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  • Feuilleton : ”Qui n 'a pas lutté n'a pas vécu”... : Léon Daudet ! (219)

     

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     (retrouvez l'intégralité des textes et documents de ce sujet, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

    Aujourd'hui : Sur, et contre, le fascisme italien...

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    ndlr : ce sujet a été réalisé à partir d'extraits tirés des dix livres de souvenirs suivants de Léon Daudet : Paris vécu (rive droite), Paris vécu (rive gauche), Député de Paris, Fantômes et vivants, Devant la douleur, Au temps de Judas, l'Entre-deux guerres, Salons et Journaux, La pluie de sang, Vers le Roi...

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    Ceux qui hurlent si volontiers, et si hypocritement, contre le "fâchisme" oublient volontairement - ou alors ils l'ignorent... - que Mussolini était un homme de gauche, venu du parti socialiste, et qu'une idéologie totalitaire, quelle qu'elle soit, n'est jamais pour nous, par définition, qu'une théorie intellectuelle et abstraite; et donc forcément en oppositions avec les réalités concrètes et charnelles, héritées de l'Histoire, dont nous partons toujours : notre humble réalisme, qui consiste à commencer par observer les faits tels qu'ils se présentent, afin d'oeuvrer patiemment - mais à partir du réel - pour un monde meilleur, nous protège de l'orgueil insensé de ceux qui prétendent inventer le meilleur des mondes (comme l'ont fait stupidement et criminellement les révolutionnaire idéologiques de 1789)...
    Aucun accord possible, donc, dans le domaine des idées, entre un totalitarisme (ici le fasciste italien) et le "royalisme" venu du fond des âges et "prouvé par l'histoire" que propose l'Action française; comme le montre bien Léon Daudet dans le court passage suivant.
    Ceci étant, et pour en revenir au contexte des années 35, la guerre venant, il fallait chercher des alliés contre la puissance allemande qu'un Pays légal républicain criminel, sabotant la victoire si chèrement acquise en 1918, avait laissé se reconstituer.
    Or, Mussolini, malgré ses bravades et fanfaronnades effectivement, parfois, ridicules, pouvait parfaitement - avec toutes les réserves et les reproches que l'on pouvait par ailleurs lui faire sur le plan doctrinal - être "fréquenté" pour créer un large front d'opposition à un Hitler sans cesse plus agressif : n'est-ce pas Mussolini qui s'opposa à Hitler, et le fit reculer, en mobilisant ses troupes sur le Brenner en 1935 ? Hitler venait de faire assassiner le chancelier Dollfuss, en vue de l’annexion de l’Autriche, l'Anschluss.
    Le 25 juillet, lorsque Mussolini envoya ses deux divisions sur le Brenner, Hitler recula...
    C'est dans cet esprit que l'Action française souhaitait que l'on s'alliât avec Mussolini : évidemment pas par affinité ou par proximité idéologique, mais uniquement par pur intérêt stratégique, immédiat et pressant.
    Dans la même optique que François Premier s'alliant avec le Grand Turc après sa déroute de Pavie, au moment où il semblait que Charles Quint et les Habsbourgs allaient écraser la France : il est bien évident qu'en s'alliant avec le Grand Turc - alliance qui prenait Charles Quint à revers... - François premier ne songeait nullement à se convertir lui-même à l'Islam, ni à faire de la France une nation musulmane et à la couvrir de mosquées !...
    Seule le guidait une vision politique et puissamment réaliste des choses, ainsi qu'une vision claire de l'intérêt national.
    Mutatis mutandis, c'est dans le même esprit que l'Action française envisageait les choses, vis-à-vis de Mussolini, juste avant la guerre : il nous fallait des alliés, fussent-ils, par ailleurs, loin de nous "idéologiquement" : la République préféra, justement pour des raisons idéologiques, jeter finalement Mussolini dans les bras d'Hitler, alors qu'il avait commencé par le combattre ! Aveuglement criminel des idéologues, qui ne raisonnent pas à partir des faits mais de leurs abstractions.... Mais, au final, c'est toujours "la France qui paye" !

    De "Député de Paris", pages 176/177 :

    "...La méconnaissance de l'immense mouvement qu'est le fascisme italien, de ses racines dans le passé, de son animateur, comptera comme une des grandes bévues de la République finissante française.
    Nous somme séparés du fascisme par l'immense fossé de la religion d'État - religion politique, s'entend - dont nous a dispensés le régime le plus souple et le plus évolué de l'Histoire, la monarchie française.
    Nous ne croyons pas, organiquement parlant, à la congestion indéfinie du centre, avec anémie consécutive de la périphérie, ou plutôt nous connaissons les dangers de cette forme du jacobinisme et de la politique du poulpe.
    Une des raisons décisives qui m'ont amenées à Maurras, c'est sa formule de décentralisation administrative, si décongestionnante et si claire, dont nous n'avons cessé de nous émerveiller, ma femme et moi, depuis les inoubliables articles de la Gazette de France, de 1902 à 1908.
    Ce que je redoute dans le Syllanisme fasciste, par ailleurs séduisant, c'est la décompression presque fatale d'un tel système, le jour de la disparition de son chef, comme il arriva précisément pour Sylla.
    À la centralisation étatiste, même louis-quatorzienne, il faut la main d'un homme de génie.
    S'il s'en va, on risque le jacobinisme ou l'anarchie, ou un fléau dans le genre de Bonaparte, mêlé d'étatisme et d'insanité.
    Je m'excuse de ces considérations qui, touchant à la politique italienne, aujourd'hui rapprochée de l'Allemagne par notre faute, peuvent sembler accessoires, et je reviens à la politique française, mais hélas parlementaire, de l'année de la Ruhr..."

    Il est souvent intéressant et instructif - et, parfois, presque amusant, comme ici... - de rapprocher des textes émanant de personnes que tout oppose : ainsi, après avoir lu ce passage de Daudet, peut-on trouver matière à réflexion dans... "Le Populaire" du 25 octobre 1934, où Léon Blum écrit ceci :


    "Quand on place avant tout autre l'intérêt de la stabilité gouvernementale, on est monarchiste.
    On l'est consciemment ou inconsciemment, en le sachant ou sans le savoir, mais on l'est ! Seule la monarchie est stable par essence, et encore la monarchie totale, où le roi gouverne en même temps qu'il règne.
    Les dictatures fascistes ne sont pas stables; même si le dictateur évite les cataclysmes analogues à ceux qui l'ont porté au pouvoir, il reste une cause d'instabilité majeure qu'il ne peut éluder : sa succession."

  • Dans le monde et dans notre Pays légal en folie : revue de presse et d'actualité de lafautearousseau...

     

    "Guerre civile" ? Eh, là ! Comme vous y allez !...

    L'édito politique de Vincent Trémolet de Villers :

    "l’insoutenable légèreté du président..."

    (extrait vidéo 4'09)

    https://x.com/Europe1/status/1805845192752124195

     

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    LÉSISLATIVES ET FRONT POPU QUI PUE :

    LES DERNIÈRES NOUVELLES DU FRONT...

    • "le" signe qui ne trompe pas : les rats quittent le navire... La macronie coule, et c'est tant mieux ! Et ce n'est pas trop tôt ! Bon débarras !

     Dernier exemple : Gérald Darmanin, qui découvre (un peu tard...) l'eau tiède : "L'élite a fait sécession, les gens qui dirigent n'habitent plus parmi le peuple... Moi, je n'ai pas besoin de sondage ou de tableau Excel pour voir les difficultés du peuple..."

    On est ravis de l'apprendre : que ne les a-t-il découvertes plus tôt, depuis le temps qu'il est au pouvoir ! Il aurait pu, ainsi, au moins suggérer au "patron" d'arrêter la délivrance insensée des centaines de milliers de titres de séjour, donnés à n'importe qui, sans la moindre vérification !...

    (extrait vidéo 1'49)

    https://x.com/tvlofficiel/status/1805526354563109255

    Gérald Darmanin: "Je souhaite quitter le gouvernement et siéger à  l'Assemblée nationale"

    • Duel à trois (ou "truel", comme propose Boulevard Voltaire) Le pan sur le bec de Jordan à Gabriel :

    - Gabriel : "Faire passer l’âge de départ à la retraite, ça coûte de l’argent;" - Jordan : Oui, ça coûte 1,6 milliard d’euros : c’est le montant de la gratuité des soins qu’on offre aux migrants." 

    Gabriel en PLS...

    Premiers secours: Position Latérale de sécurité - PLS | Secourisme - YouTube

    • Là aussi, s'il n'est jamais trop tard pour bien faire, il est tout de même bien tard pour s'en rendre compte...

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    • Le sondage de ce matin, pour France Inter, France TV et Le Monde : le RN/LR Ciotti progresse, la gauche recule !

    - RN : 36% (+1%);

    - NFP : 29% (-0,5%);

    - ENS : 19,5% (=);

    - LR : 8% (+1%)...

     

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    1. Front populaire décide de nous faire partager une partie de ses archives, et publie cette très courte (trop courte...) vidéo datant de dix ans : Onfray s'entretient avec l'enragé/dément Caron :

    ARCHIVE. Michel Onfray face à Aymeric Caron en 2014 : « Il y a une tradition, à gauche, qui est islamophile par antisémitisme. » Et dix ans plus tard…

    (extrait vidéo 0'44)

    https://x.com/FrontPopOff/status/1805594987721117730

    Aymeric Caron excellent face à Michel Onfray qui qualifie l'islam de  religion violente (vidéo)

     

    2. Laurence Ferrari, elle, a commenté la réapparition soudaine de DSK. décidément, chaque semaine qui passe apporte sa confirmation du titre de notre Revue de presse et d'actualité : "...dans notre Pays légal en folie"

    (extrait vidéo 1'15)

    "Il ne manquait plus que Dominique Strauss-Kahn au bal des fous..."

    Franceinfo - L'ex-ministre socialiste et ancien directeur du FMI s'exprime  dans une tribune publiée mardi par le magazine "Challenges". ➡️  https://l.francetvinfo.fr/Chz | Facebook

    Prenons les choses du bon côté : n'est-il pas vrai, au fond, qu'il vaut mieux voir et entendre "ça" que d'être aveugle et sourd ?

     

    3. En juin 40, Maurras déclara au préfet de la Vienne : "Que voulez-vous, monsieur le Préfet, soixante-dix ans de démocratie, ça se paie !..." Aujourd'hui, on peut dire aux Français : que voulez-vous, presque cinquante ans d'immigration/invasion, voulue, organisée et imposée par les scélérats "décrets Chirac" de 75/76 sur le regroupement familial, équivalant à une quasi changement de peuple, cela se paie !

    Du Général Bertrand Cavallier, expert en sécurité, sur le viol d'une enfant juive à Courbevoie : "Aujourd'hui, il y a en France, une population qui compte plusieurs millions de personnes, qui est culturellement antisémite..."

    C'est triste; c'est affreux; c'est dangereux. C'est, surtout, terriblement logique... 

    À BAS CE SYSTÈME QUI NOUS A AMENÉS LÀ !

    (extrait vidéo 1'44)

    https://x.com/CNEWS/status/1805567534545985736

    Général Bertrand Cavallier : «Vladimir Poutine va contre l’histoire en  ayant lancé cette guerre contre l’Ukraine»

     

    4. Dans le silence assourdissant des autorités (?), Marion Maréchal alerte sur la situation en Nouvelle Calédonie :

    (extrait vidéo 1'09)

    https://x.com/MarionMarechal/status/1805520191922524395

    Nous avons écrit ici-même que la communauté Kanak, en elle-même, était l'une des communautés de la "Famille France", et qu'elle devait être respectée, avec ses particularités, comme les autres.

    Ceci étant, et l'Histoire ayant fait ce que la Nouvelle Calédonie est aujourd'hui, nul ne peut revenir là-dessus, et chacun doit vivre en conformité avec les lois françaises.

    Si les Kanaks sont des Français à part entière, rappelons donc à la minorité terroriste révolutionnaire :

    1. D'abord, et justement, qu'elle est une minorité, qui ne représente ni toute la population de l'archipel, ni même la totalité des Kanaks...

    2. Ensuite que, de toutes façons, le choix pour les Calédoniens n'est pas entre une indépendance fantasmée et la France, mais

    ENTRE LA CHINE ET LA FRANCE !

    À partir de là, les émeutiers/terroristes doivent, soit se calmer, soit être calmés. Par tous les moyens, même légaux...

    Nouvelle-Calédonie : « Le blocage provient des tensions dans les deux camps  »

     

    5. Faisons des économies, oui, bien sûr ! D'Éric Ciotti (sur Europe 1) :

     
    "Faisons des économies sur le coût de l’immigration. 52 000 nuits d’hôtel sont payées chaque jour pour accueillir des étrangers en île de France pour un coût de 1,2 milliard d’euros par an ! L’AME c’est 2 milliards d’euros !"
    (extrait vidéo 1'22)
     
     
  • Voici un Conte, mais qui sait ? : ”Et si demain”... par Hilaire de Crémiers

    (Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers parue dans le numéro 103 - de janvier - de Politique magazine; très originalement, il y adopte, cette fois-ci, la forme d'un Conte; mais, comme disait Maurras, "seul l'extraordinaire arrive...".... Hilaire de Crémiers ayant choisi, avec bonheur, de parler cette fois sur le ton de la fantaisie et de l'inattendu, non dénué d'humour, nous essaierons nous aussi de faire preuve d'imagination et de fantaisie dans l'illustration de ce Conte, dans sa profondeur : voici, pour l'illustrer, l'Allégorie de la fresque du Bon gouvernement, de Lorenzetti, à Sienne....  )

            Ce qui devait arriver, arriva. Les bons esprits de la planète terre l’avaient prévu. L’agence de notation française La Capétienne, célèbre dans le monde entier pour la rigueur de ses critères et l’impartialité de ses jugements, avait fini par dégrader la note de la Chine et avait corrélativement placé les États-Unis en perspectives négatives. Un système bancaire déplorable, des mœurs financières inacceptables, des procédés commerciaux qui ressortissaient à l’antique flibuste, étaient cause de ce gâchis. Des faux crédits à tout-va, des déséquilibres commerciaux insensés, tout aggravait de jour en jour la situation, jusque et y compris la monétisation, non déguisée, de toutes les dettes, instituée en système de paiement. Le monde en pâtissait ; les risques devenaient incalculables. La Capétienne s’était engagée à alerter les autres puissances et toutes les nations secondaires qui faisaient naturellement confiance à son jugement. 

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    La philosophie de l’humanisme civique a une expression picturale célèbre, la  fresque du bon gouvernement, peinte dans la salle du conseil (Salle des Neuf ou salle de la Paix) du Palazzo Pubblico de Sienne par Ambrogio Lorenzetti  vers 1338 : il s’agit d’une « mise en image » de la doctrine thomiste du Bien commun.

    La fresque est composée de trois parties : l’allégorie du bon gouvernement proprement dite, sur le mur nord, les effets du bon gouvernement, sur le mur est, et l’allégorie du mauvais gouvernement, du gouvernement tyrannique et les effets du mauvais gouvernement sur le mur ouest.

    1. Sur le mur Est (ci-dessus), on voit l'allégorie des effets du bon gouvernement : ces effets bienfaisants sont peints sous les couleurs les plus douces : les vertus dansent dans la ville où les citoyens et citoyennes se croisent et devisent, où les artisans s’affairent pendant que les écoliers étudient. La prospérité règne dans la campagne ; les portes de la ville sont ouvertes, les échanges peuvent se faire facilement.

            La France qui était encore, il y a quelques années, presqu’inconnue de l’Américain moyen et de l’Asiate innombrable, n’avait cessé de gagner en prestige. Cela faisait cinq ans qu’elle avait opéré un redressement spectaculaire. Un de plus qui se rajoutait à la liste de ceux qui avaient rythmé son histoire millénaire.

            Il faut dire qu’après les élections présidentielles de 2012, tout avait été catastrophique. La crise monétaire avait aggravé la crise économique qui avait provoqué la crise sociale qui avait déclenché la crise politique qui avait accéléré la crise institutionnelle. Faillites en série, chômage de masse, misères sociales et humaines, insécurité généralisée, saccages, administration en panne… Bref, le lot commun des pays qui ne marchent plus. Cela datait déjà d’avant 2012, puis avait soudainement empiré, et après, avait duré longtemps, trop longtemps… Et les Français s’étaient lassés. De ce mal avait surgi un bien. Plus aucune promesse électorale en ces temps-là ne les satisfaisait. Et le régime des partis qui, lui, prospérait dans cette chienlit, les écoeurait.

            Cependant était apparu un puissant courant de pensée qui profitait des moyens les plus modernes de diffusion et de communication. Là, dans ce courant, les leçons politiques tirées de l’histoire et de l’actualité s’exprimaient librement. Cette nouvelle liberté de l’esprit dont tout à coup les Français se rendaient compte que le régime partisan les avait totalement privés, leur faisait le plus vif des plaisirs et excitait leur juste fierté. Le régime dans le passé leur avait appris assidûment à se détester eux-mêmes et voilà que sans crainte aucune ils apprenaient maintenant à s’aimer, à aimer leur histoire, leurs arts, leur civilisation. 

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    2. Du côté opposé, sur le mur Ouest, L'allégorie du mauvais gouvernement montre le pouvoir tyrannique qui foule aux pieds la justice et dont les effets sur la vie commune sont la désolation et faim dans les campagnes et les massacres en ville. Le dirigeant démoniaque de la cour maléfique s’appelle Tyrannie : il tient prisonnière à ses pieds la Justice. Les effets qui en dérivent sont la misère, les abus, la destruction et la famine, dans une ville où le seul artisan est le forgeron qui fait les armes.

    Lorenzetti a inscrit lui-même les devises de sa loi sous les fresques du Mal Governe :
    I. Pour faire son bien sur la terre, la Tyrannie a soumis la justice : nul ne passe par là sans risque de la mort.
    II. Où est Tyrannie, Guerre, Vol et Dol prennent force près d’elle.
    III. La Tyrannie s’accorde avec tous les vices liés à la nature. 

     

            À un certain moment ce courant de pensée avait eu le courage de se dire enfin  "politique"… oui, politique ! Non plus une de ces œuvres de bienfaisance, d’ailleurs remarquables et nécessaires parmi tant d’autres, où des autorités intéressées essayaient constamment de les cantonner. De crainte que… "De crainte que quoi ?" s’étaient dit un jour ces Français-là ; et ils avaient ri du grand rire libérateur ! Pour en finir avec le régime des partis, ils avaient poussé la témérité, ces honnêtes gens, incapables de quelque mauvais coup que ce soit, oui, la témérité jusqu’à se proclamer, eux, "le parti des politiques", à l’instar de celui qui au xvie siècle avait mis fin aux querelles partisanes en imposant par l’intelligence et la douceur la seule solution nationale qui réponde à la question institutionnelle en France, la solution royale. 

            Il se trouva dans la même période qu’il y eut un prince de la dynastie nationale qui depuis un certain temps se faisait connaître. 

            Il fut évidemment reconnu pour ce qu’il était : le prince français, le prince chrétien. Il était marié ; il y avait une princesse ; ils avaient des enfants ; lui se préparait à ce qu’il appelait sa mission.

            Les choses se firent tout simplement par la rencontre d’un peuple et d’un prince. Selon une habitude française tellement immémoriale qu’elle en était inconsciente, ce fut Hugues Capet qui servit de modèle. Les Français avaient bien compris ce que leur histoire leur dictait. Hugues Capet lui-même, en son temps, ne s’était-il pas inspiré du modèle de Clovis, premier roi catholique et franc ? Ce modèle de Clovis avait été transfiguré par la légende que les archevêques de Reims, Hincmar et Adalbéron – des évêques courageux et intelligents, c’est toujours utile ! – avaient réussi à magnifier et à établir comme règle politique suprême. 

            Pendant mille ans, ce fut la règle d’or des institutions françaises ; il n’en était point d’autre. Depuis lors – et le "parti des politiques" avait bien insisté dans sa campagne sur cet ensemble de certitudes roboratives – sous les premiers Capétiens, sous les Valois, sous les Bourbons, tous les redressements français avaient obéi à la même loi. C’était tellement clair ! 

            Restauration de l’autorité, instauration concomittante du pouvoir du prince, sacralisation de ce principe souverain, rétablissement de l’ordre et de la sécurité, rénovation de la justice incarnée dans l’arbitre suprême, fin des querelles partisanes, le travail et les arts remis à l’honneur, vastes conceptions présidant à l’organisation et à la prospérité du royaume, habile politique étrangère assurant à la France sa liberté, sa prépondérance et son rayonnement dans le monde.

            Répété à chaque grand redressement dans l’histoire, cet enchaînement d’évidences si naturelles constituait le plus précis des programmes politiques. Pourquoi chercher ailleurs ?

            Ainsi, les Français avaient compris l’essentiel de leur histoire et de leur destin. La République en France, pour reprendre l’expression du vieux Bodin, ne pouvait être que royale. Dès que l’autorité de leurs rois avaient faibli pour une raison ou pour une autre, aussitôt les Français s’étaient divisés. À chaque fois, ils s’étaient jetés avec délectation et fougue, puis avec acrimonie, violence et haine dans la lutte des partis. Les expériences qui suivirent la Révolution le démontrèrent amplement. 

            Elles finirent toutes mal : banqueroute, défaite, désastre, effondrement politique jalonnent cette triste histoire, cependant encore brillante. Preuve a contrario de l’inaltérable loi française, à chaque fois que la République non royale voulut se sortir de ses impasses, elle se donna pour s’illusionner comme une imitation de pouvoir royal, le plus semblable possible à l’original mais qui avait le défaut essentiel de ne l’être pas. Ainsi des deux Bonaparte, des maréchaux, du général et de tous ces présidents de la Vème République qui, tout en se disant démocrates, ne pouvaient faire autrement que de se façonner sur la figure monarchique dont l’institution suprême portait le caractère indélébile. Ils voulaient faire les rois et ils ne l’étaient pas ! D’où les déconvenues ! 

            Eh bien, ces à peu-près, il n’en fut plus question. Les Français n’en avaient plus voulu. Ils s’étaient portés spontanément vers l’héritier naturel des lys. La règle d’or royale avait été institutionnalisée. Elle avait l’avantage d’être brève et suffisante.  Elle faisait l’unanimité.

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    3. Le mur Nord montre L’Allégorie du bon gouvernement, clairement divisée en deux parties, et qui se lit de gauche à droite : la partie gauche est dominée, en haut, par la « sapientia », la Sagesse nécessaire à la bonne organisation de la vie publique. Elle tient en main le livre de la sagesse, certainement un des livres de la Bible, connu aussi sous le titre La sagesse de Salomon, un livre qui commence par l’éloge de la justice et s’adresse à ceux qui veulent juger ici-bas. La dimension religieuse est évidente, mais on aurait tort de réduire la fresque à cela, et, du reste les deux fresques latérales concernent principalement la vie profane et le bon gouvernement se juge précisément à ses effets sur la vie quotidienne.

    La Sagesse ici est donc tout aussi bien la sagesse que cherchent les philosophes et elle s’inscrit parfaitement dans la tradition humaniste qui renoue le fil entre la tradition proprement chrétienne et l’antiquité gréco-latine, en l’occurrence principalement romaine.

    Du livre de la sagesse part un fil qui conduit, juste en dessous à la Justice, entourée des plateaux de la balance. Sur un plateau de la balance, un ange récompense les mérites et pose une couronne sur la tête d’un homme ; mais juste à côté, elle punit un autre homme qui a la tête tranchée avec une épée. Sur l’autre plateau, un ange semble donner ou recevoir un objet mal déterminé à deux personnages. L’ange de gauche, surmonté du mot DISTRIBVTIVA punit les coupables et récompense par les honneurs et la gloire ceux qui sont méritants. Ce que fait l’ange de droite, surmonté du mot COMUTATIVA n’est pas bien clair. L’un des deux personnages tient des objets qui pourraient ressembler à des piques, l’autre tient un coffre ou une balle de tissu, et serait peut-être un drapier.

    De la Justice le fil passe à la Concorde, figure féminine assise qui tient un rabot. Tout part de la justice : la concorde dépend d’elle. Le fil est alors pris par un groupe de vingt-quatre personnages, tous de même taille, qui constituent la partie inférieure de la fresque et se dirigent vers sa deuxième partie. En tenant le fil, les vingt quatre personnages sont liés, mais ils ne sont pas attachés. C’est volontairement qu’ils se lient entre eux par le fil de la concorde. Le rabot que tient la Concorde symbolise le nécessaire nivellement des citoyens : les conflits doivent être aplanis. Par opposition, dans le mauvais gouvernement, on a la figure de la Discorde qui tient la scie qui divise les citoyens et les pousse les uns contre les autres. Il est donc clair que la concorde est tout à la fois la condition et l’objectif de la vie commune et celle-ci dépend de la justice.....

     

            Le Prince régnait et gouvernait. Et les Français en étaient heureux. C’est qu’ils voulaient un vrai roi. Au fond cela faisait plus de deux cents ans qu’ils l’attendaient.

            Toutes les réformes avaient été expédiées sans inutiles atermoiements. La fiscalité avait été simplifiée, la justice rapprochée du citoyen, la politique pénale définie avec vigueur et humanité, et les familles avaient retrouvé leur liberté, les patrimoines étaient garantis, l’économie relancée par un encouragement constant à toutes les entreprises, les lois sociales réaménagées dans le souci du bien commun, les territoires restructurés selon l’histoire, la géographie et les liens économiques, les "pays" et les régions étaient devenus des collectivités réelles de plein exercice ; il n’y avait qu’une seule Alsace ainsi que l’avaient décidé les Alsaciens avant même les évènements, une seule Corse, une seule Normandie, une seule Bretagne, un seul Poitou, etc… La représentation qui fut le grand échec de la Révolution et de toutes les républiques à cause du caractère idéologique de la sélection, avait trouvé enfin son principe de réalité par l’incorporation de toutes les représentations sociales, professionnelles, associatives et territoriales.

            Les arts étaient remis à l’honneur. Le Palais des Tuileries avait été reconstruit et dans les jardins sous la façade les petits princes jouaient avec les enfants parisiens.

            Du coup, la France remplissait son rôle dans le monde. Ses armées dont le roi était le chef naturel avaient une place de choix au cœur de la nation. Le rayonnement de la France la resituait au centre des politiques mondiales. Avec un roi de France, l’Union pour la Méditerranée avait trouvé sa vraie raison d’être. La France avait parlé comme il convient au Moyen-Orient. Elle avait en Afrique une influence bienfaisante, loin des trafics et des horreurs qui avaient suivi la décolonisation. L’Europe n’était plus un conglomérat informe de technostructures inhumaines ; elle se reconnaissait avec sagesse dans un héritage et elle se réalisait dans des projets communs selon les affinités et les besoins. Point de totalitarisme économique, financier et politique. Les crises en avaient été naturellement apaisées. 

            Ne restait plus finalement que ce problème sino-américain : une rivalité qui ne cessait de s’exacerber. L’agence de notation La Capétienne était indépendante du roi de France ; mais elle en avait les principes. Et ces principes étaient hautement politiques. Cela se savait. Son intervention n’était point faite pour le plaisir de détruire, mais pour mettre en garde contre des entraînements funestes. Les Chinois eurent la sagesse de le comprendre : Confucius avait en Chine destitué Marx. La paix valait mieux que la guerre.

            Quant aux États-Unis, ils reçurent le roi de France en visite officielle. Il eut un entretien avec le Président et il s’adressa publiquement aux représentants des deux chambres. Il leur parla de Louis XVI, de la fondation des États-Unis, de la liberté des mers et de l’équilibre du monde. Le peuple américain est un peuple qui s’enthousiasme. L’enthousiasme fut tel que sa politique en changea. Enfin suffisamment pour que le monde continue…

            Moralité de ce conte : faisons tout pour avoir un jour une agence de notation à nous qui s’appelle La Capétienne. La France et le monde s’en porteront mieux. Sinon à quoi sert de gémir ? Crions plutôt Noël !  ■ 

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    La deuxième partie de l’allégorie est dominée par une imposante figure royale, dotée d’un sceptre et d’un bouclier. Au-dessus de cette figure, nous avons les allégories des vertus théologales, la foi, la charité et l’espérance, la charité occupant la position la plus élevée puisqu’elle est par excellence la vertu chrétienne : c’est finalement elle qui gouverne toutes les autres. Quittons maintenant le ciel pour descendre sur Terre. Aux côtés de la figure royale siègent les allégories des vertus cardinales, force, tempérance, prudence et justice ; on trouve aussi une allégorie de la paix et une autre de la magnanimité…

    La figure royale n’est pas le Bien Commun aristotélicien mais plutôt une représentation du pouvoir politique lui-même. Majestueuse et puissante, c’est la figure du pouvoir politique souverain, une représentation de la Seigneurie de Sienne ou du Conseil des Neuf lui-même, puisque la fresque était destinée à la salle où il se réunissait. Mais il faut préciser que ce pouvoir souverain n’est pas un pouvoir absolu. Si on lit la fresque de la gauche vers la droite en suivant le sens de la marche des citoyens (ou si on la lit comme un livre), le pouvoir souverain doit sa grandeur au fait qu’il est soumis lui-même à la Justice et aux exigences de la Concorde. La grandeur du pouvoir politique lui vient de ce qu’il est l’incarnation du pouvoir des lois.

    Dans la partie inférieure, on peut voir des hommes en armes qui veillent à la sécurité des citoyens, des prisonniers enchaînés – par opposition aux citoyens honnêtes qui tiennent volontairement le lien de la concorde, et encore des seigneurs qui viennent se soumettre à la Seigneurie siennoise et renoncent à leur pouvoir au profit de celui de la Commune.

  • La révolution copernicienne de l'enseignement, par Jean-François Mattéi (IV/V)

     

    2 La rupture du pacte pédagogique

     

            Dès lors que la tâche de l’école est d’accompagner un double processus vital et social, et non de conduire une action intellectuelle qui vise une tout autre fin, c’est-à-dire l’humanisation de l’homme, le « pathos de la nouveauté » que dénonçait Hannah Arendt dans l’éducation contemporaine prend la forme d’une idéologie de la rupture. Elle ne peut plus reconnaître la vérité de ce que Léo Strauss appelait, dans une lignée kantienne, l’éducation libérale : « L’éducation libérale est une éducation qui cultive ou une éducation qui a pour fin la culture. Le produit fini d’une éducation libérale est un être humain cultivé » (9).

            L’idéologie nouvelle, en rompant délibérément avec l’idée de « fin », dénoue par conséquent, l’un après l’autre, les liens qui unissaient l’enfant à l’école en un même pacte pédagogique :

    a. le lien avec l’élève

            L’enfant n’est plus considéré comme un être à « élever » que le maître devrait hausser progressivement vers les connaissances qui l’ouvriront à son humanité. Réduit à un processus social déterminé par des procédures éducatives, il devient un « apprenant » anonyme dont le statut scolaire lui accorde des droits de type démocratique – même si, théoriquement, il demeure mineur – et lui reconnaît les pouvoirs d’un « usager ». Or, éduquer un enfant, c’est l’élever vers l’homme, ou plutôt le hausser vers la véritable idée de l’homme qu’aucun de nous n’atteint jamais : le sens obvie du mot « élève », en français, est suffisamment clair à cet égard.

            On sait qu’à Rome, le père légitimait son enfant le jour du dies lustricus en le soulevant de terre (tollere filium) et en le tenant dans ses bras ; il marquait par ce geste son intention de l’élever pour en faire un homme. Au-delà de cette reconnaissance symbolique, l’éducation est une élévation d’ordre spirituel vers une fin transcendante, et l’accroissement de connaissance trouve son analogie dans l’accroissement de taille qui fera du petit d’homme ce qu’il nomme spontanément une « grande » personne. Enfin, de même que l’enfant devra devenir grand et assumer sa taille, l’élève devra devenir maître de lui-même et assumer ses connaissances aussi bien que ses actes.



    b. le lien avec le maître

            Le magister, celui qui par définition en sait « plus », magis, est sommé de s’effacer devant l’enfant pour ne pas contrarier sa spontanéité dans son « lieu de vie » compris comme un espace de convivialité. Il se contente d’aider l’« apprenant » en tant qu’animateur du « groupe-classe », sans rien lui imposer, et sans nul souci des remarques de Kant : « L’être inculte est grossier, l’indiscipliné est violent. La négligence de la discipline est un mal plus grand que la négligence de la culture » (10). Il en résulte que le devoir d’éducation impose la présence d’un maître qui forme l’être encore inculte. Rousseau soulignait que le maître ne doit pas proposer à l’élève ce qui est pour lui faisable, argument paresseux qui revient à faire ce que l’on a déjà fait et, par conséquent, à soumettre le droit au fait, mais de lui proposer ce qui est bon.
            On ne peut confondre cette adaptation morale avec l’adaptation sociale ; elle témoigne de la perfectibilité de l’homme dont parlait Rousseau, qui inspirera la dignité de l’humanité dont s’inspirait Kant. Dès lors, le devoir d’éducation légitimé par le discours du maître n’est rien d’autre que la découverte de la nature essentielle de l’homme qui doit le porter plus haut que cette nature elle-même. L’éducation est le principe d’identité de l’humanité qui conquiert son autonomie à travers le dépassement de son animalité. Et parce que le concept d’humanité est générique, l’éducation témoigne d’une exigence proprement universelle.




    c. le lien avec le savoir

            La connaissance n’est plus située au centre du système éducatif pour évoquer la relation de l’homme au monde. C’est désormais l’enfant qui est au « centre » de la scène pédagogique. Là, il règne sans partage, en roitelet de fortune, sans conseiller ni maître. On oublie que l’élève n’est qu’un voyageur passager, privé de bagage initial, alors que l’éducation a pour fin de transmettre un ensemble de connaissances et de principes permanents qui adapteront l’élève au monde édifié par la culture. Montaigne disait dans ses Essais ne pas peindre l’être, mais le passage. Mais on ne saurait enseigner un passager sans le support d’un être qui, lui, ne passe pas : l’école.
            C’est là que l’enfant va s’arracher à sa singularité pour découvrir l’universel et obéir au commandement de Rousseau : « Hommes, soyez humains, c’est votre premier devoir. Soyez-le pour tous les états, pour tous les âges, pour tout ce qui n’est pas étranger à l’homme » (11). Par la seule éducation, l’homme, à lui-même sa propre fin, devient ainsi ce qu’il doit être, et trouve dans la maturation du temps le sens d’une existence tendue vers l’achèvement de ce qui restera à jamais inachevé. Il en résulte que c’est bien « l’homme abstrait », pour Rousseau, ou « l’idée de l’humanité », pour Kant, qui, en tant que modèle idéal de la pédagogie, donne à chacun des hommes réels le sentiment de la dignité humaine, laquelle se manifeste dans l’existence par le mouvement éducatif à travers l’histoire.
     




    d. le lien avec la substance de l’enseignement

            Pour satisfaire le besoin transactionnel de la pédagogie, on a remplacé les fins de la connaissance par des procédures centrées sur des objectifs limités. Le learning by doing de Dewey, compris comme learning by living, avait substitué le « faire » à l’« apprendre » pour mieux éviter le learning by thinking.

            Les conséquences ne se sont pas fait attendre. Dans L’École, mode d’emploi, Philippe Meirieu, directeur de l’Institut National de Recherche Pédagogique en 1998, avançait que ce qui fait « l’efficacité scolaire d’un élève », c’est ce qu’il nommait « sa capacité à stabiliser des procédures dans des processus », expression que l’auteur lui-même trouvait « un peu barbare » (12). Mais l’éducation ne saurait se limiter à des pratiques procédurales ; elle exige des contenus substantiels, c’est-à-dire la visée de fins. Une fin est une idée régulatrice de la raison qui commande l’expérience au lieu de se soumettre à elle. On ne saurait la réduire à un simple objectif, entendons à une réalité limitée qui s’accomplirait en suivant la procédure correcte. Définir l’enseignement par ses objectifs et l’éducation par ses programmes est une attitude pédagogiquement et politiquement correcte, ce n’est pas pour autant une attitude pédagogiquement vraie. La correction est une qualité du comportement qui se ramène aux procédures nécessaires pour résoudre un problème donné ; la vérité n’est pas affaire de procédure, et ne dépend pas d’une adéquation des moyens à un objectif déterminé.
     




    e. le lien avec la fin suprême de l’éducation

            Il s’agit bien de former un homme, et non un individu fonctionnel défini par une série de processus pédagogiques, administratifs ou sociaux. La vérité de la pédagogie, qui tient à la fin qu’elle se propose plus qu’aux moyens qu’elle utilise, ne se réduit pas à ce qui paraît pédagogiquement correct, car la correction n’est en aucun cas la vérité. Kant a suffisamment établi que « l’homme ne peut devenir homme que par l’éducation » car « il n’est rien que ce que l’éducation fait de lui ». Or l’homme, ajoute-t-il, « ne reçoit son éducation que d’autres hommes, éduqués par les mêmes voies » (13), selon un appel vers l’extériorité qui dénonce à l’avance l’indigence du slogan moderne : « l’élève au centre du système éducatif ». Comme l’a souligné Hannah Arendt, en faisant fond sur saint Augustin, l’homme est cet initium qui a été créé pour qu’il commence une action dans le temps en faisant usage de sa volonté. Mais commencer une action, c’est en viser nécessairement le terme et assurer la continuité de la fin et du commencement, ce qui est l’achèvement même de l’éducation. « Avec l’homme créé à l’image de Dieu, est arrivé dans le monde un être qui, du fait qu’il était commencement courant vers une fin, pouvait être doté de capacités de vouloir et de non-vouloir » (14).

            Ces cinq ruptures envers la tradition se ramènent à la thèse absurde d’une éducation concentrée sur l’enfant, et non excentrée sur la connaissance, c’est à- dire à la thèse encore plus absurde d’un enfant qui, pour s’éduquer, devrait se recentrer sur lui-même.

            Pour dissiper cette illusion pédagogiste, il faudrait entreprendre une véritable révolution copernicienne de l’éducation : ce ne sont pas les connaissances objectives qui tournent autour du sujet, mais bien le sujet qui tourne autour des connaissances objectives, lesquelles diffusent alors leurs lumières.
    Bien des pédagogues contemporains se réclament, pour justifier ce prétendu centrage de l’élève sur lui-même, de Rousseau et de Comenius. Mais ils dissimulent soigneusement, chez le premier auteur, l’autorité du maître, incarnée, dans son extériorité absolue, par le pédagogue d’Émile. Certes, la première éducation pour Jean-Jacques doit être purement négative en empêchant le vice et l’erreur de pénétrer dans le coeur et l’esprit de l’enfant. Certes, encore, le maître doit permettre au germe du caractère de l’élève de se montrer en pleine liberté en laissant mûrir l’enfance dans l’enfant.
    Mais devra-t-il laisser aller le mûrissement jusqu’au pourrissement sans jamais lui apporter les soins que l’enfant est incapable d’acquérir seul ?

            Les principes éducatifs comme les expériences que son précepteur impose à Émile
    ne proviennent à aucun moment de l’élève lui-même : ils viennent « de la nature, ou des hommes, ou des choses », c’est-à-dire de « trois sortes de maîtres » (15) étrangers à l’enfant au moment même où il entre en pédagogie. Il en va de l’éducation comme de la vérité. Celle-ci, comme le montre le dialogue entre Socrate et Théétète, ne provient pas du jeune homme ou du maïeuticien qui réussit à l’en délivrer. Le dieu seul en est l’auteur, selon
    Platon, et ce dieu, seul le savoir peut nous orienter vers lui à travers le lent cheminement de la dialectique (16).

     




            Les pédagogues modernes ont, de façon parallèle, occulté les principes pédagogiques fondamentaux de Comenius quand ils prétendaient s’inspirer de lui. Son grand ouvrage, le Labyrinthe du monde et le paradis du coeur, en 1623, établissait que l’homme vit dans le régime de la séparation et de la confusion, sur le mode de l’exil, en ayant perdu tout espoir de retrouver sa ressemblance originelle avec Dieu. Le labyrinthe de l’homme et de l’existence a inversé toutes les perspectives pour aboutir à ce que le philosophe tchèque nommait l’« âme fermée », celle qui a perdu le centrum securitatis, le « centre de la sécurité » qu’est Dieu. L’éducation de Comenius avait alors pour fin, non pas d’instaurer on ne sait quelle égalité sociale, en laissant l’enfant se rapporter à son propre centre sans rien lui imposer, mais de forger cette « âme ouverte » qui est le seul salut de l’homme.

            Éduquer n’est donc pas une fonction sociale, mais bien un devoir sacré qui permet à chaque homme d’accéder par ses efforts à la conjonction de l’humanité, du monde et de Dieu. Il en résulte que l’éducation universelle du penseur tchèque, la Pampedia, était la réalisation des fins dernières qui permet d’élever tous les hommes à l’humanité. Rien ici qui évoque, si peu que ce soit, les libres dispositions d’un sujet dispensé, dans son idiosyncrasie native, de l’ouverture sur l’extériorité naturelle de toute éducation. Pour Comenius, l’enfant à l’origine n’était « rien », sinon « une matière informe et brute » (17)
    qui devra être conduite par le maître vers l’humanité. Tous les hommes avancent ainsi, sous la conduite des autres hommes, pas à pas, gravissant « marche après marche » l’escalier qui permet d’approcher sans jamais pourtant atteindre « l’étape suprême » : l’accession à l’éternité !

            À défaut d’une éternité que la pédagogie moderne a évacuée au profit d’un présent immédiat, l’éducation a pour tâche de permettre à l’homme de s’adapter à la permanence du monde, comme le soulignait Hannah Arendt, et non à la fugacité des élèves ou aux aléas des modes. Elle lui permet ainsi, en sollicitant son esprit critique, de conquérir et d’augmenter son humanité dans la maîtrise des savoirs et des œuvres. Telle est bien, en son sens premier, l’autorité de l’acte éducatifqui a été contestée et mise à mal par des méthodes pédagogiques hors de tout bon sens. L’« auteur », auctor, est étymologiquement celui qui « augmente », qui « pousse à agir » et qui « garantit de son autorité », augere, ceux qui lui sont confiés, lecteurs ou auditeurs.
            La suppression de l’autorit
  • « Ici boire, manger, dormir, argent » : Le Figaro enfonce le clou sur le scandale de l’Ame. Ou : qu’est notre Douce Fran

                Nous en parlions samedi, pour approuver les déclarations de Claude Goasguen, dans Valeurs actuelles....

                Alors que les feuilles de Taxe d'habitation viennent d'arriver, après celles de la Taxe foncière, voilà que Le Figaro publie un article documenté sur cette gabegie, et ce véritable scandale, qu'est devenu l'Ame. Concrètement, sur les détournements d'argent - appelons un chat, un chat... - opérés par des voleurs, qui vivent à nos crochets, pendant que nos taxes et contributions diverses ne cessent d'augmenter.

                L'Etat et les Collectivités locale ne perçoiventt plus des impôts, comme cela est naturel dans toute société bien organisée, mais nous prennent à la gorge. Et pendant ce temps-là, à l'autre bout de la chaîne, des gaspillages insensés sont réalisés avec des fonds publics......

                Il est difficilement supportable par les contribuables que nous sommes tous de lire, en cette période de feuillles d'impôts, cet article de Sophie Roquelle, du 10 octobre, qui confirme ce que l'on savait déjà, ou dont on se doutait un peu......

    Aide médicale d'Etat : ces vérités qui dérangent 

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    La France fait face à un afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et du Caucase. Crédits photo : OLIVIER LABAN-MATTEI/AFP

                Depuis dix ans, les étrangers en situation irrégulière peuvent se faire soigner gratuitement en France grâce à l'Aide médicale d'Etat (AME). Mais le coût du dispositif explose. Afin de comprendre pourquoi, Le Figaro Magazine a enquêté auprès des médecins, des hôpitaux et des pharmaciens. Et fait réagir les associations.

                 Une enquête sur l'Aide médicale d'Etat ? Sauve qui peut ! Dans les ministères, les administrations, les associations humanitaires, la simple évocation de ce dispositif qui permet aux étrangers en situation irrégulière de se faire soigner gratuitement déclenche une poussée d'adrénaline. «Le sujet est explosif ! s'étrangle un haut fonctionnaire qui connaît bien le dossier. Vous voulez vraiment envoyer tout le monde chez Marine Le Pen ?» La ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a pris la mesure de l'hypersensibilité du dossier lorsqu'elle a timidement évoqué devant les parlementaires, en juillet, l'idée de faire acquitter aux bénéficiaires de l'AME une contribution forfaitaire de 15 à 30 euros par an. Les associations ont aussitôt accusé Mme Bachelot de vouloir grappiller quelques euros sur le dos des damnés de la terre.

                Silence gêné à Bercy, où l'on prépare un tour de vis sans précédent sur le train de vie de la nation: «coup de rabot» sur les niches fiscales, suppressions de postes de fonctionnaires, déremboursements de médicaments... Mais toucher à l'AME n'est tout simplement pas prévu au programme de la rigueur. Le projet de budget pour 2011 prévoit même une augmentation de 10 % !

                 Depuis deux ans, la facture de la couverture médicale des sans-papiers s'envole. Son rythme de progression est trois à quatre fois supérieur à celui des dépenses de santé de tout le pays: + 13 % en 2009 (530 millions d'euros pour 210.000 bénéficiaires) et encore + 17 % au début de cette année. De toute évidence, l'enveloppe de 535 millions d'euros prévue en 2010 sera largement dépassée. Pour l'an prochain, ce sont 588 millions d'euros que Bercy a mis de côté pour l'AME. Soit, à peu de chose près, le montant des recettes fiscales que le gouvernement veut récupérer sur les mariés/pacsés/divorcés, ou encore le coût global du bouclier fiscal, qui fait tant couler d'encre.

                Afin d'y voir plus clair, les ministères de la Santé et du Budget ont commandé un nouveau rapport à leurs services d'inspection. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale des finances (IGF) ont déjà planché à deux reprises, en 2003 et en 2007, sur les nombreuses dérives de l'AME et ont émis des recommandations qui ont été partiellement suivies par les pouvoirs publics... des années plus tard. Ainsi, il a fallu attendre cette année pour que les attestations d'AME soient plastifiées et comportent la photo du titulaire.

                Pourquoi tant de gêne ? Echaudé par la séquence «identité nationale» et l'affaire des Roms, le gouvernement n'a visiblement aucune envie d'exacerber le ras-le-bol d'une opinion publique déjà exaspérée par la montée de la délinquance. Inutile non plus d'agiter un nouveau chiffon rouge sous le nez des associations, déjà très énervées par le projet de loi Besson sur l'immigration.

                Ces dernières sont sur le pied de guerre, déterminées à défendre jusqu'au bout l'accès aux soins gratuit et sans restriction des sans-papiers. «Au nom d'une certaine idée de la France», martèle Pierre Henry, le président de France Terre d'asile, mais aussi parce qu'«il s'agit d'une question de santé publique» face à la recrudescence d'épidémies. Excédé qu'«on se serve de quelques cas particuliers pour faire des généralités» et jeter l'opprobre sur l'AME, Pierre Henry réfute toute idée de ticket modérateur: «Quand vous n'avez pas de ressources, chaque centime d'euro compte. Quand vous vivez dans une précarité extrême, il n'y a pas de médecine de confort.» La Cimade, association protestante très active auprès des sans-papiers, somme les pouvoirs publics de ne pas «stigmatiser encore un peu plus les étrangers».

                Il n'empêche, les députés de droite, plusieurs fois lâchés en rase campagne sur l'AME par les gouvernements en place, ont l'intention de revenir à la charge. Au front, comme souvent sur les questions d'immigration, les députés UMP Claude Goasguen et Thierry Mariani n'entendent pas céder au «terrorisme intellectuel autour de ce dossier». A l'occasion de la discussion budgétaire, ces jours-ci, ils veulent ferrailler pour obtenir une «redéfinition des soins» éligibles à l'AME. En clair, réserver le dispositif aux soins d'urgence. «Il y a une vraie exaspération sur le terrain. Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités», préviennent ces deux élus.

                Pour la première fois, les parlementaires pourraient rencontrer le soutien de la communauté médicale. Car médecins, pharmaciens, infirmières et même certains militants associatifs commencent à dénoncer un système sans limite ni contrôle, parfois détourné de son objectif initial, voire carrément fraudé.

                C'est Laurent Lantieri qui, le premier, a mis les pieds dans le plat. Dans un entretien à L'Express publié début septembre, le grand spécialiste français de la greffe du visage a confié son agacement de voir les principes du service public «dévoyés» avec l'AME. «Soigner les étrangers en cas d'urgence ou pour des maladies contagieuses qui pourraient se propager me paraît légitime et nécessaire, prend-il soin de préciser. En revanche, je vois arriver à ma consultation des patients qui abusent du système.» Et de raconter l'histoire de cet Egyptien qui avait eu le doigt coupé bien avant de s'installer en France et demandait «une opération de reconstruction», prétextant qu'il n'avait pas confiance dans la médecine de son pays. «En réalité, poursuit le chirurgien, ce monsieur s'était d'abord rendu en Allemagne, mais il jugeait bien trop élevée la facture qu'on lui avait présentée là-bas. Une fois en France, il avait obtenu l'AME et il estimait avoir droit à l'opération!» Ce que Laurent Lantieri lui refusa.

                Du tourisme médical aux frais du contribuable ? Claudine Blanchet-Bardon n'est pas loin de le penser. Cette éminente spécialiste des maladies génétiques de la peau voit parfois débarquer à sa consultation de l'hôpital Saint-Louis des patients AME venus du bout du monde exprès pour la voir. «Je vais vous dire comment ça se passe, confie-t-elle. Ils tapent le nom de leur maladie sur internet au fin fond de la Chine, tombent sur mon nom parmi d'autres et découvrent qu'en France, ils peuvent se faire soigner gratuitement. Ils arrivent clandestinement ici, restent tranquilles pendant trois mois et débarquent à ma consultation avec leur attestation AME, accompagnés d'un interprète. L'interprète, lui, ils le payent.» Le coût des traitements au long cours de ce type d'affection se chiffre en dizaines de milliers d'euros par an.

                Avec certains pays proches comme l'Algérie, l'affaire est encore plus simple. Un cancérologue raconte, sous le couvert d'anonymat : «Nous avons des patients qui vivent en Algérie et qui ont l'AME. Ils viennent en France régulièrement pour leur traitement, puis repartent chez eux. Ils ne payent que l'avion...»

                De plus en plus de médecins réclament un «véritable contrôle médical lors de l'attribution de l'AME». Ou, au moins, un accord de la Sécu avant d'engager certains soins. Car, à la différence de l'assuré social lambda, le bénéficiaire de l'AME n'a nul besoin d'obtenir une «entente préalable» avant d'engager des soins importants. C'est ainsi que des femmes sans-papiers peuvent faire valoir leurs droits à des traitements d'aide médicale à la procréation. «Pur fantasme!» s'insurgent les associations. «Elles ne sont pas très nombreuses, mais on en voit...» répond une infirmière d'une grande maternité de l'est de Paris, choquée que «la collectivité encourage des femmes vivant dans la clandestinité et la précarité à faire des enfants». Chaque tentative de fécondation in vitro (FIV) coûtant entre 8000 et 10.000 euros, la question mérite effectivement d'être posée.

                Le député Thierry Mariani n'en finit pas de citer cet article paru il y a deux ans et demi dans Libération* qui raconte l'histoire incroyable d'un couple de Camerounais sans-papiers qui voulait un enfant. Monsieur est «séropositif, il a deux autres femmes et sept enfants au Cameroun». Suivi en France pour son sida, il vient de se marier pour la troisième fois, mais sa jeune femme «n'arrive pas à être enceinte» et «s'est installée dans la banlieue parisienne depuis qu'elle a décidé de tenter une FIV. (...) Sans papiers, elle est en attente de l'Aide médicale d'Etat». Les médecins étaient, paraît-il, «perplexes» face à cette demande, mais ils finiront par y accéder.

                A l'heure où les hôpitaux croulent sous les déficits, «cette distribution aveugle de l'AME», selon le mot de Mme Blanchet-Bardon, finit par excéder les praticiens hospitaliers, «coincés entre leur devoir de soignant et les limites de la solidarité nationale».

                Pierre Henry, de France Terre d'asile, balaie les allégations de tricheries : «S'il y a des abus, les premiers coupables sont les médecins.» Mais le corps médical renvoie, lui, vers la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) qui délivre le précieux sésame. «Nous, on est là pour soigner, pas pour vérifier les attestations AME», souligne un médecin urgentiste.

                Le problème est que la CPAM ne fait elle-même qu'appliquer des textes d'une extrême légèreté, les seules conditions requises pour obtenir l'AME étant trois mois de résidence en France et des ressources inférieures à 634 euros par mois. Les demandeurs étant clandestins, le calcul des ressources relève de la fiction. «Nous prenons en compte les ressources au sens large: il s'agit plutôt des moyens de subsistance», explique un travailleur social, qui concède n'avoir aucun moyen de vérifier les dires du demandeur.

                En l'absence de données fiables, la situation des bénéficiaires de l'aide médicale est l'objet de vastes débats. Pour les associations, «l'extrême précarité» des immigrés clandestins justifie pleinement leur prise en charge totale par la solidarité nationale. Une affirmation qui doit être quelque peu nuancée. Selon une enquête réalisée en 2008 par la Direction des études du ministère des Affaires sociales (Drees) auprès des bénéficiaires de l'AME résidant en Ile-de-France, «près de 8hommes et 6femmes sur 10 travaillent ou ont travaillé en France». Il s'agit essentiellement d'emplois dans le bâtiment, la restauration et la manutention pour les hommes, de ménage et de garde d'enfants pour les femmes.

                L'hôpital représente un peu plus des deux tiers des dépenses AME, le solde relevant de la médecine de ville. Très souvent refusés par les praticiens libéraux en secteur II (honoraires libres), ces patients fréquentent assidûment les centres médicaux des grandes villes où toutes les spécialités sont regroupées. «Comme c'est gratuit, ils reviennent souvent», soupire une généraliste qui se souvient encore de la réaction indignée d'une de ses patientes, tout juste régularisée, à qui elle expliquait qu'«elle allait dorénavant payer un peu pour ses médicaments, et que pour (eux) aussi, c'était comme ça...».

                Aucun soignant - ni aucun élu d'ailleurs - ne remet en cause l'existence de l'AME ni sa vocation dans la lutte contre la propagation des épidémies, notamment de la tuberculose, en pleine recrudescence. Dans l'est de Paris, une épidémie de gale qui avait frappé un camp d'exilés afghans l'an dernier a pu être éradiquée efficacement grâce à l'aide médicale. Mais c'est la gratuité généralisée des soins qui choque un nombre croissant de médecins et de pharmaciens.

                Dans cette officine proche d'une gare parisienne, on voit défiler chaque jour une dizaine de clients avec une attestation AME. «Pour la plupart, c'est de la bobologie: aspirine, sirop...» raconte la pharmacienne, qui vérifie avec soin les documents présentés. «La paperasserie, c'est l'horreur. Les attestations papier sont tellement faciles à falsifier.» Parfois, la clientèle AME est plus nombreuse, comme dans ce quartier du Xe arrondissement de Paris où les bobos cohabitent avec une forte population immigrée. «Sur 60ordonnances par jour, je fais une vingtaine d'AME», raconte la gérante d'une pharmacie. Dans le lot figurent presque à chaque fois deux ou trois trithérapies (traitements anti-sida) et autant de Subutex (traitement de substitution à l'héroïne). «Le reste, poursuit-elle, ce sont généralement des traitements pour les petites maladies des enfants, des gouttes, des vitamines, car nous avons une forte communauté asiatique dans le quartier.»

                Les pharmaciens sont particulièrement vigilants sur le Subutex, objet de tous les trafics. Même si la Sécu veille au grain, il est bien difficile d'empêcher un patient muni de son ordonnance de faire la tournée des pharmacies pour se fournir en Subutex avant de le revendre. Le tout sans débourser un euro. Il y a deux ans, un vaste trafic de Subutex, via l'AME, a été démantelé entre la France et la Géorgie. «L'AME, c'est une pompe aspirante», insiste un autre pharmacien, las de distribuer toute la journée gratuitement des médicaments de confort et des traitements coûteux à «des gens qui n'ont en principe pas de papiers en France, alors que les petites dames âgées du quartier n'arrivent pas à se soigner».

                Sur le terrain, l'explosion des dépenses a été ressentie par tous. Et chacun a son explication. Pour les associations, c'est le résultat de la politique anti-immigration du gouvernement. Le durcissement du droit d'asile aurait rejeté dans la clandestinité un nombre plus élevé d'exilés. En outre, les sans-papiers, craignant plus que jamais d'être interpellés, attendraient la dernière minute pour aller se faire soigner. «De plus en plus de patients arrivent chez nous dans un état de santé extrêmement délabré», souligne-t-on à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), dont les 45 établissements ont vu leur facture AME grimper de 16 % l'an dernier (à plus de 113 millions d'euros). Des soins plus complexes et des durées de séjour plus longues font flamber les coûts.

                Les travailleurs sociaux ont aussi noté depuis le printemps 2009 un afflux d'immigrants d'Europe de l'Est et de l'ex-Union soviétique: des Roumains et des Bulgares (souvent des Roms), mais aussi des Tchétchènes, des Kirghiz, des Géorgiens, et même des Russes. Les associations sont débordées par ces arrivées de familles entières. «On ne va pas pouvoir accueillir tout le monde», soupire Geneviève, permanente dans un centre d'accueil pour étrangers, qui se souvient d'un Roumain arrivé en France il y a peu, avec pour seul bagage un petit bout de papier sur lequel son passeur avait écrit: «Ici boire manger dormir argent.»

    * Libération du 24 janvier 2008.

  • Périco Légasse : « Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent »

     

    En pleine crise agricole et à moins d'une semaine du Salon de l'Agriculture, Périco Légasse revient sur les dégâts causés par la Commission européenne, la FNSEA et la spéculation boursière à une filière jadis reine en France.  [Entretien dans Figarovox du 19.02]. Pour lui, cette crise est le résultat d'une dérive productiviste qui met en danger notre identité nationale. Ainsi, on commence à se rendre compte que le problème agricole français n'est pas seulement économique ou financier et ne se réduit pas à une affaire de management. Il est avant tout identitaire et civilisationnel. Périco Légasse apporte au moins ici sa pierre à un débat de fond qui concerne au sens plein notre nation. Sauvegarder l'identité française, ce n'est pas seulement la préserver, par exemple, des migrants, mais aussi des maladies de la postmodernité.  LFAR

     

    La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques ?

    Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes ? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.

    N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même : on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle ? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée ?

    Personne n'a donc vu venir le danger ? C'est étonnant...

    Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.

    La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites ?

    De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. « Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons » … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.

    L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer ?

    Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.

    Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois ? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties ? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés ? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs ? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution ? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert ? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.

    Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame ?

    Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident ? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.

    Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre ?

    On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire « Voici mon œuvre » est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.

    Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse ?

    Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!

    Et en projetant un peu plus loin ?

    De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet « classes du goût », créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer.  

    Périco Légasse est rédacteur en chef de la rubrique vin et gastronomie à l'hebdomadaire Marianne.

    picture-2540921-61yhv5dr.jpgEntretien par

    Journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Twitter : @AlexDevecchio

  • « Le maurrassisme la pire des insultes à l'encontre de l'Eglise catholique » ? Lisez donc Maurras, Tillinac !

     

    Maurras s'explique ici, avec une hauteur et une ampleur de vue qui devrait faire rougir de honte l'auteur de l'accusation reprise en titre*. Il s'explique sur le grand respect, la sourde tendresse, la profonde affection qu'il voue - et avec lui toute l'Action française, croyants ou non - à la religion catholique. En ce temps là comme au nôtre, cet attachement - rendu pourtant parfois fort difficile par tels des revirements, des évolutions, ou des prises de position de l'Eglise - a toujours fait l'objet d'une sorte de critique catholique - venue de milieux bien déterminés - suspectant sa sincérité ou ses motivations supposées. Cette même mouvance s'employait par ailleurs, à combattre simultanément tout ce qui, dans l'Eglise pouvait relever de la Tradition. Nous n'ajouterons pas à la longueur de ce superbe texte. Il sera l'un de nos grands textesLafautearousseau

    * Denis Tillinac - Famille chrétienne, 28.04.2016

     

    I

    maurras_democratie_religieuse_1978_vignette.pngOn se trompe souvent sur le sens et sur la nature des raisons pour lesquelles certains esprits irréligieux ou sans croyance religieuse ont voué au Catholicisme un grand respect mêlé d'une sourde tendresse et d'une profonde affection. — C'est de la politique, dit-on souvent. Et l'on ajoute : — Simple goût de l'autorité. On poursuit quelquefois : — Vous désirez une religion pour le peuple… Sans souscrire à d'aussi sommaires inepties, les plus modérés se souviennent d'un propos de M. Brunetière : « L'Église catholique est un gouvernement », et concluent : vous aimez ce gouvernement fort.

    Tout cela est frivole, pour ne pas dire plus. Quelque étendue que l'on accorde au terme de gouvernement, en quelque sens extrême qu'on le reçoive, il sera toujours débordé par la plénitude du grand être moral auquel s'élève la pensée quand la bouche prononce le nom de l'Église de Rome. Elle est sans doute un gouvernement, elle est aussi mille autres choses. Le vieillard en vêtements blancs qui siège au sommet du système catholique peut ressembler aux princes du sceptre et de l'épée quand il tranche et sépare, quand il rejette ou qu'il fulmine ; mais la plupart du temps son autorité participe de la fonction pacifique du chef de chœur quand il bat la mesure d'un chant que ses choristes conçoivent comme lui, en même temps que lui. La règle extérieure n'épuise pas la notion du Catholicisme, et c'est lui qui passe infiniment cette règle. Mais où la règle cesse, l'harmonie est loin de cesser. Elle s'amplifie au contraire. Sans consister toujours en une obédience, le Catholicisme est partout un ordre. C'est à la notion la plus générale de l'ordre que cette essence religieuse correspond pour ses admirateurs du dehors.

    image.jpgIl ne faut donc pas s'arrêter à la seule hiérarchie visible des personnes et des fonctions. Ces gradins successifs sur lesquels s'échelonne la majestueuse série des juridictions font déjà pressentir les distinctions et les classements que le Catholicisme a su introduire ou raffermir dans la vie de l'esprit et l'intelligence du monde. Les constantes maximes qui distribuent les rangs dans sa propre organisation se retrouvent dans la rigueur des choix critiques, des préférences raisonnées que la logique de son dogme suggère aux plus libres fidèles. Tout ce que pense l'homme reçoit, du jugement et du sentiment de l'Église, place proportionnelle au degré d'importance, d'utilité ou de bonté. Le nombre de ces désignations électives est trop élevé, leur qualification est trop minutieuse, motivée trop subtilement, pour qu'il ne semble pas toujours assez facile d'y contester, avec une apparence de raison, quelque point de détail. Où l'Église prend sa revanche, où tous ses avantages reconquièrent leur force, c'est lorsqu'on en revient à considérer les ensembles. Rien au monde n'est comparable à ce corps de principes si généraux, de coutumes si souples, soumis à la même pensée, et tel enfin que ceux qui consentirent à l'admettre n'ont jamais pu se plaindre sérieusement d'avoir erré par ignorance et faute de savoir au juste ce qu'ils devaient. La conscience humaine, dont le plus grand malheur est peut-être l'incertitude, salue ici le temple des définitions du devoir.

    Cet ordre intellectuel n'a rien de stérile. Ses bienfaits rejoignent la vie pratique. Son génie prévoyant guide et soutient la volonté, l'ayant pressentie avant l'acte, dès l'intention en germe, et même au premier jet naissant du vœu et du désir. Par d'insinuantes manœuvres ou des exercices violents répétés d'âge en âge pour assouplir ou pour dompter, la vie morale est prise à sa source, captée, orientée et même conduite, comme par la main d'un artiste supérieur.

    Pareille discipline des puissances du cœur doit descendre au delà du cœur. Quiconque se prévaut de l'origine catholique en a gardé un corps ondoyé et trempé d'habitudes profondes qui sont symbolisées par l'action de l'encens, du sel ou du chrême sacrés, mais qui déterminent des influences et des modifications radicales. De là est née cette sensibilité catholique, la plus étendue et la plus vibrante du monde moderne, parce qu'elle provient de l'idée d'un ordre imposé à tout. Qui dit ordre dit accumulation et distribution de richesses : moralement, réserve de puissance et de sympathie.

    II

    On pourrait expliquer l'insigne merveille de la sensibilité catholique par les seules vertus d'une prédication de fraternité et d'amour, si la fraternité et l'amour n'avaient produit des résultats assez contraires quand on les a prêchés hors du catholicisme. N'oublions pas que plus d'une fois dans l'histoire il arriva de proposer « la fraternité ou la mort » et que le catholicisme a toujours imposé la fraternité sans l'armer de la plus légère menace : lorsqu'il s'est montré rigoureux ou sévère jusqu'à la mort, c'est de justice ou de salut social qu'il s'est prévalu, non d'amour. Le trait le plus marquant de la prédication catholique est d'avoir préservé la philanthropie de ses propres vertiges, et défendu l'amour contre la logique de son excès. Dans l'intérêt d'une passion qui tend bien au sublime, mais dont la nature est aussi de s'aigrir et de se tourner en haine aussitôt qu'on lui permet d'être la maîtresse, le catholicisme a forgé à l'amour les plus nobles freins, sans l'altérer ni l'opprimer.

    Par une opération comparable aux chefs-d'œuvre de la plus haute poésie, les sentiments furent pliés aux divisions et aux nombres de la Pensée ; ce qui était aveugle en reçut des yeux vigilants ; le cœur humain, qui est aussi prompt aux artifices du sophisme qu'à la brutalité du simple état sauvage, se trouva redressé en même temps qu'éclairé.

    Un pareil travail d'ennoblissement opéré sur l'âme sensible par l'âme raisonnable était d'une nécessité d'autant plus vive que la puissance de sentir semble avoir redoublé depuis l'ère moderne. « Dieu est tout amour », disait-on. Que serait devenu le monde si, retournant les termes de ce principe, on eût tiré de là que « tout amour est Dieu » ? Bien des âmes que la tendresse de l'évangile touche, inclinent à la flatteuse erreur de ce panthéisme qui, égalisant tous les actes, confondant tous les êtres, légitime et avilit tout. Si elle eût triomphé, un peu de temps aurait suffi pour détruire l'épargne des plus belles générations de l'humanité. Mais elle a été combattue par l'enseignement et l'éducation que donnait l'Église : — Tout amour n'est pas Dieu, tout amour est « DE DIEU ». Les croyants durent formuler, sous peine de retranchement, cette distinction vénérable, qui sauve encore l'Occident de ceux que Macaulay 2 appelle les barbares d'en bas.

    Aux plus beaux mouvements de l'âme, l'Église répéta comme un dogme de foi : « Vous n'êtes pas des dieux ». À la plus belle âme elle-même : « Vous n'êtes pas un Dieu non plus ». En rappelant le membre à la notion du corps, la partie à l'idée et à l'observance du tout, les avis de l'Église éloignèrent l'individu de l'autel qu'un fol amour-propre lui proposait tout bas de s'édifier à lui-même ; ils lui représentèrent combien d'êtres et d'hommes, existant près de lui, méritaient d'être considérés avec lui : — n'étant pas seul au monde, tu ne fais pas la loi du monde, ni seulement ta propre loi. Ce sage et dur rappel à la vue des choses réelles ne fut tant écouté que parce qu'il venait de l'Église même. La meilleure amie de chaque homme, la bienfaitrice commune du genre humain, sans cesse inclinée sur les âmes pour les cultiver, les polir et les perfectionner, pouvait leur interdire de se choisir pour centre.

    Elle leur montrait ce point dangereux de tous les progrès obtenus ou désirés par elle. L'apothéose de l'individu abstrait se trouvait ainsi réprouvée par l'institution la plus secourable à tout individu vivant. L'individualisme était exclu au nom du plus large amour des personnes, et ceux-là mêmes qu'entre tous les hommes elle appelait, avec une dilection profonde, les humbles, recevaient d'elle un traitement de privilège, à la condition très précise de ne point tirer de leur humilité un orgueil, ni de la sujétion le principe de la révolte.


    La douce main qu'elle leur tend n'est point destinée à leur bander les yeux. Elle peut s'efforcer de corriger l'effet d'une vérité âpre. Elle ne cherche pas à la nier ni à la remplacer par de vides fictions. Ce qui est : voilà le principe de toute charitable sagesse. On peut désirer autre chose. Il faut d'abord savoir cela. Puisque le système du monde veut que les plus sérieuses garanties de tous les « droits des humbles » ou leurs plus sûres chances de bien et de salut soient liées au salut et au bien des puissants, l'Église n'encombre pas cette vérité de contestations superflues. S'il y a des puissants féroces, elle les adoucit, pour que le bien de la puissance qui est en eux donne tous ses fruits ; s'ils sont bons, elle fortifie leur autorité en l'utilisant pour ses vues, loin d'en relâcher la précieuse consistance. Il faudrait se conduire tout autrement si notre univers était construit d'autre sorte et si l'on pouvait y obtenir des progrès d'une autre façon. Mais tel est l'ordre. Il faut le connaître si l'on veut utiliser un seul de ses éléments. Se conformer à l'ordre abrège et facilite l'œuvre. Contredire ou discuter l'ordre est perdre son temps. Le catholicisme n'a jamais usé ses puissances contre des statuts éternels ; il a renouvelé la face de la terre par un effort d'enthousiasme soutenu et mis en valeur au moyen d'un parfait bon sens. Les réformateurs radicaux et les amateurs de révolution n'ont pas manqué de lui conseiller une autre conduite, en le raillant amèrement de tant de précautions. Mais il les a tranquillement excommuniés un par un.

    III

    L'Église catholique, l'Église de l'Ordre, c'étaient pour beaucoup d'entre nous deux termes si évidemment synonymes qu'il arrivait de dire : « un livre catholique » pour désigner un beau livre, classique, composé en conformité avec la raison universelle et la coutume séculaire du monde civilisé ; au lieu qu'un « livre protestant » nous désignait tout au contraire des sauvageons sans race, dont les auteurs, non dépourvus de tout génie personnel, apparaissaient des révoltés ou des incultes. Un peu de réflexion nous avait aisément délivrés des contradictions possibles établies par l'histoire et la philosophie romantiques entre le catholicisme du Moyen-Âge et celui de la Renaissance. Nous cessions d'opposer ces deux périodes, ne pouvant raisonnablement reconnaître de différences bien profondes entre le génie religieux qui s'était montré accueillant pour Aristote et pour Virgile et celui qui reçut un peu plus tard, dans une mesure à peine plus forte, les influences d'Homère et de Phidias. Nous admirions quelle inimitié ardente, austère, implacable, ont montrée aux œuvres de l'art et aux signes de la beauté les plus résolus ennemis de l'organisation catholique. Luther est iconoclaste comme Tolstoï, comme Rousseau. Leur commun rêve est de briser les formes et de diviser les esprits. C'est un rêve anti-catholique. Au contraire, le rêve d'assembler et de composer, la volonté de réunir, sans être des aspirations nécessairement catholiques, sont nécessairement les amis du catholicisme. À tous les points de vue, dans tous les domaines et sous tous les rapports, ce qui construit est pour, ce qui détruit est contre ; quel esprit noble ou quel esprit juste peut hésiter ?

    Chez quelques-uns, que je connais, on n'hésita guère. Plus encore que par sa structure extérieure, d'ailleurs admirable, plus que par ses vertus politiques, d'ailleurs infiniment précieuses, le catholicisme faisait leur admiration pour sa nature intime, pour son esprit. Mais ce n'était pas l'offenser que de l'avoir considéré aussi comme l'arche du salut des sociétés. S'il inspire le respect de la propriété ou le culte de l'autorité paternelle ou l'amour de la concorde publique, comment ceux qui ont songé particulièrement à l'utilité de ces biens seraient-ils blâmables d'en avoir témoigné gratitude au catholicisme ? Il y a presque du courage à louer aujourd'hui une doctrine religieuse qui affaiblit la révolution et resserre le lien de discipline et de concorde publique, je l'avouerai sans embarras. Dans un milieu de politiques positivistes que je connais bien, c'est d'un Êtes vous catholiques ? que l'on a toujours salué les nouveaux arrivants qui témoignaient de quelque sentiment religieux. Une profession catholique rassurait instantanément et, bien qu'on n'ait jamais exclu personne pour ses croyances, la pleine confiance, l'entente parfaite n'a jamais existé qu'à titre exceptionnel hors de cette condition.

    La raison en est simple en effet, dès qu'on s'en tient à ce point de vue social. Le croyant qui n'est pas catholique dissimule dans les replis inaccessibles du for intérieur un monde obscur et vague de pensées ou de volontés que la moindre ébullition, morale ou immorale, peut lui présenter aisément comme la voix, l'inspiration et l'opération de Dieu même.

    Aucun contrôle extérieur de ce qui est ainsi cru le bien et le mal absolus. Point de juge, point de conseil à opposer au jugement et au conseil de ce divin arbitre intérieur. Les plus malfaisantes erreurs peuvent être affectées et multipliées, de ce fait, par un infini. Effrénée comme une passion et consacrée comme une idole, cette conscience privée peut se déclarer, s'il lui plaît, pour peu que l'illusion s'en mêle, maîtresse d'elle-même et loi plénière de tout : ce métaphysique instrument de révolte n'est pas un élément sociable, on en conviendra, mais un caprice et un mystère toujours menaçant pour autrui.

    Le-pape-Francois-inaugure-le-debut-de-l-Annee-sainte (1).jpgIl faut définir les lois de la conscience pour poser la question des rapports de l'homme et de la société ; pour la résoudre, il faut constituer des autorités vivantes chargées d'interpréter les cas conformément aux lois. Ces deux conditions ne se trouvent réunies que dans le catholicisme. Là et là seulement, l'homme obtient ses garanties, mais la société conserve les siennes : l'homme n'ignore pas à quel tribunal ouvrir son cœur sur un scrupule ou se plaindre d'un froissement, et la société trouve devant elle un grand corps, une société complète avec qui régler les litiges survenus entre deux juridictions semblablement quoique inégalement compétentes. L'Église incarne, représente l'homme intérieur tout entier ; l'unité des personnes est rassemblée magiquement dans son unité organique. L'État, un lui aussi, peut conférer, traiter, discuter et négocier avec elle. Que peut-il c

  • DEBATS • Abdennour Bidar et Fabrice Hadjadj : le christianisme, l'islam et la laïcité française

     

    Tous deux philosophes et écrivains, Abdennour Bidar et Fabrice Hadjadj nourrissent une réflexion approfondie sur les rapports entre les deux principales religions en France. Un échange vigoureux et profond pour Figarovox. Les religions se sont largement invitées sur tous les terrains politiques en France et dans le monde. Ainsi, le débat Abdennour Bidar - Fabrice Hadjadj peut ouvrir une discussion parmi les lecteurs de Lafautearousseau. On ne manquera pas d'y relever les passages qui constituent une remise en cause somme toute radicale des valeurs de la République.   

    Abdennour Bidar* a appris l'islam par sa mère, auvergnate convertie au soufisme, tandis que Fabrice Hadjadj se présente comme « Juif de nom arabe et de confession catholique ». Le premier veut croire à l'émergence d'un islam éclairé compatible avec les sociétés occidentales. Le second considère qu'une laïcité qui ne serait que le paravent d'un relativisme absolu débouchera forcément sur le choc des civilisations.

     

    Le vrai problème de la France, est-ce l'islam radical ou l'islamophobie ?

    Abdennour BIDAR. - On peut parler en France d'un islam radical qui revêt plusieurs formes, dont la plus inquiétante ces derniers temps est celle du djihado-terrorisme, et celle, plus répandue, d'un néo-conservatisme. Ce dernier revendique un certain nombre de pratiques religieuses qui, sans être interdites ni toujours contradictoires avec la laïcité, deviennent problématiques quand elles s'exercent sur un mode provocateur, agressif, intransigeant.

    Sans hystériser le sujet, reconnaissons qu'il y a bien en France une question de l'islam, faute d'une démonstration convaincante, à travers une évolution suffisante de la culture islamique, de sa compatibilité avec les valeurs de la République.

    Quant à l'islamophobie, je ne crois pas à un rejet généralisé de l'islam. Mais le développement de l'islam radical en France crée un climat d'inquiétude qui engendre ou attise chez certains la suspicion, l'inquiétude, voire le rejet et des actes antimusulmans. On est alors face à deux radicalités qui s'alimentent.

    Fabrice HADJADJ. - Comme vous, je reconnais le danger de l'islamisme et de l'islamophobie, qui s'excitent l'un l'autre. Mais mon alignement s'arrête là. Je crois qu'il faut cesser de se polariser sur l'islam. Le vrai problème de la France, aujourd'hui, c'est la France. Qu'y a-t-il à défendre derrière cette bannière ?

    Vous voulez parler des fameuses valeurs de la République ?

    F. H. - La République s'est développée sur le refus, en grande partie, de son passé tant royal que catholique. Elle a inventé un récit national fondé sur un progressisme qui désormais, fort de la technologie, devrait conduire vers l'avenir radieux des cyborgs… Persuadée de porter les valeurs de la civilisation, la République s'est aussi autorisée à coloniser certains pays. Le problème, c'est qu'aujourd'hui tout ce modèle s'est effondré: on est sorti du progressisme, de l'humanisme, et, Dieu merci, de la logique coloniale. Ce qui reste, c'est l'autoflagellation de notre passé impérial, un laïcisme démesuré et, du fait du règne de l'expertise et de la consommation, notre incapacité à porter une espérance nationale. Le signe de cette incapacité, c'est la dénatalité. Aussi bien Raymond Aron que Michel Rocard insistaient sur le «suicide démographique» de la France.

    Pour parer à cela, on fait appel à l'immigration. Le danger n'est pas dans l'immigration en tant que telle mais dans ce que nous proposons aux nouveaux venus pour les intégrer. Le supermarché techno-libéral ne suffit pas pour insuffler l'élan d'une aventure historique. Or c'est cela que les jeunes attendent. Non pas de devenir «modérés», mais d'entrer dans une vraie radicalité (ce mot renvoie aux racines, lesquelles ne sont pas pour elles-mêmes, mais pour les fleurs, les fruits et les oiseaux). Ils ont envie d'héroïsme. Mais les actuelles «valeurs d'échange» de la République ne proposent rien de cela, et ce vide nourrit le terrorisme aussi bien que la xénophobie. Aujourd'hui, nous devons repenser à la France et à l'essence de la République en les mettant en perspective dans une histoire et un héritage qui portent sa radicalité judéo-chrétienne, de sainte Geneviève à de Gaulle, ou de Jeanne d'Arc à Bernard Lazare.

    A. B. - Une remarque: attention au terme de «radicalité» dont il est très hasardeux de vouloir se servir «positivement». Dans mon dernier livre, je vous rejoins en soulignant que l'islam agit comme un puissant révélateur de notre propre désarroi de civilisation, ici en Occident. Mais je maintiens que nous avons deux systèmes de valeurs profondément en crise. En face de la sacralité essoufflée des idéaux républicains français et des idéaux de la modernité occidentale, il y a, du côté de certains musulmans, trop nombreux, un sacré fossilisé pour lequel la religion est un totem intouchable. Cette représentation anhistorique, inadaptable, de l'islam va à l'encontre du sens historique de la modernité. L'islam n'a pas actuellement le moteur culturel nécessaire pour être une fabrique de civilisation. Aussi, dire, comme certains le disent, que les musulmans ont «déjà gagné» me paraît faux. Pour gagner, il faut un système de valeurs en bon état, sinon prêt à l'emploi.

    Pour se moderniser, l'islam doit-il prendre des distances par rapport à son passé ?

    A. B. - Face aux épisodes passés de la colonisation et de l'impérialisme occidental, l'islam en est trop longtemps resté à une posture de réaction et de repli sur soi. Nous devons lui demander bien plus aujourd'hui, en matière d'autocritique, pour qu'il entre dans une période de transition.

    F. H. - Je ne peux pas laisser dire cela. C'est l'islam qui dès le départ s'est propagé à travers l'expansion guerrière en Afrique du Nord, en Espagne… Mahomet fait des guerres, des razzias, le Christ n'en fait pas. C'est pour cela d'ailleurs que les guerres faites au nom de la Croix sont bien plus graves que celles faites au nom du Croissant.

    A. B.- Ne faisons pas de l'objet historique de l'islam une entité métaphysique. L'islam n'est pas par essence conquérant, guerrier ou incompatible avec ceci ou cela. Certes, le mot «islam» est réputé signifier soumission à Dieu, mais il est aussi de même racine que le mot arabe qui veut dire paix. Une religion peut évoluer, en enfantant par exemple, à l'image du christianisme, une civilisation de la sécularisation, de la liberté de conscience compatible avec la vie spirituelle. Certains pays musulmans ont tenté de se transformer ainsi lors des printemps arabes.

    F. H. - Vous voyez l'histoire comme une nécessaire sortie de la religion. Quitte à me répéter, le sens de l'histoire est, selon moi, à l'opposé du modernisme qui croit pouvoir faire «du passé table rase». L'invention de l'histoire se fait dans la tradition, la nouveauté prenant corps à partir d'un héritage. L'islam ne doit pas refuser son historicité. Or, dans son principe, il s'oppose à un aspect très profond du judéo-christianisme qui est la notion de révélation progressive. Le génie juif est de dire que la révélation de Dieu s'opère à travers des événements historiques, non en se détachant de la chair et du temps, mais en y descendant profondément. Ainsi insiste-t-on dans la Bible et les Évangiles sur les événements, les généalogies, les noms propres. Cela n'existe pas dans le Coran, qui tend à court-circuiter l'histoire de la Révélation. Pour preuve: Marie, mère de Jésus, y est confondue avec la sœur d'Aaron et de Moïse.

    Mohammed ne prétend pas venir après et assumer tout l'héritage précédent. Il affirme restaurer la religion adamique, et donc sauter par-dessus les siècles vers une origine anhistorique. C'est pourquoi le Coran rejette les Écritures juives et chrétiennes comme étant falsifiées (aussi la Bible est-elle interdite dans la plupart des pays musulmans). C'est un rapport pour le moins curieux à l'histoire.

    Dans les religions juive et chrétienne, il y a dès le départ un rapport critique à l'observance religieuse. Chez les juifs, comme vous le savez, il y a une primauté de l'interprétation. Et, chez les chrétiens, à partir d'une critique des docteurs de la Loi, une primauté de la charité. L'Église catholique affirme en conséquence le développement du dogme, la multiplicité des sens de l'Écriture, le travail de la raison, d'où viennent les très catholiques Rabelais, Montaigne, Descartes, Pascal…

    La seule manière de restaurer le sens de l'histoire en France est d'admettre l'origine de notre foi en l'histoire, et donc d'affirmer la primauté culturelle du judéo-christianisme. Ou plus précisément que la France s'est constituée à travers des racines gréco-latines et des ailes juives et chrétiennes.

    Abdennour Bidar, vous voulez sans doute répondre à ces attaques…

    A. B. - Hors du judéo-christianisme, point de salut donc! Quel impérialisme absolument inaudible! Au moment où toutes les civilisations du monde se rencontrent, et cherchent de l'universel partageable, construit ensemble, je vous souhaite bon courage pour aller convaincre les musulmans mais aussi les Chinois et les Indiens que seuls le judaïsme et le christianisme ont un sens de l'histoire !

    Sur le fond, je ne peux que réagir. Certes, le Coran contient, et je le déplore, des versets extrêmement violents et problématiques qui continuent aujourd'hui à nous empoisonner. Mais il existe des musulmans capables de prendre leurs distances vis-à-vis de ces versets, de refuser qu'ils servent de prétexte à la violence ou à une prétendue «guerre sainte» et de réclamer plus généralement un droit d'interprétation des textes.

    F. H. - Ils sont très minoritaires.

    A. B. - Je vous rassure, ils sont plus nombreux que vous semblez le penser. Et l'islam a une histoire. J'en veux pour preuve le schisme entre les chiites et les sunnites, la diversité des écoles et les batailles ou échanges continuels avec les différents bassins de civilisation. Il existe aussi dans l'islam un certain nombre de grands noms, comme Ibn Khaldoun, qui ont posé de façon très précoce les fondements de la science historique et qui ont influencé un grand nombre de penseurs d'autres civilisations.

    Un mot, enfin, sur la généalogie. Étant des trois monothéismes la dernière religion révélée, l'islam reconnaît que nous sommes tous les fils d'Abraham.

    Comment articuler laïcité, racines chrétiennes de la France et fraternité ?

    F. H. - Vous ne pouvez ignorer que ce truc des «fils d'Abraham» est un passe-passe nominal, puisque l'Abraham dont parle le Coran n'a pas la même histoire que celui de la Bible, et qu'on y substitue Ismaël à Israël… Mais soit. Revenons sur les conditions d'un vrai dialogue. Sans entrer dans la logique du choc des civilisations, je mets en garde contre les risques du relativisme. Soit chacun rentre dans sa bulle, soit, puisqu'il n'y a plus de vérité, ce n'est pas le plus sage, mais le plus séduisant, le plus habile, le plus menaçant ou le plus argenté qui l'emporte. L'enjeu n'est pas la modération mais la reconnaissance envers cette vérité de l'histoire apportée par l'héritage chrétien de la laïcité. Aussi, la France, dans le rapport aux religions, ne peut pas traiter avec équivalence ce qui relève de sa propre ascendance - et de la production de la laïcité même - et ce qui n'est pas du même lieu de civilisation. Vous savez très bien qu'une fleur coupée de ses racines et mise dans un vase est très jolie, mais, lorsqu'elle fane, elle commence à sentir mauvais. C'est le sort actuellement en France d'une laïcité coupée de ses racines.

    Quant à la notion de fraternité mise à la fin de la devise républicaine, je dirais comme Régis Debray qu'elle a été largement occultée. Après avoir reproché au roi son paternalisme, la République a cherché à inventer une société de frères sans père, et elle n'a réussi qu'à fabriquer des individus sans patrie.

    Les religions chrétienne et musulmane en France sont-elles alors vouées à s'ignorer ?

    A. B. - Je suis d'accord pour reconnaître l'héritage judéo-chrétien, évidemment, mais il faut aller plus loin en intégrant l'islam. Certes, l'islam vient d'une autre civilisation, mais il convient de reconnaître la valeur de l'altérité.

    Or notre différence, semble-t-il, est que j'ai confiance en vous, en nous tous, avec votre culture et avec la mienne. Je voudrais qu'il en soit de même pour vous à l'égard des musulmans. L'importance de la population musulmane en France nous fait un devoir de nous entendre.

    C'est pour cela que je plaide pour la fraternité. La laïcité, qui à la base avait le génie de rassembler, est devenue un facteur de division, et je le déplore. Par contre, j'estime que la fraternité a encore, elle, une virginité qui pourrait conduire au ressaisissement collectif dont la France a bien besoin.

    Nous y travaillons au ministère de l'Éducation nationale, avec la mise en place d'un nouvel enseignement moral et civique qui remettra dans la culture commune un certain nombre d'héritages humanistes - comme la fraternité - qui se retrouvent tant dans le judaïsme, le christianisme que dans l'islam.

    Cette responsabilisation de la société civile ne relève évidemment pas seulement de l'État. Elle doit se faire dans toutes les sphères, et en priorité familiales. Que dit-on dans les familles musulmanes du petit juif? Et vice versa ?

    En outre, j'ai déjà exprimé mon jugement très sévère à l'égard du Conseil français du culte musulman (CFCM), dont l'appellation elle-même invite à s'interroger. Pourquoi considérer que la population musulmane en France est obligatoirement liée à l'islam par le culte? C'est nier, aujourd'hui, la diversité profonde de la culture musulmane, qui regroupe à la fois des personnes attachées aux cultes, d'autres moins et des non-croyants.

    Je sais que mes propos, comme les vôtres, peuvent être un peu durs à entendre, mais il est de notre devoir de se solidariser tous pour que la balance penche du bon côté. La grâce et le génie de la situation actuelle, c'est que nous sommes tous dans la même galère, de réinventer ensemble un humanisme partageable, avec tous nos héritages sacrés et profanes.   

    * Dernier ouvrage  d'Abdennour Bidar: Plaidoyer pour la fraternité, Albin Michel, 2015 ; de Fabrice Hadjadj: Puisque tout est en voie de destruction. Réflexions sur la fin de la culture et de la modernité, Le Passeur, 2014.

    Entretien par Marie-Laetitia Bonavita

  • Qui sera le Prince ? La réponse de Pierre Boutang

     

    Pierre Boutang revient ici, sur L'Avenir de l'Intelligence, qu'il appelle « cet immense petit livre », publié par Maurras en 1905. L'actualité - le monde, la société postmodernes - nous y ramène, comme elle y ramenait Boutang en 1952. 

    Maurras y oppose - un peu à la manière des tragédies de la Grèce antique - deux personnages ou entités allégoriques, engagés dans une lutte à mort : l'Or, c'est-à-dire les puissances d'Argent, les forces du matériel rendues abstraites, et le Sang, c'est-à-dire l'ensemble des forces de la Tradition et de l'Esprit : politique, histoire, culture, religion, spiritualité. Ainsi se définit pour Maurras l'opposition Révolution / Contre-Révolution ou Révolution / Tradition.

    La Révolution, en détruisant le pouvoir royal venu du fond des âges, et qui s'appuyait sur les forces de la Tradition et de l'Esprit, a ouvert toutes grandes les portes aux forces de l'Or, qui règnent maintenant sans partage, et nous sommes aujourd'hui dans cet Âge de fer ou âge barbare, prophétisé par Maurras, qu'ont amené les philosophes du XVIIIe siècle, mais aussi leurs prédécesseurs de la Réforme et de la Renaissance.

    Cela durera-t-il toujours ? La victoire de l'Or sur le Sang est-elle définitive ? C'est, évidemment, une possibilité, et les apparences, aujourd'hui, semblent plaider en faveur de cette hypothèse.

    « A moins que...», dit toutefois Maurras, dans la conclusion de L'Avenir de l'intelligence, son immense petit livre. Et d'esquisser comme une stratégie de la contre-révolution, son souci n'ayant jamais été que de conjurer les perspectives d'un effondrement de notre civilisation et de faire triompher les solutions qui l'en sauveraient.  

    Disciple et continuateur de Maurras, Boutang poursuit ici cette réflexion, dans l'espérance que l'à moins que... par quoi s'achevait l'Avenir de l'Intelligence ne soit pas une attente vaine.

    Les Soviets ont disparu, dans l'effondrement cataclysmique de l'utopie messianique marxiste; et c'est aujourd'hui le vide de la postmodernité qui s'y est substitué... Certains événements, certains personnages dont il est question dans ce texte appartiennent au passé. L'essentiel, la question centrale, plus actuelle que jamais demeure : Qui sera le Prince de ce temps ? Elle est au coeur de notre présent. Lafautearousseau  

     

    4110103012.jpgQui sera le Prince ?

    Article de Pierre Boutang paru dans Aspects de la France les 21 et 28 novembre, et le 12 décembre 1952 [Extraits]

     

    Qui sera le Prince ? Telle est l'unique question du vingtième siècle méritant l'examen, capable de mobiliser les volontés. La fraude démocratique consiste à lui substituer celle de la société, la meilleure possible, et le débat sur son contenu spirituel et moral. Quelle est l'organisation la plus juste, la plus humaine, et d'abord quelle est la meilleure organisation du débat sur cette organisation ?  Voilà le chant des sirènes des démocrates.

    Fiez-vous y ! Le vent et les voleurs viendront.

    Les voleurs et le vent sont à l'oeuvre. La diversion est plus que bonne : très sûre. Pendant ces beaux débats, toutes fenêtres ouvertes, le vent apporte sa pestilence. Et sous le masque de l'opinion reine, de la liberté de jugement des Lazurick ou des Lazareff, l'or triomphe; il détient tout le réel pouvoir dont la presse a mission et fonction cher payée de cacher la nature et de divertir dans le peuple la nostalgie croissante et le désir évident.

    Qui sera le Prince ? Il s'agit de l'avenir : il n'est pas de principat clandestin, de royauté honteuse de soi-même et qui puisse durer. Une société sans pouvoir qui dise son nom et son être, anarchique et secrètement despotique, sera détruite avant que notre génération ait passé. Pour le pire ou pour le meilleur elle disparaîtra. A la lumière très brutale et très franche de la question du Principat, de la primauté politique, les sales toiles des araignées démocratiques, les systèmes réformistes, les blagues juridiques, les ouvrages patients des technocrates européens; seront nettoyés sans recours. Par quelles mains ? C'est le problème... Qui tiendra le balai purificateur ? Non pas quel individu, pauvre ou riche, de petite ou très noble extrace, mais quel type d'homme ? Incarnant quelle idée ? Réalisant quel type de la Force immortelle, mais combien diverse et étrangère par soi-même au bien et au mal ?  

    L'heure nouvelle est au moins très sévère, a dit le poète. Cette sévérité, aujourd'hui, tient à ce fait : nul ne croit plus à la meilleure structure sociale possible, la plus humaine et la plus juste. Tous voient qu'elle ne profite, cette question toujours remise sur le métier de l'examen, sans personne pour la tisser, qu'aux coquins et aux domestiques de l'argent. Les fédéralistes eux-mêmes, armateurs de débats sur les pactes volontaires, reconnaissent que la question du fédérateur est primordiale; mais les uns tiennent que ce fédérateur doit être un sentiment, la peur panique inspirée par les soviets, les autres avec M. Duverger dont les articles du Monde viennent d'avouer la honteuse vérité, que l'or américain, l'aide en dollars, est le seul authentique fédérateur de l'Europe.....

    Positivement, les malheurs du temps ont fait gagner au moins ceci à l'intelligence mondiale, et la vague conscience des peuples : à l'ancienne utopie succède l'inquiétude, la question chargée de curiosité et d'angoisse -qui, quelle force, quelle espèce de volonté humaine, va garantir ou réaliser un ordre politique et social, juste ou injuste, mais qui sera d'abord le sien ? Nos contemporains savent ou sentent qu'il n'y a pas de justice sociale sans société ni de société sans une primauté reconnue, établie en droit et en fait. La réelle nature de la force publique, du Prince qui garde la cité et y exerce le pouvoir, importe plus aux hommes qui ont été dupes si longtemps, que le jeu de patience et d'impatience des réformes sociales; ces réformes sont innombrables dans le possible, imprévisibles dans leurs conséquences; ce qui compte, ce qui est digne de retenir l'atttention ou d'appeler l'espérance, réside dans la loi vivante de leur choix, dans la réalité organique, dans la volonté responsable qui les ordonne et les préfère.

    Reconnaître l'importance capitale de la question du Prince, considérer les autres problèmes politiques comme des fadaises ou des diversions vilainement intéressées, tel est el premier acte d'une intelligence honnête de notre temps. Car cette question du prince est toujours essentielle, et toujours oubliée : mais elle était jadis oubliée parce qu'elle était résolue, et les utopies elles-mêmes s'appuyaient sur la réalité incontestée d'un pouvoir légitime. Depuis le dix-huitième siècle la puissance de l'or, clandestine, masquée par les fausses souverainetés du nombre et de l'opinion n'a pas comblé dans les esprits, les coeurs, les besoins, le vide laissé par la démission des Princes. Les balançoires, les escarpolettes constitutionnelles, dont les brevets continuent en 1952 d'être pris à Londres (ou dans les "démocraties royales" rétrogrades) ne satisfont pas, avec leurs recherches d'équilibre, le goût profond que gardent les peuples pour la stabilité et la connaissance des vraies forces qui soutiennent un gouvernement. L'homme du vingtième siècle n'a pas envie de se balancer à l'escarpolette démocratique et parlementaire : les expériences faites en Europe centrale lui montrent quel est l'usage probable des cordes libérales dont se soutenaient ces jolis objets et jouets des jardins d'Occident. Elles portent bonheur aux pendus..... 

    Quand on voit, quand on sait l'enjeu de cette guerre engagée sous nos yeux pour le Principat, l'inventaire des forces, des réalités naturelles et historiques, capables de répondre à la commune angoisse, s'impose rapidement. L'intellectuel, l'écrivain, disposent de l'outil du langage, dont la fonction est de distinguer des provinces de l'être. Ils font donc leur métier, lorsqu'ils dénombrent les prétendants au Principat. Ils peuvent faire leur salut temporel, en choisissant, en aidant, la force naturelle qui leur apparaît salutaire et légitime.

    La recherche de l'intelligence, dans ce domaine, est libre entre toutes. Elle ne doit de comptes qu'à la vérité, et lorsqu'elle se soumet à ses lois supérieures, à la patrie. Sa liberté propre se moque du libéralisme doctrinaire. Que ses lois propres, et sa soumission la conduisent à vouloir le Principat du Prolétaire, ou celui du Sang dans l'ordre dynastique, son choix ne dépendra pas, par exemple, du retard que tel prolétaire ou tel groupe prolétarien peuvent avoir, dans leur opinion subjective, sur la réalité et la force que le Prolétaire incarne pour un monde nouveau. Les difficultés qui naissent de ces retards, de ces rétrogradations, ne sont pas inconnues des marxistes. Il eût été bien étrange qu'elle fussent épargnées au nationalisme. Leur caractère de phénomène aberrant et transitoire laisse intacte la vraie question : quelle force réellle, capable d'extension, douée d'un sens universel, assumera le Pouvoir que l'on occupe clandestinement, mais n'incarne ni n'accomplit ? Est-ce que ce sera leProlétaire selon Marx, ou le Sang, le principe dynastique, selon Maurras ? Le reste est futilité, opportunisme naïf que l'histoire balaiera sans égards.  

    Non point selon l'ordre national, mais selon l'appparence, un premier Prince apparaît, prétendant du moins au Principat : le journal, le pouvoir de l'opinion. Prétention qui n'est monstrueuse que si l'on néglige les causes et les effets : si le peuple , si le nombre ou la masse - quelles que soient les définitions matériellles que l'on donne de ce Protée - était décrété souverain, l'évidence de son incapacité, de ses faibles lumières, de son enfance, selon le dogme du progrès, imposaient la régence pratique du pédagogue. Ce pédagogue du peuple souverain devait éclairer et former la volonté générale : l'extension rapide du pouvoir de lire rendait incertaine l'action des clubs et des assemblées : la presse seule pouvait se glisser partout en renseigner l'enfant Démos aux mille têtes folles, les mettre à l'abri de la séduction des anciennes autorités, de la mainmise de l'Eglise, de la séduction des Princes ou des généraux.

    Le combat du XIXe siècle pour la liberté de la presse apparaît ainsi comme le plus noble, le plus raisonnable qui pût être conduit, avec les prémisses de la démocratie. Des milliers d'hommes sont morts pour que nous ayons le droit d'accomplir, comme l'a dit Péguy, cette formalité truquée du suffrage universel. Mais la mort demillions n'eût pas été insensée pour que les conditions intellectuelles de cette formalité, la liberté de la presse, seule capable de vaincre le truquage, fût réalisée. Marx avait raison dans sa logique de démocrate radical, qui allait le conduire très loin du libéralisme formel : "La presse est la manière la plus générale dont les individus disposent pour communiquer leur existence spirituelle" (Gazette rhénane, 1842). Or, cette communication est le devoir démocratique majeur, où tout esprit doit enseigner sans cesse le peuple, innombrable héritier du Pouvoir, ayant une charge aussi certaine que celle dont Louis XIV accable un Bossuet. Il n'y a donc pas de limite démocratique à la liberté de la Presse, ce pédagogue des nations, mais dont la mission ne peut finir qu'avec la parfaite majorité de Démos.

    La difficulté commence (et commença !) avec la définition de l'enseignement ainsi donné : le pédagogue se révèle innombrable, indéfini, comme l'élève. A la limite théorique, Démos qui sait ou peut écrire enseigne Démos qui sait et peut lire. Les deux données quasi matérielles et de hasard, écrire et lire, se substituent au choix humain du précepteur, et à la présence naturelle de l'élève royal.

    En fait, par la simple existence d'un commerce de la librairie, une merveilleuse possibilité s'ouvrait ainsi aux forces secrètes qui disposeraient de l'or. Vainement, Marx s'écriait-il, dans la même Gazette de Francfort, à l'occasion des extraordinaires débats de la Diète rhénane qui devaient jouer un rôle décisif dans la formation de son mythe révolutionnaire "la première liberté consiste pour la presse à n'être pas une industrie !" La presse était une industrie, ou le devenait à toute vitesse.

    Si l'or ne renonçait pas, avec les organes de corruption des partis et les truquages électoraux, à gouverner directement le peuple et lui imposer des représentants, du moins les Pourrisseurs les plus scientifiques s'aperçurent très vite de l'existence d'un moyen économique et supérieur : il suffisait de tenir "le quatrième pouvoir" inconnu de Montesquieu, et d'agir sur le pédagogue de Démos. La divisibiliét infinie de l'or, sa séduction aux mille formes s'adaptaient naturellement au maître divers, au pédagogue polycéphale.... On pouvait y aller. On y alla ! 

    Le pédagogue de Démos ne pouvait prétendre, au départ, à un enseignement si bien assimlilé par son élève que le choix des meilleurs en résultât, automatiquement, à l'heure des votes. Était-il écouté, suivi ? Les gouvernements considéraient qu'ils avaient, eux, atteint leur majorité en obtenant la majorité; ils s'émancipaient; ils agissaient à leur tour, par des lois ou par des fonds secrets, sur la presse écoeurée de cette ingratitude. Mais il y avait une ressource : c'était la fameuse opposition. L'opposition au parlement pouvait être méconnue; elle se composait en somme de vaincus. S'appuyait-elle sur une presse vivace, expression du citoyen contre le Pouvoir du moment, éducatrice de son successeur inévitable, alors les chances de la liberté étaient maintenues, on était encore en république !

    Hélas ! La presse d'opposition, précisément parce qu'ellle pouvait influer sur la décision prochaine de Démos, tant qu'elle acceptait le système et ses profits glorieux, tenait à l'or autant que l'autre. Du moins sauvait-elle les apparences.

    Il fallut attendre une déclaration vraiment décisive de l'éditorialiste du quotidien Figaro, feuille conformiste à l'immense tirage, pour que cette dernière décence, cette ultime réserve et pudeur de la putain Démocratie fût gaillardement sacrifiée. Nous commentons dans la Politique de cette semaine ce texte monumental (auro, non aere, perennius !) dû à l'ingéniosité perverse de Mauriac. Citons-le ici pour mémoire :

    « Je sais, on reproche souvent au Figaro d'être toujours du côté du gouvernement. Dans une démocratie, je prétends qu'un grand journal ne peut être un journal d'opposition. Un journal comme Figaro, en raison même de son audience ne peut fronder. Il a des responsabilités sur le plan patriotique. J'admire les gens qui peuvent trancher de tous les problèmes dont ils ignorent les difficultés. Or, le nom du président du Conseil peut changer, les difficultés restent les mêmes au gouvernement.» 

  • La loi Avia est évidemment une atteinte gravissime à la liberté d’expression.

    Interview croisée donnée à Atlantico avec Anne-Sophie Chazaud et Régis de Castelnau à propos de la loi Avia et des conditions de son adoption.

    Sources : https://www.vududroit.com/

    https://www.atlantico.fr/

    Atlantico.fr : La loi Avia intervient dans un contexte où les débats d’opinion  semblent de plus en plus tendus, antagonistes, violents, avec notamment une génération rompue aux échanges vifs sur les réseaux sociaux. Pourquoi cependant cette loi n’est-elle pas adaptée au contexte actuel ?

    5.jpgAnne-Sophie Chazaud : S’il est vrai que les réseaux sociaux sont un lieu où s’échangent parfois des propos agressifs voire violents et s’il semble exister un relatif consensus pour dénoncer ces excès, la volonté de mettre cet espace de libre parole en coupe réglée et sous contrôle inquisitorial ne fait absolument pas l’unanimité.

    Les grandes plateformes internet peuvent effectivement servir de déversoir sans filtre aux propos les plus débridés. Chacun de nous en a fait l’expérience : il n’est qu’à lire parfois certains commentaires que peuvent laisser des internautes sous les articles publiés en ligne, sur les publications Youtube, ou encore les noms d’oiseaux qui peuvent s’échanger sur Twitter ou Facebook, avec parfois l’onction de l’anonymat et l’active agitation des trolls (où la Macronie n’est pas en reste), pour admettre qu’on peut à l’occasion avoir le sentiment de visiter des égouts peu ragoutants où s’épand l’absence de capacité à argumenter selon les règles du respect, de la courtoisie, de l’humanisme et du débat contradictoire.

    Pourtant, résumer les réseaux sociaux à cette vision caricaturale (dont, du reste, il est facile de se protéger soit en ne les lisant pas, soit en pratiquant des blocages, soit enfin en portant en justice les cas caractérisés de cyber-harcèlement) est une manière bien pratique pour le pouvoir et la pensée dominante de jeter le bébé de la liberté d’expression avec le bain de ses inévitables excès.

    Rappelons que les réseaux sociaux sont aussi ce lieu merveilleux de liberté, unique, grâce auquel la pensée non consensuelle peut circuler en dehors des vérités officielles et se confronter au dissensus. Ils sont une véritable agora contemporaine où s’exerce le débat public. Cette liberté a démontré son impérieuse utilité en matière démocratique par exemple lors de l’affaire Benalla, lors de la répression violente des mouvements de Gilets Jaunes, permettant de mettre en lumière sans conteste de nombreuses violences policières dont le peuple français a été l’objet ou encore lors des manifestations hostiles à la réforme des retraites. Sans les réseaux sociaux, la fausse information officielle et propagandiste de la fausse attaque de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière, opportunément exploitée par le gouvernement, n’aurait pas pu être démontrée, étant entendu que de nombreux médias mainstream étaient prompts à relayer sans scrupules le discours officiel. Sans les réseaux sociaux, les manigances et l’impéritie des pouvoirs publics français concernant la gestion calamiteuse de la crise sanitaire du Covid-19 n’auraient pas pu être mises en lumière. Songeons notamment à la tragi-comédie des masques, de l’absence de tests, des manipulations d’opinion autour de la question des traitements. Sans les réseaux sociaux, les innombrables scandales de verbalisations zélées lors du confinement n’auraient pas pu éclater au grand jour, comme l’affaire honteuse de cette femme mise à l’amende pour avoir communiqué avec son mari, résident en Ehpad, au travers d’une vitre à l’aide de quelques mots griffonnés tendrement sur une ardoise, ou encore cet homme empêché par la gendarmerie de se rendre au chevet de son père mourant. Les exemples furent innombrables.

    Les réseaux sociaux sont à l’heure actuelle un véritable contre-pouvoir et c’est bien ce qui dérange. Prendre le prétexte des excès qui s’y déroulent est donc le moyen commode d’un pouvoir liberticide et autoritaire pour mettre le couvercle sur cette libre agora au moment même où la société française, au bord de l’implosion, en a le plus besoin. Mettre le couvercle sur une marmite n’a jamais fait ses preuves en matière de thermodynamique, non plus qu’au plan de l’intelligence politique. Il est arrivé que cela se termine à la Bastille…

    4.jpgRégis de Castelnau : Une première observation s’impose, la conflictualité est inhérente au politique et elle s’exprime et se résout dans l’espace public. Le propre d’un cadre normatif dans un système démocratique est justement de permettre le débat et l’affrontement des opinions, le juge de paix étant l’élection. De ce point de vue, il ne faut pas se tromper, les débats et les échanges de la période actuelle sont plutôt moins violents que par le passé. J’invite sur ce point à la lecture des débats parlementaires ou de la presse pendant la première guerre mondiale pourtant époque « d’union sacrée », c’est assez impressionnant. Le problème que pourrait poser l’exercice de la liberté d’expression aujourd’hui est celui de l’existence des réseaux numériques réalisant une véritable révolution en donnant une parole en temps réel au plus grand nombre ce qui est quand même qu’on le veuille ou non un progrès démocratique. Cette parole charrie comme toujours le pire et le meilleur, et il est quand même inquiétant que le pouvoir d’État réagisse comme il le fait avec cette succession de lois liberticides. Le texte « proposé » par Madame Avia n’étant qu’un avatar d’une entreprise d’encadrement mise en œuvre depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et visant à limiter drastiquement la liberté d’expression avec deux objectifs : contrôler l’information, et empêcher la parole dissidente. Il est quand même curieux d’être contraint de rappeler que la démocratie est fondée sur l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui. Et que l’accès à l’expression et au débat du plus grand nombre ne devrait pas être considéré comme un danger. Lorsque la IIIe République fut suffisamment solide, et afin de garantir le respect de la déclaration de l’Homme et du citoyen fut adoptée une loi de protection de la liberté d’expression. Parmi ses principes figurait celui que cette liberté fondamentale pouvait être limitée si nécessaire par la loi, mais dès lors que les restrictions étaient strictement proportionnées à l’objectif d’intérêt général poursuivi et que le contrôle de ce nécessaire équilibre n’appartenait qu’au Juge. La loi sur la presse de 1881 fonctionne depuis presque 140 ans et jusqu’à présent on pouvait considérer que la liberté d’expression existait dans notre pays. Malheureusement, depuis le mandat de François Hollande et maintenant d’Emmanuel Macron, la France a dégringolé dans les classements internationaux de la liberté de la presse, « la patrie des droits de l’homme » se trouvant aujourd’hui à la 34e place sur 180 pays… l’inadaptation de la loi Avia au « contexte actuel » est d’abord due à son caractère liberticide.

     

    Laetitia Avia se retrouve elle-même accusée d’avoir tenu des propos discriminatoires à l’encontre de certains de ses anciens collaborateurs, propos qui pourraient parfaitement correspondre à l’appellation de « contenus haineux » que sa loi souhaite interdire. Comment une loi pourrait-elle appréhender le flou de ces notions ? Est-ce souhaitable ?

    Anne-Sophie Chazaud : Les propos reprochés à Laetitia Avia, comme le rapporte Mediapart, qu’elle aurait tenus envers nombre de ses ex-collaborateurs, empreints de connotations racistes, méprisantes, de l’esprit de discrimination, de sexisme, mais aussi les pratiques de travail peu respectueuses qu’elle aurait fait régner, démontrent à l’évidence l’éternelle tartufferie des moralistes. Car la loi Avia cherche à réfréner la liberté d’expression sous les motifs les plus vertueux et au prétexte des luttes sociétales minoritaristes et victimaires. Se retrouver mis en accusation, du côté des bourreaux, pris la main dans le pot de confiture, lorsqu’on s’époumone dans de curieuses diatribes à vouloir contrôler la saine morale et la parole d’autrui (songeons à sa grotesque harangue à la tribune de l’Assemblée contre les « trolls, les haters et les têtes d’œuf » (sic), est toujours assez savoureux.

    Selon le principe de l’arroseur arrosé, Laetitia Avia fait par ailleurs l’expérience de l’inanité des dispositifs liberticides visant à interdire les « contenus haineux ». Car, en l’occurrence, et au-delà de l’absence de savoir-vivre, d’éducation et de respect d’autrui, les propos qui lui sont reprochés correspondent à des expressions « vulgaires » certes mais qui appartiennent parfois au langage courant. Si l’on ne peut qu’en regretter la bêtise, vouloir à tout prix légiférer sur ce champ relève de l’ineptie intrusive. Invoquer l’aspect privé de ces commentaires peu amènes est du reste impossible puisque, dans sa grande passion liberticide, le pouvoir macronien s’est empressé en août 2017 de prendre un décret permettant la pénalisation de propos discriminatoires et d’injures tenus dans un cadre non public. L’extension du domaine de la pénalisation de l’expression se retourne donc contre son créateur, ce qui en la circonstance est plutôt amusant.

    La propension du macronisme à vouloir régenter la parole, y compris la parole « vulgaire » est assez caractéristique de ce côté « maîtresse d’école » typique de la pensée post-socialiste, puritaine, vertueuse et elle-même dénuée de scrupules. On se souvient de la mascarade de la ministre des sports Roxana Maracineanu tentant de faire interdire les chansons paillardes dans les stades de football au motif de leur prétendue homophobie (laquelle ministre moralisatrice était restée bien silencieuse lorsqu’il se serait agi de dénoncer le traitement réservé aux homosexuels en terre islamiste du Qatar lors des préparatifs de le Coupe du monde de football… Mais il semblerait que là où il y a de vrais enjeux et de vrais risques, il y ait subitement moins de passion inquisitoriale et moins de courage anti-haine)…

    Le fait que le Parti Socialiste qui avait d’abord soutenu le texte en première lecture, avec les zélateurs de l’extrême-centre –lequel fonctionne comme un trou noir antidémocratique en ce qu’il cherche à abolir la conflictualité propre au politique-, se soit cette fois assez lâchement abstenu, souligne la continuité naturelle existant entre le gauchisme culturel moribond, profondément liberticide et anti-libéral (au sens moral du terme) et le macronisme qui n’en est que le dernier avatar, l’ultime rejeton de l’ancien monde et qui est, rappelons-le, majoritairement issu de ses rangs.

    La réaction saine des autres partis d’opposition, de la France Insoumise au Rassemblement national en passant par Les Républicains, toutes tendances confondues, au secours de la liberté d’expression, est toutefois rassurante quant à l’avenir de cette loi qui sera portée devant le Conseil constitutionnel et qui ne manquera pas de rencontrer de nombreuses oppositions lorsqu’il s’agira de la faire appliquer.

    Lorsque l’on sort des propos de leur contexte, il est très difficile de comprendre leur nature et l’ambiguïté est de mise. Dans l’article de Mediapart, au sujet du comportement inopportun de Laetitia Avia avec ses collaborateurs, il n’y a pas assez d’éléments pour se faire une idée exacte des propos de la députée. Pourquoi l’ambiguïté de certains propos rend l’utilisation de la loi problématique ? 

    Régis de Castelnau : La séquence « arroseur arrosée » qui frappe Laetitia Avia au-delà de son côté savoureux, pose très exactement le problème de l’application du texte qu’elle a fait adopter. Des propos prononcés dans un cadre semble-t-il familier, sur l’ambiance duquel on ne dispose d’aucune information, sont présentés comme autant de « dérapages » homophobes et racistes. Il est impossible de savoir si ce qu’elle a dit ou écrit était du premier ou du second degré. Et les témoignages de son entourage sur son caractère et ces comportements ne peuvent pas nous renseigner, permettant seulement de savoir ce qui était déjà une évidence que ladite personne était un modèle de brutalité et d’arrogance. Quant à son discours à la tribune de l’Assemblée, avec sa petite litanie d’insultes elles-même haineuses démontrent à quel point cette soi-disant « lutte contre la haine » n’est qu’un prétexte. Alors ce ne sont pas l’ambiguïté de certains propos qui rend l’application de la loi problématique, c’est le fait que cette loi soit radicalement inconstitutionnelle.

    Le texte de 1881 posait un certain nombre de principes et en particulier l’intervention du juge impartial pour définir les limites légales de la liberté d’expression. Celle-ci est totale et ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire qu’a posteriori. C’est la raison pour laquelle par exemple l’interdiction a priori des spectacles de l’humoriste Dieudonné n’est pas possible. Le fait qu’il ait déjà été condamné ne permet pas de l’empêcher de parler par anticipation. 140 ans de jurisprudence ont permis utilement au juge d’adapter l’application du texte aux évolutions des modes de communication. La révolution numérique a été parfaitement intégrée et l’ordre juridique n’avait nul besoin d’être bouleversé. 

    Le texte adopté hier comporte un certain nombre d’horreurs et la première d’entre elles est celle relative au fait que c’est l’autorité administrative qui désormais décide de ce que l’on peut dire ou ne pas dire sur les réseaux. La police peut sommer n’importe quel site, quelle que soit sa taille, de supprimer dans les 24 heures des textes qu’elle juge contraire à la loi. La défaillance dans la suppression peut être sanctionnée, non pas par un juge mais par le CSA qui est une « Haute autorité administrative indépendante », c’est-à-dire une officine complètement contrôlée par le pouvoir exécutif. Le montant des amendes peut être vertigineux et dépasser le million d’euros ! Il est clair que les grandes plates-formes comme Facebook et Twitter, non seulement vont poursuivre leur censure a priori qui existe déjà, mais par précaution déférer à toutes les demandes de suppression émanant du pouvoir d’État. Le système d’intimidation ainsi adopté n’est pas destiné à « lutter contre la haine » mais bien à réprimer la liberté d’expression sur les réseaux. Et ce d’autant, que le pouvoir actuel nous a fait une très jolie démonstration à propos de l’expression de la haine dans la fameuse affaire « Mila ». On se rappelle cette jeune fille de 16 ans victime d’une agression raciste sexiste sur les réseaux et répondant vivement en critiquant vertement une religion, ce qui est une liberté fondamentale. Pour faire l’objet ensuite d’un incroyable déferlement d’insultes et de menaces de mort qui se sont comptés par dizaines de milliers. Le premier réflexe du parquet mandaté par Madame Belloubet fut de lancer une enquête préliminaire contre la jeune fille ! Piteuse reculade devant le tollé, mais depuis il ne s’est absolument rien passé sur le plan judiciaire. Les dizaines de milliers d’infractions n’ont eu aucune réponse. Pas une mise en cause, pas une garde à vue, pas de mise en examen et bien sûr pas de condamnation.

    Et ce n’est pas l’annonce de la création d’un parquet spécialisé ainsi que d’une juridiction également spécialisée qui vont changer quoi que ce soit en réintroduisant le juge dans le processus. La précédente création du Parquet National Financier a été une belle démonstration de l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques dont l’actuel pouvoir est un pratiquant assidu.

    L’accusation de haine contenue dans cette loi peut-elle servir à éliminer, sous un prétexte facile, les adversaires ? En quoi ce dispositif de censure partagé entre les pouvoirs publics et les grandes plateformes d’internet est-il dangereux ?

    Anne-Sophe Chazaud : L’argument de la « haine », utilisé ad nauseam par les moralistes contemporains, vise à psychiatriser la parole non consensuelle, à la disqualifier et, in fine, à la criminaliser. Il correspond à cette obsession victimaire décrite avec drôlerie par Philippe Muray comme étant une « cage aux phobes » propre à la post-modernité gémissante, prompte à dénicher de l’offense à tous les coins de rue et sous tous les travers de langage.

    Cet outil à la fois rhétorique et juridique, visant à étouffer la conflictualité, la dialectique, le contradictoire, tout en décrétant une censure a priori, exempte de toute décision judiciaire, laquelle était de toutes façons déjà préjudiciable à la liberté d’expression, ne fait que souligner un peu plus l’obsession liberticide de cet exécutif.

    Une ribambelle de dispositifs se sont succédé, dans un pays déjà sujet à l’inflation législative, visant à museler l’expression ; la loi présentée comme anti fake-news, permettant l’intervention du juge des référés en matière politique représente une véritable abomination antidémocratique. Elle n’a pourtant pas trouvé beaucoup d’opposants sur les bancs de l’Hémicycle. L’esprit propagandiste qui dirigeait l’esprit de cette loi a pourtant été mis en lumière lors des récentes manipulations d’opinion et d’intrusion dans la liberté d’information auxquelles s’est prêté l’exécutif avec sa tentative de déploiement d’un site de

  • Les royalistes, un état chiffré, par Frédéric de Natal.

    Source :http://www.monarchiesetdynastiesdumonde.com/

    Dans la suite du livre-enquête «Les Royalistes » de François-Marin Fleutot et Patrick Louis, publié en 1988 aux éditions Albin-Michel, l’organisation SYLM* (Support Your Local Monarch) a fait paraître un livre sur l’état actuel du royalisme. Plus de 1737 royalistes ont été sondés entre février et juin 2009 afin de donner une photo exacte du monarchisme français, loin des images caricaturales du vieux versaillais aux cheveux blancs sortant d’une église ternie par le temps et que nous vendent habituellement les journalistes. L’enquête mise en ligne, avec impossibilité de se faire enregistrer deux fois, avait d’ailleurs surpris plus d’un royaliste. Aujourd’hui épuisée, cette bible chiffrée reste une référence qui casse les mythes du genre.​

    frédéric de natal.jpgEt le premier (et pas des moindres à tomber) concerne les régions phares du royalisme. Ici ni la Bretagne, ni la Vendée ne remportent la palme des provinces où le royalisme seraiti le plus représenté dans l'imagerie populaire. Loin derrière Rhône-Alpes (avec ses 14%), les deux provinces historiques cumulées ne recueillent que 3% à elles toutes seules. La Chouannerie et les guerres de Vendée semblent désormais appartenir au passé de notre histoire de France, comrpises entre fantasmes et illusions d’un passé glorieux que l’on cultive encore allégrement dans le monarchisme français. Vient ensuite l’île de France (qui fait jeu égal avec la région Rhône Alpes qui compte un vivier important de royalistes et de catholiques proches de cette mouvance) et enfin la Provence-Alpes –Côte d’Azur avec 7%. Un Sud de la France surreprésenté donc par rapport au Nord dont les effectifs se font rares (de 1 à 4% pour respectivement l’Alsace, la Lorraine, la Normandie (Haute et basse) ou encore le Nord-Pas de calais [actuel Haut de France]) quand ils ne sont pas quasi inexistants ailleurs (la Corse étant plus prompte à crier « Vive l’Empereur »).

    Cette disparité entre le Nord et le sud s’expliquant notamment par un terreau royaliste plus dynamique dans le sud depuis la chute du Second Empire et le début de la IIIème république (mouvement des Jeunesses Royalistes puis celui de Charles Maurras) et qui traduit aussi «un basculement qui s’est doucement opéré dans cartographie royaliste depuis la fin du XIXème siècle». A noter que chez les français de l’étranger et DOM-TOM, l’idée d’un roi reste encore séduisante puisque on trouve chez nos amis expatriés, 2% d’entre eux qui se déclarent royalistes. Un chiffre qui reste cohérent quand on sait que lors de l’élection législatives de juin 2012, le prince Charles-Philippe d’Orléans qui s’était présenté dans 5e circonscription des Français établis hors de France (l'Andorre, l'Espagne, Monaco et le Portugal), avait obtenu 3% des suffrages exprimés.

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    Twitter, Instagram, Facebook, Ipad à la main, le royalisme est jeune, trans-générationnel et se décompose ainsi : 15% d’entre eux sont âgés de 16 à 25 ans, 13% de 26 à 35 ans , 34% de 36 à 45 ans, 16% de 46 à 55 ans , 12% de 56 à 65 ans et de 66 à 75 ans à peine 3%, au-delà le chiffre n’excédant pas les 1%. La participation à l’enquête a clairement mobilisé une jeunesse qui se veut donc ancrée dans son temps et en rupture avec une génération de cadets qui tend à reculer au fur et à mesure que l’on avance dans les années. A noter cependant que les hommes sont plus représentés avec 71% face à leurs alter-égos féminins, 29%.

    En 2017, LCI avaient outrageusement décidé de classer très bizarrement les royalistes dans la section extrême-droite à côté des …néo-nazis. Si on a pu rire-jaune de cette méconnaissance du «roycoland» par les journalistes, l’émission de David Pujadas aurait été bien inspirée de s’enquérir des véritables chiffres du royalisme avant de mettre à l’écran, une telle «fake news». En dépit des certitudes journalistiques, le royalisme n’est pas majoritairement acquis à l’extrême-droite mais n’en reste pas moins porté sur un certain conservatisme teinté de traditionalisme et soucieux de son environnement. 37% des sondés affirmant voter pour un parti de droite (soit 22% des royalistes se disant adhérents chez Les Républicains-Ex UMP) contre 12% en faveur d’un parti de Gauche [avec 4% de réels engagés] ou 1% pour l’extrême-gauche). 21% en faveur de l’extrême-droite (17% des royalistes affirmant être également engagés au sein du Rassemblement (ex-Front) ou 12% au Mouvement pour la France, 2% chez Debout la France) avec un petit vote en faveur des partis centristes (10% des royalistes se disent encartés ici). 7% étant encore attirés par les partis écologistes (et qui tend à augmenter). Un vote qui est donc loin des schémas habituels qui sont vendus sempiternellement par diverses émissions du PAF (paysage audiovisuel français). Quant à la question du nationalisme pur et dur, représenté par des organisations comme le GUD (actuel Bastion Social, sorte de Casa Pound bis, qui montre déjà des dissensions internes), il est loin de faire l’unanimité chez les royalistes. A peine 0.83% des sondés semblent être en adéquation avec ces idées très conservatrices. Et si on se déclare royaliste ou monarchiste (appellation plébiscitée par 71% des sondés), «royco» ou même avec beaucoup d’humour « roycotté », la répartition dynastique reste fidèle à l’histoire du royalisme. La Légitimité ne représentant pas plus de 6 à 10% (tenant compte aujourd’hui de sa récente évolution sur les dernières 5 années) sur l’ensemble des monarchistes, la composante Orléaniste restant donc encore majoritaire, loin devant les providentialistes avec 2% qui partent du principe que « Dieu finira par pourvoir au trône ».

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    Encore faut-il noter ce qui reste de la mouvance survivantistes (ou naundorffistes) qui ne dépassent pas le 0.63%. Cette dernière s’est réduite à une peau de chagrin depuis la fin du mystère Louis XVII en 2004 et faute d’un prétendant, peu préoccupé par le «dada» de son père, (Charles–Edmond de Bourbon, décédé en 2008 à 80 ans). Il connaît cependant depuis peu un regain d’activité. Sorti de son Canada profond, Charles-Louis de Bourbon a soudainement revendiqué la couronne de France (bien qu’il ne parle pas un mot de la langue de Voltaire) et s’est doté d’une chancellerie très active sur les réseaux sociaux, particulièrement virulente. Une famille qui puise son électorat essentiellement dans le Légitimisme et qui, même si elle arrivait à prouver qu’elle est la descendant du fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette n’est absolument pas dynaste.

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    Le royalisme est donc définitivement souverainiste de droite avec un tassement du côté des idées de gauche dans un certain rééquilibrage en faveur des partis parlementaires (on est donc loin du rejet de l’anti-parlementarisme qui ne trouve que peu ou plus d’échos chez les royalistes avec à peine 1,40% qui souhaite la fin de ce système (énième idée cassée). Le coup de force ne recueillant que 10% des votes exprimés face à 13% qui souhaitent un retour du roi par les urnes ou 21% par référendum. Seuls 0.88% des sondés ont demandé réellement l’abolition totale du parlementarisme. Traditionnellement, le prince Louis –Alphonse de Bourbon (comme son père avant lui), se refuse de donner la moindre consigne de vote lors des élections présidentielles, refusant de les cautionner à contrario des deux comtes de Paris plus engagés politiquement. Ainsi (par exemple) en 1981 et 1988 aux côtés de la Nouvelle action royaliste (NAR), feu Henri d’Orléans avait accordé son vote à François Mitterrand. Son fils homonyme (se situant plus à droite), avait soutenu ouvertement le candidat Nicolas Sarkozy en 2007 et 2012 (élu président, il l'avait remercié en lui octroyant la légion d'honneur et en abrogeant en 2011 les deux derniers articles de la loi d'exil encore en vigueur). L’actuel comte de Paris, Jean d’Orléans, se situe sur une ligne plus traditionnaliste et de type François Fillon, du nom de l’ancien candidat malheureux à l’élection de 2017. Depuis le décès inattendu de son père le 21 janvier 2019, le prince s’est mué de dauphin à prétendant au trône bénéficiant d’une surprenante couverture médiatique.

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    Avec le déclenchement de l’Affaire Franco (2018), le prince Louis-Alphonse de Bourbon s’est quasiment engagé en politique en prenant position publiquement contre le gouvernement socialiste espagnol et en se rangeant publquement aux côtés du parti Vox. Il a également participé et intervenu à diverses reprises au Congrès des Familles qui rassemblent la fine fleur de l’ultra conservatisme international. Ses prises de positions en France sont assez rares mais reprises par la presse notamment en 2018 lors del crise des Gilets Jaunes où il a fait le « buzz ». Il bénéficie de quelques soutiens notables controversés et a été reçu au palais de l’Elysée en 2008. Des prises de positions qui ont profondément divisé les soutiens au duc d’Anjou.

    Surprise, le monarchisme est aussi syndicaliste. En effet, il est également intéressant de noter 24% des sondés se disent également membres d’une telle organisation (contre 17% en 1988) avec une forte adhésion à la CFTC (37%) et la CFDT (16%) … loin devant la CGT qui ne fait pas l’unanimité (4%) ou encore Sud-Solidaires (1%) , ces deux dernier étant à l’origine des récentes grèves déclenchées à la SNCF.

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    Sur le plan religieux, toutes tendances confondues, le catholicisme conserve encore de beaux jours devant lui avec cependant un bémol. Le catholicisme traditionaliste ne fait pas recette car à peine 11% d’adhésions loin derrière les catholiques pratiquants ou non qui recueillent 49%. Le tout cumulé faisant 60%. Ce qui place la religion catholique dans la classe dominante quoique le royalisme montre une nouvelle fois, sa capacité à attirer et à s’adapter dans ce début de siècle tumultueux. 21% des royalistes se déclarent tout de même agnostiques, 8% athées, 4% protestants ou 2% musulmans. A noter que 1% des monarchistes se déclarent proches de religions dite « new-age » comme le Wiccan ou celles venues des anciens royaumes nordiques. Le reste se partageant entre orthodoxes, juifs ou bouddhistes. Néanmoins, à comparer aux chiffres donnés en 1988, le catholicisme est en net recul de 20% alors que les agnostiques sont en net accroissement (11%).

    Faut-il y voir un signe des temps posait alors comme question SYLM dans une de ses conclusions avec «une omniprésence maurassienne par défaut qui tend à se méfier des religions » ? «Pour autant, il est fort à parier que la pratique religieuse est beaucoup plus prononcée chez les royalistes que dans le reste de la population dite «catholique » ajoutait également SYLM». La défense des valeurs traditionnelles ayant su les mobiliser lors des événements consacrés au débat «pour le mariage pour tous ou la PMA-GPA» lors des deux précédents quinquennats. Très contradictoirement, on trouve que 4% des royalistes qui entendraient remettre en cause la loi de 1905 en cas de retour d’un roi au pouvoir. Encore un énième mythe qui s’effondre.

    Enfin, la question militante où chacun tente plus ou moins de gonfler ses chiffres et s’ils ne tiennent pas de l’évolution récente de certains mouvements, la photo du militantisme royco lambda se traduirait ainsi : L’Action française et la Restauration nationale (qui ont récemment fusionné après de années de méfiance et incompréhhension commune) cumulent à elles-seules 17% des forces royalistes (avec une forte prédominance de l’AF). Suivis par l’Alliance royale avec 11% des sondés. Le chiffre n’est aujourd’hui d’ailleurs plus d’actualité puisque ce parti A-dynastique, créé en 2001, n’a cessé de pérécliter au fur et à mesure des années suite au départ de nombreux cadres (2012), des prises de positions jugées anachroniques, un programme inadapté, un militantisme inexistant et des alliances avec des mouvements d’extrême-droite qui ont fini par provoquer une hémorragie au sein de ses adhérents.

    Enfin vient la Nouvelle action royaliste avec 9% (avec un net rajeunissement de ses militants- 1/3 de ses membres en 2018) et un renouveau de son bureau politique qui occupe l’espace télévisuel médiatique notamment sur les sujets internationaux. Elle organise régulièrement des conférences avec des noms connus (Natacha Polony, Emmanuel Todd…) et conserve des liens avec divers mouvement royalistes internationaux. Elle est un des rares mouvements à avoir approché le pouvoir dans les années 80, avec une figure emblématique qui est Bertrand Renouvin. On citera encore le Groupe d'Action royaliste (GAR qui se distingue par un site haut en couleur et très fourni) avec 2%, l’Institut de la maison royale de France (IMRF) avec 4% et par Gens de France (6%), l’association du prince Jean d’Orléans (qui tendrait à supplanter progressivement et à court terme l’institut de son père, le comte de Paris).

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    Du côté du (néo-)Légitimisme (ou Alphonsisme), il est difficile de parler militantisme tant une certaine catégorie (plutôt située dans les 55-75 ans) refuse encore tout idée de parti ou mouvement politique qui défendrait et donnerait plus de visibilité au prince Louis-Alphonse de Bourbon. D’un point de vue militant, on trouve néanmoins 10% des Légitimistites adhérents à l’Institut de la Maison de Bourbon (IMB) ou 6% à l’Union des Cercles Légitimistes (un UCLF accusé ces dernières années par certains Légitimistes de «dérive sectaire versant dans l’ultra –catholicisme forcené»-je cite ce qui m’a été souvent répété ou écrit au gré de mes conversations avec eux-nldr ). Dernier né du Légitimisme, le Cercle d’Action légitimiste (CAL) qui s’est implanté timidement dans quelques régions (Ile de France ou Bretagne) et qui peine toutefois à convaincre hors réseaux sociaux ou à l’intérieur du Légitimisme (certains de ses membres gérant le webzine Vexilla Galliae). Si les Maurrassiens tiennent encore haut le pavé du royalisme, Le légitimisme n’est cependant pas en reste. Car tout cumulé, les chiffres de l’enquête montrent quand même que cette tendance (bien que minoritaire, versant plus dans le commémoratif ou le rédactionnel d'étude du monarchisme comme le site Vive Le Roy) avoisine les 18% du militantisme royaliste. Ceux-ci ne précisant pas si on les retrouve par exemple à l’Action française, école de pensée et de formation militante qui a développé un sens inédit de la communication. Une question pour laquelle les cadres dirigeants de l’AF préfèrent ne pas trop polémiquer, le reconnaissant tout au plus du bout des lèvres quand ils ne le démentent catégoriquement par pur esprit partisan. A noter la brève tentative d'indépendance du pince Louis-Alphonse de Bourbon qui a créé l'Institut du Duc d'Anjou (2010-2014) et qui faisait l'unanimité avant d'être ré-absorbé par l'IMB.

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    «La monarchie est un régime qui est beaucoup plus glamour que la république dans la mesure où il ne s’agit pas d’une institution (…) mais d’une famille au quelle on s’attache, on déteste (…). Les gens s’attachent à la monarchie car ils s’attachent aux personnes qui l’incarnent (…). La monarchie est le système qui fédère le mieux les peuples » avait déclaré l’essayiste Olivier Gracia lors d’un débat sur la question monarchique en France en 2018. Alors, le royalisme une solution ? Depuis des décennies, après avoir connu une légère hausse de l’adhésion à l’idée de restauration de la monarchie, 17% des français seraient donc prêts à soutenir le retour de la monarchie, 29% même  disposés à mettre un vote pour un candidat royaliste (sondage BVA/Alliance royale de 2016). Un sondage qui «note un clivage politique important : seuls 4% des sympathisants de la gauche seraient favorables à l’exercice du pouvoir par un Roi contre 22% des sympathisants de la droite et du centre et 37% des sympathisants du Front/Rassemblement National» et qui précise «qu’un sympathisant de la droite sur deux pense que la monarchie aurait des conséquences plutôt positives pour la stabilité du gouvernement (51%) et pour l’unité nationale (50%)». Des scores qui montent chez les sympathisants du RN, à 53% pour une meilleure stabilité du gouvernement et 55% quant aux bénéfices pour l’unité nationale. 37% des royalistes souhaiteraient même que la question de la monarchie soit posée par référendum.

     

    Mais pour devenir une force crédible, encore faut-il que les mouvements royalistes arrivent à s’entendre au-delà des querelles qui les divisent dynastiquement ou idéologiquement depuis 1883, date de la mort sans héritiers du comte de Chambord. Une fusion, des assises du royalisme français ? 31% des

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (13)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    L'ÂGE DU CHARBON ET DE L'ACIER

    Le septennat de M. Giscard d'Estaing fut marqué, à l'inverse, par l'hégémonie du capitalisme financier. Les banques laissèrent péricliter nos entreprises de machine-outil, leur refusant des crédits parce qu'elles ne les rentabilisaient pas assez vite, alors qu'il faut sept à huit ans avant de commencer à dégager des bénéfices. Par contre elles financèrent des « contrats du siècle » en Iran ou en Irak ! La Garantie de l'Etat leur assurait des profits confortables et surtout les protégeait du risque. Tandis que les Japonais s'implantaient, n'investissant que pour s'assurer de fidèles clients, l'argent nécessaire à la modernisation de notre industrie fut dilapidé. Une fois un « contrat du siècle » achevé notre présence commerciale s'évanouissait, comme rose au

    Certes les membres de l'Etablissement, qui grouillaient autour de leur Prince, s'enrichirent effrontément au point qu'il fallut se résoudre à liquider M. de Broglie, et le peuple eut droit aux miettes du festin. On lui permit de continuer d'améliorer son niveau de vie. On ne toucha pas à un système de prestations sociales, dont le coût se développait anarchiquement. Les Français dépensaient pour se soigner de plus en plus d'argent, et cet argent manquait à nos industriels.

    L'Etablissement savait bien qu'une prospérité artificielle masquait ses pilleries. Quand les socialistes vinrent au pouvoir, ils chargèrent M. Bloch-Lainé et quelques autres membres de la bonne société de dresser le bilan du giscardisme. Les naïfs furent surpris des éloges adressés à la politique sociale de leur adversaire. La gestion scandaleuse de l'Etablissement ne fut pas dénoncée. 11 y a des choses qui ne se font pas.

    Pourquoi l'aurait-elle été ? M. Mitterrand veillait. Il n'oubliait pas qu'il avait commencé sa carrière comme employé de M. Schueller, le patron de l'Oréal, qu'il avait protégé des conséquences d'une collaboration qui n'avait pas été seulement économique. L'un des principaux commis de Schueller, Jacques Corrèze, avait été, avant-guerre, l'un des chefs de la « Cagoule », aux côtés de Deloncle, dont un frère de Mitterrand épousera la fille. Les amitiés nouées, du temps où il appartenait à l'extrême droite, firent du petit avocat besogneux un protégé de l'Etablissement. Son ami François Dalle deviendra d'ailleurs le P.D.G de l'Oréal, la société de Schueller dont l'héritière, la femme la plus riche de France, épousera M. Bettencourt, qui fera carrière dans le gaullisme. La famille avait ainsi un pied dans chaque camp.

    L'Etablissement qui se doutait qu'un jour ou l'autre le prolétariat intellectuel et la plèbe moderne s'empareraient du pouvoir l'avait d'avance pourvu d'un guide, qui empêcherait les débordements. Cependant d'autres puissances s'intéressaient aussi à M. Mitterrand, lié par les frères Riboud aux supranationales. Les socialistes nationalisèrent le crédit en arguant d'ailleurs d'une excellente raison : l'appareil bancaire n'avait pas assez investi dans la modernisation de l'industrie française, qui se trouvait, après sept ans de giscardisme dans un état de délabrement effectivement inquiétant. Il fallait s'arranger pour que cette mesure profite, en définitive, à l'Etablissement. Ce qui fut fait. Le gouvernement acheta, à grands frais, des coquilles vides. Worms ou Rothschild avaient replié leur haut personnel sur des sociétés financières, emmenant avec eux la clientèle. De même Dassault conservera l'électronique, l'Etat se chargeant de fabriquer les carlingues. L'opération se révéla d'autant plus rentable pour l'Etablissement que les capitaux versés par le gouvernement, comme indemnités de rachat, se placèrent en bourse, provoquant une euphorie artificielle, donc une progression rapide du prix des actions, la demande augmentant tandis que, du fait des nationalisations, l'offre se réduisait. Les fantaisies ruineuses du prolétariat intellectuel mirent la France dans une situation désastreuse si bien que l'Etablissement s'imagina qu'elle ne tarderait pas à-reprendre le pouvoir, grâce à la victoire électorale de l'opposition. Elle n'avait sans doute pas compté sur un phénomène relativement récent, l'apparition de multinationales, qui entendaient bien administrer directement l'Europe. L'Allemagne ou la Hollande l'étaient déjà. En France l'Etablissement, dans la mesure où il gardait des liens de famille avec la bourgeoisie catholique, rechignait. Il fallait des apatrides. On eut Fabius, par sa maman apparenté à la haute banque germano-américaine, liens encore renforcés par son mariage avec une demoiselle Castro. Certes, l'établissement a toujours été cosmopolite du fait de ses composantes juives et protestantes. Mais aussi de son caractère « mondain ». Le rôle des « riches héritières américaines », dans un système fondé sur le matriarcat, n'a jamais fait l'objet d'études sérieuses. En dehors de son aspect romantique, les épousailles de Rainier et de Grâce Kelly manifestent la transformation de la principauté de Monaco en multinationale. Désormais, les carrières ne se fabriquent plus dans les salons parisiens mais au sein d'organismes internationaux, comme la Trilatérale, où se concertent les grands patrons de l'économie mondiale. L'irrésistible ascension de M. Barre, homme de confiance de la Trilatérale précisément, attesté que l'Etablissement ne joue plus qu'un rôle subordonné. Ses membres, un Giscard où ses commis, un Chirac ou un Rocard, ne pèsent plus très lourd, face à un Barre ou à un Fabius.

    Mitterrand, lui-même, ne doit pas son destin historique seulement à l'Etablissement mais d'abord à la multinationale Schlumberger, qui emploie 85.000 personnes dans 76 pays. Son patron, Jean Riboud, fils d'un banquier de Lyon, appartient par ses origines à l'Etablissement. Il en fut exclu, du fait de sympathies communistes trop affichées. Son père le casa chez les Schlumberger, jouant des solidarités protestantes. En dépit de ses 430.000 francs de salaire mensuel, il ne craint pas l'impôt sur le revenu ; le siège de la société étant installé à Curaçao, petit paradis fiscal. Jean Riboud qui a conservé un profond ressentiment contre l'Etablissement a utilisé l'entreprise supranationale qu'est désormais Schlumberger pour régler ses comptes. Il a d'abord subventionné « l’Express », afin de lancer l'opération « Monsieur X », qui devait propulser M. Defferre à l'Elysée. Le cheval se révéla un toquard. Il misa alors sur Mitterrand que Defferre, bon prince, porta à la tête du parti socialiste. Dans son numéro du 18 juin 1982, « l’Express » le présentait comme « le P.D.G. de l’Elysée ». Le président, selon cet hebdomadaire n'a rien à lui refuser. Pardi ! Il lui doit tout. Il est permis de se demander si la prise du pouvoir par les socialistes n'en dissimule pas une autre, celle des multinationales. Si l'hypothèse se vérifie, le successeur de M. Mitterrand sera soit M. Barre soit M. Fabius et, plus vraisemblablement d'abord M. Barre, au bénéfice de l'âge, puis M. Fabius. Ce serait la fin des dynasties républicaines, remplacées par les commis apatrides de l'Internationale des grandes affaires.

    Quoi qu'il en soit, de ces supputations, une chose est certaine. Le capitalisme financier n'a cessé de compromettre le progrès technique. Il l'a brisé net, à l'aube des temps modernes, il aurait recommencé à la fin du XIXe siècle, sans les artisans de génie qui maîtrisèrent le moteur à explosion. Il a entravé la troisième révolution industrielle en prêtant à tout va au tiers monde. L'argent n'a cessé d'être gaspillé et néanmoins l'appareil bancaire est indispensable pour la collecte des capitaux et leur distribution. Les socialistes se sont imaginés qu'il suffisait de nationaliser le crédit afin qu'il serve à la modernisation de l'industrie. Le seul fait qu'ils ne pouvaient toucher aux banques étrangères rendait vaine l'entreprise. L'intention était bonne, le moyen mauvais.

    Cependant, la nationalisation du crédit peut se révéler une opération fort utile. Tout dépendra de la manière dont on dénationalisera. Si l'on saisit l'occasion de subordonner le capitalisme financier au capitalisme industriel, le capital argent au capital machines, il conviendra de lier les banques aux régions et aux professions. Les actions mises en circulation ne pourront être achetées ou échangées qu'à l'intérieur de la région ou de la profession, qui auront reçu la direction d'une banque d'investissements. M. Chevènement, qui a parfois de bonnes idées, avait pensé à une banque d'investissements mais il la concevait au plan national. Ce qui supposait des structures trop lourdes et surtout dirigées de Paris, technocratiquement. Dans ce domaine, il faut décentraliser ni trop ni trop peu.

    Il convient, en effet, de prendre conscience de la véritable nature de la crise. Les socialistes, paradoxalement, ont fini par la découvrir. L'économie française n'a pas fait à temps l'effort de modernisation qui s'imposait. L'argument vaut sans doute contre M. Giscard d'Estaing mais il se retourne aussi bien contre eux. N'ont-ils pas, quand ils se trouvaient dans l'opposition, combattu les timides tentatives de restructuration industrielle, que tentaient les gouvernements Chirac et Barre ? Si ceux-ci se sont montrés trop timides ce fut, pour une part, parce qu'ils craignaient des troubles sociaux, déclenchés par la C.G.T. et la C.F.D.T., avec l'appui de la gauche, alors unie. Il n'en est pas moins vrai que les banques n'ont pas fait leur métier, qu'elles fussent nationalisées ou privées, elles se sont révélées incapables de gérer le long terme. Il importe donc de modifier non pas la structure juridique, de peu d'importance, mais le mode de gestion.

    Le véritable péché mortel de M. Giscard fut d'attribuer la crise à un accident, les deux « chocs pétroliers ». Il semblait ignorer que le Japon, plus dépendant encore que nous des émirats arabes, s'en tirait sans vrais dommages. La crise n'était pas conjoncturelle comme il le croyait, liée à des circonstances fortuites, mais structurelles. La troisième révolution technologique et l'arrivée sur le marché de nouveaux concurrents exigeaient la transformation de nos structures industrielles. D'où la nécessité du démantèlement de certains secteurs, comme la sidérurgie ou les chantiers navals que nous ne soutenions qu'à coup de subventions ruineuses et d'énormes investissements dans la recherche, pour la modernisation des équipements, pour la formation des hommes. Ce qui supposait des licenciements, une baisse générale du niveau de vie, la libération des prix, une réforme de l'enseignement, une politique rigoureuse de l'immigration.

    Rien ne fut fait durant le septennat de M. Giscard d'Estaing et, pendant deux ans, les socialistes firent l'inverse de ce qu'il fallait. Cependant si lourdes que fussent leurs responsabilités, elles ne sauraient dissimuler que l'erreur fatale vient de beaucoup plus loin. Plutôt que d'automatiser notre industrie, le patronat, public ou privé, jugea plus rentable d'attirer des immigrés, par de belles promesses, parfois par des procédés qui rappellent la « presse », en usage autrefois dans la marine. On améliora encore la rationalisation du travail afin qu'il puisse être exécuté par des ouvriers qui n'avaient pas même besoin d'apprendre notre langue. Cette main-d’œuvre que l'on espérait docile, peu coûteuse n'exigeait que de faibles investissements et l'accélération des cadences, aux limites du supportable, permettait des gains de productivité encore que compensés par la médiocre finition des produits qui imposait d'en mettre une partie au rebut ou, en tous cas, d'en dissimuler les malfaçons.  

     A suivre  (A venir : La machine contre l'homme - machine).

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    L'ÂGE DU CHARBON ET DE L'ACIER

    Le septennat de M. Giscard d'Estaing fut marqué, à l'inverse, par l'hégémonie du capitalisme financier. Les banques laissèrent péricliter nos entreprises de machine-outil, leur refusant des crédits parce qu'elles ne les rentabilisaient pas assez vite, alors qu'il faut sept à huit ans avant de commencer à dégager des bénéfices. Par contre elles financèrent des « contrats du siècle » en Iran ou en Irak ! La Garantie de l'Etat leur assurait des profits confortables et surtout les protégeait du risque. Tandis que les Japonais s'implantaient, n'investissant que pour s'assurer de fidèles clients, l'argent nécessaire à la modernisation de notre industrie fut dilapidé. Une fois un « contrat du siècle » achevé notre présence commerciale s'évanouissait, comme rose au

    Certes les membres de l'Etablissement, qui grouillaient autour de leur Prince, s'enrichirent effrontément au point qu'il fallut se résoudre à liquider M. de Broglie, et le peuple eut droit aux miettes du festin. On lui permit de continuer d'améliorer son niveau de vie. On ne toucha pas à un système de prestations sociales, dont le coût se développait anarchiquement. Les Français dépensaient pour se soigner de plus en plus d'argent, et cet argent manquait à nos industriels.

    L'Etablissement savait bien qu'une prospérité artificielle masquait ses pilleries. Quand les socialistes vinrent au pouvoir, ils chargèrent M. Bloch-Lainé et quelques autres membres de la bonne société de dresser le bilan du giscardisme. Les naïfs furent surpris des éloges adressés à la politique sociale de leur adversaire. La gestion scandaleuse de l'Etablissement ne fut pas dénoncée. 11 y a des choses qui ne se font pas.

    Pourquoi l'aurait-elle été ? M. Mitterrand veillait. Il n'oubliait pas qu'il avait commencé sa carrière comme employé de M. Schueller, le patron de l'Oréal, qu'il avait protégé des conséquences d'une collaboration qui n'avait pas été seulement économique. L'un des principaux commis de Schueller, Jacques Corrèze, avait été, avant-guerre, l'un des chefs de la « Cagoule », aux côtés de Deloncle, dont un frère de Mitterrand épousera la fille. Les amitiés nouées, du temps où il appartenait à l'extrême droite, firent du petit avocat besogneux un protégé de l'Etablissement. Son ami François Dalle deviendra d'ailleurs le P.D.G de l'Oréal, la société de Schueller dont l'héritière, la femme la plus riche de France, épousera M. Bettencourt, qui fera carrière dans le gaullisme. La famille avait ainsi un pied dans chaque camp.

    L'Etablissement qui se doutait qu'un jour ou l'autre le prolétariat intellectuel et la plèbe moderne s'empareraient du pouvoir l'avait d'avance pourvu d'un guide, qui empêcherait les débordements. Cependant d'autres puissances s'intéressaient aussi à M. Mitterrand, lié par les frères Riboud aux supranationales. Les socialistes nationalisèrent le crédit en arguant d'ailleurs d'une excellente raison : l'appareil bancaire n'avait pas assez investi dans la modernisation de l'industrie française, qui se trouvait, après sept ans de giscardisme dans un état de délabrement effectivement inquiétant. Il fallait s'arranger pour que cette mesure profite, en définitive, à l'Etablissement. Ce qui fut fait. Le gouvernement acheta, à grands frais, des coquilles vides. Worms ou Rothschild avaient replié leur haut personnel sur des sociétés financières, emmenant avec eux la clientèle. De même Dassault conservera l'électronique, l'Etat se chargeant de fabriquer les carlingues. L'opération se révéla d'autant plus rentable pour l'Etablissement que les capitaux versés par le gouvernement, comme indemnités de rachat, se placèrent en bourse, provoquant une euphorie artificielle, donc une progression rapide du prix des actions, la demande augmentant tandis que, du fait des nationalisations, l'offre se réduisait. Les fantaisies ruineuses du prolétariat intellectuel mirent la France dans une situation désastreuse si bien que l'Etablissement s'imagina qu'elle ne tarderait pas à-reprendre le pouvoir, grâce à la victoire électorale de l'opposition. Elle n'avait sans doute pas compté sur un phénomène relativement récent, l'apparition de multinationales, qui entendaient bien administrer directement l'Europe. L'Allemagne ou la Hollande l'étaient déjà. En France l'Etablissement, dans la mesure où il gardait des liens de famille avec la bourgeoisie catholique, rechignait. Il fallait des apatrides. On eut Fabius, par sa maman apparenté à la haute banque germano-américaine, liens encore renforcés par son mariage avec une demoiselle Castro. Certes, l'établissement a toujours été cosmopolite du fait de ses composantes juives et protestantes. Mais aussi de son caractère « mondain ». Le rôle des « riches héritières américaines », dans un système fondé sur le matriarcat, n'a jamais fait l'objet d'études sérieuses. En dehors de son aspect romantique, les épousailles de Rainier et de Grâce Kelly manifestent la transformation de la principauté de Monaco en multinationale. Désormais, les carrières ne se fabriquent plus dans les salons parisiens mais au sein d'organismes internationaux, comme la Trilatérale, où se concertent les grands patrons de l'économie mondiale. L'irrésistible ascension de M. Barre, homme de confiance de la Trilatérale précisément, attesté que l'Etablissement ne joue plus qu'un rôle subordonné. Ses membres, un Giscard où ses commis, un Chirac ou un Rocard, ne pèsent plus très lourd, face à un Barre ou à un Fabius.

    Mitterrand, lui-même, ne doit pas son destin historique seulement à l'Etablissement mais d'abord à la multinationale Schlumberger, qui emploie 85.000 personnes dans 76 pays. Son patron, Jean Riboud, fils d'un banquier de Lyon, appartient par ses origines à l'Etablissement. Il en fut exclu, du fait de sympathies communistes trop affichées. Son père le casa chez les Schlumberger, jouant des solidarités protestantes. En dépit de ses 430.000 francs de salaire mensuel, il ne craint pas l'impôt sur le revenu ; le siège de la société étant installé à Curaçao, petit paradis fiscal. Jean Riboud qui a conservé un profond ressentiment contre l'Etablissement a utilisé l'entreprise supranationale qu'est désormais Schlumberger pour régler ses comptes. Il a d'abord subventionné « l’Express », afin de lancer l'opération « Monsieur X », qui devait propulser M. Defferre à l'Elysée. Le cheval se révéla un toquard. Il misa alors sur Mitterrand que Defferre, bon prince, porta à la tête du parti socialiste. Dans son numéro du 18 juin 1982, « l’Express » le présentait comme « le P.D.G. de l’Elysée ». Le président, selon cet hebdomadaire n'a rien à lui refuser. Pardi ! Il lui doit tout. Il est permis de se demander si la prise du pouvoir par les socialistes n'en dissimule pas une autre, celle des multinationales. Si l'hypothèse se vérifie, le successeur de M. Mitterrand sera soit M. Barre soit M. Fabius et, plus vraisemblablement d'abord M. Barre, au bénéfice de l'âge, puis M. Fabius. Ce serait la fin des dynasties républicaines, remplacées par les commis apatrides de l'Internationale des grandes affaires.

    Quoi qu'il en soit, de ces supputations, une chose est certaine. Le capitalisme financier n'a cessé de compromettre le progrès technique. Il l'a brisé net, à l'aube des temps modernes, il aurait recommencé à la fin du XIXe siècle, sans les artisans de génie qui maîtrisèrent le moteur à explosion. Il a entravé la troisième révolution industrielle en prêtant à tout va au tiers monde. L'argent n'a cessé d'être gaspillé et néanmoins l'appareil bancaire est indispensable pour la collecte des capitaux et leur distribution. Les socialistes se sont imaginés qu'il suffisait de nationaliser le crédit afin qu'il serve à la modernisation de l'industrie. Le seul fait qu'ils ne pouvaient toucher aux banques étrangères rendait vaine l'entreprise. L'intention était bonne, le moyen mauvais.

    Cependant, la nationalisation du crédit peut se révéler une opération fort utile. Tout dépendra de la manière dont on dénationalisera. Si l'on saisit l'occasion de subordonner le capitalisme financier au capitalisme industriel, le capital argent au capital machines, il conviendra de lier les banques aux régions et aux professions. Les actions mises en circulation ne pourront être achetées ou échangées qu'à l'intérieur de la région ou de la profession, qui auront reçu la direction d'une banque d'investissements. M. Chevènement, qui a parfois de bonnes idées, avait pensé à une banque d'investissements mais il la concevait au plan national. Ce qui supposait des structures trop lourdes et surtout dirigées de Paris, technocratiquement. Dans ce domaine, il faut décentraliser ni trop ni trop peu.

    Il convient, en effet, de prendre conscience de la véritable nature de la crise. Les socialistes, paradoxalement, ont fini par la découvrir. L'économie française n'a pas fait à temps l'effort de modernisation qui s'imposait. L'argument vaut sans doute contre M. Giscard d'Estaing mais il se retourne aussi bien contre eux. N'ont-ils pas, quand ils se trouvaient dans l'opposition, combattu les timides tentatives de restructuration industrielle, que tentaient les gouvernements Chirac et Barre ? Si ceux-ci se sont montrés trop timides ce fut, pour une part, parce qu'ils craignaient des troubles sociaux, déclenchés par la C.G.T. et la C.F.D.T., avec l'appui de la gauche, alors unie. Il n'en est pas moins vrai que les banques n'ont pas fait leur métier, qu'elles fussent nationalisées ou privées, elles se sont révélées incapables de gérer le long terme. Il importe donc de modifier non pas la structure juridique, de peu d'importance, mais le mode de gestion.

    Le véritable péché mortel de M. Giscard fut d'attribuer la crise à un accident, les deux « chocs pétroliers ». Il semblait ignorer que le Japon, plus dépendant encore que nous des émirats arabes, s'en tirait sans vrais dommages. La crise n'était pas conjoncturelle comme il le croyait, liée à des circonstances fortuites, mais structurelles. La troisième révolution technologique et l'arrivée sur le marché de nouveaux concurrents exigeaient la transformation de nos structures industrielles. D'où la nécessité du démantèlement de certains secteurs, comme la sidérurgie ou les chantiers navals que nous ne soutenions qu'à coup de subventions ruineuses et d'énormes investissements dans la recherche, pour la modernisation des équipements, pour la formation des hommes. Ce qui supposait des licenciements, une baisse générale du niveau de vie, la libération des prix, une réforme de l'enseignement, une politique rigoureuse de l'immigration.

    Rien ne fut fait durant le septennat de M. Giscard d'Estaing et, pendant deux ans, les socialistes firent l'inverse de ce qu'il fallait. Cependant si lourdes que fussent leurs responsabilités, elles ne sauraient dissimuler que l'erreur fatale vient de beaucoup plus loin. Plutôt que d'automatiser notre industrie, le patronat, public ou privé, jugea plus rentable d'attirer des immigrés, par de belles promesses, parfois par des procédés qui rappellent la « presse », en usage autrefois dans la marine. On améliora encore la rationalisation du travail afin qu'il puisse être exécuté par des ouvriers qui n'avaient pas même besoin d'apprendre notre langue. Cette main-d’œuvre que l'on espérait docile, peu coûteuse n'exigeait que de faibles investissements et l'accélération des cadences, aux limites du supportable, permettait des gains de productivité encore que compensés par la médiocre finition des produits qui imposait d'en mettre une partie au rebut ou, en tous cas, d'en dissimuler les malfaçons.  

     A suivre  (A venir : La machine contre l'homme - machine).

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    lafautearousseau

  • Barbara Lefebvre : « Non, Monsieur Macron, notre époque n'a rien à voir avec les années 30 »

    A droite d'Emmanuel Macron : Remilitarisation de la Rhénanie, 1936

    Par  

    TRIBUNE - Dans ses propos rapportés par Ouest-France, le chef de l'État a comparé la période actuelle avec celle de l'entre-deux-guerres. le contexte est radicalement différent : les États-nations européens ne cherchent pas à s'étendre mais à conserver leur souveraineté. [Figarovox, 01.11]. Et elle le fait non seulement du point de vue de l'Histoire (on pourrait d'ailleurs discuter telle ou telle de ses interprétations) ; mais aussi en remontant aux vices structurels, idéologiques, sociétaux et finalement politiques, les plus profonds et les plus généraux de nos systèmes postmodernes et postnationaux. Une très belle analyse dont on doit saluer le courage intellectuel et la lucidité. Grâce à de tels auteurs une réaction monte peu à peu du pays et une prise de conscience s'opère. Ce ne sera pas sans effets. Bravo ! Lafautearousseau

     

    barbara-lefebvre-1_5858139.jpgPierre Nora avait mis en garde contre « ce moment historique habité par l'obsession commémorative » et la captation de cette belle expression, les « lieux de mémoire », utilisée pour célébrer la mémoire alors que la profondeur du travail historiographique des trois tomes qu'il avait dirigés était précisément de composer « une histoire de type contre-commémoratif ». Les historiens scrupuleux, ceux qui écrivent l'histoire sans tomber dans les pièges idéologiques de leur temps, sont souvent incompris par les technocrates, qui ne s'embarrassent pas de nuances pour rédiger les formules-chocs autrement appelées « éléments de langage ». Le service communication de l'Élysée nous a annoncé une semaine « d'itinérance mémorielle » pour commémorer le centenaire de l'armistice, et elle s'ouvre par une « itinérance historique » du président Macron dans Ouest France suivant un chemin tortueux qui le conduit à une impasse comparative !

    Dans les propos rapportés par Ouest-France, le Président Macron se lance dans des comparaisons historiques pour le moins problématiques : « je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l'entre-deux-guerres ». Tout y est: « la lèpre nationaliste »« la souveraineté européenne (sic) bousculée par des puissances extérieures »« la crise économique ». Et dans un élan de prophétie, véritable représentation mécaniste de l'Histoire avec son « H » majuscule grandiloquent, Emmanuel Macron nous révèle sa vision : « on voit presque méthodiquement se réarticuler tout ce qui a rythmé la vie de l'Europe de l'après Première Guerre mondiale à la crise de 1929 ». L'histoire, éternelle répétition du même ? Emmanuel Macron, président-historien après le président-philosophe ? Les permanences et les continuités de l'histoire ne sont pas des répétitions, Monsieur le Président, et les ruptures ne sont en général comprises et analysées qu'une fois survenues. Non l'histoire n'a pas le hoquet, car l'histoire n'est pas une réalité tangible qui s'opère sous nos yeux comme des bactéries visibles sous la loupe du microscope. L'histoire est modeste, elle n'est qu'une écriture, un récit humain qui se modifie sans cesse, se réécrit au fil du temps qui passe. L'histoire n'est pas un point fixe, établie une fois pour toutes. En revanche, on le sait, elle est fort utile pour servir les idéologies, servir la politique politicienne, pour jouer le « sachant » qui éclaire les ténèbres du présent en se donnant des airs de prophète d'un futur, si possible apocalyptique, sauf à suivre la marche du sauveur.

    Comparer l'Europe de 2018 à celle des années 1930 répond à cette inflation inquiétante de la récupération politicienne de l'histoire nationale et européenne, inflation qui s'accentue depuis bientôt vingt ans à mesure que nous produisons des générations d'amnésiques sortis frais émoulus avec un baccalauréat mais ignorants de leur histoire. Il faut faire un détour par l'histoire scolaire actuelle pour comprendre comment de tels propos peuvent être entendus par l'opinion en dépit de leur non-véracité. En effet, elle alimente les élèves en simplismes manichéens depuis plus de trois décennies, depuis que l'histoire postmoderne (donc postnationale) a mis la main sur l'organisation des programmes officiels. Au lieu de transmettre des connaissances simplifiées qui rendent la complexité du passé intelligible pour des élèves âgés de dix à dix-sept ans, on a réduit l'histoire scolaire à une histoire finaliste. Le passé n'est plus qu'un perpétuel combat entre des gentils et des méchants. Ce simplisme autorise tous les anachronismes. Or la simplification n'est pas le simplisme ; la vulgarisation n'est pas la platitude du binaire. L'histoire scolaire qui avait forgé, pendant près d'un siècle, chez des générations de Français - autochtones ou venus d'ailleurs - le sentiment d'appartenance nationale, aussi appelé patriotisme, s'appuyait certes sur des simplifications historiques non exemptes d'une part de mythes, mais elle ne versait pas dans les simplismes actuels où l'idéologie postmoderne affleure sous chaque thématique, où l'histoire nationale n'est plus qu'une histoire criminelle. La France a une histoire nationale. Les mémoires des groupes composant notre nation qui n'est pas fondée sur l'homogénéité ethno-religieuse, ont toujours existé mais jusqu'aux années 1990 elles n'avaient pas été valorisées au point de supplanter l'histoire nationale. En glorifiant les revendications mémorielles, souvent réinventions du passé, contre l'histoire commune, le projet poursuivi est bien la destruction de l'attachement à la nation, à cet héritage forgé par l'histoire et porté par des mœurs et des coutumes communes.

    Ni de Gaulle, ni Mitterrand n'auraient osé une comparaison aussi manichéenne, simpliste, que celle opérée par Emmanuel Macron. Et pour cause, les deux seuls « vrais » Présidents d'après-guerre avaient une vision, car ils étaient d'abord « enracinés » par une ample culture littéraire et historique - la composition de la bibliothèque de François Mitterrand en est l'illustration frappante - et ensuite parce qu'ils avaient connu l'entre-deux-guerres et la guerre. Cela fait toute la différence. Cela explique leur hauteur de vue, eux qui étaient passés par cette épreuve de la guerre, qu'ils connaissaient la complexité de cet avant-guerre, qu'ils ne réduisaient pas cette période à des caricatures binaires. L'un comme l'autre ont vu monter les périls, ils ont eux-mêmes fait des choix politiques qui ne suivaient pas toujours la ligne droite que les politiques actuels ont réinventée pour trier dans cette époque troublée les bons des méchants, pour juger les hommes du passé au regard du confort dans lequel est plongée notre Europe pacifiée, abrutie par la société de consommation.

    Personne ne viendrait nier que Staline, Hitler et Mussolini étaient des dirigeants néfastes pour leurs peuples et pour la paix du monde, que les idéologies portées par les deux premiers en particulier ont conduit à des ravages d'une ampleur inédite en Europe et au-delà et que nous sommes encore héritiers des ravages moraux qu'ils ont constitués pour l'humanité. Néanmoins oser les comparer à Orban, Salvini et pourquoi pas Morawiecki en Pologne et Kurz en Autriche, est non seulement une absurdité historique, mais une opération politique profondément anti-européenne qui attise les colères. Anti-européenne car celui qui aggrave les tensions entre partenaires européens en insultant les peuples qui ont élu les dirigeants précités, c'est le président français. Cette montée en tension n'est pas imputable au seul Emmanuel Macron, elle est à l'œuvre depuis que les progressistes autoproclamés ont décidé que l'Europe se ferait contre les peuples, c'est-à-dire depuis le non au référendum sur la Constitution européenne en 2005 qui ne fut pas respecté. Le mépris du « non », pourtant majoritaire, par les présidents Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron est fondamental pour comprendre la défiance des Français à qui on dénie toute forme d'intelligence politique quand ils ne votent pas comme on le leur prescrit. Cette atteinte profonde au contrat civique fondateur de la démocratie n'est pas le fait des partis « lépreux » que je sache.

    Plus grave, l'énormité historique suivante : l'Europe de l'entre-deux-guerres n'est évidemment pas lisible en termes politiques comme l'Union européenne des 28. Elle était composée d'États-nations souverains qui n'obéissaient pas à une entité supranationale comme c'est notre cas. En outre, aujourd'hui, l'hégémonie mondiale de l'idéologie capitaliste ultralibérale est telle qu'aucun modèle n'émerge pour s'opposer sérieusement à elle, alors que dans l'Europe d'entre-deux-guerres, des idéologies concurrentes puissantes avaient pris forme parmi les peuples (communisme, fascisme, nazisme) et se sont cristallisées politiquement dans trois pays, la Russie, l'Italie puis l'Allemagne. Autre différence et non des moindres s'agissant de menaces pour la paix : l'URSS et le IIIe Reich avaient des ambitions d'expansion territoriale, sinon d'hégémonie planétaire, et il s'agissait de nations hyper militarisées. En quoi les « lépreux » Orban et Salvini - pour ne retenir qu'eux - ont-ils une quelconque ambition belliqueuse de cette nature ? Ils souhaitent simplement se concentrer sur leurs intérêts strictement nationaux, protéger leurs frontières de flux migratoires incontrôlés par l'Europe de Schengen, refuser la société multiculturelle dont ils observent les échecs en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Belgique. C'est un choix de souveraineté politique, leurs citoyens les ont élus pour cette politique et peuvent se dédire aux prochaines élections puisque ni Orban ni Salvini pour l'heure n'ont remplacé la démocratie par l'autocratie.

    Autre aspect de cet absurde raccourci comparatif : dans les trois cas, URSS, Italie fasciste, Allemagne nazie, la prise du pouvoir n'a rien eu de démocratique à la différence des gouvernements italiens, autrichiens ou hongrois vilipendés par Emmanuel Macron. La Russie est devenue l'URSS à la suite de la révolution bolchévique qui fut pour le moins un coup de force, venue d'une minorité politique extrémiste, favorisé par le contexte tragique des défaites militaires russes, la Russie de Nicolas II étant membre de la Triple entente. Staline prit le pouvoir après la mort de Lénine en 1924 après avoir éliminé tous ses concurrents, tout aussi violents politiquement et antidémocrates que lui, mais probablement moins malades mentalement que le Petit père des peuples. Mussolini accéda au pouvoir après une forme d'itinérance au demeurant ratée, la marche sur Rome d'octobre 1922. Cette démonstration de force maquillée a posteriori par le Duce en coup d'État, aura suffi à vaincre une démocratie italienne sans boussole, minée par les conflits internes, qui s'effondrera d'elle-même laissant Mussolini instaurer sa dictature fasciste, qui servira en partie de modèle à Hitler.

    Ce dernier n'a pas été élu démocratiquement, contrairement à la doxa qui sert le discours sentencieux actuel envers les citoyens-électeurs, à grand renfort de « retour des heures sombres » et d'entrisme par les Forces du Mal au sein de notre vertueuse machine démocratique. En effet, dans l'Allemagne de la jeune République de Weimar, née de l'effondrement du Reich en 1918, l'assemblée était élue à la proportionnelle intégrale et jusqu'aux élections de 1932 le NSDAP, le Parti des Travailleurs allemands Socialiste et National, ne dépasse pas les 20 %. Hitler échoue également à l'élection présidentielle de 1932 qui voit la réélection d'Hindenburg. Cette campagne aidera en effet le NSDAP à engranger des voix aux législatives suivantes puisque le parti dépasse les 30 % des suffrages, pour autant il n'est pas majoritaire. La majorité était composée par une coalition de centre-gauche qui n'échappa pas aux luttes intestines largement alimentées par la gauche (SPD et KPD), et empêchera la nomination d'un gouvernement d'union nationale qui aurait peut-être pu réduire la puissance montante du NSDAP. C'est l'incapacité des forces politiques démocratiques (cet adjectif est-il seulement admissible pour le KPD…) à s'entendre pour gouverner ensemble qui explique aussi qu'Hindenburg dût se résoudre à nommer Hitler. Il était après tout le chef du parti qui avait obtenu, seul, 33 % des voix aux législatives, mais les démocrates, en se coalisant durablement, pouvaient faire obstacle à sa nomination au poste de Chancelier. C'est leur faiblesse qui fit sa force, et non pas un imaginaire raz-de-marée électoral laissant penser que le peuple allemand aspirait unanimement à suivre Hitler dans les années 1930.

    Quant à réduire la montée des totalitarismes dans l'entre-deux-guerres à une conséquence de la crise de 1929 comme le laisse croire le président Macron, c'est encore voir l'histoire par le petit bout de la lorgnette. Ce genre de raccourci ne sert à faire comprendre ni le passé, ni le présent, il sert à manipuler l'opinion pour une politique à venir décidée sans le consulter. La crise de 1929 a montré pour la première fois à l'échelle mondiale, où conduisaient le capitalisme financier et sa spéculation sans limite, les prises de bénéfices indignes des gros opérateurs financiers en plein cœur d'une crise sans précédent, son culte de l'argent-roi et déjà l'économie ouverte à tous les vents mauvais. La critique de ce capitalisme amoral, contraire aux intérêts des peuples souverains, destructeur de la nature, asservi aux machines et transformant l'homme lui-même en machine, fut étouffée pendant des décennies par les délires des théoriciens de la lutte prolétarienne. Ils ne firent qu'alimenter la puissance capitaliste qui conduira à la multiplication des crises économiques jusqu'à celle de 2008 dont aucun dirigeant n'a réellement tiré la moindre analyse qui se transformerait en action politique. Au contraire, comme dans une course vers l'abyme on alimente plus que jamais la destruction de tout ce que l'humanité a forgé en plus de cinq mille ans d'histoire. L'homme atomisé machine à consommer est le produit de cette crise, on l'endort en lui promettant comme seul horizon de bonheur « plus de pouvoir d'achat ». Emmanuel Macron est l'homme de ce système : la société ouverte, inclusive, du village global, des flux sans contrôle de marchandises et des hommes - catégories bientôt synonymes. Et pourtant il ose accuser dans ces propos les « grands intérêts financiers qui dépassent parfois la place des États ». On peut être stupéfait quand cela est dit par le fondé de pouvoir de la Commission de Bruxelles ! Mais c'est habile pour convaincre une opinion publique rendue amnésique qu'on la protège des petits Hitler à nos portes, elle qu'on a rendue aveugle aux conséquences de l'irréparable. Cet irréparable est né quand l'économie industrielle au XIXe siècle prit le pas sur la politique au nom du Progrès, quand le capitalisme financier décréta la mise à mort des nations européennes seules capables de circonscrire sa dangerosité tant pour l'humanité que les écosystèmes. Cet irréparable est né quand des experts-comptables au service d'une oligarchie financière mondiale prirent la place des hommes d'État soucieux de défendre les intérêts de leur nation et de protéger leurs citoyens, tous leurs citoyens.   

    41zpjLhBYBL._SX320_BO1,204,203,200_.jpgBarbara Lefebvre est enseignante et essayiste, auteur de Génération j'ai le droit, (éd. Albin Michel 2018). 

     

     

     

    Lire aussi dans Lafautearousseau le dernier Lundi de Louis-Joseph Delanglade  

  • «L’Union européenne s’attaque à l’héritage culturel des sociétés qui la constituent», par Par Max-Erwann Gastineau.

    JOHN THYS/AFP

    Le 16 septembre, Ursula Von der Leyen, a prononcé un discours sur «l’état général de l’Union». La présidente de la Commission européenne a exposé sa volonté de construire une «société européenne», transcendée par des «valeurs» communes. Max-Erwann Gastineau y voit un danger pour la souveraineté des États-nations.

    6.jpgPrononcé le 16 septembre dernier dans un relatif anonymat, le discours de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, sur «l’état général de l’Union» acte une évolution majeure et non moins sous-jacente au grand dessein transnational européen: la volonté de construire plus qu’un marché, une «société européenne», transcendée par des «valeurs» communes.

    En témoigne la toute fin de ce discours, consacrée aux «droits des minorités». Nous devons «lutter contre les discriminations», s’attaquer aux «préjugés inconscients» et, dans cette perspective, promet Von der Leyen, mettre en œuvre une «stratégie visant (…) la reconnaissance mutuelle des relations familiales dans l’UE» (mariage homosexuel, homoparentalité, théorie du genre dans l’enseignement...). Dans une Europe où chacun doit pouvoir vivre conformément à son «identité», à l’intérieur de sociétés marquées par le «pluralisme» et le principe de «non-discrimination», les questions sociétales ne relèvent plus de la libre appréciation des États. Elles doivent devenir l’affaire des garants de l’Union, et donc de la Commission.

    Cette offensive «sociétale» ne vise pas uniquement certains États récalcitrants (Hongrie, Pologne). Elle concerne l’ensemble européen et doit, à ce titre, être resituée dans le contexte d’une mutation plus générale. Celle-ci se produit sous l’effet mécanique de deux tendances complémentaires, découlant l’une de l’autre. Une tendance «psycho-historique» et une tendance «juridico-politique».

    La prétention d’États ou de partis à défendre une vision de la famille inspirée de traditions nationales et spirituelles singulières, ou à faire primer la cohésion de la nation sur l’avènement d’une société « ouverte » et multiculturelle n’est-elle pas seulement jugée dépassée mais coupable de contrevenir aux termes du contrat que l’Europe post-hitlérienne s’est promise de ne jamais rompre.

    La première tendance fait écho à un axiome bien connu: «Le nationalisme, c’est la guerre!» Dans une Europe marquée par les horreurs du XXème siècle, le sacrifice de l’irréductible multiplicité des communautés humaines sur l’autel du salut collectif, le nationalisme - ou l’exaltation de particularités historiques et culturelles nationales - n’est plus une option. Il convient d’en déminer la charge explosive et, à cette fin, de bâtir les termes d’une citoyenneté post-culturelle, déliée de tout ancrage historique, fondée sur le strict attachement de ses titulaires aux valeurs universelles inscrites dans l’ordre constitutionnel. Cette proposition, théorisée dans les années 1970 par le philosophe Jürgen Habermas sous le nom de «patriotisme constitutionnel», a fait école et recomposé en profondeur la nature du lien qui relie le citoyen à son État. Ainsi la prétention d’États ou de partis à défendre une vision de la famille inspirée de traditions nationales et spirituelles singulières, ou à faire primer la cohésion de la nation sur l’avènement d’une société «ouverte» et multiculturelle n’est-elle pas seulement jugée dépassée mais coupable de contrevenir aux termes du contrat que l’Europe post-hitlérienne s’est promise de ne jamais rompre.

    La seconde tendance, juridico-politique, découle de la première. La délégitimation de la nation comme communauté politique reposant sur une identité spécifique n’a pas seulement accéléré l’ «ouverture» des sociétés européennes à l’appel d’autres valeurs, plus libérales, elle a instruit la légende noire de la souveraineté populaire. «Hitler n’a-t-il pas été élu?», ne se plait-on jamais à rappeler (au mépris, d’ailleurs, de la réalité historique la plus élémentaire)?

    La souveraineté populaire a perdu de sa légitimité et, avec elle, le pouvoir de prescription du politique. Un principe de précaution s’institue désormais contre tout parti ou régime prétendant correspondre aux aspirations majoritaires. Ainsi sommes-nous passés de la démocratie fondée sur l’idée répandue par la Révolution française de «souveraineté du peuple» - et son corolaire: la loi comme expression de la volonté générale - à une «idée juridique de la démocratie», résume Marcel Gauchet, qui met en son centre la sauvegarde et l’extension des droits et des libertés individuels jadis bafoués, désormais protégés par l’État de droit ; le développement de juridictions indépendantes.

    La grande attention portée à ces droits et à ces libertés parcourt l’ensemble du monde occidental. Mais elle se double en Europe d’un processus de «déterritorialisation» du droit, consubstantiel au projet européen d’ «union sans cesse plus étroite entre les peuples», qui favorise l’avènement d’un «État de droit supranational» d’où les citoyens sont pensés comme émancipés du cadre national. «Puisque les droits sont universels, comment pourrait-on leur opposer des barrières géographiques plus ou moins contingentes qui n’ont rien à voir avec leur essence? C’est le procès que véhicule implicitement la notion d’État de droit», note implacablement Gauchet. Procès de l’État, comme représentant légitime des intérêts d’une collectivité humaine unifiée sous sa bannière, et de la Nation, comme cadre historique de la démocratie.

    La CEDH joue le rôle de juge fédéral, dans la mesure où sa jurisprudence est aujourd’hui largement reprise par le juge constitutionnel national, qui l’impose ensuite au Législateur.

    Dans cette entreprise d’affirmation d’une citoyenneté post-culturelle, assise et confortée par l’État de droit, la Commission européenne dispose d’alliés de taille, tels que la Commission européenne pour la démocratie par le droit - dite «Commission de Venise» - ou la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Bien qu’extérieures à l’Union européenne (puisqu’elles dépendent du Conseil de l’Europe), ces instances participent à l’uniformisation des systèmes juridiques nationaux et à la réification des «valeurs» inscrites dans les traités. Dans son avis sur le degré de comptabilité de la Constitution hongroise - qui, rappelons-le, fait explicitement référence aux racines chrétiennes de la nation - avec la Convention européenne des droits de l’homme, la Commission de Venise affirme qu’ «une constitution doit éviter de définir ou de fixer une fois pour toute des valeurs.» Les États, poursuit-elle, doivent se déterminer «en fonction des circonstances et des besoins de leur population.» Un relativisme recommandé aux États et qui tranche avec la portée de ses avis, lorsqu’ils sont repris par la CEDH et obtiennent, par ce biais, une portée normative fort contraignante. On notera à ce titre que c’est à partir de l’avis de la Commission de Venise sur «la situation en Pologne» que la Commission européenne a décidé, en mars 2016, de placer sous surveillance le pays de Solidarnosc.

    Comme le montre le conseiller d’État Bertrand Mathieu, dans un ouvrage qu’il faut lire Le droit contre la démocratie?, la Commission de Venise n’exclut pas que, demain, le contrôle de constitutionnalité «devienne un élément du patrimoine commun constitutionnel à tout le continent». Après l’uniformisation des mœurs et des valeurs pour favoriser l’avènement d’une «société européenne», l’uniformisation des contrôles de constitutionnalité, afin que nul État ne puisse faire valoir les spécifiés de son ordre constitutionnel face au juge européen? La CEDH joue déjà, de fait, le rôle de juge fédéral, dans la mesure où sa jurisprudence est aujourd’hui largement reprise par le juge constitutionnel national, qui l’impose ensuite au Législateur. Un rôle de fait problématique, puisque la CEDH, qui n’est pas une instance démocratique, élue, se donne un pouvoir d’interprétation ne connaissant, lui, aucune limite. Pensons à la décision Marcks, du 13 juin 1979, à travers laquelle la CEDH estime que la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 doit s’interpréter «à la lumière des conditions d’aujourd’hui.» Pensons également à la décision Rees du 17 octobre 1986, depuis laquelle la CEDH se donne le pouvoir «d’adapter les droits reconnus par la Convention à l’évolution des mœurs et des mentalités, ou même de la science».

    L’affirmation de la Commission européenne sur le terrain des valeurs s’inscrit donc dans un paysage institutionnel européen sans cesse remodelé par des avis et des décisions rendus dans le vase clos des prétoires.

    L’affirmation de la Commission européenne sur le terrain des valeurs s’inscrit donc dans un paysage institutionnel européen sans cesse remodelé par des avis et des décisions rendus dans le vase clos des prétoires. Au gré de cette lente et constante mutation, l’État de droit a changé de nature. Il n’est plus simplement chargé de veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux, il vise à les étendre, à «ouvrir l’espace le plus grand possible aux libertés individuelles», rappelle un rapport de l’Assemblée nationale consacré en 2018 à cette notion. Il ne donne plus simplement aux juges le soin de fixer le champ d’intervention légitime du politique, il étend le champ d’intervention légitime du juge… au point de donner à ce dernier un rôle décisif dans le processus d’édification des normes collectives. Formé à l’Université de Yale et professeur de droit et de science politique à l’Université de Toronto, Ran Hirschl estime que les régimes occidentaux, en transférant «un pouvoir sans précédent des institutions représentatives aux systèmes judiciaires», ont mis sur pied des régimes de nature «juristocratique», dominés par une «coalition d’innovateurs juridiques tournés sur eux-mêmes», déterminant «le calendrier, l’ampleur et la nature des réformes constitutionnelles» et qui, «tout en affirmant soutenir la démocratie (…), tentent d’isoler les décideurs politiques des vicissitudes de la politique démocratique». D’après l’auteur de Towards Juristocracy, le terrain des «valeurs» est particulièrement propice au déploiement des ces régimes, que l’on définira sobrement à l’aune du mouvement qu’ils augurent: le passage d’un pouvoir par le droit à un «pouvoir du droit», sur fond de montée en puissance des cours de justice.

    Prenons le cas de l’évolution du Conseil constitutionnel en France. Ce dernier n’est plus seulement chargé de censurer les lois jugées non-conformes à notre Constitution, il est à même de donner une «valeur constitutionnelle» à des principes abstraits, de convertir des idéaux en droits. Ce fut notamment le cas en 2018, où le principe de «fraternité» fut constitutionnalité suite à une «Question prioritaire de constitutionnalité» (QPC) déposée par des associations d’aide aux migrants et deux citoyens condamnés pour avoir aidé des personnes en situation irrégulière à séjourner en France. La constitutionnalisation du principe de «fraternité» protège l’individu qui s’en réclame, mais quid de la communauté nationale? Dans la mesure où le franchissement indu de sa frontière n’est plus fondamentalement passible de poursuites, n’en ressorte-elle pas fragilisée? La notion de «fraternité» ainsi étendue à l’humanité fait, sans le dire, du juge non plus le sourcilleux gardien de la lettre constitutionnelle mais une force créatrice de nouveaux droits individuels et de normes touchant à des domaines (comme ici sur l’immigration) autrefois réservés aux institutions représentatives du peuple souverain.

    La critique du «juristocratisme» - de l’affirmation en Occident (Canada, Nouvelle-Zélande, Israël, UE…) d’une conception plus idéologique que juridique de l’Etat de droit - devrait davantage retenir l’attention du politique, y compris en France. Lorsque l’ancienne présidente du Tribunal de Grande instance (TGI) de Paris déclare, comme en 2014, qu’il «appartient aux juges d’adapter le droit aux attentes du corps social», on aimerait lui répondre qu’en démocratie ce rôle revient au politique, aux représentants du peuple. Lorsque la Cour de Cassation déclare, comme en 2011, que les cours de justice doivent désormais suivre la jurisprudence de la CEDH, «de préférence aux lois nationales», une question s’impose: n’assistons-nous pas à l’affirmation subreptice d’un régime post-démocratique, où la production de la norme échappe au contrôle des citoyens? Lorsque la Commission de Venise affirme que «le bon fonctionnement d’un régime démocratique repose sur sa capacité d’évolution permanente», n’est-on pas tenté de paraphraser le philosophe José Ortega y Gasset, et de rappeler que «le droit à la continuité historique» est le premier des droits de l’homme ; que tout peuple repose sur un socle de mœurs et de valeurs stables?

    Le devenir de la démocratie comme régime de décision fondé sur le suffrage populaire est remis en question par l’avènement du « Léviathan judiciaire » européen.

    Le tour juristocratique que prend l’Europe lance un défi particulier aux partis conservateurs, traditionnellement attachés à l’autorité du politique, à la famille et à l’héritage culturel des sociétés. Il rappelle la nécessité pour ces partis de sortir d’une attitude bien souvent spectatrice, les condamnant à subir le «mouvement», l’«évolution», le «changement» que les minorités organisées (associations, ONG…) mettent à l’agenda du «Progrès».

    Plus fondamentalement, c’est le devenir de la démocratie comme régime de décision fondé sur le suffrage populaire que l’avènement du «Léviathan judiciaire» européen remet en question. Relisons à ce sujet les mots du père du contrôle de constitutionnalité en Europe, Hans Kelsen, pour qui le pouvoir constituant devait absolument éviter la «phraséologie», consistant à «écrire des valeurs et des principes vagues tels que liberté, égalité, justice ou équité qui pourraient conduire un tribunal constitutionnel à annuler une loi au motif qu’elle est simplement injuste ou inopportune.» Car dans ce cas, concluait-il, «la puissance du tribunal serait telle qu’elle devrait être considérée comme simplement insupportable».

    Par peur de la puissance historique du politique, nous avons érigé la puissance nouvelle du tribunal. Pas sûr que cela constitue un progrès, surtout dans un contexte européen où les peuples pressent leurs dirigeants de «reprendre le contrôle» («to take the control back», disaient les Britanniques au moment du Brexit), y compris sur le terrain culturel, pour préserver la cohésion de ces diverses modalités de l’existence européenne que sont nos nations.

     

    Diplômé de l’Institut des hautes européennes (IHEE) de Strasbourg, Max-Erwann Gastineau est l’auteur d’un premier essai remarqué, Le Nouveau Procès de l’Est, publié l’an dernier aux éditions du Cerf

    Source : https://www.lefigaro.fr/vox/