vendéen, d’abord profondément anticlérical et antimilitariste, eut compris qu’il pouvait se faire un nom avec la victoire, il sut alors utiliser l’Union sacrée pour l’imposer comme il se doit en pareil cas. Et, pourtant, la victoire enfin assurée mais mal assurée, car il ne sut ni ne voulut l’achever, il se laissa aller par habitude de pensée – toujours la même – à accepter la plus mauvaise des paix, grosse dès 1919 de la conflagration suivante de 1939. Bainville l’annonçait. Mais Macron a-t-il jamais lu Bainville et lit-on Bainville à Sciences-Po ?

    La France se sauvera elle-même

    Voilà que Macron qui n’avait jusqu’ici pas de mots assez durs pour stigmatiser le repli nationaliste, est obligé de concevoir une politique nationale. Il l’a dit de manière étrange au cours du mois de mars, laissant entrevoir de mystérieux changements. D’abord il faut produire français ; puis il faut fournir aux Français les outils nécessaires ; les tests, les masques vont arriver. Le confinement général de la population ne fut une politique obligatoire que par manque de ressources pour diagnostiquer et traiter. La Corée, quant à elle, s’est contentée de confiner ses malades testés positifs et leur entourage. C’est plus intelligent. À moins que Macron ne veuille devenir le docteur Knock qui réduit la France, son misérable canton, à la totalitaire médecine de son invention.

    La crise économique et financière qui vient sera encore plus terrible que celle du coronavirus. Récession ? Dépression ? Les chutes vertigineuses d’activités et de chiffres d’affaires entraînent des effets dévastateurs sur toutes les entreprises, les artisanats et les commerces. Les quelques mesures prises par la loi d’urgence sanitaire et les ordonnances qui suivent ne sont que des palliatifs. À peine. Les comptes vont se faire dans les mois qui viennent. Si l’économie s’arrête presque totalement et c’est le risque aujourd’hui, à 80 ou 90 %, le relèvement sera quasi impossible, sauf à user d’une dictature de salut national. Les USA mettent déjà des milliers de milliards de dollars à la disposition de leur économie. L’Allemagne, 500 milliards d’euros. La BCE s’apprête à émettre 750 milliards pour subvenir aux besoins des États déjà violemment fragilisés. Mais l’Europe ne sauvera pas la France, ni l’Italie, ni l’Espagne, ce n’est pas son but. Elle tente de sauver l’euro et la zone euro qui est menacée d’exploser, quitte à faire sauter les critères. Les eurobonds, appelés coronabonds, le MES, sur lesquels comptent Conte et Macron font encore partie de ces illusions dont se contentent les dirigeants pour ne pas voir la réalité en face.

    Les annonces de Le Maire et de Macron ne sont pour le moment que des chiffres et ils ne sont ni précis ni vraiment dédiés. Peuvent-ils l’être ? La vérité des choses s’impose, à l’encontre de toutes les chimères. Il est dur de revenir à la réalité quand cette réalité peut être synonyme de contrainte, de pénurie, de misère et de guerre sociale. C’est à la France de se sauver elle-même ; ce sont ses avions, ses bâtiments de marine, ses trains qui transportent ses malades ; ses hôpitaux et ses médecins qui les soignent. Même si le Bade-Wurtemberg a offert quelques places, la règle à laquelle oblige la nécessité d’aujourd’hui est d’abord nationale. Tous les pays ferment leurs frontières, même si Macron se contente de faire fermer celles de Schengen. L’avenir de la France est entre les mains de la France. Demain encore plus qu’aujourd’hui. Telle est la plus claire des certitudes.

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  • Bérénice Levet: «Nous avons besoin de retrouvailles avec nous-mêmes», par Alexandre Devecchio.

    3834054413.47.jpgSource : https://www.lefigaro.fr/

    «Aussi longtemps que les restaurants, les cafés, les cinémas, les théâtres, les salles de concert, resteront fermés, on ne pourra pas dire que la vie reprend son cours», dit Bérénice Levet. Fabien Clairefond

    GRAND ENTRETIEN - La crise sanitaire est aussi une crise de la sociabilité. Celle-ci met à mal notre sens de la convivialité et notre art de vivre, analyse la philosophe.

    3.jpgLE FIGARO. – Cela fait près de deux mois que la France est confinée et le déconfinement s’annonce partiel. Cela pouvait-il durer plus longtemps ?

    Bérénice LEVET. – Il n’était guère souhaitable que le confinement dure plus longtemps, a fortiori dans les formes extrêmes qu’il a prises en France, dépossédant chacun de sa responsabilité. À l’image de l’Ours de La Fontaine, nous serions devenus fous: «La raison d’ordinaire, dit le fabuliste, n’habite pas longtemps chez les gens séquestrés». Songeons aussi au poème en prose de Baudelaire, Assommons les pauvres: c’est au terme de «quinze jours de confinement» que, dans «l’intellect confiné» du narrateur, se forme ce funeste projet. Il est toutefois à redouter que, très vite, nous soyons reconduits dans nos logis. Les masques et les tests seront-ils au rendez-vous en nombre suffisant ? Et puis, sans chercher à exonérer nos dirigeants, le défi est redoutable: nous aspirons à renouer avec la vie sociale ; or, la vie sociale est précisément le terreau fertile de notre virus. À quoi, en outre, ressemblera ce monde où chacun est appelé à se concevoir comme une citadelle qu’il doit s’aviser de rendre imprenable… et ce dans une vigilance de tous les instants, un moment de distraction pouvant être fatal ?

    N’y a-t-il rien de positif à retenir de ce ralentissement ?

    Vous parlez de ralentissement, mais nous tombons de Charybde en Scylla, d’un affairement, d’une agitation, d’une fuite en avant assurément insensés, à un arrêt complet,or, c’est le ralentissement précisément qui est souhaitable et fécond. C’est l’alternance des rythmes, «tantôt je pense, tantôt je suis»,disait Paul Valéry. Il n’est jamais bon de s’orienter selon des alternatives binaires. La polarité affairement/confinement est tout autant l’indice d’un déséquilibre anthropologique que la polarité progressiste/conservateur. Cette dernière méconnaît la présence en tout homme du besoin de continuité, de stabilité et le goût du nouveau, tout comme la première ignore la coexistence en chacun de nous du besoin de converser, de partager avec nos semblables en chair et en os nos joies et nos peines, et de la nécessité de se retirer de leur compagnie, de jouir du silence et de la solitude du foyer.

    Cela m’évoque Notre-Dame de Paris. Ce halo de silence qui l’enveloppe, cette tranquillité retrouvée a quelque chose d’heureux. Délivrée de ces hordes de touristes, elle est comme rendue à elle-même. Lorsque, avant le confinement, je pouvais encore la contempler de loin, j’étais frappée par la sérénité qui se dégageait de sa façade. Toutefois, on ne peut se réjouir de ce repos ici aussi, forcé, là n’est pas sa destinée, elle a été bâtie ad majorem Dei gloriam pour recevoir les fidèles. L’enjeu et le défi sont bien analogues: il nous faudrait être capables de sortir de ces alternatives du tout ou rien, du tourisme de masse ou de la mise au repos complet, de la consommation et de la production effrénées ou de l’interruption de l’activité. Il serait bon que nous nous inspirions de la sagesse des Anciens, que nous retrempions notre plume dans leur encrier et redonnions de la légitimité à des notions en apparence aussi désuètes que celles de «juste mesure», de «juste milieu», de «discernement», de «convenance».

    Les cafés, les restaurants, tous les lieux de convivialité devraient encore rester fermés. De même que les lieux de culture: cinéma, théâtre, etc. Au-delà des conséquences économiques, quel impact social cela peut-il avoir ?

    Les lieux de culture… et de culte. Ce qui est, notons-le au passage, totalement incohérent du moins pour les églises, car, sauf à penser que le confinement ait été un grand moment de conversion des âmes à la foi catholique, on les sait désertées, en sorte qu’il semble aisé d’y célébrer la messe ou autres liturgies en respectant l’impératif de distanciation sociale. Mais évidemment, il ne peut y avoir de régime séparé des lieux de culte, et, signe des temps, la question est autrement épineuse lorsqu’il s’agit des mosquées !

    Aussi longtemps que les restaurants, les cafés, les cinémas, les théâtres, les salles de concert, resteront fermés, on ne pourra dire que la vie reprend son cours. Ou alors, la vie, oui, et elle seule, mais non l’existence humaine, l’existence d’un être, inséparablement corps et esprit. «Toute politique implique (et généralement ignore qu’elle implique) une certaine idée de l’homme», disait Valéry. De toute évidence, mais ce n’est pas une révélation, l’idée de l’homme qui prévaut parmi nos dirigeants est bien dégradée et dégradante. J’ai été fort attristée d’apprendre qu’en Allemagne, les librairies n’avaient jamais été fermées, que reste-t-il de la France comme patrie littéraire ?

    On pourra m’objecter la réouverture des écoles, mais soyons sérieux: ce ne sont pas les écoles comme lieux de la transmission du savoir – ce qu’elles sont déjà si peu en temps normal – qui rouvriront, mais des garderies, des centres de loisirs, voire des cellules d’aide psychologique (un professeur, responsable syndical, nous a expliqué qu’il s’agirait de permettre aux élèves d’«évoquer leur ressenti»), afin de permettre aux parents de retrouver le chemin du travail.

    Cela est-il plus difficile à vivre dans un pays comme la France, reconnu pour son génie de la sociabilité? Est-ce une part de «l’art de vivre» à la française qui est amputée ?

    Assurément. Cette crise sanitaire, et c’est ce qui, par-delà sa mortalité, la rend si cruelle, est une crise de la sociabilité. Celle-ci affecte toutes les civilisations, car c’est l’homme en son humanité qui est ici en jeu: «Il n’est rien à quoi il semble que nature nous ait plus acheminé qu’à la société», écrivait Montaigne. Mais elle est plus âprement éprouvée en France tant «l’esprit de société» (Benedetta Craveri) marque de son sceau l’identité française et distingue la France d’entre toutes les nations. Les témoignages des étrangers abondent, et tous confirment le tableau peint par Rica, le jeune voyageur persan de Montesquieu : «On dit que l’homme est un animal sociable. Sur ce pied-là, il me parait, observe-t-il, qu’un Français est plus homme qu’un autre ; c’est l’homme par excellence car il semble être fait uniquement pour la société.» Or, les codes, les formes «conciliatrices des premiers abords de la société» (Montaigne), les manières, les rites, dont celui du repas pris en commun, constitutifs de l’art de vivre à la française, ces trésors de civilisation que nous lèguent nos ancêtres, sont frappés de caducité par le nouveau code des relations humaines ou plutôt de la déliaison sociale («distanciation», «gestes barrière»).

    Après tout cela, va-t-on redécouvrir le goût de la liberté et de la conversation civique ?

    Je veux croire, dans mes moments d’optimisme, que cet isolement forcé, cette privation de relations humaines non virtuelles nous conduira à remettre en question l’anthropologie libérale postulant un individu autosuffisant et mesure de toute chose. Que nous devenions, par l’épreuve du manque, emplis de gratitude pour ceux qui nous ont précédés, pour leur génie de la sociabilité, pour les délicatesses et les lieux qu’ils nous lèguent.

    La crise est encore loin d’être dernière nous, mais observateurs et politiques tentent déjà de penser «le monde d’après». Emmanuel Macron a annoncé que nous devions nous réinventer, y compris lui-même. Que cela vous inspire-t-il ?

    De la tristesse et de l’impatience, car le président s’obstine à ne pas comprendre ce que réclame le moment présent, non pas cette langue managériale, non plus des envolées lyriques, moins encore ce pathos de la table rase. Ce n’est pas de réinvention que nous avons besoin, c’est de retrouvailles avec nous-mêmes, avec notre histoire, notre singularité. Leçon déjà administrée, soit dit en passant, par la France périphérique devenue visible par la grâce du «gilet jaune». Bernanos a une phrase extraordinaire et qui m’est un viatique: «Le crime de nos politiques n’est pas de n’avoir pas servi la France, mais de ne pas s’en servir.»

    «Heureux qui comme Ulysse, chantait le poète, a fait un beau voyage et puis est retourné plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge…» Le voyage a été beau pour certains, mais quelque quarante années de mondialisation nous ont instruits, le besoin de rentrer se fait farouchement sentir. Nous avons besoin, et tous les peuples le manifestent chacun à sa façon, d’être rapatriés sur terre, dans nos terres. Non pas pour être confinés dans nos frontières, mais pour n’avoir pas pour seul horizon de les ouvrir ou de les franchir.

    Lorsqu’en 1949, Albert Camus publie L’Enracinement de Simone Weil, il écrit qu’il est inimaginable d’envisager de rebâtir l’Europe sans tenir compte des exigences définies dans cet ouvrage. Or, ce livre dit précisément le besoin humain d’inscription dans un lieu et une histoire uniques ainsi que le droit à la continuité historique. Nous avons pris le chemin exactement inverse: les identités nationales n’ont plus été perçues que comme des principes d’antagonismes meurtriers, et l’Union européenne s’est construite sur le mépris de ce «besoin fondamental de l’âme humaine» en se donnant pour programme l’obsolescence des nations. Aujourd’hui, et déjà depuis plusieurs années, les peuples confirment Simone Weil: la patrie est redécouverte comme « milieu vital » et « source de vie ».

    Le président de la République semble tout de même renoncer à la rhétorique du «nouveau monde» et évoque désormais la nécessité de retrouver notre souveraineté. N’est-ce pas un tournant ?

    Il est un talent qu’on ne peut pas retirer au président: il excelle dans l’art de la description, il peint des tableaux de la France d’une extrême pertinence, mais cela reste sans conséquence dans les actes. Un tournant, il nous en avait d’ailleurs déjà promis un en 2019, au lendemain de l’épisode des «gilets jaunes». C’est en lisant Clément Rosset que le phénomène Macron s’est éclairé pour moi. Le philosophe a forgé la notion de « perception inutile » : « C’est une perception juste, explique-t-il, qui s’avère impuissante à embrayer sur un comportement adapté à la perception. J’ai vu, j’ai admis, mais qu’on ne m’en demande pas davantage .» La ressemblance est troublante. Mais là aussi, faisons droit à l’imprévisible, et je n’aspire qu’à être détrompée !   

    * Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016).