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Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 2/8, Le Liban centenaire

Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

Quelle place pour les chrétiens ?

C’est à ces questions que répond ce dossier.


par ANNIE LAURENT

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2/8 : Le Liban centenaire

 


L’État libanais actuel est né en 1920. Petit panorama de son histoire jusqu’à la !n de l’occupation syrienne (2005).

 

L’année 2020 est pour le Liban celle du centenaire. C’est en effet le 1er septembre 1920 que, par un discours solennel prononcé à Beyrouth, le général Henri Gouraud, haut-commissaire français, proclama la reconnaissance internationale de l’État du Grand Liban dans ses frontières actuelles.

Cette naissance plongeait ses racines dans les tragédies survenues entre 1840 et 1860. Soutenus par les Ottomans qui dominaient la région, les druzes perpétrèrent alors des massacres de chrétiens dans la montagne du Chouf et à Zahlé, grande cité de la Bekaa. Le 9 juin 1861, suite à une intervention militaire destinée à secourir les survivants, Napoléon III et ses alliés européens obtinrent des Turcs la signature d’un Règlement organique instituant un « Gouvernement autonome » (Moutassarifat) pour le Mont-Liban. Celui-ci était doté d’un gouverneur nommé par le sultan et assisté d’un Conseil administratif de 12 membres issus des six principales communautés, chrétiennes et musulmanes, peuplant le territoire.

À partir de 1864, le gouverneur fut obligatoirement un chrétien sujet de l’Empire.

Une nouvelle étape vers l’indépendance fut franchie à l’issue de la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la réorganisation du Levant post-ottoman. Le traité de Versailles (28 juin 1919) créa alors la Société des Nations (SDN); il instaura aussi des mandats, qui bénéficièrent à la Grande-Bretagne et à la France.

À la première furent attribuées la Mésopotamie et la Palestine tandis que la seconde obtenait la Syrie et le Liban. La mission des puissances mandataires consistait à administrer provisoirement les populations des territoires qui leur étaient confiés en vue de les aider à s’organiser comme États souverains.

C’est durant les travaux préparatoires du traité de Versailles que furent définis les contours du futur Liban. Dès le 9 décembre 1918, le Conseil administratif vota une motion réclamant la pleine souveraineté sur une superficie élargie englobant des régions vitales comme la plaine fertile de la Bekaa, mais aussi celle du littoral avec ses ports, ainsi que le Djebel Amel (Sud) et l’Akkar (Nord), dont le Liban avait été amputé à diverses reprises dans son histoire.

Trois délégations officielles se succédèrent à Paris, dont l’une était conduite par le patriarche de l’Église maronite, Mgr Elias Hoayek, pour défendre ces revendications qui furent donc entérinées. Le pays du Cèdre échappait ainsi à son intégration dans divers projets régionaux qui émergeaient depuis la fin de l’Empire turc : royaume ou nation arabe, Grande-Syrie. 


Rôle décisif de la France


Les maronites, soutenus par la France, ont joué un rôle décisif dans l’avènement de la République libanaise. Pour eux, comme pour la plupart des catholiques d’autres rites, le Liban avait vocation à offrir aux chrétiens un État où ils seraient pleinement citoyens, ce qui n’était pas garanti par les régimes se réclamant de l’islam où la dhimmitude (protection-assujettissement), bien qu’officiellement abolie par le sultan turc en 1856, pouvait être restaurée puisqu’elle s’inspire du Coran (9, 29).

Une partie des grecs orthodoxes, héritiers de l’Empire byzantin, préféraient cependant l’incorporation du Liban à la Syrie. Le projet de « foyer chrétien » ne se confondait pas avec un système mono-confessionnel. Les maronites n’envisageaient pas l’exclusion des musulmans (sunnites, chiites et druzes) établis sur les terres pour lesquelles ils revendiquaient la libanité. Mais, si les chiites et les druzes étaient favorables à leur incorporation au Liban, les seconds préférant cependant qu’il fût confié à un mandat britannique, la majorité des sunnites optèrent pour le rattachement du pays à la Syrie, certains allant jusqu’à refuser les cartes d’identité libanaises établies par le Haut Commissariat français.

L’agrandissement du territoire libanais ne faisait pourtant pas l’unanimité chez les maronites.
En 1932, Émile Eddé, figure éminente de la communauté et fondateur du Bloc national, remit au Quai d’Orsay une Note sur le Liban dans laquelle il estimait nécessaire l’abandon du Nord sunnite et du Sud chiite. Pour lui, le Liban idéal devait assurer aux chrétiens, tous rites confondus, une écrasante majorité, 80 % si possible.

Déjà en 1919, il avait attiré l’attention du patriarche Hoayek sur le danger d’intégrer trop de populations qui risqueraient à l’avenir d’en rompre l’équilibre. Les musulmans de ce nouveau Liban devenant un jour majoritaires n’auront de cesse, soutenus par leurs frères des États voisins, de le transformer en État islamique, lui disait-il. « Vous regretterez, Béatitude, cette initiative dans moins de cinquante ans ! » (1).


Vers l’indépendance


En 1941, le général Georges Catroux, parlant au nom de la France libre, annonça l’abolition des deux mandats mais le Liban devra attendre deux ans pour obtenir son indépendance effective.

L’acte fondateur fut négocié en 1943 par les deux principaux dirigeants du pays, le président de la République Béchara El-Khoury (maronite) et le chef du gouvernement Riad El-Solh (sunnite). Ce « Pacte national » prit la forme d’un compromis intercommunautaire : les chrétiens renonçaient à la protection française – d’ailleurs
devenue pesante car, dans les faits, le mandat s’apparentait à un protectorat – tandis que les musulmans oubliaient leur rêve d’intégration arabe.

La déclaration de R. El-Solh est significative : « Nonobstant son arabité, il [le Liban] ne saurait interrompre les liens de culture et de civilisation qu’il a noués avec l’Occident, du fait que ces liens ont eu justement pour effet de l’amener au progrès dont il jouit » (2).
Avec la Constitution de 1926, calquée sur celle de la IIIème République française mais sans mention de laïcité, ce Pacte non écrit a constitué l’ossature des institutions libanaises jusqu’en 1989.
Il a aussi engendré un système sui generis fondé sur des données confessionnelles, en commençant par la répartition des principales charges de l’État. La présidence de la République est réservée à un maronite, celle du Conseil des ministres à un sunnite et celle du Parlement à un chiite. La répartition confessionnelle s’applique aussi aux portefeuilles ministériels et aux sièges parlementaires. Pour les postes les plus élevés
de l’administration (diplomatie, armée, justice, etc.) le critère confessionnel prime souvent surcelui de la compétence ou du mérite.
En outre, chaque religion dispose de sa propre juridiction pour le droit personnel (mariage, filiation et héritage). C’est pourquoi il n’y a pas de mariage civil au Liban; de même, une musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, sauf si ce dernier adhère à l’islam, selon une prescription du Coran (2, 221).

Depuis quelques années, ces dispositions sont contestées par une partie de la population, mais les hiérarchies religieuses tiennent au maintien du statu quo.
Cette « démocratie consensuelle », comme l’appellent les Libanais, est destinée à permettre aux dix-huit communautés reconnues (13 chrétiennes, dont les Arméniens rescapés du génocide de 1915, 4 musulmanes et une juive) d’être associées au fonctionnement de l’État sans perdre leur identité, ce qui soulève la question de la primauté d’allégeance de chaque citoyen.
Il s’agit donc d’un système fragile, susceptible d’être ébranlé à la moindre secousse, interne ou externe, comme l’a montré la guerre (1975-1990).
Celle-ci avait pour cause initiale la question palestinienne. En 1948, la création de l’État d’Israël, refusée par les pays arabes, a déclenché un conflit qui a provoqué l’exode de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, dont 142000 se sont réfugiés au Liban où ils ont été très bien accueillis, en particulier par les Églises.

La défaite arabe de 1967 entraîna un nouvel afflux d’exilés. Dès 1968, le régime syrien d’Hafez ElAssad facilita leur armement au Liban-Sud sous prétexte de soutenir la guérilla anti-israélienne.
En défendant la « cause » privilégiée des Arabes, Assad, dont la confession alaouite, minoritaire et hérétique aux yeux de l’islam sunnite, lequel est majoritaire en Syrie, cherchait à obtenir la légitimation de son pouvoir à Damas.

 

2.jpgBéchir Gemayel (1947-1982), Samir Geagea et le général Michel Aoun, trois fortes personnalités chrétiennes du Liban.

 

 

L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, multiplia alors au Liban les installations militaires, encercla les grandes villes et organisa sa propagande, notamment auprès des journalistes étrangers. Incapables de s’opposer à cette déstabilisation à cause de la faiblesse de leur armée, les dirigeants libanais crurent pouvoir compter sur la Ligue arabe dont leur pays est l’un des fondateurs, mais celle-ci, invoquant la solidarité arabe, imposa au président Charles Hélou l’accord du Caire (3 novembre 1969) qui consacra la mainmise de l’OLP sur leur territoire. « Les Palestiniens ont fait aux Libanais ce que les Israéliens avaient fait aux Palestiniens : ils les ont transformés en réfugiés sur leur propre sol natal », remarque Jean-Pierre Péroncel-Hugoz (3).


La guerre de 1975-1990


C’est dans ce contexte que la guerre éclata. Le dimanche 13 avril 1975, à Aïn-Remmaneh (banlieue de Beyrouth), un commando abattit quatre chrétiens devant une église. Un moment après, un autobus rempli de Palestiniens armés rentrant d’une parade fut pris sous le feu de miliciens chrétiens que l’attentat du matin avait mis en état d’alerte. Vingt-sept Palestiniens succombèrent et la capitale s’embrasa.

Plusieurs formations politiques chrétiennes, telles que les Kataëb de Pierre Gemayel ou le Parti National Libéral de Camille Chamoun, s’étaient préparées à la résistance armée.
À partir de 1976, la Syrie s’imposa comme acteur majeur dans le conflit. Sous prétexte de rétablir un ordre qu’elle avait contribué à défaire en s’attachant l’allégeance de partis et personnalités libanais, druzes, musulmans et même chrétiens, Damas déploya son armée dans le pays voisin avant d’y imposer une tutelle qui sera totale de 1990 à 2005.

Par ailleurs, à deux reprises, Israël intervint militairement chez son voisin du nord : en 1978, il s’agissait de repousser les Palestiniens au-delà du fleuve Litani, zone dont la sécurité fut ensuite confiée à une milice mixte (chrétienne et chiite) contrôlée par l’État hébreu; en 1982, Tsahal, l’armée israélienne, envahit le Liban jusqu’à Beyrouth inclus.
Le but de l’opération « Paix en Galilée » était double : chasser l’OLP, ce qui advint la même année; signer un traité de paix avec le Liban, ce qui échoua, Béchir Gemayel, allié d’Israël et tout juste élu président, ayant été assassiné le 14 septembre 1982, peu avant sa prise de fonctions.
Compte tenu de ces ingérences extérieures, il est inapproprié de limiter ce conflit à une « guerre civile », du moins quant aux causes de son déclenchement, comme l’a montré l’ambassadeur Ghassan Tuéni (grec-orthodoxe) dans son livre Une guerre pour les autres (4), même si des Libanais se sont aussi battus entre eux.

En effet, le danger prit une dimension intérieure lorsqu’une partie des sunnites considérèrent la militarisation des Palestiniens comme une occasion historique pour en finir avec le système politique hérité du Pacte de 1943 mais contraire à leurs yeux aux principes de la charia. En 1976, le mufti de la République, Hassan Khaled, publia une position argumentée dans ce sens, déclarant en outre à Arafat: « Les Palestiniens sont l’armée des musulmans » (5).

 

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A Beyrouth, la cathédrale Saint-Georges des maronites (au centre) et la nouvelle et imposante mosquée (à gauche).

 

 

Menace de l’islamisation


Béchir Gemayel et ses alliés maronites prirent alors conscience de l’islamisation qui menaçait le Liban, perspective qui, si elle aboutissait, aurait imposé aux chrétiens le statut discriminatoire du dhimmi en vigueur dans la plupart des États du Levant.

Dès 1976, Béchir parvint à unifier la résistance chrétienne sous la bannière des Forces Libanaises (FL) qui bénéficia de l’appui d’Israël (armement, entraînement). Mais les divisions entre chrétiens perduraient, une partie d’entre eux demeurant proches de la Syrie, ce qui entraîna des affrontements meurtriers. En 1983, l’irruption des FL dans le Chouf à majorité druze fut considérée comme une provocation par Walid Joumblatt, principal chef politique de cette communauté et alors allié de Damas, qui orchestra l’élimination sanglante des habitants chrétiens.


La guerre du Liban prit fin officiellement en 1990 après deux nouvelles années tragiques, elles aussi marquées par des divisions interchrétiennes. Le 14 mars 1989, réagissant aux bombardements syriens sur Beyrouth, le général Michel Aoun, commandant en chef de l’armée et Premier ministre par intérim, déclencha « la bataille de la libération ». Tout en désapprouvant cette initiative, « prématurée et mal préparée », Samir Geagea, devenu chef des FL, engagea ses troupes aux côtés de l’armée. Cet épisode s’acheva par une conférence qui se déroula à Taëf (Arabie-Séoudite) sous parrainage international du 1er au 22 octobre 1989. Les députés libanais y furent incités à élaborer un « document d’entente nationale » prévoyant de substantielles réformes institutionnelles, notamment le transfert de l’essentiel du pouvoir exécutif du chef de l’État au chef du gouvernement et la répartition des sièges parlementaires par moitiés égales entre chrétiens et musulmans (6).
Les FL, ainsi que le patriarche maronite, Nasrallah-Boutros Sfeir, acceptèrent cet accord dans un souci d’apaisement, mais le général Aoun le refusa tout en demeurant au palais présidentiel.
Pour lui avoir tendu la main, le nouveau président, René Moawad, élu le 5 novembre 1982, fut assassiné le 22, sans doute par les Syriens qui, deux jours après, forcèrent les députés à élire Elias Hraoui, un de leurs hommes-liges. Les affrontements interchrétiens reprirent alors pour s’achever le 13 octobre 1990 par une attaque syrienne qui contraignit Aoun à s’exiler en France, tandis que Geagea était emprisonné au ministère de la Défense.

Le Liban devra attendre 2005 pour être libéré de l’occupation syrienne.

En février, l’assassinat du Premier ministre, Rafic Hariri, décidé à ne plus se soumettre au régime de Bachar El Assad, déclencha un immense mouvement patriotique, « la révolution du Cèdre ».

A.L.

 

(1) Cf. Annie Laurent et Antoine Basbous, Guerres secrètes au Liban,
Gallimard, 1987, p. 175.
(2) Id., p. 261.
(3) Une croix sur le Liban, FolioActuel, 1984, p. 109.
(4) JC Lattès, 1985.
(5) Guerres secrètes, op. cit., p. 40-41.
(6) Sur la base d’un recensement de 1932, donnant les chrétiens majoritaires, ceux-ci disposaient depuis 1943 de 55 % des sièges

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