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  • Le mépris du peuple et L'insécurité culturelle : les livres que doit lire Manuel Valls ... Selon Alexandre Devecchio *

     

    Alexandre Devecchio voit dans les résultats des départementales la preuve de la rupture entre la gauche et le peuple. Il conseille au Premier ministre la lecture de deux essais qui analysent ce qui se passe dans les tréfonds de la France populaire. Ce ne sont pas là des analyses ou des thèses réactionnaires, au sens de la tradition, ou de ce que nous nommons ainsi. Ce sont néanmoins des réflexions en parfaite réaction contre le Système. Et si nous n'en acceptons pas nécessairement tous les éléments ni toutes les conclusions, force est de constater, selon l'expression d'Alexandre Devecchio, leur caractère subversif du dit Système. Et ce, avec beaucoup d'autres ! Un flot ! Une vague ! Nous n'aurons pas lieu de nous en plaindre, Raphaël Glucksmann dût-t-il en être effrayé encore davantage. Lafautearousseau    

     

    Ce soir, les formations républicaines ont tenu leur place. Ce soir, l'extrême droite, même si elle est trop haute, n'est pas la première formation politique de France », a martelé Manuel Valls après le premier tour des départementales. Et de souligner: « Je m'en félicite car je me suis personnellement engagé. Quand on mobilise la société, quand on mobilise les Français, ça marche ». Une autosatisfaction qui ne doit pas masquer la réalité de ce scrutin. Certes, la déroute de la gauche a été moins lourde que ne le prévoyaient les sondages et le Premier ministre obtient un sursis politique jusqu'aux régionales. Mais le PS reste le grand perdant de la soirée. Avec moins de 20% des suffrages exprimés selon CSA, il est évincé d'environ 500 cantons dès le premier tour. Quant au FN, il obtient le meilleur score de son histoire et s'enracine dans les territoires de la France périphérique. Les classes populaires, raison d'être de la gauche, se détournent de celle-ci au profit du parti de Marine Le Pen. Entre les deux tours, Manuel Valls a pourtant décidé de persévérer dans l'incantation antifasciste qualifiant le « Ni-ni » de Nicolas Sarkozy de « faute morale et politique ». Si cette stratégie peut s'avérer payante dans l'immédiat, elle ne règle pas le problème de fond : la gauche a perdu le peuple. Pour certains observateurs, cette troisième défaite du PS après celle des européennes et des municipales est synonyme de mort lente. Manuel Valls, le 5 mars dernier, déplorait le silence des intellectuels. On lui conseillera de lire deux essais qui tentent d'analyser ce qui se passe dans les tréfonds de la France populaire : Le mépris du peuple, comment l'oligarchie a pris la société en otage de Jack Dion (Les Liens qui libèrent) et L'insécurité culturelle de Laurent Bouvet (Fayard).

    ● Le mépris du peuple

    Dans Le mépris du peuple, fidèle à son style incisif, le directeur adjoint de la rédaction du magazine Marianne, adopte le ton du pamphlet. « Marine Le Pen serait bien inspirée d'envoyer un message de remerciement à tous les idiots utiles qui lui ont fait la courte échelle, de BHL à Harlem Désir et à Jean-Christophe Cambadélis - les parrains de SOS racisme - en passant par quelques étoiles de moindre écla t» écrit Dion. Car pour le journaliste, la montée du FN est avant tout le résultat de trois décennies de diabolisation. Loin de l'avoir fait reculer, celle-ci est au contraire devenue sa principale arme: « Le bulletin FN est celui que l'on jette à la figure des notables (…) Nombre de salariés humbles, oubliés, déclassés, humiliés, abandonnés, ont fini par se dire que, si la caste politico-médiatique - celle qui fait l'unanimité contre elle - tape sur le FN, c'est que ce dernier n'est peut-être pas si pourri que ça ! ».

    La deuxième clef pour comprendre l'attrait des classes populaires pour le parti de Marine Le Pen, est, selon Jack Dion, l'alignement du PS sur les thèses néo-libérales. L'auteur regrette la métamorphose de François Hollande après son élection: « L'ennemi déclaré de la finance», s'est mué en «ami des grands argentiers », « l'homme de gauche critique à l'égard du lobby bancaire » s'est transformé en « partisan acharné de la non-réforme bancaire ». S'il achève de briser le lien de confiance entre les citoyens et les politiques, le virage à 180 degrés de François Hollande n'est guère surprenant. Comme l'explique Dion, il s'inscrit dans une lente évolution du PS depuis le tournant de la rigueur de François Mitterrand en 1983. « La première loi bancaire au monde ayant mis fin à la séparation entre banques d'affaires et banques de dépôt a été votée en France le 24 janvier 1984 par le président socialiste.», rappelle le journaliste. Suivront en 1986, la loi Bérégovoy sur la déréglementation financière généralisée.

    La même année, l'Acte unique européen consacre la libre circulation des personnes, mais aussi des biens et des capitaux. Pour Dion, « les marchés ne remercieront jamais assez le PS, avec l'aide efficace de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne à Bruxelles.». Non seulement, l'avènement de l'Union européenne marque le triomphe de la finance sur la politique, mais aussi celui de la technocratie sur la démocratie. « Faute de construire l'Europe des peuples dont rêvait Fernand Braudel, on a bâti l'Europe contre les peuples, en instaurant le pouvoir conjoint des oligarques et des eurocrates », conclut Dion. Et gare à ceux qui osent remettre en cause ce système. Les voilà immédiatement rejetés dans le camp des populistes, comme si « peuple » était un gros mot et qu'en faire usage était la preuve d'une dérive contraire aux valeurs universelles. Ainsi, d'après l'auteur, le débat sur le traité constitutionnel européen de 2005 a été ramené à un « clivage entre les gens de biens, membres d'une avant-garde éclairée, et les gens de peu, ignorants, bêtes et revêches ».

    Dix ans plus tard cette fracture entre l' « élite » et le « peuple » perdure et bénéficie essentiellement au FN. Plus encore que l'UMP, le PS en subit les conséquences, sans doute parce que depuis la quasi disparition du Parti communiste, celui-ci était censé incarner l'espérance des plus modestes. Manuel Valls ferait bien de méditer ce constat qui rejoint celui d'autres intellectuels de gauche: Régis Debray, Jean-Claude Michéa, Christophe Guilluy ou Jean-François Kahn. On regrettera cependant que Jack Dion élude certaines problématiques : la question de l'immigration est évoquée au détour de quelques lignes tandis que celles de l'islam ou du mariage pour tous sont tout simplement passées sous silence. L'analyse de l'auteur est fondée sur une grille de lecture marxiste des évènements où l'économie et le social priment sur les enjeux sociétaux. Si celle-ci s'avère souvent pertinente, elle ne permet pas de comprendre entièrement la singularité d'une crise dont les ressorts sont également profondément identitaires.

    ● L'insécurité culturelle

    Manuel Valls pourra donc compléter cette lecture par celle de L'insécurité culturelle de Laurent Bouvet. Le style du politologue est plus consensuel et apaisé que celui de Dion, mais son propos n'est pas moins subversif. Pour l'auteur, la crise économique ne suffit pas à expliquer la montée du FN: « elle témoigne aussi d'un doute profond et insidieux sur ce que nous sommes, sur « qui » nous sommes ». Bouvet défend ainsi la notion d' « insécurité culturelle ». Celle-ci mêle deux inquiétudes nées de la mondialisation et de l'ouverture des frontières chez les classes populaires : la peur économique et sociale du déclassement mais aussi l'angoisse identitaire de voir disparaître leur héritage culturel. Pour Bouvet, l'insécurité culturelle se trouve notamment « dans les craintes exprimées à longueur d'enquêtes d'opinion par ceux que l'on nomme trop facilement les « petits Blancs », parce qu'ils rejettent l'immigration au nom de leur survie économique ou l'islam au nom de la volonté de préserver leur mode de vie».

    La grande force du FN est de répondre à cette insécurité culturelle à travers un programme qui articule à la fois protectionnisme économique et protectionnisme culturel dans une sorte de souverainisme intégral. « Le contrôle étroit des frontières que Marine Le Pen propose s'étend de manière continue des capitaux aux personnes. », souligne Bouvet. Cela explique pourquoi Jean-Luc Mélenchon ne parvient pas à concurrencer le Front national malgré un programme économique très proche. Si le leader du Front de gauche rejoint Marine Le Pen dans sa critique de la construction européenne, il se montre en revanche beaucoup plus libéral en matière de mœurs et d'immigration. Quant au PS, pris en étau entre les exigences imposées par Bruxelles et les aspirations sociales de son aile gauche, il parvient à séduire une partie de la bourgeoisie urbaine des grandes métropoles protégée économiquement et favorable aux réformes sociétales, mais est désormais rejeté en bloc par les classes populaires

    Pour Laurent Bouvet, la gauche radicale et le Parti socialiste ont pour point commun une vision individualiste et multiculturaliste de la société tournée vers les minorités culturelles. Et c'est finalement la stratégie du think thank Terra Nova, - qui, durant la présidentielle de 2012 recommandait au PS de se tourner vers les jeunes, les diplômés, les femmes et les immigrés, plutôt que vers les classes populaires - qui s'impose. Selon lui, il s'agit d'une faute politique : les intérêts catégoriels des différentes minorités sont trop disparates pour former une coalition électorale stable et cohérente. Mais aussi d'une faute morale : la gauche s'éloigne de son ambition originelle d'émancipation sociale et collective et ouvre la porte aux communautarismes sur fond de choc des civilisations. Injustement accusé de dérive identitariste, Bouvet semble au contraire profondément redouter la guerre du tous contre tous. A travers son livre, il appelle avant tout la gauche à renouer avec un projet commun. Dans une interview récente à l'excellent site Philitt, il rappelait ainsi : « Le « jeune de banlieue » et le « petit blanc » ou « Français de souche » ont davantage d'intérêts communs que divergents, ils ont en commun des intérêts sociaux notamment, et disent la même chose de ceux d'en-haut. Ils leur reprochent la relégation, l'abandon, l'oubli… les choix de politiques publiques.» Manuel Valls les entendra-t-il ? 

     

    ● Le mépris du peuple, comment l'oligarchie a pris la société en otage de Jack Dion (Les Liens qui libèrent)

    ● L'insécurité culturelle de Laurent Bouvet (Fayard).

    * Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro et responsable du FigaroVox. Chaque semaine, il y observe le mouvement des idées. Passionné par le cinéma, la politique et les questions liées aux banlieues et à l'intégration, il a été chroniqueur au Bondy blog. Retrouvez-le sur son compte twitter @AlexDevecchio

     

  • Culture & Littérature • Alain Finkielkraut : un néo-réac sous la coupole

     

    Par Henri BEC

     

    2015-03-20_155205_bec-village.jpgAlain Finkielkraut a prononcé son discours de réception à l’Académie française (on dit son « remerciement »), où il avait été élu en avril 2014. On se souvient que cette élection avait été accompagnée des cris d’orfraie du petit monde médiatico-bobo, scandalisé de l’élection d’un pareil réactionnaire.

    D’une part elle nous a donné le plaisir d’assister à l’effondrement d’une pensée, et peut-être même d’un système qui ne séduit plus les esprits. Les mouvements de l’histoire sont toujours lents nous a appris Jacques Bainville, ceux de la pensée également. Mais l’Académie s’est une fois de plus honorée de résister au mauvais air du temps.

    D’autre part, le discours prononcé sous la coupole n’en fut pas moins éminent : « Le nationalisme, voilà l’ennemi : telle est la leçon que le nouvel esprit du temps a tirée de l’histoire, et me voici, pour ma part, accusé d’avoir trahi mon glorieux patronyme diasporique en rejoignant les rangs des gardes-frontières et des chantres de l’autochtonie. Mais tout se paie : ma trahison, murmure maintenant la rumeur, trouve à la fois son apothéose et son châtiment dans mon élection au fauteuil de Félicien Marceau. Les moins mal intentionnés eux-mêmes m’attendent au tournant et j’aggraverais mon cas si je décevais maintenant leur attente » .

    Alors il a répondu à leur attente mais il les a déçus.

    La France s’oublie elle-même

    Dans de nombreux ouvrages dont le très controversé L’identité malheureuse, Alain Finkielkraut n’a cessé de déplorer la disparition progressive de notre culture, notre langue, notre littérature, notre religion, nos traditions et tout simplement notre art de vivre, pour en arriver à l’être désincarné dont rêve tout dictateur, notamment le dictateur consumériste américain. Et de regretter que la France « semble glisser doucement dans l’oubli d’elle-même ».

    « Notre héritage, qui ne fait certes pas de nous des êtres supérieurs, mérite d’être préservé, entretenu et transmis aussi bien aux autochtones qu’aux nouveaux arrivants. Reste à savoir, dans un monde qui remplace l’art de lire par l’interconnexion permanente et qui proscrit l’élitisme culturel au nom de l’égalité, s’il est encore possible d’hériter et de transmettre » .

    Fils d’un juif déporté, son remerciement, au terme duquel il devait, selon une belle tradition, faire l’éloge de son prédécesseur, Félicien Marceau, homme de lettres belge, condamné par contumace à 15 ans de travaux forcés pour collaboration avec l’ennemi, condamnation qu’Alain Finkielkraut juge « exorbitante » , était très attendu. « Il n’y a pas de hasard, pensent nos vigilants, et ils se frottent les mains, ils se lèchent les babines, ils se régalent à l’avance de cet édifiant spectacle ».

    Mais il eut été étonnant que Finkielkraut s’abaissât à un jeu malsain.

    Rappelant Richelieu, fondateur de l’Académie, il cite Pierre Gaxotte, l’historien de l’Action française, évoquant Blum : « Comme il nous hait ! Il nous en veut de tout et de rien, de notre ciel qui est bleu, de notre air qui est caressant, il en veut au paysan de marcher en sabots sur la terre française et de ne pas avoir eu d’ancêtres chameliers, errant dans le désert syriaque avec ses copains de Palestine ». Il reprend Simone Weil (la philosophe, pas l’autre) et affirme, comme elle l’avait écrit dans L’enracinement, avoir été étreint par le « patriotisme de compassion » … « non pas donc l’amour de la grandeur ou la fierté du pacte séculaire que la France aurait noué avec la liberté du monde, mais la tendresse pour une chose belle, précieuse, fragile et périssable. J’ai découvert que j’aimais la France le jour où j’ai pris conscience qu’elle aussi était mortelle, et que son « après » n’avait rien d’attrayant » .

    L’hommage à Félicien Marceau

    Puis c’est tout en nuances qu’il analyse l’évolution intellectuelle de Louis Carette, le véritable nom de Félicien Marceau.

    Celui-ci occupait le poste de chef de section des actualités au sein de Radio-Bruxelles, placé sous le contrôle direct de l’occupant. Lorsque la connaissance des mesures prises contre les juifs commence à se répandre, il écrit  « Je puis concevoir la dureté. Je suis fermé à la démence. Je résolus de donner ma démission » .

    « Ce geste ne lui est pas facile » commente Finkielkraut. « Deux hontes se disputent alors son âme : la honte en restant de collaborer avec un pouvoir criminel ; la honte, en prenant congé de laisser tomber ses collègues et de manquer ainsi aux lois non écrites de la camaraderie » . Il explique longuement sa démarche, « révulsé par la guerre immonde qui suscite tout ce qu’il y a d’immonde dans le cœur déjà immonde des braillards » et rappelle que De Gaulle lui a accordé la nationalité française en 1959 et que Maurice Schumann a parrainé sa candidature à l’Académie française.

    Son discours stigmatise tous ceux qui, sans nuance mélangent les époques et les hommes pour ne juger qu’à l’aune d’un moment : « Aux ravages de l’analogie, s’ajoutent les méfaits de la simplification. Plus le temps passe, plus ce que cette époque avait d’incertain et de quotidien devient inintelligible. Rien ne reste de la zone grise, la mémoire dissipe le brouillard dans lequel vivaient les hommes, le roman national qui aime la clarté en toutes choses ne retient que les héros et les salauds, les chevaliers blancs et les âmes noires » …

    … « Car les hommes prennent pour l’être vrai le système formé par la rumeur, les préjugés, les lieux communs, les expressions toutes faites qui composent l’esprit du temps. Cartésiens et fiers de l’être, ils ont le cogito pour credo. « Je pense, donc je suis » disent-ils alors que, le plus souvent, au lieu de penser, ils suivent « Les démocrates, les modernes que nous sommes, prétendent n’obéir qu’au commandement de leur propre raison, mais ils se soumettent en réalité aux décrets de l’opinion commune ».

    Et de déclarer solennellement sous cette coupole, devant les représentants de l’intelligence et de la culture française, protecteurs de la langue : « Je ne me sens pas représenté mais trahi et même menacé par les justiciers présomptueux qui peuplent la scène intellectuelle » …

    Il analyse enfin longuement l’œuvre littéraire de Félicien Marceau : « Félicien Marceau appartient à cette période bénie de notre histoire littéraire, où les frontières entre les genres n’étaient pas encore étanches. Les auteurs les plus doués circulaient librement d’une forme à l’autre et savaient être, avec un égal bonheur, romanciers, essayistes, dramaturges« .

    Contre le prêt-à-penser

    Sa conclusion résume, dans un magnifique raccourci, les pensées distillées quotidiennement par les penseurs-censeurs enfermés dans leurs certitudes, leurs caricatures et finalement leurs erreurs, grands prêtres satisfaits du penser correct :

    « C’est la mémoire devenue doxa, c’est la mémoire moutonnière, c’est la mémoire dogmatique et automatique des poses avantageuses, c’est la mémoire de l’estrade, c’est la mémoire revue, corrigée et recrachée par le Système. Ses adeptes si nombreux et si bruyants ne méditent pas la catastrophe, ils récitent leur catéchisme. Ils s’indignent de ce dont on s’indigne, ils se souviennent comme on se souvient » .

    La place manque ici pour évoquer la magnifique réponse de Pierre Nora. Le directeur des Débats a rendu un hommage appuyé à Alain Finkielkraut après le départ de quelques grincheux. Dans Marianne (oui, oui Marianne !) Laurent Nunez se demande si ces « idiots » (sic) ont bien tout compris.

    Il entretient avec le nouvel académicien, dit-il, « une amitié distante » faite de « tout ce qui nous rapproche et nous réunit : une sensibilité attentive au contemporain, un judaïsme de génération et d’enracinement décalé, un souci de l’école et de la transmission, un rapport intense à la France, à sa culture, à sa langue, à son histoire. »

    Il formule le même constat sur « la désintégration de l’ensemble national, historique et social et même sur le naufrage d’une culture dans laquelle nous avons tous les deux grandi » .

    Mais : « À mon sens, le mal vient de plus loin, de la transformation douloureuse d’un type de nation à un autre que tout mon travail d’historien a cherché à analyser. Ses causes sont multiples et l’immigration me paraît avoir joué surtout un rôle d’accélérateur, de révélateur et de bouc émissaire. En un sens, je suis, en historien, encore plus pessimiste que vous. L’identité nationale, vous disais-je, serait peut-être aussi malheureuse s’il n’y avait pas un seul immigré, car le problème principal de la France ne me paraissait pas la puissance de l’Islam, mais la faiblesse de la République » .

    Et pour finir : « L’Académie française représente, sachez-le, le conservatoire et le condensé de tout ce qui vous tient le plus à cœur : une tradition historique vieille de près de quatre siècles, la défense de la langue dans son bon usage, le respect de la diversité des personnes dans l’unité d’un esprit de famille et le maintien, par-delà l’abîme de nos différences, d’une éternelle courtoisie. La Compagnie vous a ouvert les bras, vous allez connaître avec elle ce que c’est qu’une identité heureuse » .

    Déception bien sûr de ceux qui attendaient une condamnation sans appel, sinon une exécution, de Félicien Marceau d’abord, d’Alain Finkielkraut ensuite. Aussitôt les écrans et les radios se sont fermés, les patrons de la pensée manipulée sont partis pratiquer leur terrorisme intellectuel sur une autre victime, la discrétion s’est abattue sur cette brillante entrée à l’Académie où, faut-il le rappeler, la famille d’Orléans a son siège attitré sous la coupole. Ce fut, pour l’occasion, une fille de feu le comte de Paris qu’une limousine noire aux vitres teintées a amenée jusqu’à la cour intérieure pour respecter cette règle multiséculaire. Il est plaisant de constater que l’Académie n’entend pas rompre le fil de l’histoire. 

    Politique magazine

  • Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 2/8, Le Liban centenaire

    Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

    De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

    Quelle place pour les chrétiens ?

    C’est à ces questions que répond ce dossier.


    par ANNIE LAURENT

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    2/8 : Le Liban centenaire

     


    L’État libanais actuel est né en 1920. Petit panorama de son histoire jusqu’à la !n de l’occupation syrienne (2005).

     

    L’année 2020 est pour le Liban celle du centenaire. C’est en effet le 1er septembre 1920 que, par un discours solennel prononcé à Beyrouth, le général Henri Gouraud, haut-commissaire français, proclama la reconnaissance internationale de l’État du Grand Liban dans ses frontières actuelles.

    Cette naissance plongeait ses racines dans les tragédies survenues entre 1840 et 1860. Soutenus par les Ottomans qui dominaient la région, les druzes perpétrèrent alors des massacres de chrétiens dans la montagne du Chouf et à Zahlé, grande cité de la Bekaa. Le 9 juin 1861, suite à une intervention militaire destinée à secourir les survivants, Napoléon III et ses alliés européens obtinrent des Turcs la signature d’un Règlement organique instituant un « Gouvernement autonome » (Moutassarifat) pour le Mont-Liban. Celui-ci était doté d’un gouverneur nommé par le sultan et assisté d’un Conseil administratif de 12 membres issus des six principales communautés, chrétiennes et musulmanes, peuplant le territoire.

    À partir de 1864, le gouverneur fut obligatoirement un chrétien sujet de l’Empire.

    Une nouvelle étape vers l’indépendance fut franchie à l’issue de la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la réorganisation du Levant post-ottoman. Le traité de Versailles (28 juin 1919) créa alors la Société des Nations (SDN); il instaura aussi des mandats, qui bénéficièrent à la Grande-Bretagne et à la France.

    À la première furent attribuées la Mésopotamie et la Palestine tandis que la seconde obtenait la Syrie et le Liban. La mission des puissances mandataires consistait à administrer provisoirement les populations des territoires qui leur étaient confiés en vue de les aider à s’organiser comme États souverains.

    C’est durant les travaux préparatoires du traité de Versailles que furent définis les contours du futur Liban. Dès le 9 décembre 1918, le Conseil administratif vota une motion réclamant la pleine souveraineté sur une superficie élargie englobant des régions vitales comme la plaine fertile de la Bekaa, mais aussi celle du littoral avec ses ports, ainsi que le Djebel Amel (Sud) et l’Akkar (Nord), dont le Liban avait été amputé à diverses reprises dans son histoire.

    Trois délégations officielles se succédèrent à Paris, dont l’une était conduite par le patriarche de l’Église maronite, Mgr Elias Hoayek, pour défendre ces revendications qui furent donc entérinées. Le pays du Cèdre échappait ainsi à son intégration dans divers projets régionaux qui émergeaient depuis la fin de l’Empire turc : royaume ou nation arabe, Grande-Syrie. 


    Rôle décisif de la France


    Les maronites, soutenus par la France, ont joué un rôle décisif dans l’avènement de la République libanaise. Pour eux, comme pour la plupart des catholiques d’autres rites, le Liban avait vocation à offrir aux chrétiens un État où ils seraient pleinement citoyens, ce qui n’était pas garanti par les régimes se réclamant de l’islam où la dhimmitude (protection-assujettissement), bien qu’officiellement abolie par le sultan turc en 1856, pouvait être restaurée puisqu’elle s’inspire du Coran (9, 29).

    Une partie des grecs orthodoxes, héritiers de l’Empire byzantin, préféraient cependant l’incorporation du Liban à la Syrie. Le projet de « foyer chrétien » ne se confondait pas avec un système mono-confessionnel. Les maronites n’envisageaient pas l’exclusion des musulmans (sunnites, chiites et druzes) établis sur les terres pour lesquelles ils revendiquaient la libanité. Mais, si les chiites et les druzes étaient favorables à leur incorporation au Liban, les seconds préférant cependant qu’il fût confié à un mandat britannique, la majorité des sunnites optèrent pour le rattachement du pays à la Syrie, certains allant jusqu’à refuser les cartes d’identité libanaises établies par le Haut Commissariat français.

    L’agrandissement du territoire libanais ne faisait pourtant pas l’unanimité chez les maronites.
    En 1932, Émile Eddé, figure éminente de la communauté et fondateur du Bloc national, remit au Quai d’Orsay une Note sur le Liban dans laquelle il estimait nécessaire l’abandon du Nord sunnite et du Sud chiite. Pour lui, le Liban idéal devait assurer aux chrétiens, tous rites confondus, une écrasante majorité, 80 % si possible.

    Déjà en 1919, il avait attiré l’attention du patriarche Hoayek sur le danger d’intégrer trop de populations qui risqueraient à l’avenir d’en rompre l’équilibre. Les musulmans de ce nouveau Liban devenant un jour majoritaires n’auront de cesse, soutenus par leurs frères des États voisins, de le transformer en État islamique, lui disait-il. « Vous regretterez, Béatitude, cette initiative dans moins de cinquante ans ! » (1).


    Vers l’indépendance


    En 1941, le général Georges Catroux, parlant au nom de la France libre, annonça l’abolition des deux mandats mais le Liban devra attendre deux ans pour obtenir son indépendance effective.

    L’acte fondateur fut négocié en 1943 par les deux principaux dirigeants du pays, le président de la République Béchara El-Khoury (maronite) et le chef du gouvernement Riad El-Solh (sunnite). Ce « Pacte national » prit la forme d’un compromis intercommunautaire : les chrétiens renonçaient à la protection française – d’ailleurs
    devenue pesante car, dans les faits, le mandat s’apparentait à un protectorat – tandis que les musulmans oubliaient leur rêve d’intégration arabe.

    La déclaration de R. El-Solh est significative : « Nonobstant son arabité, il [le Liban] ne saurait interrompre les liens de culture et de civilisation qu’il a noués avec l’Occident, du fait que ces liens ont eu justement pour effet de l’amener au progrès dont il jouit » (2).
    Avec la Constitution de 1926, calquée sur celle de la IIIème République française mais sans mention de laïcité, ce Pacte non écrit a constitué l’ossature des institutions libanaises jusqu’en 1989.
    Il a aussi engendré un système sui generis fondé sur des données confessionnelles, en commençant par la répartition des principales charges de l’État. La présidence de la République est réservée à un maronite, celle du Conseil des ministres à un sunnite et celle du Parlement à un chiite. La répartition confessionnelle s’applique aussi aux portefeuilles ministériels et aux sièges parlementaires. Pour les postes les plus élevés
    de l’administration (diplomatie, armée, justice, etc.) le critère confessionnel prime souvent surcelui de la compétence ou du mérite.
    En outre, chaque religion dispose de sa propre juridiction pour le droit personnel (mariage, filiation et héritage). C’est pourquoi il n’y a pas de mariage civil au Liban; de même, une musulmane ne peut pas épouser un non-musulman, sauf si ce dernier adhère à l’islam, selon une prescription du Coran (2, 221).

    Depuis quelques années, ces dispositions sont contestées par une partie de la population, mais les hiérarchies religieuses tiennent au maintien du statu quo.
    Cette « démocratie consensuelle », comme l’appellent les Libanais, est destinée à permettre aux dix-huit communautés reconnues (13 chrétiennes, dont les Arméniens rescapés du génocide de 1915, 4 musulmanes et une juive) d’être associées au fonctionnement de l’État sans perdre leur identité, ce qui soulève la question de la primauté d’allégeance de chaque citoyen.
    Il s’agit donc d’un système fragile, susceptible d’être ébranlé à la moindre secousse, interne ou externe, comme l’a montré la guerre (1975-1990).
    Celle-ci avait pour cause initiale la question palestinienne. En 1948, la création de l’État d’Israël, refusée par les pays arabes, a déclenché un conflit qui a provoqué l’exode de plusieurs centaines de milliers de Palestiniens, dont 142000 se sont réfugiés au Liban où ils ont été très bien accueillis, en particulier par les Églises.

    La défaite arabe de 1967 entraîna un nouvel afflux d’exilés. Dès 1968, le régime syrien d’Hafez ElAssad facilita leur armement au Liban-Sud sous prétexte de soutenir la guérilla anti-israélienne.
    En défendant la « cause » privilégiée des Arabes, Assad, dont la confession alaouite, minoritaire et hérétique aux yeux de l’islam sunnite, lequel est majoritaire en Syrie, cherchait à obtenir la légitimation de son pouvoir à Damas.

     

    2.jpgBéchir Gemayel (1947-1982), Samir Geagea et le général Michel Aoun, trois fortes personnalités chrétiennes du Liban.

     

     

    L’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), dirigée par Yasser Arafat, multiplia alors au Liban les installations militaires, encercla les grandes villes et organisa sa propagande, notamment auprès des journalistes étrangers. Incapables de s’opposer à cette déstabilisation à cause de la faiblesse de leur armée, les dirigeants libanais crurent pouvoir compter sur la Ligue arabe dont leur pays est l’un des fondateurs, mais celle-ci, invoquant la solidarité arabe, imposa au président Charles Hélou l’accord du Caire (3 novembre 1969) qui consacra la mainmise de l’OLP sur leur territoire. « Les Palestiniens ont fait aux Libanais ce que les Israéliens avaient fait aux Palestiniens : ils les ont transformés en réfugiés sur leur propre sol natal », remarque Jean-Pierre Péroncel-Hugoz (3).


    La guerre de 1975-1990


    C’est dans ce contexte que la guerre éclata. Le dimanche 13 avril 1975, à Aïn-Remmaneh (banlieue de Beyrouth), un commando abattit quatre chrétiens devant une église. Un moment après, un autobus rempli de Palestiniens armés rentrant d’une parade fut pris sous le feu de miliciens chrétiens que l’attentat du matin avait mis en état d’alerte. Vingt-sept Palestiniens succombèrent et la capitale s’embrasa.

    Plusieurs formations politiques chrétiennes, telles que les Kataëb de Pierre Gemayel ou le Parti National Libéral de Camille Chamoun, s’étaient préparées à la résistance armée.
    À partir de 1976, la Syrie s’imposa comme acteur majeur dans le conflit. Sous prétexte de rétablir un ordre qu’elle avait contribué à défaire en s’attachant l’allégeance de partis et personnalités libanais, druzes, musulmans et même chrétiens, Damas déploya son armée dans le pays voisin avant d’y imposer une tutelle qui sera totale de 1990 à 2005.

    Par ailleurs, à deux reprises, Israël intervint militairement chez son voisin du nord : en 1978, il s’agissait de repousser les Palestiniens au-delà du fleuve Litani, zone dont la sécurité fut ensuite confiée à une milice mixte (chrétienne et chiite) contrôlée par l’État hébreu; en 1982, Tsahal, l’armée israélienne, envahit le Liban jusqu’à Beyrouth inclus.
    Le but de l’opération « Paix en Galilée » était double : chasser l’OLP, ce qui advint la même année; signer un traité de paix avec le Liban, ce qui échoua, Béchir Gemayel, allié d’Israël et tout juste élu président, ayant été assassiné le 14 septembre 1982, peu avant sa pri

  • Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 4/8, Le rôle des chrétiens libanais

    Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

    De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

    Quelle place pour les chrétiens ?

    C’est à ces questions que répond ce dossier.


    par ANNIE LAURENT

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    4 Le rôle clé des chrétiens libanais

     

     

    Ancien commandant des Forces Libanaises, Fouad Abou Nader, homme politique de premier plan, chrétien maronite, est un ardent défenseur de la souveraineté du Liban où il est reconnu pour son intégrité. Il a fondé en 2007 le Front de la Liberté. Entretien.

     

    La Nef : Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours ainsi que vos engagements durant la guerre ?

    Fouad Abou Nader : Marié, père de quatre enfants, je suis médecin de formation et travaille dans le secteur de la santé. Je suis activement impliqué dans la société civile.
    En 1969, après l’accord du Caire, lorsque les organisations palestiniennes ont tourné leurs armes contre le Liban et formé un État dans l’État libanais avec l’intention de faire de notre pays leur patrie de rechange, et ce après avoir jeté les chrétiens à la mer (dixit Abou Ayad, le bras droit de Yasser Arafat), j’ai considéré qu’il était de mon devoir de prendre les armes pour défendre ma patrie. Les milices chrétiennes ont vu le jour pour pallier la paralysie de l’armée libanaise. Nous étions délaissés de tous, même de la France, face à un ennemi qui voulait nous annihiler et qui avait réussi à créer une véritable internationale du djihadisme en rassemblant des mercenaires du monde musulman. Agressés en tant que chrétiens, nous avons résisté en tant que Libanais.
    C’est ainsi que j’ai rejoint la milice du parti Kataëb puis les Forces Libanaises (FL) fondées par Béchir Gemayel pour unifier les combattants des quatre partis chrétiens qui composaient le Front libanais. De 1984 à 1985, j’ai été le commandant en chef des FL. Durant toutes ces années, j’ai aussi combattu l’armée syrienne et je me suis opposé à toutes les initiatives politiques qui donnaient blanc-seing à la Syrie pour réaliser un Anschluss avec le Liban, en particulier l’accord de Taëf (1989). Je me suis également opposé à tous les conflits survenus au sein de la région libre, cherchant toujours à rapprocher les protagonistes de ces affrontements entre chrétiens.

    La Nef : En tant que neveu de Béchir Gemayel, vous considérez-vous aussi comme son héritier politique ?

    Fouad Abou Nader : Entre Béchir et moi, il n’y a que neuf ans de différence. J’ai quatre sœurs mais aucun frère. Il était donc mon grand frère plutôt que mon oncle. Notre relation était très fraternelle. Béchir ne croyait pas dans l’héritage politique mais dans des institutions stables et démocratiques d’où des dirigeants pourraient émerger et porter notre cause. Au sein des FL, nous avions des élections démocratiques libres (jusqu’en 1985) pour désigner le commandant en chef. Béchir lui-même s’y soumettait. En 2007, j’ai créé une formation politique, le Front de la Liberté. Nous avons organisé les premières élections au suffrage universel direct afin que la base militante décide.

    La Nef : En 2010, vous avez fondé l’Assemblée des chrétiens d’Orient. Pouvez-vous nous parler des motivations, du fonctionnement et des initiatives prises par cette instance ?

    Fouad Abou Nader : J’ai lancé ce projet avec les quatorze Églises d’Orient. Nous avons fondé notre Assemblée à Beyrouth en la dotant des structures requises par le droit libanais. Elle a pour but de rassembler, en un seul cadre, le plus large potentiel de ressources humaines et matérielles possible, en Orient et dans les pays de la diaspora, et ceci afin de promouvoir, de renforcer et de protéger une présence chrétienne libre et dynamique en Orient.

    Voici nos objectifs.

    1/ Créer un lieu de rencontre, d’échanges et de coordination permanent entre toutes les communautés chrétiennes orientales et leur fournir une tribune médiatique, cruciale dans les circonstances historiques dangereuses qu’elles traversent actuellement. Nous pouvons ainsi accompagner l’action du Conseil des Églises du Moyen-Orient, organisme ecclésial et œcuménique.
    2/ Créer un observatoire chargé de suivre la situation démographique, sociale, économique et politique des chrétiens en Orient et à l’étranger, tout en proposant des solutions pratiques pour leur survie.
    3/ Faire connaître les défis auxquels les chrétiens sont confrontés au sein de leurs sociétés, aussi bien en Orient que dans les pays d’émigration.
    4/ Mettre en place des structures chargées de
    soutenir le financement des projets et le retour
    des chrétiens émigrés.

     

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    Fouad Abou Nader

     

     

    La Nef : Au Liban, vous présidez Nawraj (1), une ONG qui œuvre au maintien des chrétiens sur leur terre d’origine. Quels sont les principes qui animent votre action dans ce domaine précis ?

    Fouad Abou Nader : Nous voulons préserver et défendre le pluralisme, la diversité, le dialogue et la paix, pour que chrétiens et musulmans puissent y vivre ensemble en toute liberté, sécurité, dignité et égalité. Pour le Liban, Nawraj prône la neutralité positive permanente dotée d’une garantie internationale ainsi que le régionalisme qui irait plus loin qu’une simple décentralisation administrative. La neutralité immuniserait le Liban des luttes intercommunautaires pour le pouvoir par l’intermédiaire de formations politiques ayant souvent des allégeances étrangères. Le régionalisme transformerait ces luttes en compétition saine sur les plans économique et social. Il permettrait de pallier les défaillances du pouvoir central.
    Dans le domaine social, Nawraj conçoit des projets de proximité (agriculture, industrie, écotourisme, tourisme religieux) pour pallier les carences de l’État: accès aux soins et à l’éducation, défense de l’environnement et développement durable.
    Au niveau politique, Nawraj agit sur le terrain en facilitateur et médiateur pour créer ou renforcer les liens entre chrétiens, sunnites, chiites, druzes et alaouites, et bâtir des ponts entre les belligérants, comme nous l’avons fait en 2014 suite au conflit sanglant qui a opposé Daech et l’armée libanaise à Ersal.
    La disparition des Libanais chrétiens signerait la fin du pluralisme et de la coexistence. Dans les régions qui vivent au rythme du conflit entre sunnites et chiites, ils sont le liant et le ciment social : sur les 1611 villages que compte le Liban, il n’y a presque aucun village mixte sunnites-chiites, sunnites-druzes ou chiites-druzes; par contre, les chrétiens vivent avec toutes les communautés musulmanes sur l’ensemble du territoire.

    La Nef : Vous participez activement à la révolte contre le système libanais. Quelles sont vos motivations à ce sujet et comment voyez-vous l’issue de ce mouvement ?

    Fouad Abou Nader : Avec un peu moins de 5 millions de ressortissants libanais répartis sur une superficie de 10.452 km2 au relief montagneux, mon pays est une véritable forteresse naturelle qui a toujours accueilli les minorités persécutées et a ainsi été bâti sur le principe de la liberté. Malheureusement, le système politique, hérité des Ottomans, repose, d’une part sur le népotisme, la corruption, le détournement d’argent et de marchés publics, d’autre part sur la « peur de l’autre », entraînant les luttes intercommunautaires pour le pouvoir, l’allégeance de dirigeants et de leurs formations politiques à des pays étrangers et enfin le féodalisme. D’où la léthargie et la paralysie de l’État. La jeunesse libanaise a identifié ces maux et a su créer une cohésion nationale qui pourrait servir de base à une citoyenneté au-dessus de l’appartenance communautaire. C’est pourquoi je soutiens les jeunes sur le terrain en essayant de les guider.
    Aucun Libanais ne veut d’une guerre civile, pas même le Hezbollah. En revanche, les réfugiés, essentiellement sunnites, peuvent être utilisés par des puissances étrangères. Ainsi, les organisations palestiniennes restent armées; parmi les Syriens, les hommes ayant fait leur service militaire pourraient recevoir armes, munitions et argent à tout moment. Syriens et Palestiniens pourraient ainsi constituer une armée
    sunnite contre le Hezbollah chiite. Israël pourrait s’inviter dans un tel conflit.

    La Nef : La déconfessionnalisation du système libanais, revendiquée par une partie des chrétiens, n’est-elle pas un piège pour eux? Ne risque-t-elle pas de profiter à l’islam, désormais majoritaire, dans la mesure où la charia prévoit qu’en pareille situation cette religion doit régir l’État ?

    Fouad Abou Nader : Il s’agit d’un projet qui prendra du temps car il se fera par étapes et dépendra de l’évolution de la société libanaise. Il est important de commencer par le bas : pour édifier un État-nation, l’identité communautaire doit laisser place à une identité citoyenne. Pour cela, il faut instituer un Code civil unifié du statut personnel, avec l’accord libre et volontaire des musulmans, ce qui serait une première dans leur histoire.
    Cela pourrait provoquer un effet boule de neige dans le monde de l’islam. Les Libanais musulmans ont beaucoup évolué grâce à leurs contacts au quotidien avec les chrétiens. Chez nous, le 25 mars, fête de l’Annonciation, a été proclamé fête nationale islamo-chrétienne. Au Proche-Orient, cette décision ne pouvait se prendre qu’au Liban. Les musulmans visitent les sites religieux chrétiens et y prient à leur façon. L’an passé, au cours du même mois, un imam chiite a annoncé la guérison de sa mère par l’intercession de saint Charbel, puis un druze et un sunnite ont annoncé leurs propres guérisons grâce au saint le plus connu du Liban.

    La Nef : D’une manière générale, les chrétiens sont-ils encore en mesure de relever les défis religieux, sociaux et culturels auxquels le Liban est aujourd’hui confronté ?

    Fouad Abou Nader : Leur alignement fréquent sur les idées et les mœurs de l’Occident ne les affaiblit-il aux yeux des musulmans ?
    Depuis la chute de Saddam Hussein (2003) et le retrait syrien du Liban (2005), trois paramètres ont changé pour les Libanais chrétiens. D’abord, pour la première fois depuis 1400 ans, les musulmans ont besoin d’eux et ne sont plus dans une logique de confrontation avec eux, ceci en raison du conflit qui oppose sunnites et chiites au Liban et dans toute la région. Ensuite, la proclamation de l’État du Grand-Liban en 1920 a insufflé le virus de la liberté et on observe que toutes les dictatures arabes qui nous voulaient du mal sont en crise et peinent à trouver des solutions à leurs problèmes. Enfin, la présence d’une coalition internationale au ProcheOrient est peut-être le signe d’un remodelage prochain de la région, mais la nouveauté est surtout que la Russie, qui nous a combattus à l’époque de l’Union Soviétique, se pose désormais en protectrice des chrétiens d’Orient.
    Étant profondément croyant et pratiquant, j’ai l’espérance que les chrétiens peuvent relever les défis dont vous parlez. Vous avez raison de dire que la chrétienté libanaise s’aligne volontiers sur les idées et les mœurs de l’Occident mais, dans le même temps, nous avons aussi le sentiment d’être, au fond, une nouvelle Jérusalem pour l’âme occidentale. Cela peut vous paraître déconnecté des réalités aujourd’hui mais, je vous l’assure: le renouveau chrétien de l’Europe viendra du Liban.

    Le terrorisme djihadiste pose de vrais défis religieux, sociaux et culturels aux musulmans. Ils sont de plus en plus nombreux à devenir chrétiens ou athées. Le malaise est profond. L’islam doit changer ou alors il explosera de l’intérieur. On voit partout dans le monde musulman, et surtout en Arabie-Séoudite, en Égypte et en Iran, une jeunesse désireuse de libertés.

    La Nef : Quels rapports entretenez-vous avec la France ? Vous avez lancé un appel pour susciter des jumelages entre communes françaises et libanaises. Avez-vous été entendu ?

    Fouad Abou Nader : Avec la France, il est difficile de décrire tout ce que nous avons en commun, tellement tout cela est incrusté dans l’inconscient collectif de nos deux peuples. Au Proche-Orient, le Liban est le pays qui possède le plus d’institutions francophones : établissements d’enseignement, centres culturels, centres hospitaliers et entreprises commerciales. Des liens solides unissent donc nos deux pays.
    Nous cherchons à obtenir une aide financière de la France et de l’Union européenne car les chrétiens sont lésés en ce domaine alors qu’ils en ont besoin pour promouvoir des projets de développement générateurs d’emplois.
    La France peut exercer des pressions politiques et économiques sur les gouvernements du Proche-Orient pour les inciter à préserver les droits des chrétiens, y compris celui d’exercer librement leur culte et de participer équitablement au pouvoir. Un observatoire pourrait être créé à Paris à cet effet.
    L’Europe et la France pourraient œuvrer à établir la neutralité du Liban, laquelle devrait être garantie internationalement, comme l’Autriche autrefois et le Turkménistan aujourd’hui.
    Concernant les jumelages, notre projet comprend 40 villages libanais frontaliers. Le premier a vu le jour entre Ras-Baalbeck et Camaret-sur-Aigues (Vaucluse). Il s’agit là aussi de contribuer à l’enracinement des chrétiens dans leurs villages. Ces jumelages peuvent également se faire au niveau des paroisses libanaises et françaises, des écoles et universités chrétiennes libanaises et françaises, des groupements sociaux libanais et français, etc.


    Propos recueillis par Annie Laurent 

     

    (1) Ce mot arabe signifie « fléau à blé ».

  • DEMAIN..LA QUETE..., par Frédéric Winkler.

    «…que homes que femmes qui abitoient es esveschiez de Gibele (Jbail) de Bostre (Batroun) et de Triple (Tripoli) ; il estoient genz mout hardies et preuz en et mainz granz secors avoient fet a noz crestiens quant il se combatoient a leur anemis » (Guillaume de Tyr, L. XXII, chp.7, sur les chrétiens du Mont Liban).
    Chacun doit trouver sa voie, se connaître et se découvrir, afin de tenter de s’améliorer, comme se corriger. Ce « meilleur » est différent du culte contemporain de la méritocratie de l’arriviste, écrasant ses pairs pour faire une carrière, le libéral réussit par le développement des bas instincts de l’homme : jalousie, mensonge, veulerie et couardise. La différence est donc simple à discerner.

    frédéric winkler.jpgNous parlons d’une excellence, d’une bonté dans le service des autres, bref de l’élévation, de cette aristocratie venant du fond des âges, la vraie. Cette recherche de soi fait partie de la fameuse quête du Graal. Cet art accompli, sorte d’épopée, est l’aventure d’une vie, comme une science de l’existence. C’est celle de la découverte, d’un état comme d’une volonté tournée vers l’amélioration de soi, dans la charité. Il s’agit de prendre ce chemin, renouer avec ce fil de notre histoire communautaire, s’éloigner d’une médiocrité un peu trop actuelle, donnant de l’homme une image dégradée. Bref retrouver le sens du panache. Lors de périls, par confort on peut penser à la fuite comme au repli sur soi, fermer les yeux sur l’insoutenable et l’injustice, s’écarter de tout risque, choisir entre « Dieu et le monde, et de déserter le monde. Mais le Christ n’a pas fui le monde en ce sens-là, il s’y est incarné pour le racheter, il nous a conviés à l’œuvre de cette rédemption. Le chrétien du Moyen Age n’a pas résolu les problèmes de la barbarie militaire en leur tournant le dos, Aristote disait déjà qu’il ne suffit pas de fermer les yeux pour supprimer le soleil… Le chrétien du Moyen Age s’est fait soldat, et il a été le soldat chrétien. Car il n’y a rien qui soit à rejeter dans l’activité humaine, il s’agit seulement de l’orienter selon son ordre et selon sa fin ; le mal n’est jamais une création originale, mais une créature de Dieu détournée de sa fin et retirée à son ordre. Et quand le mal envahit le monde au point de le dominer, il ne le change pas pour autant dans son essence, il lui a seulement fait perdre le sens de sa destinée, et sa raison d’être, et son équilibre organique » (Jean Louis Lagor, Une autre Chevalerie naitra). Le preux est un veilleur, un messager, un acteur dont la dimension est extrêmement sociale. Chacun d’entre nous peut accéder à cette distinction, qui est d’abord une prise de conscience vers un cheminement intérieur avant le rayonnement extérieur. Revenons un peu en arrière, car l'histoire reste ce vivier de nos origines, ce terreau dont notre peuple est pétrie et qui fit au cours des siècles, ce que nous sommes. N'oublions jamais notre dette envers ceux qui dorment sous nos pieds et dont le sang irrigue notre terre, pour qu'aujourd'hui nous puissions être libre. Là représente la lourde responsabilité de ceux qui nous gouvernent et qui détruisent chaque jour ce qui nous est cher.
    La France fut le vivier, comme le berceau de la chevalerie, fille aînée de l’Eglise, royaume de St Michel. La chevalerie avait fait du chemin depuis les origines du compagnonnage guerrier dont certains se nommaient « Fils du Loup » comme chez les Scandinaves ou Ylfingar. La chevalerie chrétienne fut doté d’une éthique pour le respect des femmes et des enfants, comme des clercs et des paysans. On ne se battait pas durant certaines périodes, c’est la « Paix de Dieu » ou la « Trêve de Dieu ». La noblesse est une paysannerie supérieure disait Oswald Spengler : « Quiconque laboure le matin, chevauche le soir vers la place des tournois ». Oswald Spengler rajoutait que la femme est histoire : « le rang intérieur des générations de paysans et de nobles se détermine par l’intensité de la race et le degré de destin chez leurs femmes ». Pour l’homme chevaleresque marchant avec les siècles, seule la mort sans héritier est une mort totale, on retrouve cela dans les sagas islandaises. Le chevalier d'ailleurs prenait souvent femme dans les milieux paysans : « …le château a grandi sur la voie qui mène à peu près de la maison paysanne à travers les propriétés rurales de la noblesse franque… » (O. Spengler, La Nouvelle Revue d’Histoire).
    L’art du blason est lié, c'était l'apanage de tous, du plus petit par les métiers des corporations aux plus grands par le sacrifice au combat. L’héraldique, est une science venue des temps les plus reculés comme reste une distinction, surtout le signe du devoir comme du service : « Tout homme déploie sa force pour entrer dans le royaume de Dieu » (Luc 16, 16). Loin d’être décoratif ou folklorique pour ceux qui représentent la mémoire, il est transcendance et héritage comme devoir. En France, L’écu est celui des hommes, l’ovale est celui des Dames, le losange pour les Demoiselles. C’est un art sacré, loin de la superficialité et de l’apparence d’un monde tourné vers des chimères inutiles de la société du spectacle : « Âme des Chevaliers, revenez-vous encore ? Est-ce vous qui parlez avec la voix du Cor ? Roncevaux ! Roncevaux ! Dans ta sombre vallée. L’ombre du grand Roland n’est donc pas consolée ? » (Alfred de Vigny, « Le Cor ») L’héraldique fut l'apanage de toute la société, des femmes (1156) aux religieux (1200), mais aussi les bourgeois (1220) aux paysans et artisans (1230), comme les communautés laïques et les villes (1199). Le phénomène héraldique fut général jusqu’à la bêtise révolutionnaire, qui prétendit qu’elle n’était que le privilège des nobles, une certaine nuit de 4 aout ? Ce mensonge lui permit de faire « main basse » sur les biens de toute la société, à commencer par ceux des ouvriers, biens meubles et immeubles qui manqueront cruellement pour soulager la misère, lors du terrible XIXe siècle. La révolution conforta le pouvoir de la bourgeoisie libérale, remplaçant le mérite par l’argent ! La monarchie catholique représentait le dernier « verrou » contre le capitalisme naissant. Napoléon rétablira les armoiries mais pour l’exclusivité de sa nouvelle noblesse d’Empire. Il faudra attendre Louis XVIII pour redonner à l’ensemble de la société, la possibilité d’y prétendre, droit perdurant jusqu’à nos jours, il est temps de comprendre le caractère antisocial du système au pouvoir en France, vive le roi !
    Ce fil historique vient aussi des chansons de geste, saga, contes et légendes du temps jadis, de Roland aux Nibelungen, en passant par les chevaliers de la table ronde à Cúchulainn. Ceci est à la portée de tous ceux dont la flamme intérieure reste encore vivante où ceux qui par « accident », expérience, lucidité ou « choc », se trouvent transportés instinctivement vers ce cheminement dans l’élévation. Cette « chevalerie » est alors une fusion des énergies spirituelles, un corps d’idées traditionnelles, fruit d’une culture et de l’héritage des ancêtres en vue d’un « humanisme » (sens chrétien) future. Nous prendrons quelques exemples et malheureusement en oublierons beaucoup mais ils demeurent assez représentatifs des autres, de Roland à Baudouin IV de Jérusalem, en passant par Du Guesclin et Jehanne. C’est une nouvelle noblesse, ouverte à tous, de toute origine, creuset de notre histoire empirique, de cette « geste des francs ». Cette éthique est une philosophie de la vie, comme un comportement, devant rester inébranlable même devant les épreuves, du sourire chrétien à la bonne humeur, comme du service à la courtoisie permanente : « Yseult appela Brangien et lui commanda d’apporter du vin…Reine Iseult, prenez ce breuvage qui a été préparé en Irlande pour le roi Marc… » (Tristan et Iseult, 1100). Le chevalier n’est pas seulement un guerrier, c’est aussi un poète. « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez » (Luc 11,9). La culture comporte l’intérêt aux belles choses, de l'architecture aux arts, de la peinture à la musique, jusqu'aux chants. C’est un homme, voir une communauté sociale, conscient de son identité, de l’héritage à maintenir, comme de sa mission. Sortie des origines fondatrices de son peuple, il pourra mettre cette énergie en action afin de construire demain. C’est une autre voie, opposée au nouvel ordre mondial financier. Les hérauts de demain doivent être imperméables aux sirènes du libéralisme qui, par tous les moyens achètent et corrompt les hommes. L’écu dont ils sont armoriés ne souffre aucune compromission au risque de s’affadir et n’être plus que l’image du félon comme le sont nombreux des politiques, « capitaines » d’industries et cadres du monde légal.
    Il s’agit d’être guidé par la sagesse créatrice, de se détourner de tout orgueil, rester simple et humble : Aie la richesse, aie la sagesse, aie la beauté, mais garde-toi de l'orgueil qui souille tout ce qu'il approche, dit l’inscription gravée dans la grande salle du CRAC des chevaliers en Syrie (Sit tibi copia sit sapientia formaque detur inquinat omnia sola superbia si comitetur). Le triomphe du chevalier au-delà de l’adversaire vaincu, au-delà de la maîtrise de soi, reste dans le renoncement de ses propres passions, sachant que charité bien ordonnée commence par soi-même, dit le proverbe médiéval. Mais prudence nous ne sommes que des hommes, imparfaits tentant de nous améliorer, loin d’être des dieux, tout est dans la mesure et non l’excès, comme le dit André Mary dans « Les saints et les Anges » : « Tous les anges ne sont pas des saints, tous les morts éminents ne sont pas voués à être des saints hommes, et tous les héros où les saints ne sont pas des martyrs ». Le combat le plus difficile reste donc en soi, débarrassé de la médiocrité comme des bas instincts au profit d’une plénitude intérieure vers la sagesse divine. C’est très difficile mais c’était l’esprit recherché aux temps médiévaux, le détachement de l’égo. Lorsque les chevaliers étaient devant l’échec, ils se frappaient la poitrine en disant : Dieu te punisse, alors qu’aujourd’hui, nous recherchons toujours la faute chez l’autre, les motifs de nos erreurs, ceci par manque d'humilité…Ce chemin est semé d’embuches, et demande cette révolution intérieure, sorte de remise en cause permanente, comme équilibre pour le corps et l'esprit.
    On est loin de l’image d’Épinal de la simple organisation sociale ou militaire, voir mondaine ou religieuse, de la geste symbolique du coup d’épée ou de la lance contre un dragon ou le mal. La coupe du Graal est à portée qu'après la longue quête du perfectionnement de l’être vers la lumière. C’est au final la noblesse, la royauté intérieure bien avant toute autre consécration, et aujourd'hui même, avant la royauté restaurée. Les temps obscurs des temps médiévaux présentés par « l’histoire » officielle sont en réalité des temps de lumière, que la médiéviste Régine Pernoud, par de nombreux ouvrages a démontrée. Ils sont noircis par un système décadent parce qu’ils font de l’ombre au monde d'aujourd’hui. Ce monde féodal, viril, excessif certes quelquefois brutal, fut aussi une civilisation d’une grandeur immense, tant sur le plan moral que spirituel, artistique, intellectuel comme humain. Cela peut prêter à sourire pour quelques esprits chagrins, cerbères du système, mais on respectait plus l’homme hier que nos temps dits « démocratiques », qui peuvent rayer de la carte en un instant, un peuple entier à coup de bombes où de chimie.
    F. Winkler (L'Ethique de la Reconquete, à suivre...)

  • Tolkien… Les songes nous guident (2)?, par Fréderic Poretti-Winkler.

    Le chemin de la libération est clair, il se désigne sous le nom du Roi, mais pas n’importe lequel, celui qui possède des valeurs et qui est à cheval, aurait dit Bernanos. Celui qui vient du fond de nos consciences, sang divin de la terre du peuple et qui symbolise la chevalerie éternelle, dont nous sommes les serviteurs, « peuple et Roi » sont de droit divin disait Marcel Jullian. En 1943, s’adressant à son fils Christopher, Tolkien dit : « Mes opinions politiques penchent de plus en plus vers l’Anarchie (au sens philosophique, désignant l’abolition du contrôle, non pas des hommes moustachus avec des bombes), ou vers la Monarchie « non constitutionnelle ».

    frédéric winkler.jpgCe roi, cet homme est celui qui unit, et non qui divise comme le sont des parodies de gouvernants, que nous connaissons malheureusement aujourd’hui, toujours en recherche d’une légitimité qui leur échappe. Mais comment unir avec 20 % de voix, obtenus avec le mensonge et les outils de la communication, triste réalité d’un monde moderne, si terne ! Tolkien d’ailleurs aurait pu prendre d’autres exemples de gouvernement pour ses histoires mais non, la royauté reste pure et prend d’ailleurs toute sa dimension élévatrice par la quête. Les héros doivent affronter les périls, se remettre en question et gravir les épreuves afin de devenir comme dans le Roi Arthur des preux ! La lutte s’engage contre les faux prophètes avec Saroumane où chefs d’un soir entraînant les peuples à la folie destructrice, dans « La Route perdue », écrit en 1936. Cette résistance est aussi contre ce règne du mal aveuglé par la souffrance faisant perdre tout repère humaniste, fruit de la folie des hommes, que seule la tempérance peut sauver, que l’on voit dans l’île de Númenor soumit par Sauron. Il dira plus tard, en 1956, ne pas être démocrate : « uniquement parce que « l’humilité » et l’égalité sont des principes spirituels corrompus par la tentative de les mécaniser et de les formaliser, ce qui a pour conséquence de nous donner, non modestie et humilité universelles, mais grandeur et orgueil universels »(Tolkien). C’est la raison qu’il faut garder comme la mesure dans toute chose, relire dans le doute les paroles de Jehanne d’Arc, montrant toujours les limites de tout acte et parole humaine. L’enseignement est là, les écrits ne demandent qu’à être lus et compris. Et puis qu’importe les grincheux s’exclamait Cyrano rêvant en regardant les quartiers de Lune, s’il nous plaît de voir ce monde différemment comme Tolkien le pensait. Si les rêves tracés de sa plume fleurissent le nôtre un peu trop parsemé de gris. Dans « Le Retour du Roi », Gimli dit : « Je n’aurais jamais pensé mourir aux côtés d’un elfe », et Legolas répond : « Et que pensez-vous de mourir aux côtés d’un ami ? ». Si paré d’un peu de naïveté antique nous reconstruisons un univers communautaire fait de serments et de fidélité où la noblesse des hommes ferait s’enfuir les êtres vils comme Alfrid, dans « Le Hobbit, la bataille des cinq armées ». Il s’agit de redonner une âme à ces temps de confusion, bref un sens à l’existence, c’est l’appel de Tolkien. C’est l’appel de l’espérance, de l’humain dans toute l’acceptation de sa dimension vivante, contre une société en perdition basculant vers l’enfer du numérique. L’homme doit réfléchir sur son destin comme de l’environnement naturel qu’il désire préserver et voir s’enrichir demain pour ses enfants. Nous sommes de ceux, trouvant encore plus de vie dans les ruines d’un château où un monastère que dans un centre de supermarché, il suffit de le comprendre. La grâce des papillons comme le chant des oiseaux, voir le bruissement de l’eau, nous parlent plus que la froideur des ordinateurs… L’Ent dit dans « La Communauté de l’Anneau » : « Lorsque le printemps déroulera la feuille du hêtre et que la sève sera dans la branche, Lorsque la lumière sera sur la rivière de la forêt sauvage et le vent sur le front ; Lorsque le pas sera allongé, la respiration profonde et vif l’air de la montagne, Reviens vers moi ! Reviens vers moi et dis que ma terre est belle !… » Ce que les matérialistes ne comprennent pas et ne comprendront jamais, hommes de peu d’humanité, c’est que cette part de rêves et d’imagination, nous permet d’avancer vers un univers de couleurs et de musiques, de nature et de vie. Loin de l’univers des machines dénoncées par Tolkien mais pas que : Bernanos, Huxley, Orwell et bien d’autres humanistes dans le sens chrétien de l’universalité humaine, les matérialistes sombrent dans un néant, qui n’est autre que l’enfer. L’analyse du mal chez l’homme, appuyé des connaissances sur l’éthologie de Konrad Lorenz, montre combien les débordements de celui-ci, deviennent nocifs pour l’espèce, surtout depuis les armes de destructions massives, à la différence des animaux…


    Ce monde absurde des machines devenues « maîtres » de nous, symbolisés dans le « Seigneur des Anneaux » est finalement l’épilogue ensemencé de la pensée des « Lumières », aux bourgeons malfaisants, d’où naquit le XXe siècle des horreurs concentrationnaires. La racine du mal, ces « maîtres à penser », ces libéraux aux vies perturbées, furent ceux-là même, qui assouvirent les peuples en instituant l’usure en système de référence, renversant l’éthique des siècles, basé sur la Justice sociale dans l’élévation des âmes, au service des autres. Ces hommes du XVIIIe siècle, las de la douceur de vivre (Talleyrand), voulurent contrarier la nature en désirant changer l’homme. Les « soi-disant » bonnes idées comme volontés, détruisant traditions et usages des siècles, générèrent les pires systèmes dictatoriaux et génocidaires, de celui de la Vendée en 93, on passa des socialistes aux nationaux-socialistes et divers avatars, tous plus terribles les uns que les autres, au nom des chimériques « lendemains qui chantent ». Cela Tolkien l’a vu et par son formidable génie imaginaire, l’a signifié dans ses œuvres fantastiques. C’est pour cela qu’il est temporel dans ses récits d’une extrême réalité, pour ceux qui veulent y voir clair et comprendre. C’est pour cela que l’on y trouve toutes les références historiques et imaginaires chevaleresques d’élévation, de justice, de charité, de foi et de sacrifice. Le héros est un être humain en symbiose avec la nature vivante, qui se bat contre l’insupportable système dictatorial mis en place avec les machines, c’est cela la leçon éternelle de la survie de l’humanité, sous la plume de Tolkien.


    Où sont les couleurs, où est cette musique, où demeure le rêve ? Cette magie que seule la volonté chevaleresque d’un Roi incarne, écoutons Tolkien : « Je reviens vers vous en ces temps difficiles ». Mais cela ne suffit pas, tout se mérite, c’est sur la route du sacrifice que se construisent les sociétés policées et paisibles, avec des hommes qui s’oublient pour le service des autres, c’est l’enseignement de l’histoire, qu’imaginairement réécrit Tolkien. Car cet imaginaire est en nous, dans l’esprit et le cœur de nos jeunes enfants, pure et noble, comme les rêves des fées et princesses, paladins et chevaliers, preux et bâtisseurs, gueux et guides spirituels. C’est ainsi que se reconstruisent les cités et que se prolongent les sagas, lorsque l’on se promène à travers des paysages dont nos ancêtres constituent l’humus de la terre, que l’on doit respecter comme notre mère. Tolkien rajoute : « Nombreux sont les vivants qui mériteraient la mort. Et les morts qui mériteraient la vie. Pouvez-vous leur rendre, Frodon ? Alors, ne soyez pas trop prompt à dispenser mort et jugement. Même les grands sages ne peuvent connaître toutes les fins ». Notre monde quel qu’il soit ou devienne ne peut s’améliorer dans la dignité sociale qu’en respectant certaines règles qui élèvent l’homme pour la vie sociétale humaniste, tel que la chrétienté l’enseigne depuis les temps les plus lointains. Le triomphe de la vérité progresse que si les gens de bien se battent contre le mal. Des contes et légendes, que reste-t-il ? Notre imaginaire fabrique des sagas et invente des histoires sans fins, que nos cultures ancestrales sèment dans nos consciences et aux quatre vents. Quel bonheur d’imaginer, en ces temps confus et matérialistes, des époques où seuls l’ami et le service importaient à la vie. Il est bon, voir passionnant, de vivre de tels instants en des quêtes sans fins, en des mondes aux couleurs pastel, aux musiques enchanteresses, où règnent chevaliers et princesses. Les histoires de Tolkien sont ancrées dans des mondes merveilleux, d’enchantements et de fééries très anciens. Les codes sont ceux du Moyen-Age dont les récits sont hors du temps, peut être afin d’amener le lecteur à se souvenir de ses racines en s’appropriant à travers Tolkien, l’héritage des légendes et sagas, constituant son identité, afin qu’à travers son sang, il trouve dans le monde moderne, les clés, les réponses essentielles, sur le sens de son existence.


    Il est réconfortant de savoir qu’il n’y a pas que ce monde gris qui nous entoure mais que l’impossible peut un jour se réaliser. Quelle est la temporalité réelle et le virtuel, le cauchemar et le rêve, l’imaginaire que nous y mettons peut demain changer, telle est l’âme humaine. Telle est l’esprit de la « Terra Francorum », de la « Geste des Francs », comme de nos espérances, rien n’est décidé, rien n’est écrit. Le « laisser-faire », la résignation, cette forme de lâcheté dans la soumission facile de nos existences à un pouvoir d’un soi-disant nouvel ordre mondial reposant sur l’argent, n’est que le résultat de l’abaissement de l’homme, comme de l’acceptation à un fatalisme réduisant nos enfants à une numérotation vers la robotisation des individus. Alors oui, nous pensons que l’élévation est un défi humaniste, le service de l’autre dans une forme de chevalerie perpétuelle, toujours présente et renouvelée, l’exemple et l’humilité et puis qu’importe ! C’est notre choix, même si c’est inutile, même si nous devions mourir, nous avancerons dans cette détermination, cette voie tracée par nos ancêtres, de Roland à Baudouin IV, comme de Bayard à D’Artagnan. Nous sommes fils de France et avons un destin, comme un héritage sur nos épaules et dans notre sang. En nous, résonne encore le cor de Roland, annonçant les périls qui nous guettent. C’est la chevalerie franque avec les templiers qui, aux portes de Jérusalem, marqués de la croix rouge du Christ, vainquirent à un contre dix, parce que la foi ne renonce jamais, parce que c’était et c’est cela la France ! Notre jour viendra…


    Du « Crac des chevaliers » en Syrie, nous tirons notre devise : « Sit tibi copia sit sapientia formaque detur inquinat omniasola superbia si comitetur… Aie la richesse, aie la sagesse, aie la beauté, mais gardes-toi de l’orgueil qui souille tout ce qu’il approche ».


    F. PORETTI – Winkler
    Bibliographie sommaire :
    Le Silmarilion
    Le Seigneur des anneaux
    Feuille, de Niggle 
    La Route perdue 
    Deux Arbres
    J.R.R. Tolkien, La Légende de Sigurd et Gudrún
    Kalevala (Elias Lönnrot) 
    L’Edda poétique

  • L'imagination au pouvoir ? Partie 1 : La retraite à 50 ans ? par Jean-Philippe Chauvin

    Mai 68 avait inscrit sur les murs qu’il fallait mettre « l’imagination au pouvoir », et les royalistes de l’époque l’avaient traduit en « oser imaginer autre chose que ce qui existe », en somme imaginer un nouveau régime, autre que la République consumériste de l’époque, qualifiée plus tard de « Trente glorieuses » par Jean Fourastié et traitée de « Trente hideuses » par Pierre Debray.

    396556_jean-philippe-chauvincorr.jpgMais la formule allait plus loin et, au-delà de la condamnation d’une société matérialiste et froidement « réaliste », de ce réalisme que dénonçait avec force et colère Georges Bernanos, les monarchistes, comme les gauchistes ou les hippies, voulaient « un autre monde » : « pure utopie ! », disaient certains qui continuent à le clamer, à l’abri dans le confort intellectuel de la démocratie obligatoire et forcément représentative, et l’article de Stéphane Madaule, professeur de grandes écoles, dans La Croix datée du lundi 30 décembre 2019, a tout pour les amuser ou agacer, selon leur humeur ou leur tempérament…

     

     

    Sous le titre « Je rêvais d’un autre monde », l’auteur avance quelques propositions qui peuvent surprendre, c’est le moins que l’on puisse dire, mais qui me semblent avoir le mérite d’ouvrir au moins quelques pistes pour la réflexion ou la stimulation de celle-ci, et que le vieux royaliste que je suis peut entendre et, éventuellement, apprécier.

     

    Ainsi, sur le partage du travail, Stéphane Madaule propose, en s’appuyant sur la robotisation croissante de notre société et des moyens de production (« Les robots nous remplaceront de plus en plus, surtout pour les tâches répétitives, et c’est une bonne nouvelle »), une mesure qui ferait sûrement bondir l’actuel Premier ministre et ses séides : « Pourquoi continuer à s’astreindre à travailler de plus en plus longtemps et bénéficier finalement d’une retraite au rabais en fin de vie, au moment où la santé commence à vaciller ? Pourquoi ne pas envisager de s’arrêter de travailler à 50 ans, pour mieux partager le travail, ce qui permettrait au passage de lutter contre les inégalités ? ». Une remarque, au passage : la robotisation, que M. Madaule semble privilégier pour la production des biens matériels, a effectivement souvent été évoquée comme le moyen privilégié de « libérer du temps pour l’homme », mais (et Bernanos le royaliste côtoie le républicain Michelet dans cette méfiance à l’égard de la Machine) le capitalisme, dans son exercice industriel, l’a récupérée à son bénéfice, y voyant le moyen d’une plus grande production comme d’une meilleure productivité, au risque d’esclavagiser un peu plus les ouvriers (comme l’a cinématographiquement démontré Charlie Chaplin  dans « Les temps modernes »), et il n’est pas sûr que l’actuel mouvement d’automatisation, non plus seulement dans les usines, mais aussi dans les activités d’échanges et de distribution, ne laisse pas sur le carreau nombre de personnes à moindre qualification, désormais considérées comme « inutiles ». Le cas des caisses automatiques remplaçant de plus en plus les personnels humains avant que de faire totalement disparaître la fonction de caissière sans, pour autant, proposer d’autres fonctions aux personnes ainsi remplacées et, la plupart des cas, condamnant celles-ci au licenciement ou à la précarité, doit nous inciter à une légitime prudence ! N’étant pas « propriétaire de leur métier », les personnels de la Grande Distribution deviennent de plus en plus la variable d’ajustement de celle-ci, et la robotisation, ici comme ailleurs, apparaît bien comme un véritable « faux ami » tant que les machines restent la propriété exclusive du Groupe qui les emploient.

     

     

    La proposition d’une « copropriété » entre les salariés et les dirigeants de l’entreprise serait un moyen d’éviter une telle fragilisation des personnels, ici du Commerce, mais ailleurs de l’Usine. Il me semble que cela pourrait se faire dans une économie de « cogestion productive et distributive », mais que le système capitaliste actuel, libéral et individualiste, fondé sur l’Argent plus que sur le Travail ou la Fonction, empêche une telle possibilité qui, pourtant, aurait aussi l’immense mérite d’éviter, au moins en partie, la spéculation et la malfaçon. Autre problème, à ne pas négliger : la mondialisation, forme privilégiée du capitalisme individualiste contemporain, ne constitue-t-elle pas un véritable contournement des règles nationales ou locales qui pourraient impulser ou voudraient garantir une telle « copropriété » dans l’économie ? C’est là que l’on peut comprendre le mieux le rôle majeur de l’Etat qui doit tenir sa place de protecteur des nationaux et des intérêts de ceux-ci, en particulier des travailleurs et des catégories sociales réellement productives et laborieuses : or, la République contemporaine, qui n’est plus exactement celle voulue (ou rêvée…) par le général de Gaulle (lecteur du corporatiste royaliste La Tour du Pin dont il essaya -en vain- d’appliquer quelques idées à travers la « participation » longuement défendue par lui-même en 1968-69, contre l’avis de son premier ministre Pompidou et du patronat), ne jure que par la Bourse et la Banque, la mondialisation et l’adaptation des Français à celle-ci, et s’effraye de la moindre velléité de protectionnisme ou de « corporatisme »… L’incarnation macronienne de cette République « mondialisée », malgré le renforcement de l’Etat (mais surtout à l’égard de sa propre population…), est très éloignée de cette « copropriété économique » qui, pourtant, pourrait motiver les énergies sociales françaises qui existent bien, mais qui sont trop négligées par les dirigeants actuels et, sans doute, trop craintes par les féodalités financières et économiques qui « se partagent » le champ français, voire qui le pillent à leur propre bénéfice !

     

     

    Mais la proposition du professeur Madaule d’un « partage plus équilibré entre le travail et le temps libre » mérite l’attention, au-delà des considérations et des réserves que je viens de faire sur la robotisation qu’il vante un peu rapidement à mon goût. 50 ans comme âge de la retraite, évoque-t-il dans sa démarche intellectuelle, et cela peut surprendre à l’heure où il nous est chanté sur tous les tons qu’il faut travailler toujours plus longtemps, au moins jusqu’à 64 ans en attendant que cela soit, comme le veulent la Commission européenne et l’Allemagne, 67 ans, et, pourquoi pas, 69 ans comme le réclament déjà les banquiers allemands… En fait, il n’est pas inintéressant de poser ainsi cette question du partage du travail, même si l’on peut nuancer ou approfondir cette idée, bien sûr. D’abord parce que l’âge de départ à la retraite tel qu’il peut être ici proposé n’est pas, et ne doit pas être une obligation mais doit se voir comme une proposition qu’il s’agirait d’accueillir et d’organiser selon un cadre légal, et, pourquoi pas, « corporatif » au sens professionnel du terme. Ne serait-il pas utile de créer une sorte d’échelle de « pénibilité du travail », indexée aussi sur l’espérance de vie sans incapacité physique majeure (c’est-à-dire l’espérance de vie en bonne santé) et qui assurerait une meilleure reconnaissance des particularités de chaque métier ? Un régime universel des retraites n’a pas vraiment de sens dans une société aussi hétérogène que la nôtre, avec des métiers très différents et complémentaires dans le cadre de la vie économique et sociale, et l’égalitarisme technocratique est plus souvent créateur (ou mainteneur) d’injustices que d’autre chose ! Pourquoi vouloir appliquer, effectivement, les mêmes règles et le même système de points à des ouvriers du bâtiment et à des professeurs d’histoire, par exemple ?

     

     

    D’autre part, le retrait à 50 ans d’une activité (ou d’une structure) professionnelle n’est pas, ne doit pas être une sorte de mort professionnelle comme on peut le constater aujourd’hui : est-il normal que, lorsqu’un professeur part à la retraite, il disparaisse des tablettes de l’Education nationale et que l’accès aux domaines et ressources informatiques officiels de celle-ci lui soit désormais interdit, comme s’il n’était déjà plus rien, même après quarante ans de bons et loyaux services ? N’y a-t-il pas un véritable champ d’expériences et de richesses à valoriser parmi ces personnels sortis des structures mais encore tout à fait aptes, pour beaucoup, à y tenir encore un rôle, ne serait-ce que de transmission et de formation des collègues nouvellement arrivés dans le métier ? Ne peuvent-ils être utiles dans l’encadrement de certaines classes, dans l’organisation de la vie des établissements et, pourquoi pas, dans l’aide aux élèves, pris individuellement ou en groupe ? Aujourd’hui, la retraite apparaît comme une sorte de « rejet » de celui qui s’en va, alors qu’il faudrait, pour ceux qui le souhaitent, maintenir un lien avec l’institution, surtout en un temps où les vocations manquent à l’appel ! Et ce qui est vrai et serait souhaitable pour l’enseignement l’est et le serait dans nombre de secteurs d’activité économique de notre pays. Après tout, ne serait-ce pas une bonne manière de « partager le travail » tout en accordant une plus grande liberté d’action et de pratique à ceux qui quittent leur poste professionnel ? En ce sens, l’âge de 50 ans, même s’il me semble personnellement (en tant que professeur d’histoire qui compte 57 printemps…) un peu précoce pour prendre sa retraite (mais aurai-je la même opinion si j’étais ouvrier du bâtiment, exposé tous les jours aux aléas de la météorologie ?), ne me semble pas absurde.

     

     

    Se poserait néanmoins la question du financement, diront (avec raisons) certains. C’est aujourd’hui celle qui paraît la plus compliquée à résoudre et qui imposerait une véritable remise à plat du système tout entier, mais est-ce totalement impossible ? Je ne le crois pas, et ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent en ce domaine, mais plutôt l’imagination et l’audace au pouvoir…

     

    (à suivre)

  • Beau succés pour le banquet camelot 2019 de nos amis du GAR

    Le Banquet Camelot inaugurant la saison du Groupe d’Action Royaliste se tenait en ce premier jour de décembre. Comme à l’accoutumée, nous nous sommes retrouvés avec joie, pour quelques riches heures de partage, de rires, de chants et d’échanges placées sous le signe de l’amitié et de la convivialité et motivées par l’avancée de notre noble cause. S’il est une particularité à retenir de ce banquet en particulier, c’est le rythme extrêmement soutenu auquel se sont succédées les interventions. Autour de la grande tablée où les conversations allaient bon train, étaient rassemblés depuis midi plus de cinquante convives et de nombreux invités attendant impatiemment la première intervention, revenant d’autorité à notre cher Frédéric Winkler, organisateur infaillible de nos banquets.

    Comme le veut la tradition de nos banquets, l’adresse de l’intervention débuta par quelques mots sur Baudouin IV de Jérusalem, figure tutélaire de notre banquet d’automne. S’ensuivit un rappel des relations historiques et des liens d’amitié ancestraux entre l’Écosse et la France. Frédéric insista sur le cas particulier de l’Irlande, dont le lien entretenu avec notre pays fut différent en raison des persécutions et de l’émigration : il rappela la création du régiment de la brigade irlandaise par Louis XIV et le rôle de ces soldats dans la victoire de Fontenoy, sous Louis XV. Frédéric rappela ensuite le rôle des régiments Suisse auprès du Roi de France, ainsi que la visite du Comte de Chambord en Irlande, toutes ces références nous permettant de saisir l’amitié des peuples voisins pour notre belle terre de France. Enfin – et pendant que l’équipe de salle s’activait pour prendre les nombreuses commandes, Frédéric Winkler insista sur la présence de représentants du Caucase et de la Russie amie. Quelle tragédie que le sort de l’Empire russe, d’une tradition et d’une culture si riches, mis en miettes, pulvérisé par les allemands avec l’appui de réseaux très opaques, dont l’un des agents n’était autre que le funeste Lénine…


    Parmi les très nombreux invités de ce banquet automnal, la première à intervenir fut Stéphanie Bignon, présidente et fondatrice de l’association Terre et Famille, dont la devise est « S’enraciner pour s’élever ». Cette ingénieur, spécialisée dans les travaux sous-marins depuis 30 ans, ayant œuvré auprès de l’industrie et de la recherche biologique, archéologique et pétrolière nous a expliqué comment elle était venue au royalisme non par biais familial mais par cheminement personnel, au gré de longs moments d’absence de la terre ferme. Durant ces périodes où elle n’était pas soumise au joug médiatique et à ses influences négatives, puisque son métier l’emmenait loin du tumulte et des idées reçues, elle a pu lire posément Charles Maurras. Lors de son retour de mission, elle a décidé de s’investir dans la vie locale en élevant des bovins charolais, en participant à la vie communale en charge du patrimoine. Au cœur de ses premières préoccupations, en tant que jeune baptisées, catholique et royaliste, il y eut la restauration de l’église du village, puis du presbytère. Dans la foulée, elle réussit à installer un prêtre dans le presbytère restauré, en dépit de la crise des vocations. Les fondations étant posées, elle instaure un chapelet mensuel, sans que personne ne s’interpose. Selon Stéphanie Bignon, on ne peut que suivre la logique du royaliste lorsqu’on comprend ce qu’est intrinsèquement la France, et cette logique est indissociable du catholicisme. Elle analyse la mainmise républicaine par une stratégie qui tient en quelques mots : la « sidération par le chaos ». Dans ce système par essence perverti, on assiste démuni et sidéré à la négation du diable, à la négation du vice, à la négation du péché. Les esprits sont tant corrompus et pervertis qu’on en vient à leur faire apprendre que le terme « absolu » accolé à la monarchie est synonyme de « total », « intégral », ce qui est dévoyer le sens initial correspondant à « délié de toute influence, en particulier de celle de l’argent ».


    Une fois ces bases posées, Stéphanie Bignon évoqua, à la stupéfaction générale, le cas de Jérôme Laronze, paysan résistant au diktat agro-industriel. Cet homme, représentant de la paysannerie à la française, fut tué au début des événements. Opposé au système qui nous asservit, il voulait élever à l’ancienne dans la ferme qui lui appartenait. Jérôme Laronze dut subir une inspection du troupeau par la DDPP : au cours de cette inspection, les animaux furent effrayés par les méthodes des représentants du système et six bœufs périrent noyés. Jérôme Laronze était entouré d’avocats et de gens dont l’influence locale pouvait lui permettre de s’adresser à la presse. Il dénonça donc la pratique dont il avait été victime dans la presse locale, avec l’appui de sa sœur. Forcé au silence et menacé suite à l’article, il reçut un verdict fatal concernant son troupeau, et le bétail fut euthanasié. Alors qu’il continuait de se battre, il fut assassiné de deux balles dans le dos. Cette histoire est tristement représentative de l’état de détresse dans laquelle se trouve notre paysannerie, et de l’état d’abandon dans lequel elle est laissée par la république des coquins. Ceci n’est pas étonnant, dans la mesure où le ver est dans le fruit : les denrées alimentaires sont cotées en bourse. Il devient donc urgent, pour notre salut, de chasser les marchands du temple.


    L’intervenant suivant n’était autre que le gilet jaune royaliste bien connu sur les réseaux sociaux, Thibaut Devienne, qui nous présenta son combat et son analyse du terrain. Il insista sur la dimension de sincérité ayant innervé le mouvement des gilets jaunes à ses débuts et sur la réalité du mouvement initial en tant que jacquerie, à savoir une insurrection populaire non dirigée, horizontale et sans but. Thibaut Devienne revint sur les multiples sources aux origines de ce conflit inédit : vie chère, mesures gouvernementales impopulaires, souci lié à un quotidien de plus en plus anxiogène. Verdict : comme à son habitude, la république a tenté de faire passer les gilets jaunes pour des « fachos antisémites et violents » et en a tué la dynamique dans l’œuf alors qu’il s’agissait d’une expression unique en son genre du pays réel. Par conséquent, le mouvement s’enlise depuis de longs mois, faute de figure de proue. Profitant d’un intermède de passe-plats favorable, Frédéric Winkler fit alors un point sur l’avancée de l’édification de la statue de Sainte Jeanne d’Arc à Saint-Pétersbourg, dont le financement depuis juin permit la fonte et la poursuite du projet. Il insista sur l’amitié franco-russe dans l’histoire, la preuve de celle-ci résidant dans l’acceptation par les autorités de faire édifier une statue de Sainte catholique, une première au sein de la religion orthodoxe. Rebondissant sur l’événement, Frédéric ajouta que le mouvement du GAR avait ainsi dépassé le cadre strictement royaliste, en insistant sur notre point d’ancrage : notre attachement à la terre ancestrale et aux libertés individuelles, et notre volonté de ne laisser à l’État que la sphère régalienne. Or, jusqu’à présent, que constatons-nous ? L’État a liquidé la francophonie pour y substituer le globish. Notre combat dépose donc nos frontières : il s’agit désormais de la survie de notre langue, de notre héritage, de notre culture, il s’agit du noble combat français par excellence.

    Le Prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme, nous ayant fait l’honneur de sa présence, nous proposa sa vision des gilets jaunes, une vision qui portait à réfléchir : selon le Prince, les Français fortunés expatriés sont les premiers gilets jaunes, mais leur départ n’a pas été correctement analysé. En réalité, asphyxiés par la fiscalité française, et puisqu’ils en avaient les moyens, ils ont précédé le combat des gilets jaunes en quittant le pays. Ce sont les premiers gilets jaunes, qui ont pris des décisions radicales à cause de l’enfer fiscal. La seconde ligne a surgi car le problème de fond n’a jamais été résolu, et sont donc apparus ceux qui n’avaient pas pu fuir l’enfer et l’oppression des taxes : les classes laborieuses, pieds et poings liés à leur quotidien, qui ne peuvent plus profiter des petits plaisirs simples de la vie. Le Prince évoqua ensuite la question de l’écologie, détournée de ses racines pour le profit de quelques-uns, qualifiant le label « bio » d’insupportable tant il devrait être normal de produire au naturel. Avant de prendre congé, il nous encouragea à continuer le combat et nous invita à rassembler les idées les meilleures émanant du débat d’idées actuel.

    L’intervention très attendue de Marion Sigaut, laquelle nous régala plus tard de Fanfan la Tulipe, fut quant à elle axée sur la paysannerie et sa liquidation par les industriels et spéculateurs, à travers trois exemples : sud-africain, palestinien et français. En Afrique du Sud, les usufruitiers furent chassés pour faire du profit en 1960, puis les terres furent privatisées pour rentabiliser davantage la vente des matières premières. La terre africaine fut transformée en gigantesque entreprise agroalimentaire, avec pour seul objectif d’abrutir les gens qui la travaillaient en les coupant de leurs méthodes ancestrales au profit de méthodes ultralibérales occidentales.


    En Palestine, les colons juifs ont acheté la terre. L’administration ottomane a ensuite voulu lever un impôt en obligeant les paysans à se déclarer propriétaires. Jusqu’alors, l’agriculture palestinienne était communautaire : le village gérait ses propres affaires sur un modèle quasi corporatiste. Le nouveau modèle a ruiné les paysans, contraints à la vente de leur bien pour des motifs de spéculation. Le nouvel ordre mondial fait main basse sur la terre et la propriété, et nous sommes tous en danger si nous ne sommes pas vigilants. Tout est progressivement privatisé et confisqué, le retour à la terre devient donc plus que jamais nécessaire afin d’échapper à l’oppression.

    S’ensuivit l’analyse sociale, politique et économique de Jean-Philippe Chauvin. Le 5 décembre signifiant le début de quelque chose que nous ne maîtrisons toujours pas et venant d’agglomérer à la colère des gilets jaunes, il nous évoqua le sujet des retraites et la réforme de leur financement.


  • Crise : le passage des responsables devant le juge pénal est inéluctable, par Régis De Castelnau.

    "Face à une telle tragédie, la colère sera immense et face à des milliers de plaintes pénales venant de toute la France, il faudra rappeler fermement au corps des magistrats, au nom de qui ils doivent rendre justice. Et ceux qui ont failli devront rendre des comptes."

    1.jpgEmmanuel Macron serait, nous dit le Parisien en « colère froide », excédé par ceux qui sur les plateaux de télévision critiquent sa gestion de la crise, et il considère comme « irresponsable » le fait de saisir la justice pour qu’elle identifie et condamne les fautes pénales commises par les décideurs publics dans la gestion de la catastrophe pandémique connaît notre pays. Ayant décidément du mal avec le débat démocratique, il se fait menaçant faisant dire à un de ces « chevaux légers » la chose suivante : « Quand cette crise sera passée, on aura tous à rendre des comptes. Tous sans exception. La majorité bien évidemment et c’est normal. Mais aussi tous ceux qui ont joué, à certains moments, à un jeu dangereux pour déstabiliser le pays dans une période où l’unité prévalait ».

    Bigre, va-t-il demander au Parlement de voter un nouvel article du code pénal réprimant « l’intelligence avec l’ennemi Coronavirus » ? Inquiétantes rodomontades.

    La "guerre" pour cacher les faillites

    Certes pour l’instant, il s’agit d’affronter dans les moins mauvaises conditions le défi de la catastrophe sanitaire. Incontestablement le peuple français a trouvé des ressources en son sein pour que ceux qui sont indispensables soient malgré les risques à leur poste. « Nous sommes en guerre » nous a martelé celui qui se prend pour Clemenceau et joue les présidents thaumaturges. On lui répondra qu’à la guerre, on juge les généraux incompétents et parfois on les fusille. Et cela, présidents ministre fonctionnaires le savent bien, et manifestement appréhendent l’heure des comptes. Ils savent l’état déplorable du système hospitalier français dont ils sont les principaux responsables, le scandale des masques, des tests, la pénurie de matériel, les mensonges, le criminel premier tour des municipales, les invites Macroniennes à aller au théâtre etc. etc, n’en jetez plus ! Malgré cela, Emmanuel Macron joue « les pères de la nation » et délègue Édouard Philippe au colmatage, qui ose proclamer : « Je ne laisserai personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement ».

    Eh bien Monsieur le Premier ministre, dans un pays démocratique, même en guerre si on doit faire son devoir, on peut aussi critiquer la façon dont nos gouvernants font le leur. Or nous constatons qu’il y a eu du retard en tout et que la gestion a été marquée par le dogmatisme, l’amateurisme, l’imprévision, le mensonge et l’absence de transparence. Pour essayer d’éviter les responsabilités vous inventez la fable grossière « de la crise imprévisible » due au mensonge chinois sur leur nombre de morts. Quiconque a suivi d’un peu près la crise déclenchée en Chine savait ce qui nous attendait. Beaucoup d’experts le disaient, et l’OMS avait tôt lancé l’alerte. Depuis les précédentes épidémies de Coronavirus, tous les dirigeants auraient dû savoir et prévoir ce qui nous attendait. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs en 2010, la France possédait un stock de masques pléthorique.

    Jérôme Salomon, l’actuel directeur général de la santé avait remis, un rapport à Macron candidat en 2017 dans lequel il indiquait que la France n’était pas prête pour encaisser une pandémie. Cela n’a pas empêché celui-ci, accompagné du même Salomon, de poursuivre la mise en œuvre de la destruction du système de santé français, en réprimant férocement ceux qui s’y opposaient. Imprévisible la crise ? Alors que raconte Agnès Buzyn dans ses aveux ? Quand elle dit qu’elle savait tout à partir du 10 janvier, qu’elle a prévenu le président, le Premier ministre et le directeur de la santé ? Pendant qu’elle mentait aux Français en leur disant qu’ils n’avaient pas à s’inquiéter ?

    Alors face à la colère qui monte, et à l’exigence populaire de la reddition des comptes, devant le juge pénal si nécessaire, on allume les contre-feux et on menace.

    Un lot d'infractions considérable

    On retiendra de cette triste opération de communication, la lettre signée de six anciens ministres de la santé qui nous disent que le gouvernement a été formidable ! Probablement une façon pour eux aussi de tenter de se dédouaner, car l’affaiblissement méthodique de notre système de santé que nous payons si cher, ils en ont été les exécutants dociles depuis 30 ans. Ils seraient bien avisés de tous raser les murs. Pour ma part je retiens cette consternante tribune signée par deux avocats dans les colonnes de l’Obs où l’on met sans état d’âme ignorance et mauvaise foi au service d’une triste cause. En disant vouloir éviter à la justice de tomber dans le piège qui lui est tendu : juger l’action politique au prétexte d’un procès pénal. Comme si c’était le problème !

    La gestion de la crise par le gouvernement et par l’État depuis le début du mois de janvier a été, chacun le sait bien aujourd’hui, calamiteuse. Les aveux pleurnichards d’Agnès Buzyn n’en sont finalement qu’une confirmation. Le comportement de nos dirigeants a été marqué par l’impréparation, la désinvolture, le cynisme, et beaucoup de leurs actes relèvent de l’application du code pénal. Homicides par négligences, mise en danger délibéré de la vie d’autrui, non-assistance à personne en danger, détournement de biens (disparition des stocks de masques et de chloroquine) nous avons affaire à un véritable florilège. Mais il faut bien comprendre que ce sont toutes les chaînes de commandement de l’État qui sont impliquées. Il n’y a pas que les ministres, Jérôme Salomon par exemple est un haut fonctionnaire, il relève quant à lui des tribunaux ordinaires.

    On ne va pas ici faire la liste de toutes les infractions que l’on pourrait relever dans la gestion de la crise, simplement donner quelques exemples qui démontrent l’inanité des arguments avancés pour prétendre qu’il n’y en a pas.

    Les deux auteurs de la tribune de l’Obs n’hésitent pas nous dire : « Mise en danger de la vie d’autrui ? Elle suppose, selon l’article 223-1 du Code pénal, que le coupable ait violé, de façon « manifestement délibérée », une « obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ». Quelle obligation « particulière », qu’elle soit légale ou réglementaire, les membres du gouvernement ont-ils délibérément violée ? Aucune : « il n’y a donc pas eu mise en danger de la vie d’autrui. » Pardon ?

    Le confinement est une réglementation particulière de sécurité prévue par décret. Il a pour but d’éviter la propagation du virus, et l’extension de la maladie et de la mort aux autres citoyens. Le violer, refuser de l’exécuter constitue bien évidemment cette « mise en danger délibéré » prévu au code pénal. Le Canard enchaîné nous apprend que Monsieur Nuñez aurait refusé de demander aux forces de l’ordre sous son autorité de le faire respecter dans certaines banlieues, ce refus d’accomplir sa mission a exposé les habitants à des risques de maladies et de mort, tout simplement. Si cette défaillance est réelle, Monsieur Nuñez devra être jugé et en répondre.

    Calamités

    Et puis il y a bien sûr les homicides et blessures involontaires (article 221–6 et 121–3 du Code pénal), ou pour pouvoir être poursuivi et condamné il faut avoir « violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité » (comme en matière de mise en danger) ou encore « commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité ». Et nos deux auteurs d’affirmer tranquillement qu’il n’y a eu aucune faute. Pardon ? Tous les contaminés décédés du fait de la carence semble-t-il volontaire de Monsieur Nunez sont morts par hasard ? L’organisation calamiteuse du premier tour des élections municipales qui va entraîner des centaines de victimes, ne serait pas une faute caractérisée ? Alors même que comme l’a avoué Agnès Buzyn elle avait prévenu le présent de la république et le Premier ministre du danger dès le mois de janvier ? Et que dire des saillies lamentables, de Sibeth Ndiaye voix du gouvernement et par conséquent d’Édouard Philippe venant marteler mensongèrement et probablement délibérément sur les ondes « que les masques ne servaient à rien » exposant au risque ceux qui prenaient cela pour argent comptant.

    Tant de méconnaissance de la matière sidère. Sans trop insister sur un argument d’autorité, l’auteur de cette tribune rappelle qu’il a écrit plusieurs livres sur le sujet de la responsabilité pénale des décideurs publics, enseigné la matière à l’université Paris II, et traité dans son cabinet plus d’une centaine de dossiers d’agents publics mis en cause sur la base de ces infractions. Il prétend par expérience savoir de quoi il parle.

    Et il y a aussi les infractions qui relèvent du fameux chapitre « des atteintes à la probité » du Code pénal qui ne concerne que les agents publics. Juste un exemple, il faudra nous dire ce que sont devenus les stocks de masques et de chloroquine. Il semble bien que ce qui constituaient des biens publics ont été détournés ce que réprime l’article 432–15 du code, sans oublier le 432–16 qui lui punit les fonctionnaires dont la négligence a permis de détournements. N’en jetons plus…

    Ministres et hauts fonctionnaires sont des agents publics. Ils devront en répondre comme dans le précédent parfaitement connu du « sang contaminé ».

     

    Et ceux qui ont failli devront rendre des comptes

     

    Ce que l’on va préciser maintenant et que cette reddition des comptes devant le juge pénal est inéluctable et elle aura lieu.

    L’article 2 du code de procédure pénale précise qui a intérêt pour agir et se constituer partie civile : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. » C’est-à-dire, que les familles et les ayants droits des personnes décédées, ceux qui garderont des séquelles physiques de la pandémie, mais aussi les victimes économiques pourront déposer le moment venu des plaintes « simples » entre les mains du procureur de la république de tous les tribunaux judiciaires français. Il existe déjà des plates-formes numériques qui fournissent les modèles qui rassemblent les plaignants. On peut légitimement craindre que les parquets qui ont été si actifs dans la répression du mouvement social des gilets jaunes, si zélés dans le refus de poursuivre les violences policières et les infractions commises par membres de l’entourage du président, poursuivent dans la même voie de soutien sans barguigner de l’État Macron. Qu’à cela ne tienne, si ces parquets restent sans réagir pendant trois mois ou classent sans suite, les plaignants récupéreront leur pouvoir d’initiative et pourront déposer des plaintes avec constitution de partie civile. La nomination de juges d’instruction (juges du siège théoriquement indépendants et impartiaux) sera obligatoire. Les instructions pourront se dérouler dans un cadre contradictoire et dans le respect des règles du code de procédure pénale. Il n’est pas temps de dire si tous les gens dont nous parlons serons condamnés, mais en tout cas ils seront jugés.

    Face à une telle tragédie, la colère sera immense et face à des milliers de plaintes pénales venant de toute la France, il faudra rappeler fermement au corps des magistrats, au nom de qui ils doivent rendre justice. Et ceux qui ont failli devront rendre des comptes.

  • « Grandeur du petit peuple »... Michel Onfray bientôt royaliste?

     

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgIl approuve un tract ramassé par terre pendant la manifestation des gilets jaunes qui en appelle à l'instauration d'une « régence d'exception ». On ne sera sans-doute pas d'accord avec tout ce qu'écrit Onfray, mais enfin, tout de même, sur beaucoup de choses ... Les esprits progressent. Les nécessités font bouger les lignes. Et le Système est désormais sur la défensive.  LFAR

     

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    J'ai dit quels moyens le pouvoir utilisait pour salir et discréditer le mouvement des gilets-jaunes - mépris, mensonge, criminalisation, diabolisation, attaque ad hominem, essentialisation, déconsidération, dramatisation. On peut en ajouter un autre : le procès en immaturité politique - la dévalorisation. Ces gens-là sont trop bêtes, trop provinciaux, trop incultes, trop illettrés, trop débiles, trop « beaufs », fut -il dit un peu partout, ils sont trop sous-diplômés. On n'a pas dit : « affreux, sales et méchants », mais il s’en est fallu de peu.

    Depuis Maastricht (1992), ce sont les mêmes éléments de langage avariés qui sont servis par les dominants afin de discréditer quiconque ne souscrit pas à l'Europe libérale, non pas parce qu’elle est « Europe », ce que personne ne refuse plus, mais parce qu'elle est « libérale », ce que beaucoup repoussent. Ce sont les mêmes insultes qui ont été sorties pour les partisans du Brexit - qui n'a toujours pas eu lieu car, méditons cette belle leçon de démocratie : pour sortir de l’Europe maastrichtienne, il faut l'autorisation de l'Europe maastrichtienne ! C'est ainsi que fonctionnent toutes les dictatures : on ne peut en sortir légalement - ce que les gilets-jaunes ont compris...

    Le système maastrichtien a son clergé. Il est formé à l'École nationale d'administration, à Sciences-Po, dans les écoles de journalisme, à Polytechnique, à l'École normale supérieure. Pendant leurs années d'études, on gave les impétrants d'une idéologie qu'ils rabâchent, répètent, réitèrent, reproduisent, ressassent ensuite dans tous les endroits où ils sont embauchés : grands corps d’État, haute administration, université, journalisme, édition, direction des médias, conseil d'État, sans oublier la politique politicienne qui est le prolétariat de ces gens-là. 

    Tout ce petit monde a la tête extrêmement bien pleine, mais très mal faite. Cette engeance est formée comme des commandos de rhéteurs et de sophistes, de beaux-parleurs et d'enfumeurs, de dialecticiens et de casuistes, d'orateurs et d'ergoteurs. Elle produit son meilleur effet dans un conseil d’administration, dans un comité de rédaction ou de lecture, dans un amphithéâtre, dans les colonnes d'un éditorial ou dans les réunions des patrons de médias, à l'Assemblée nationale ou au Sénat, dans un conseil des ministres ou dans les palais de la République, sur un plateau de télévision ou comme « consultants » ou « experts » sur les chaînes d'information continue - ou dans « Le Siècle », un club très fermé où l'on mange du gilet-jaune à tous les repas...

    Comme les sophistes grecs, cette caste peut soutenir n'importe quelle cause parce que leur formation met le paquet sur la forme, rien que la forme, tout sur la forme, et qu'elle se contente pour tout fond de l'idéologie dominante. Ces gros cerveaux de compétition sont ceux de petits perroquets.

    Bien sûr, ces gens-là estiment que les gilets-jaunes ne sont pas habilités à faire de la politique sous prétexte qu’il faut laisser ces choses-là, trop sérieuses pour le peuple, aux experts que sont les instances dirigeantes des syndicats et des partis (qui sont de mèche avec les autres puissants contre leur base...), et aux élus de tous les échelons de la politique politicienne. La démocratie doit être représentative, disent-ils, et non pas directe. Nous, oui ; eux, non.

    Or, chacun a pu voir comment le référendum sur le Traité européen qui était l'expression de la démocratie directe, bien que largement gagné, a été jugé comme nul et non avenu par les députés et les sénateurs qui étaient l'expression de la démocratie indirecte. Réunis à Versailles, lieu symbolique s'il en est un, il fut dit au Congrès qu'on se moquait de ce que le peuple pensait après qu'on lui eut tout de même demandé son avis. Ce coup d'État fut une leçon que le peuple a mis dans un coin de sa tête : avec lui, la démocratie indirecte a joué au grand jour un jeu contraire à celui de la démocratie véritable qui est gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple et non par ses seuls délégués. Les représentants du peuple ont dit au peuple qu’ils n'avaient que faire de son avis et que, d'ailleurs, ils iraient contre lui. 

    Les gilets-jaunes sont dans la rue parce qu'ils savent que l'Assemblée nationale et le Sénat sont leurs ennemis puisqu’ils ne les représentent pas sociologiquement ni politiquement. Le système représentatif, tant qu'il ne sera pas intégralement proportionnel, générera une oligarchie, une aristocratie, une caste, une tribu qui disposera de tous les pouvoirs : ce ne sera jamais une démocratie. Le pouvoir des élus n'est pas autre chose que la résultante d'un calcul tordu avec découpages électoraux effectués par le ministère de l'Intérieur et l'Élysée afin de déboucher sur une bipolarisation de la société : non plus entre droite et gauche, mais entre maastrichtiens libéraux de droite et de gauche et anti-maastrichtiens de droite et de gauche. Aux maastrichtiens libéraux de droite et de gauche sont réservés tous les pouvoirs - économiques, médiatiques, politiques, sociaux, universitaires, journalistiques ; aux anti-maastrichtiens de droite et de gauche, les premiers abandonnent le pouvoir verbal de l'opposant avec pour seule perspective de parler à vide indéfiniment...

    Avec les gilets-jaunes dans la rue, toute cette aristocratie maastrichtienne se trouve mise à mal, critiquée, menacée. Certes, elle dispose de tous les pouvoirs, y compris celui d'insulter, de mépriser, de calomnier, de salir le peuple sur lequel s'exerce son pouvoir et ne s'en prive pas. Mais elle voit d’un très mauvais œil ce surgissement de velléités de démocratie directe.

    « Ça n'a jamais marché », pérore Christophe Barbier sur BFM le samedi 8 décembre : ça marche pourtant en Suisse...  La notice Wikipédia de ce normalien pas agrégé ayant fait une école de journalisme nous apprend ceci : En 2017, il déclare notamment au Journal du dimanche : « Se confronter au terrain pollue l’esprit de l’éditorialiste. Son rôle est de donner son opinion, d’affirmer ses certitudes, par essence improuvables. Afficher avec force ses convictions permet aux lecteurs de s’y frotter pour former les leurs ». Et plus loin : « L'éditorialiste est comme un tuteur sur lequel le peuple, comme du lierre rampant, peut s'élever. » On comprend qu'il n'ait pas besoin de se confronter au terrain des gilets-jaunes, ce lierre rampant, afin d'éviter de se polluer l'esprit et de pouvoir affirmer et toute objectivité ses certitudes improuvables ! En passant, on apprend également qu’il a composé un rap en l'honneur d'Emmanuel Macron... Christophe Barbier est l'un des personnages emblématiques de cette aristocratie qui enjambe le peuple.

    Or, quand on va sur le terrain, non content de ne pas s'y polluer l'esprit, on se l'éclaire et l'on peut obtenir un certain nombre de certitudes susceptibles d’être prouvées. J'en veux pour preuve ce tract ramassé dans une rue de Paris et envoyé par un ami. Il dit ceci :

    Nos_8_doleances-438d8.jpgTitre : Nos 8 doléances

    « Nous rentrerons chez nous quand ces mesures seront appliquées

    1. Nous voulons de la démocratie directe à tous les niveaux. Nous voulons un gouvernement d’union nationale avec une régence d’exception pour éviter que les partis politiques, qui sont disqualifiés, n’instrumentalisent notre détresse et notre colère.

    2. Nous voulons une baisse de 20% de toutes les taxes et les charges touchant la classe moyenne, les travailleurs pauvres et les entrepreneurs. Baisser ces taxes, c’est monter nos salaires. Nous voulons une action immédiate pour taxer ce qui vaut la peine d’être taxé : les GAFA et les transactions financières.

    3. Nous voulons que la France arrête de vivre au-dessus de ses moyens et arrête d’accueillir la misère du monde parce qu’elle est déjà dans la misère avec ses millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous voulons une immigration choisie, qui ne nous détruise pas culturellement. Nous demandons ainsi un retrait du pacte de l’immigration de l’ONU.

    4. Nous voulons une relocalisation de toutes les décisions dans les régions, les villes et les communes. L’Etat et ses fonctionnaires à Paris ne sont pas qualifiés pour décider de l’avenir de nos communes.

    5. Nous voulons une sortie de la PAC qui corrompt nos agriculteurs en n’allouant ses aides qu’aux productivistes et aux empoisonneurs répandant le cancer en France. Nos impôts ne doivent en aucun cas servir à financer Bayer-Monsanto.

    6. Nous voulons la création de barrières commerciales pour empêcher l’Allemagne de nous vendre des produits fabriqués en Roumanie, sous le label « Deutsche Qualität » et d’ainsi détruire nos emplois.

    7. Nous voulons le retrait de toutes les aides à la presse pour une vraie séparation des pouvoirs médiatiques et politiques.

    8. Nous voulons une action immédiate pour arrêter l’intégration dans l’Europe car elle ne se construit que sur la ruine des petites gens. »

    Qui dira qu'il n'y a pas là d'intelligence pratique ? C'est un véritable programme politique. Il est anonyme, aucune signature, aucune de ces propositions ne ressemble à quoi que ce soit de connu chez les jacobins. Il est débarrassé du verbiage technocratique ou qui relèverait de la politique politicienne.

    C'est simple, clair, net, direct et programmatique :  la démocratie directe ; un gouvernement d'union nationale constitué en dehors des partis politiques parce qu’ils sont discrédités et qu'ils guettent la récupération ; une baisse des taxes et des charges pour la population la plus éprouvée ; une augmentation des salaires ; une taxation des GAFA et de ceux qui font de l'argent avec l'argent ; une politique migratoire rationnelle qui ne soit ni celle de la passoire ni celle du mur ; un communalisme et un régionalisme effectifs; une autre politique agricole que celle du productivisme qui fait le jeu des multinationales, détruit la planète et intoxique les consommateurs ; l'instauration de barrières commerciales qui empêcheraient la concurrence entre les États de droit et les États voyous en matière de protection sociale ; le retrait des aides à la presse, subventionnée par le contribuable afin de l'endoctriner et de le mépriser quand il refuse l'endoctrinement ; une séparation des pouvoirs médiatiques et politiques ; l'arrêt de l'intégration dans l'État maastrichtien...

    J'aurais pu écrire ce tract auquel je ne retranche rien ! Il est la feuille de route de la démocratie directe. C'est sur ce projet positif, concret, dynamique, qu'il faut désormais travailler.

    En écrivant mon éloge de la démocratie proudhonienne il y a quelques jours, j'ai craint un temps avoir placé la barre un peu haut. Avec ce tract sans nom ramassé dans la rue, je suis désormais bien convaincu que non. 

     

    Michel Onfray

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (4)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

    1ère partie : l’Homme Masse2235704335.jpg

    « De Caillaux à Giscard » : le système libéral

    En effet, si la production élimine progressivement la masse, la consommation lui reste soumise. Quand les belles âmes s'indignent que certains proposent de renvoyer chez eux les immigrés, un calcul cynique explique l'appui qu'elles reçoivent des « médias «. Il ne faut pas laisser partir des consommateurs. Tout ralentissement des achats serait catastrophique. La massification ne s'explique pas que par le travail à la chaîne. Une transformation plus profonde peut-être s'est opérée. Pendant des millénaires, l'homme produisait pour consommer. Il fallait se nourrir, se vêtir, mais aussi satisfaire d'autres besoins, d'ordre spirituel, militaire ou intellectuel, construire des temples et des palais, entretenir des prêtres, des sorciers, des guerriers, des administrateurs. Désormais l'homme consomme pour produire. Les besoins étant, pour l'essentiel, satisfaits, l'organisation rationnelle du travail et le machinisme n'ont pas épuisé leurs capacités productives. Il convient donc de susciter le désir de marchandises qui ne sont pas nécessaires. La publicité s'en charge et rapidement le désir se transforme en besoin. L'habitant des villes peut sans difficulté, se passer d'une automobile, disposant de transports en commun confortables et souvent plus rapides. Qui ne possède pas sa voiture particulière passe pourtant soit pour un miséreux soit pour un attardé. Le conformisme et l'individualisme se conjuguent pour obliger à consommer, fut-ce des objets parfaitement inutiles, les gadgets. Si la consommation se ralentit, pour une raison ou pour une autre, que les gens ont moins d'argent, que la mode change, que la saturation apparaît, il faut fermer des usines et mettre des gens au chômage. Toute diminution du niveau de vie de la masse entraîne une crise économique. Si l'on veut assurer un développement harmonieux de la production, chaque individu doit pouvoir continuer de se procurer les produits de la grande industrie, qu'il soit en bonne santé ou malade, jeune ou vieux, riche ou pauvre.

    Le système libéral n'a pu fonctionner qu'aussi longtemps que la production de masse n'affectait qu'un secteur, le textile. Quand la demande l'emportait sur l'offre, les patrons devaient embaucher et accepter de payer des salaires plus élevés, des entreprises mal gérées parvenaient à subsister puisqu'elles trouvaient des débouchés. Le moment venait nécessairement où l'offre finissait par dépasser la demande. Les stocks s'accumulaient, les prix baissaient. Les entreprises mal gérées disparaissaient, les autres subsistaient en réduisant les salaires de ceux qu'elles conservaient. Peu à peu, les stocks s'écoulaient et la crise se résorbait. L'économie en sortait assainie. Seules les entreprises les mieux équipées, les mieux administrées subsistaient. Grâce aux gains de productivité qu'il leur avait fallu réaliser, elles produisaient à meilleur marché, elles avaient amélioré la qualité et la diversité de leurs fabrications. Ainsi les crises cycliques représentaient un facteur de progrès.

    Ce mécanisme ne fonctionnait qu'en raison de la structure de la consommation. Le budget des familles ouvrières, essentiellement consacré à la nourriture et au logement, comportait, sans doute, quelques achats de produits manufacturés (vêtements, meubles, quincaillerie) mais seulement en période de relative aisance, quand il était possible d'économiser. Les classes aisées absorbaient l'essentiel de la production. En temps de crise, elles continuaient d'acheter, moins sans doute mais suffisamment pour que s'écoulent les stocks. Certes, les ouvriers, réduits au chômage, survivaient dans les conditions les plus pénibles. Quelques philanthropes s'efforçaient d'adoucir leur sort mais personne, en dehors de catholiques sociaux et de socialistes, ne s'indignait d'une situation qui s'accordait à la nature des choses.

    Tout changea lorsque l'introduction du travail à la chaîne permit la production de masse. Ford et non Lénine, fut le grand révolutionnaire du début du siècle. Rompant avec la pratique patronale des bas salaires, il comprit que ses ouvriers étaient aussi ses futurs clients et qu'il convenait qu'ils gagnent assez pour acheter des voitures. La production de masse débouchait sur la consommation de masse. Ce qui allait modifier totalement la structure de l'économie. Ainsi la production de masse suppose l'immobilisation de capitaux considérables que l'autofinancement ne suffit plus à réunir. Entre le moment où le constructeur décide de lancer un nouveau modèle de voiture et le moment où celui-ci sort des chaînes, il s'écoule plusieurs années. De même l'innovation technologique devient l'affaire de bureaux d'études, qui mobilisent des équipes de chercheurs. Les entrepreneurs doivent faire appel aux banques, leurs fonds propres ne suffisant plus. Mais l'appareil financier recherche le profit à court terme. L'argent immobilisé ne « travaille pas » ou du moins trop lentement pour rapporter. Le banquier emprunte les sommes qu'il prête. Il faut que le capital dont il dispose soit toujours disponible. Ainsi l'entrepreneur a besoin de crédits à long terme et le banquier ne peut consentir que des crédits à court terme, sinon le taux d'intérêt deviendrait si élevé qu'il découragerait l'entrepreneur. Comment en sortir ? Par des artifices comptables qui transforment le court terme en long terme.

    Cette contradiction en a engendré une autre. L'investissement ne saurait être supérieur à l'épargne, c'est-à-dire à la part du revenu national soustrait à la consommation, d'une manière ou d'une autre. Cette vérité de bons sens convient à une économie de type classique où l'entrepreneur utilise ses propres capitaux ou ceux qu'il se procure en multipliant le nombre de ses associés grâce à des souscriptions d'actions. Vaut-elle encore, quand il lui faut investir à très long terme ? Il est conduit dans ses choix à anticiper. Le modèle que prépare le constructeur risque d'être périmé avant d'être mis en vente, de ne pas correspondre à l'évolution des goûts et des besoins de la clientèle.

    Et surtout, il est obligé de vendre à crédit. L'acheteur d'une voiture a rarement les moyens de payer comptant. Lui aussi anticipe. Il dépense l'argent qu'il n'a pas encore mais dont il compte disposer, pour autant que ses revenus continuent d'augmenter. Les organismes financiers, en principe, utilisent l'épargne reçue en dépôt d'une manière ou d'une autre (dépôts à vue, emprunts obligatoires, gestion de portefeuilles etc.…) pour financer ces diverses anticipations. Tout semble donc rentré dans l'ordre, mais à condition que les banquiers ne commettent aucune erreur, qu'ils ne se montrent ni trop timorés, car ils casseraient l'expansion, ni trop laxistes car ils cesseraient de la contrôler. En théorie, ces excès inverses devraient se compenser. Ce qui se révélerait exact si chaque opérateur prenait ses décisions par un calcul rationnel. Les risques d'erreur s'annuleraient à peu près. Les choses ne se passent pas ainsi en pratique. Il existe un effet d'entraînement. A certains moments, les banquiers, emportés par l'euphorie, prêtent avec trop de facilité, à d'autres, ils s'effraient et resserrent le crédit, étranglant les entreprises.

    Que s'est-il passé en 1929 ? La prospérité a conduit les industriels, les particuliers et les banquiers à anticiper sur un progrès supposé indéfini tant de la consommation que de la production. Les industriels ont succombé au vertige du gigantisme, les particuliers ont multiplié les achats à crédit - y compris les achats d'actions  et les banquiers ont trop utilisé les artifices comptables qui permettent de transformer le court terme en long terme, si bien que les Etats-Unis investissaient plus qu'ils n'épargnaient. Tout fonctionnait convenablement parce que la bourse de New York drainait les capitaux du monde entier. Il a suffi que le flux d'épargne diminue, même légèrement pour provoquer la catastrophe. Il fallait donc réajuster l'épargne et l'investissement. Les économistes libéraux ont immédiatement présenté une solution d'apparence raisonnable. Il suffisait de diminuer les salaires et même, de l'opinion de Rueff, de supprimer purement et simplement les allocations de chômage, en un mot de pratiquer une politique de déflation. C'était oublier que désormais la consommation de masse fournissait le moteur de la production de masse. Quand on fabriquait quelques milliers de voitures par an, la misère du peuple n'empêchait pas les stocks de s'écouler peu à peu et puisqu'il fallait bien les reconstituer, les commandes relançaient la production. Il n'en va plus de même, quand le stock se chiffre par millions de voitures. L'économie avait changé d'échelle et les libéraux, enfermés dans leurs abstractions ne s'en étaient pas aperçu. La solution fut trouvée non par un théoricien mais par deux hommes de terrain, l'allemand Schacht financier d'Hitler et Morgenthau, le principal conseiller de Roosevelt. L'un et l'autre partirent d'une idée simple. La mécanique libérale ne fonctionnait plus, les stocks ne diminuaient pas parce que les achats des classes aisées n'avaient plus qu'une influence marginale sur le marché. La production de masse ne reprendrait que si l'on donnait à la masse les moyens de consommer d'où une politique de grands travaux financée artificiellement. Il fallut néanmoins la seconde guerre mondiale pour surmonter la crise, les armements constituant une production dont la consommation n'est pas entravée par des considérations budgétaires.

    Ni Schacht ni Morgenthau n'avaient pu s'inspirer de la célèbre « general theory of employment, interest and money » de John Maynard Keynes, publiée seulement en 1936. Cependant, l'inspiration demeurait la même. Les uns et les autres substituaient à une conception statique de l'économie, où les équilibres se rétablissaient automatiquement, une « description dynamique » selon l'expression de Keynes. Les classiques visaient en fait un état quasi stationnaire. Ce qui donnera, sous une forme journalistique, la « croissance zéro » préconisée par le club de Rome, croissance zéro de la production et de la démographie. Mais l'expérience montre assez qu'il n'y a jamais d'état quasi stationnaire. En économie, comme dans les autres domaines, qui n'avance pas recule.   •  

    (A suivre - A venir : « De Caillaux à Giscard : Le système libéral » suite)

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (1)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (2)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (3)

     

    lafautearousseau

  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (20)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

    Le Collège de France

     

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    UNE MACHINE à FABRIQUER DES CHÔMEURS

    Il existe néanmoins un ministère plus nuisible encore que celui de la culture. L'Education Nationale fournit aux pédagogues et aux réformateurs un superbe instrument de décervelage. Un pays qui manque d'enseignants trouverait là du beau monde, dont il est permis d'espérer qu'au contact du réel il récupèrerait les quelques grains d'ellébore nécessaires à son bon sens. Le ministère de l'éducation nationale fabrique des illettrés à la chaîne. Un sur quatre des élèves qui entrent en sixième ne maîtrise pas la lecture. Selon la nomenclature officielle, ce n'est pas un lecteur mais un déchiffreur. Il ânonne. Plus grave peut-être un étudiant en lettres sur deux, un étudiant en droit sur trois n'a aucun débouché. Des diplômés se présentent à des concours dont le niveau intellectuel est celui d'un élève de troisième. Des médecins s'inscrivent au chômage. Ce prodigieux gaspillage coûte cher en stages de formation qui, trop souvent ne mènent à rien. Un pays dont l'école, chaque année « produit » cent mille jeunes qui, non seulement ne possèdent aucune qualification mais ont pris le dégoût du travail, se condamne au déclin.

    Le collège de France, consulté par M. Mitterrand, a défini la première, la principale priorité de toute réforme de l'enseignement. Il faut « défonctionnariser » le métier d'enseignant. Déjà Condorcet, à la veille de la Révolution mettait en garde contre le danger d'une « corporation » universitaire, que François 1er, précisément, par la création du collège de France, avait tenté de réduire. L'avertissement ne fut pas entendu. Les républiques successives, d'ailleurs colonisées par les instituteurs et les professeurs, laissèrent se constituer une formidable féodalité, la Fédération de l'enseignement national, qui s'est placée, grâce à son réseau mutualiste, en situation de monopole. Le ministère qui devrait contrôler le corps enseignant s'est transformé en bras séculier des syndicats, seule la défense de ses privilèges mobilise une corporation qui dicte sa loi à l'Etat. Chacun reconnaît que les « grandes vacances » sont trop longues, qu'il vaudrait mieux des journées plus courtes. Qui oserait néanmoins aller contre les « droits acquis » ?

    Les écoles primaires, les collèges, les lycées doivent être gérés comme des entreprises. Les collectivités locales, les groupements de familles, les professions constitueraient des communautés éducatives, que l'Etat agréerait, en fonction d'un cahier des charges dont il contrôlerait le respect... Chaque communauté recevrait en location les locaux existants ou en construirait, grâce à des prêts à faible taux d'intérêt. Elle désignerait un directeur, qui embaucherait le personnel et le cas échéant le licencierait en fonction des règles fixées par le code du travail. Il n'y aurait plus d'écoles que libres.

    Il faut fixer un autre principe. L'enseignement doit être obligatoire. Il ne saurait être gratuit. Si l'on veut que les parents s'intéressent aux études de leurs enfants, ils doivent consentir un effort financier, au moins pour l'achat du matériel pédagogique. Certes chaque famille' recevrait un chèque scolaire qu'elle remettrait, en début d'année à la communauté éducative de son choix mais un complément serait demandé en fonction des ressources familiales. Bien sûr, les communautés éducatives les plus riches s'efforceraient, en offrant des salaires plus élevés, d'attirer les meilleurs maîtres. N'est-ce pas d'ores et déjà le cas ? De toute façon les agrégés recherchent et souvent obtiennent des postes dans les lycées les plus réputés, proches des grandes bibliothèques et des institutions culturelles. Ces lycées-là ne se trouvent que rarement dans les quartiers ouvriers. Les entreprises dont les besoins en techniciens sont rarement satisfaits ouvriraient des établissements techniques de haut niveau, si on leur laissait toute liberté d'en créer, en ajoutant aux sommes réunies grâce au chèque scolaire, une contribution volontaire.

    L'enseignement supérieur serait payant. Chaque étudiant verserait des droits d'inscription qui correspondraient aux frais réels de scolarité. Si sa famille n'avait pas les moyens d'assumer cette charge, il emprunterait à taux réduit, dans des conditions aussi favorables qui se puissent imaginer. Il est aberrant de donner de l'argent à des jeunes pour leur permettre d'obtenir, aux frais du contribuable, une situation qui lui fournira des revenus élevés, qui lui permettraient aisément de rembourser un prêt. Le résultat, on ne le connait que trop : de faux étudiants qui paressent aussi longtemps qu'ils le souhaitent sur les bancs de l'université afin de bénéficier de repas à prix réduits et d'avantages sociaux. L'université doit former des travailleurs capables de gérer leur existence, non des fainéants et des irresponsables. Il faut que la sélection se fasse aussi par, la volonté de réussir, la force de caractère, une exacte appréciation de ses moyens intellectuels.

    Le Collège de France insiste, à juste titre, sur les dangers de la course aux diplômes. Désormais, il semble que l'échec scolaire (ou universitaire) condamne l'individu, le transforme en victime. Certes, la société de demain sera brutalement sélective. Elle ne laissera aucune chance aux paresseux et aux incapables. Cependant Taine dénonçait déjà « cet emploi erroné, cette dépense outrée, cette usure précoce de l'énergie mentale » qu'impose un système qui lie la réussite sociale à l'acquisition d'un diplôme. L'apprentissage apporterait beaucoup plus à certains jeunes qu'une scolarité continuée jusqu'à dix-huit ans. Un artisan d'art vaut bien un ingénieur. De même, le Collège de France s'inquiète de la sélection par les mathématiques. La société de demain aura besoin d'hommes capables de s'adapter rapidement à des changements dont tout indique qu'ils s'accélèreront encore. Ce qui suppose une forte culture générale et la faculté, pour opérer les choix qu'imposera la conduite d'une carrière, de raisonner juste en tenant compte de la multiplicité des paramètres. Il ne sert de rien de surcharger les jeunes de connaissances scientifiques dont tout le monde sait qu'elles seront périmées avant qu'ils aient l'occasion de s'en servir. Ils ont besoin d'une méthode. C'est le rôle de l'enseignement secondaire que de la fournir comme c'est celui du primaire d'inculquer le rudiment. De ce point de vue, les expériences tentées au niveau du technique, pour lier l'enseignement à la recherche sont intéressantes.

    Nous entrons dans un monde où la matière grise devient la principale matière première. Il est plus important pour un pays d'avoir des chercheurs que du pétrole.

    La recherche scientifique n'est pas seulement une affaire d'argent. Certes des efforts financiers s'imposent. A quoi serviront ils si on continue à la gérer bureaucratiquement ? On ne fait pas un chercheur avec un fonctionnaire. Le rapport de la cour des comptes sûr le C.N.R.S. est édifiant. Nous entretenons des gens qui ne trouvent jamais rien et pour cause, certains « chercheurs » se contentant de passer une fois par mois pour « chercher » leurs émoluments. Assurément des changements sont intervenus, surtout depuis 1981. Les liaisons universités - entreprises se sont multipliées. Néanmoins, il conviendrait d'aller beaucoup plus loin et d'adopter la méthode américaine. Une équipe présente un projet. S'il est adopté, son maître d'œuvre reçoit une subvention et des moyens matériels. Si, au bout d'un certain temps, aucun résultat n'est obtenu, l'équipe est dissoute. L'on ne verrait pas, comme chez nous, des laborantins se mettre en grève, au risque de faire échouer une manipulation, si chacun était conscient que de la réussite dépend son avenir.

    Qu'il s'agisse de culture, d'enseignement ou de recherche, l'obstacle est finalement politique. Un peuple fainéant, protégé par son statut, défendu par des syndicats puissants, s'oppose à toute réforme, Il serait injuste de soutenir que tous nos enseignants ou tous nos chercheurs sont des paresseux mais ceux qui veulent travailler en sont parfois empêchés, par les grèves ou les séances de bavardage auxquels ils sont astreints. Certains se découragent, d'autres sombrent dans la dépression. Ce ne sont pas les hommes qu'il faut mettre en cause mais le système. Un exemple suffira : le ministère de l’Education nationale a imposé des « pédagogies d’éveil », qui insistent à promener les enfants pour leur faire visiter, une boulangerie ou un musée. Il est évident que cela est beaucoup coins fatiguant et plus agréable que l'apprentissage de la culture, tâche, reconnaissons-le, extrêmement lourde pour un instituteur, qui exige de la patience, de la persévérance, un [fort soutenu de concentration. Il s'est trouvé des instituteurs pour considérer que les pédagogies d'éveil leur faisaient perdre leur temps et celui des élèves mais il est évident que rien ne pouvait plaire davantage à des garçons et des filles qui n'ont choisi ce métier qu'en raison des vacances qu'il procure. Le ministère a encouragé la paresse en la camouflant sous un vocable flatteur. « Pédagogie d’éveil », cela sonne bien. On connaît les résultats, le pullulement des illettrés. M. Chevènement a fait une petite révolution, en déclarant que la vocation de l'école était d'enseigner, non de distraire. Cette révolution restera toute verbale. Son seul résultat sera de rassurer les parents qui commençaient à s'inquiéter. Rien ne sera changé. Le système est plus fort que tous les ministres, fussent-ils socialistes.

    Il faudrait une volonté politique. Mettre au travail le prolétariat intellectuel est une tâche surhumaine qui dépasse les capacités de M. Chevènement. Ce fils d'instituteurs croit sans-doute, que les maîtres d'école de sa jeunesse existent encore. On n'arrivera à rien aussi longtemps que le métier d'enseignant ne sera pas revalorisé, moralement et matériellement. Cela suppose que les Français, conscients que leur avenir dépend de la quantité et surtout de la qualité de la matière grise produite par la nation, admettent qu'un bon instituteur doit être aussi bien payé qu'un bon médecin de quartier, mieux en tout cas qu'un agrégé incapable de transmettre son savoir. Cela suppose que le métier d'enseignant devienne une profession libérale et que les familles choisissent leur école comme leur médecin.

    Les réformes qui s'imposent, dans tous les domaines, n'ont rien de révolutionnaire. Dans le privé, nos hommes oolitiques admettent volontiers leur bien fondé. Elles se heurtent néanmoins à la formidable résistance des syndicats, du prolétariat intellectuel et de la plèbe moderne, sournoisement encouragée par l'Etablissement et la haute finance internationale. Or nous n'avons plus beaucoup de temps. Le déclin économique de la France et de l'Europe s’accompagne, en effet, d'un déclin démographique, plus rapide encore. En l'an 2000, demain, au train où vont les doses, Marseille sera une ville majoritairement islamique. La France se libanise, avec à terme deux conséquences obligées : les conflits ethniques et religieux, le sous-développement.  • 

     A suivre  (A venir : Les nouvelles invasions barbares).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (18)

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFARNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

    Maintenir, restaurer, exploiter  notre patrimoine historique ...

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    LE RÈGNE DE LA QUANTITÉ S'ACHÈVE

    Trois types de services sont appelés à se développer, là-dessus l'accord est presque total et dans ce domaine également la reconstitution d'un marché plus large, constitué par les classes aisées s'impose : la restauration, le gardiennage, le nettoiement. Pour la restauration, il est évident qu'il faut une clientèle capable de dépenser davantage, sinon ce sera « le fast food », dans le pire des cas et dans le meilleur le sandwich. Une société de plus en plus fragile ne sera pas protégée par la seule police. La multiplication des entreprises de gardiennage répond à un besoin. La multiplication des résidences secondaires, abandonnées une partie de l'année, exigera que les particuliers fassent appel à ces entreprises. Encore convient-il qu'ils en aient les moyens. Le nettoiement lui aussi devra s'adresser aux particuliers. La domesticité, au sens ancien, ne se reconstituera pas. Ni l'évolution des mentalités ni l'exiguïté des appartements ne la favorisent. Par contre, déjà les traiteurs fournissent du personnel pour les réceptions. De plus en plus, des équipes effectueront les travaux pénibles, à condition de trouver un nombre suffisant de ménages susceptibles de conclure un contrat d'entretien, comme cela se passe aux Etats-Unis.

    Il est remarquable qu'en Lorraine le gouvernement socialiste, après avoir rêvé du développement de l'industrie électronique ait dû constater que celle-ci ne provoquait que peu d'emplois. Par contre un parc d'attraction en susciterait plusieurs milliers, sans exiger des efforts de formation coûteux, dont les résultats, sur une main d'œuvre mal préparée, restent aléatoires. Une prise de conscience s'opère, dans tous les secteurs de l'opinion, en dehors de celui, qui se marginalise, qu'occupe le parti communiste.

    Le mouvement général de la société la porte d'ailleurs vers l'amélioration de la qualité de la vie. La défense de l'environnement, la protection des sites, la rénovation des quartiers anciens, le régionalisme, le désir de « vivre au pays » afin de maintenir les solidarités familiales furent longtemps tenus pour « réactionnaires ». Une certaine extrême gauche s'en est emparée, les déformant, les travestissant, au point de les utiliser contre le progrès technologique (les centrales nucléaires) ou l'unité nationale. Il reste que, même mystifiées, les valeurs de la société préindustrielle retrouvent toute leur puissance. L'écologie a pris un tour idéologique, hostile au progrès des techniques qui la rend insupportable. Expression d'un retour à la qualité de la vie, en rupture avec la notion quantitative de « niveau de vie », elle s'accorde avec les nécessités économiques.

    Le gouvernement Fabius, en créant les TUC s'est engagé dans la bonne voie, encore qu'on doive craindre qu'il ne gâche une excellente idée. Il est absurde de payer des gens à ne rien faire. Ce gaspillage d'argent et de force de travail paraît aberrant. Pourquoi ne pas utiliser les chômeurs afin d'améliorer la qualité de la vie ? Dans le cas des TUC tout donne malheureusement à penser qu'il s'agit d'un gadget électoral destiné à camoufler ses échecs économiques. Le parti communiste n'a pas tort qui parle de tucs en toc à propos des « travaux d'utilité collective » (TUC). Une initiative heureuse, en soi, risque d'être gâchée dans la mesure où elle se traduira par une résurgence des « ateliers nationaux » de 1848, qui ont laissé de fâcheux souvenirs.

    Les TUC ne sont, dans trop de cas, une manière d'occuper des jeunes. Le souci de rentabilité, sinon financière, du moins sociale, reste insuffisant. Pour être efficaces, il faudrait les confier à des entreprises, déjà existantes ou à créer, avec le risque d'échec que cela implique. Certes, tout ce qui fut accompli par le Troisième Reich reste frappé de malédiction. Pourtant il serait opportun de s'inspirer de l'arbeitschaffung. Hitler pour combattre le chômage lança une politique de grands travaux. Les caisses étaient vides. Le docteur Schacht eut l'idée des traites de travail. Une municipalité décide de construire une cité ouvrière. Elle n'a pas le premier sou. Un établissement ad hoc, la Bank der deutschen arbeit lui donne un bon qui, placé sur un compte bancaire, permettra de payer, par un jeu d'écritures. La municipalité remboursera grâce aux locations d'appartements et aux impôts sur les bénéfices. Il ne s'agit pas de copier un système qui ne pouvait fonctionner que dans le cadre de l'autarcie économique. N'empêche qu'en deux ans le nombre de chômeurs a diminué de moitié.

    Il existe de nombreux besoins sociaux qui ne sont pas satisfaits : maintien des vieillards à domicile, haltes garderies pour permettre aux mères de famille de faire leurs courses, extension du système à tous les foyers où la femme travaille, des aides ménagères etc... De même, pour s'adapter à la révolution industrielle villes et régions seront contraintes de faire d'immenses efforts d'amélioration de la qualité de la vie. Les industries nouvelles ne s'implanteront pas n'importe où. Trois conditions devront être réunies : proximité d'une université de renom, existence d'une main d'œuvre qualifiée, possédant des traditions ouvrières de savoir-faire et de conscience professionnelle et de ce point de vue le Nord ou la Lorraine disposent de sérieux atouts, environnement naturel et culturel, susceptible d'attirer ingénieurs, chercheurs et cadres. Le développement du tourisme, des activités de loisir, de la consommation de biens « qualitatifs » suppose lui aussi l'amélioration de l'environnement naturel et culturel. Chaque ville, chaque « pays », chaque région devra, pour survivre, protéger ses sites et, à l'occasion, se débarrasser de ses friches industrielles, restaurer son patrimoine historique, planter des arbres, multiplier les jardins publics, les parcs d'attraction, les musées, les bibliothèques. Il ne s'agira plus de superfluités auxquelles un conseil municipal accorde, avec condescendance, de maigres crédits mais d'investissements dont la rentabilité économique, même si elle ne peut être calculée, se manifestera par les retombées industrielles (implantation d'entreprises) ou commerciales. Beaucoup de collectivités locales en prennent conscience.

    Le système que l'on peut envisager se fonde sur la mise en œuvre de plans d’aménagement communaux, intercommunaux, départementaux ou régionaux. Pour les financer les collectivités locales disposeraient d'un fonds où seraient versées les allocations-chômage correspondant aux emplois engendrés ainsi que, pendant trois ans, les cotisations de sécurité sociale que leur verseraient les entreprises bénéficiant de ces emplois. Cette mesure vise à dissuader les chasseurs de prime, ces entrepreneurs attirés par des avantages fiscaux ou des exonérations de charges sociales, qui ferment sitôt qu'ils n'en bénéficient plus. Les caisses de sécurité sociale de leur côté ne souffriraient aucun préjudice réel, les chômeurs ne leur rapportant rien. Ainsi chaque salaire serait couvert pour plus de moitié. Les communautés locales, pour compléter ce fonds, recourraient à des traites de travail qu'elles rembourseraient grâce au surcroît des impôts locaux provoqué par ces investissements, avec le risque normal d'erreurs d'appréciation, dont la population supporterait les conséquences puisque de toute façon il faudrait rembourser. Ces erreurs seraient moins nombreuses et surtout moins graves que si les décisions étaient prises par des technocrates irresponsables, les municipalités ou les conseils généraux, saisis pas la folie des grandeurs ou la démagogie, payant leur mauvaise gestion de leur renvoi par les électeurs.

    Ces travaux et ces services ne sauraient être accomplis directement par les communautés locales, qui, pour élargir leur clientèle électorale sont tentées de « créer » des emplois, sinon inutiles, du moins superflus, mais par, des entreprises, coopératives ou sociétés, déjà existantes ou qui se constitueraient pour bénéficier de ce marché. Soumise à la concurrence, elles s'engageraient, par contrat, à embaucher et à former des chômeurs pour l'exécution de ces travaux ou de ces services. Certains de ces emplois deviendraient permanents, d'autres, temporaires, susciteraient, du fait de la relance de l'économie locale, des emplois permanents. Il va de soi qu'un chômeur qui refuserait, deux fois de suite, un travail conforme à ses compétences et à ses capacités, serait trop souvent absent, ferait du mauvais esprit perdrait tout droit aux allocations.    

    A suivre  (A venir : Le règne de la quantité s'achève 3).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (19)

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    L'admirable série que nous réaliserions en mettant en images le Gil Blas de Lesage ... 

     

     

    2235704335.jpg2ème partie : Une révolution copernicienne 

    LE RÈGNE DE LA QUANTITÉ S'ACHÈVE

    Il convient de revenir au précepte de Saint-Paul : « qui ne travaille pas ne mange pas ». L'allocation chômage fut conçue comme un expédient économique : il fallait, pour écouler les stocks permettre aux chômeurs de continuer de consommer. On a justifié ce qui n'était qu'une habileté tactique par des considérations morales. Des hommes qui perdent leur emploi recevraient ce droit d'être nourris, logés, blanchis aux frais de la nation. Ils n'ont aucun droit de ce genre. Par contre, en stricte justice, tout citoyen a droit au travail, le droit de faire vivre sa famille de son travail. L'imposture c'est de s'accommoder de la violation par la société de ces deux droits là, qui sont fondamentaux puisque liés à la nature de l'homo faber, sous prétexte qu'elle prend momentanément leur entretien à sa charge. Puisque ce n'est pas le travail qui manque mais l'argent pour le payer elle a le devoir de trouver cet argent. Ce qui suppose une réforme fiscale et une réorganisation du système bancaire, par le recours aux traites de travail. L'argent existe. Il ne s'agit que de mieux l'utiliser.

    Mais les évidences deviennent des utopies quand elles se heurtent à la résistance de corps sociaux assez puissants et si bien organisés qu'ils leur font écran. L'Etablissement a laissé proliférer une plèbe moderne, plusieurs millions de manœuvres aux écritures dans la fonction publique, les banques, les caisses d'épargne, les assurances. Ces gens ont un emploi. Officiellement, ils travaillent mais ce qu'ils font est soit inutile, soit nuisible, soit se ferait mieux à moindre frais par la machine. Assez mal payés, donc revendicateurs, ils ont obtenu, par un système de primes, d'avantages sociaux, de privilèges financiers, un sursalaire, d'ordinaire dissimulé.

    De jeunes français refusaient de devenir ouvriers d'usine. On ne le leur reprochera pas. Le système Taylor a disqualifié le travail manuel. Si l'on avait automatisé, on aurait pu, comme au Japon, attirer des bacheliers dans les ateliers. Le rendement financier, envisagé à court terme, poussait à con­server, aussi longtemps que possible des O.S., astreints à des tâches ennuyeuses, au milieu d'un bruit assourdissant que seuls les immigrés acceptaient. On a donc utilisé une partie des bénéfices obtenus grâce aux gains de productivité, non à moderniser l'industrie et à financer la recherche mais à créer ex nihilo, des emplois de bureau. De 1950 à 1982, on a systématiquement camouflé le chômage des jeunes en les utilisant d'une façon séduisante. En France, l'employé de bureau a toujours été mieux considéré que l'ouvrier. Faire de son fils un fonctionnaire est le rêve du travailleur manuel.

    Il se trouve qu'absurdement gonflée, la plèbe moderne est condamnée à disparaître. Les entreprises privées commencent à « dégraisser » leurs sièges sociaux. Les banques, les assurances, les caisses d'épargne qui sont nationalisées, la Sécurité Sociale aux mains des syndicats se débrouillent pour que l'introduction de l'informatique n'ait aucune incidence sur le niveau de l'emploi. La durée effective de travail ne dépasse pas trente heures par semaine. Elle est plus près de vingt-quatre dans certains établissements, l'absentéisme étant admis, parfois encouragé. Une partie du personnel « libéré » est affecté à l'accueil du public ou au renforcement des contrôles. Ce gaspillage de main-d'œuvre coûte cher. Obtenir que la semaine de 39 heures soit respectée, supprimer les postes inutiles provoquerait du chômage. Sans doute, du moins dans un premier temps. Mais les économies réalisées favoriseraient la relance des investissements en réduisant les charges sociales, les frais de banque ou d'assurances et, par l'effet de déversement, engendreraient des emplois. L'existence de centaines de milliers de parasites, dans le meilleur des cas improductifs, dans le pire anti-productifs constitue l'une des causes de la crise.

    Certains ministères devraient être purement et simplement supprimés, à commencer par celui de la culture. L'Etat exerce son mécénat de façon déplorable. Les divers régimes qui se sont succédé depuis 1789 ont fait la démonstration de la médiocrité de leur goût. Systématiquement, ils ont encouragé les pompiers d'arrière puis d'avant-garde au détriment des créateurs. Il s'est trouvé des amateurs, des marchands pour s'intéresser aux impressionnistes. Pas beaucoup mais qu'achetait donc l'Etat ? La meilleure façon, pour l'administration d'encourager les lettres et les arts reste encore de ne pas s'en occuper. Qu'un film, qu'une pièce connaissent le succès, les voici frappés de lourdes taxes, tandis que des troupes ringardes et des films minables sont arrosés de la manne ministérielle. Le principe égalitaire, qui pénalise la réussite pour secourir l'échec n'est jamais plus néfaste que dans le domaine culturel. L'on nous explique que l'Etat a le devoir de soutenir des œuvres ambitieuses, qui ne sauraient, d'elles-mêmes atteindre un public suffisant pour assurer leur rentabilité. Ce raisonnement se fonde sur l'idée qu'lin fonctionnaire, du moment qu'il appartient au ministère de la culture, possède un jugement esthétique supérieur à celui des contribuables. L'Etat qui s'est arrogé bien des monopoles s'approprie aussi, celui du goût. L'expérience, malheureusement, prouve qu'il est, comme la majorité des citoyens d'ailleurs, conformiste. Rien là que de normal. Au début, un créateur véritable n'est reconnu que par un petit nombre.

    Que l'Etat favorise donc le mécénat privé. Sur cent amateurs quatre-vingt-quinze se trompent. Ils préfèrent Rosa Bonheur à Manet. Il en reste cinq qui savent reconnaître le génie à l'état naissant. Ce qui laisse cinq pour cent de chances au créateur. L'Etat ne lui en accorde aucune.

    Devons-nous pour autant souhaiter, comme le font certains, que la culture soit livrée à la seule initiative privée ? Dans tous les domaines peut-être, sauf un, celui de l'audio­visuel. Les enjeux sont trop importants pour qu'il s'en désintéresse. En effet, nous entrons dans ce que l'on nomme, bien improprement, une société de communication. L'on entend par là non que les gens communiqueront de plus en plus entre eux mais qu'ils auront davantage de moyens, de « médias », à leur disposition.

    La libéralisation de la télévision risque de se révéler désastreuse, culturellement. Nous serons submergés de « séries » américaines ou, pis, brésiliennes, à bon marché. Il convient que l'Etat conserve au moins une chaîne, la confie à un professionnel sérieux — Il y en a encore quelques-uns —et lui accorde des fonds considérables. Cette chaîne devrait défendre la chanson française et produire, à _partir des grandes œuvres de la littérature française et européenne, des films de valeur que nous vendrions, à des prix relativement bas, aux télévisions francophones. Sur cette chaîne seuls les produits fabriqués dans notre pays, seraient autorisés à faire de la publicité. Gérée comme une entreprise privée, indépendante du pouvoir politique, cette chaîne se donnerait pour objectif non le taux d'écoute mais la qualité des programmes. On n'empêchera pas les gens de préférer un chanteur américain à l'adaptation d'un roman de Balzac. Par contre on peut acquérir, dans le monde, une réputation indiscutée. La B.B.C. y est bien parvenue. Il faudra, dans un proche avenir considérer les « biens culturels » sous l'angle économique. On exportera de plus en plus de disques, d'émissions de télévision et même de livres. Notre seule chance, compte tenu de l'étroitesse du marché national, reste d'utiliser notre réputation. Il faut jouer la carte de la qualité. Jamais nous ne réaliserons l'équivalent de « Dallas », une tentative récente le prouve. Par contre, imagine-t-on l'admirable « série » que nous réaliserions en mettant en images le « Gil Blas » de Lesage ?   •  

    A suivre  (A venir : Une machine à fabriquer des chômeurs).

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray     

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  • Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (4)

    La production automobile de masse

     

    lfar bleu.jpgNous poursuivons la publication de notre série, dont la lecture expliquera à ceux qui ne l'ont pas connu le rôle intellectuel important de Pierre Debray à l'Action Française dans les années 1950-2000.  Cette analyse politique, économique, sociologique et historique, menée méthodiquement, à la maurrassienne, comporte de multiples enseignements, utiles aujourd'hui à notre école de pensée. Comme un stimulant de notre réflexion sur la situation présente de la France et sur l'action que nous avons à y mener. Même si le lecteur devra tenir compte des événements et des faits intervenus au cours des trois dernières décennies.  LFAR

     

    2235704335.jpg1ère partie : l’Homme Masse

    « De Caillaux à Giscard » : le système libéral

    En effet, si la production élimine progressivement la masse, la consommation lui reste soumise. Quand les belles âmes s'indignent que certains proposent de renvoyer chez eux les immigrés, un calcul cynique explique l'appui qu'elles reçoivent des « médias «. Il ne faut pas laisser partir des consommateurs. Tout ralentissement des achats serait catastrophique. La massification ne s'explique pas que par le travail à la chaîne. Une transformation plus profonde peut-être s'est opérée. Pendant des millénaires, l'homme produisait pour consommer. Il fallait se nourrir, se vêtir, mais aussi satisfaire d'autres besoins, d'ordre spirituel, militaire ou intellectuel, construire des temples et des palais, entretenir des prêtres, des sorciers, des guerriers, des administrateurs. Désormais l'homme consomme pour produire. Les besoins étant, pour l'essentiel, satisfaits, l'organisation rationnelle du travail et le machinisme n'ont pas épuisé leurs capacités productives. Il convient donc de susciter le désir de marchandises qui ne sont pas nécessaires. La publicité s'en charge et rapidement le désir se transforme en besoin. L'habitant des villes peut sans difficulté, se passer d'une automobile, disposant de transports en commun confortables et souvent plus rapides. Qui ne possède pas sa voiture particulière passe pourtant soit pour un miséreux soit pour un attardé. Le conformisme et l'individualisme se conjuguent pour obliger à consommer, fut-ce des objets parfaitement inutiles, les gadgets. Si la consommation se ralentit, pour une raison ou pour une autre, que les gens ont moins d'argent, que la mode change, que la saturation apparaît, il faut fermer des usines et mettre des gens au chômage. Toute diminution du niveau de vie de la masse entraîne une crise économique. Si l'on veut assurer un développement harmonieux de la production, chaque individu doit pouvoir continuer de se procurer les produits de la grande industrie, qu'il soit en bonne santé ou malade, jeune ou vieux, riche ou pauvre.

    Le système libéral n'a pu fonctionner qu'aussi longtemps que la production de masse n'affectait qu'un secteur, le textile. Quand la demande l'emportait sur l'offre, les patrons devaient embaucher et accepter de payer des salaires plus élevés, des entreprises mal gérées parvenaient à subsister puisqu'elles trouvaient des débouchés. Le moment venait nécessairement où l'offre finissait par dépasser la demande. Les stocks s'accumulaient, les prix baissaient. Les entreprises mal gérées disparaissaient, les autres subsistaient en réduisant les salaires de ceux qu'elles conservaient. Peu à peu, les stocks s'écoulaient et la crise se résorbait. L'économie en sortait assainie. Seules les entreprises les mieux équipées, les mieux administrées subsistaient. Grâce aux gains de productivité qu'il leur avait fallu réaliser, elles produisaient à meilleur marché, elles avaient amélioré la qualité et la diversité de leurs fabrications. Ainsi les crises cycliques représentaient un facteur de progrès.

    Ce mécanisme ne fonctionnait qu'en raison de la structure de la consommation. Le budget des familles ouvrières, essentiellement consacré à la nourriture et au logement, comportait, sans doute, quelques achats de produits manufacturés (vêtements, meubles, quincaillerie) mais seulement en période de relative aisance, quand il était possible d'économiser. Les classes aisées absorbaient l'essentiel de la production. En temps de crise, elles continuaient d'acheter, moins sans doute mais suffisamment pour que s'écoulent les stocks. Certes, les ouvriers, réduits au chômage, survivaient dans les conditions les plus pénibles. Quelques philanthropes s'efforçaient d'adoucir leur sort mais personne, en dehors de catholiques sociaux et de socialistes, ne s'indignait d'une situation qui s'accordait à la nature des choses.

    Tout changea lorsque l'introduction du travail à la chaîne permit la production de masse. Ford et non Lénine, fut le grand révolutionnaire du début du siècle. Rompant avec la pratique patronale des bas salaires, il comprit que ses ouvriers étaient aussi ses futurs clients et qu'il convenait qu'ils gagnent assez pour acheter des voitures. La production de masse débouchait sur la consommation de masse. Ce qui allait modifier totalement la structure de l'économie. Ainsi la production de masse suppose l'immobilisation de capitaux considérables que l'autofinancement ne suffit plus à réunir. Entre le moment où le constructeur décide de lancer un nouveau modèle de voiture et le moment où celui-ci sort des chaînes, il s'écoule plusieurs années. De même l'innovation technologique devient l'affaire de bureaux d'études, qui mobilisent des équipes de chercheurs. Les entrepreneurs doivent faire appel aux banques, leurs fonds propres ne suffisant plus. Mais l'appareil financier recherche le profit à court terme. L'argent immobilisé ne « travaille pas » ou du moins trop lentement pour rapporter. Le banquier emprunte les sommes qu'il prête. Il faut que le capital dont il dispose soit toujours disponible. Ainsi l'entrepreneur a besoin de crédits à long terme et le banquier ne peut consentir que des crédits à court terme, sinon le taux d'intérêt deviendrait si élevé qu'il découragerait l'entrepreneur. Comment en sortir ? Par des artifices comptables qui transforment le court terme en long terme.

    Cette contradiction en a engendré une autre. L'investissement ne saurait être supérieur à l'épargne, c'est-à-dire à la part du revenu national soustrait à la consommation, d'une manière ou d'une autre. Cette vérité de bons sens convient à une économie de type classique où l'entrepreneur utilise ses propres capitaux ou ceux qu'il se procure en multipliant le nombre de ses associés grâce à des souscriptions d'actions. Vaut-elle encore, quand il lui faut investir à très long terme ? Il est conduit dans ses choix à anticiper. Le modèle que prépare le constructeur risque d'être périmé avant d'être mis en vente, de ne pas correspondre à l'évolution des goûts et des besoins de la clientèle.

    Et surtout, il est obligé de vendre à crédit. L'acheteur d'une voiture a rarement les moyens de payer comptant. Lui aussi anticipe. Il dépense l'argent qu'il n'a pas encore mais dont il compte disposer, pour autant que ses revenus continuent d'augmenter. Les organismes financiers, en principe, utilisent l'épargne reçue en dépôt d'une manière ou d'une autre (dépôts à vue, emprunts obligatoires, gestion de portefeuilles etc.…) pour financer ces diverses anticipations. Tout semble donc rentré dans l'ordre, mais à condition que les banquiers ne commettent aucune erreur, qu'ils ne se montrent ni trop timorés, car ils casseraient l'expansion, ni trop laxistes car ils cesseraient de la contrôler. En théorie, ces excès inverses devraient se compenser. Ce qui se révélerait exact si chaque opérateur prenait ses décisions par un calcul rationnel. Les risques d'erreur s'annuleraient à peu près. Les choses ne se passent pas ainsi en pratique. Il existe un effet d'entraînement. A certains moments, les banquiers, emportés par l'euphorie, prêtent avec trop de facilité, à d'autres, ils s'effraient et resserrent le crédit, étranglant les entreprises.

    Que s'est-il passé en 1929 ? La prospérité a conduit les industriels, les particuliers et les banquiers à anticiper sur un progrès supposé indéfini tant de la consommation que de la production. Les industriels ont succombé au vertige du gigantisme, les particuliers ont multiplié les achats à crédit - y compris les achats d'actions  et les banquiers ont trop utilisé les artifices comptables qui permettent de transformer le court terme en long terme, si bien que les Etats-Unis investissaient plus qu'ils n'épargnaient. Tout fonctionnait convenablement parce que la bourse de New York drainait les capitaux du monde entier. Il a suffi que le flux d'épargne diminue, même légèrement pour provoquer la catastrophe. Il fallait donc réajuster l'épargne et l'investissement. Les économistes libéraux ont immédiatement présenté une solution d'apparence raisonnable. Il suffisait de diminuer les salaires et même, de l'opinion de Rueff, de supprimer purement et simplement les allocations de chômage, en un mot de pratiquer une politique de déflation. C'était oublier que désormais la consommation de masse fournissait le moteur de la production de masse. Quand on fabriquait quelques milliers de voitures par an, la misère du peuple n'empêchait pas les stocks de s'écouler peu à peu et puisqu'il fallait bien les reconstituer, les commandes relançaient la production. Il n'en va plus de même, quand le stock se chiffre par millions de voitures. L'économie avait changé d'échelle et les libéraux, enfermés dans leurs abstractions ne s'en étaient pas aperçu. La solution fut trouvée non par un théoricien mais par deux hommes de terrain, l'allemand Schacht financier d'Hitler et Morgenthau, le principal conseiller de Roosevelt. L'un et l'autre partirent d'une idée simple. La mécanique libérale ne fonctionnait plus, les stocks ne diminuaient pas parce que les achats des classes aisées n'avaient plus qu'une influence marginale sur le marché. La production de masse ne reprendrait que si l'on donnait à la masse les moyens de consommer d'où une politique de grands travaux financée artificiellement. Il fallut néanmoins la seconde guerre mondiale pour surmonter la crise, les armements constituant une production dont la consommation n'est pas entravée par des considérations budgétaires.

    Ni Schacht ni Morgenthau n'avaient pu s'inspirer de la célèbre « general theory of employment, interest and money » de John Maynard Keynes, publiée seulement en 1936. Cependant, l'inspiration demeurait la même. Les uns et les autres substituaient à une conception statique de l'économie, où les équilibres se rétablissaient automatiquement, une « description dynamique » selon l'expression de Keynes. Les classiques visaient en fait un état quasi stationnaire. Ce qui donnera, sous une forme journalistique, la « croissance zéro » préconisée par le club de Rome, croissance zéro de la production et de la démographie. Mais l'expérience montre assez qu'il n'y a jamais d'état quasi stationnaire. En économie, comme dans les autres domaines, qui n'avance pas recule.   •  

    (A suivre - A venir : « De Caillaux à Giscard : Le système libéral » suite)

     

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    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (1)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (2)

    Une politique pour l'an 2000 de Pierre Debray (3)