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Une semaine libanaise avec Annie Laurent : 4/8, Le rôle des chrétiens libanais

Annie_Laurent.jpgAlors que le Liban commémore son centenaire en 2020, le pays connaît depuis quelques mois d’importants soubresauts populaires.

De quoi s’agit-il précisément, comment analyser la situation profonde du Liban aujourd’hui ?

Quelle place pour les chrétiens ?

C’est à ces questions que répond ce dossier.


par ANNIE LAURENT

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4 Le rôle clé des chrétiens libanais

 

 

Ancien commandant des Forces Libanaises, Fouad Abou Nader, homme politique de premier plan, chrétien maronite, est un ardent défenseur de la souveraineté du Liban où il est reconnu pour son intégrité. Il a fondé en 2007 le Front de la Liberté. Entretien.

 

La Nef : Pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours ainsi que vos engagements durant la guerre ?

Fouad Abou Nader : Marié, père de quatre enfants, je suis médecin de formation et travaille dans le secteur de la santé. Je suis activement impliqué dans la société civile.
En 1969, après l’accord du Caire, lorsque les organisations palestiniennes ont tourné leurs armes contre le Liban et formé un État dans l’État libanais avec l’intention de faire de notre pays leur patrie de rechange, et ce après avoir jeté les chrétiens à la mer (dixit Abou Ayad, le bras droit de Yasser Arafat), j’ai considéré qu’il était de mon devoir de prendre les armes pour défendre ma patrie. Les milices chrétiennes ont vu le jour pour pallier la paralysie de l’armée libanaise. Nous étions délaissés de tous, même de la France, face à un ennemi qui voulait nous annihiler et qui avait réussi à créer une véritable internationale du djihadisme en rassemblant des mercenaires du monde musulman. Agressés en tant que chrétiens, nous avons résisté en tant que Libanais.
C’est ainsi que j’ai rejoint la milice du parti Kataëb puis les Forces Libanaises (FL) fondées par Béchir Gemayel pour unifier les combattants des quatre partis chrétiens qui composaient le Front libanais. De 1984 à 1985, j’ai été le commandant en chef des FL. Durant toutes ces années, j’ai aussi combattu l’armée syrienne et je me suis opposé à toutes les initiatives politiques qui donnaient blanc-seing à la Syrie pour réaliser un Anschluss avec le Liban, en particulier l’accord de Taëf (1989). Je me suis également opposé à tous les conflits survenus au sein de la région libre, cherchant toujours à rapprocher les protagonistes de ces affrontements entre chrétiens.

La Nef : En tant que neveu de Béchir Gemayel, vous considérez-vous aussi comme son héritier politique ?

Fouad Abou Nader : Entre Béchir et moi, il n’y a que neuf ans de différence. J’ai quatre sœurs mais aucun frère. Il était donc mon grand frère plutôt que mon oncle. Notre relation était très fraternelle. Béchir ne croyait pas dans l’héritage politique mais dans des institutions stables et démocratiques d’où des dirigeants pourraient émerger et porter notre cause. Au sein des FL, nous avions des élections démocratiques libres (jusqu’en 1985) pour désigner le commandant en chef. Béchir lui-même s’y soumettait. En 2007, j’ai créé une formation politique, le Front de la Liberté. Nous avons organisé les premières élections au suffrage universel direct afin que la base militante décide.

La Nef : En 2010, vous avez fondé l’Assemblée des chrétiens d’Orient. Pouvez-vous nous parler des motivations, du fonctionnement et des initiatives prises par cette instance ?

Fouad Abou Nader : J’ai lancé ce projet avec les quatorze Églises d’Orient. Nous avons fondé notre Assemblée à Beyrouth en la dotant des structures requises par le droit libanais. Elle a pour but de rassembler, en un seul cadre, le plus large potentiel de ressources humaines et matérielles possible, en Orient et dans les pays de la diaspora, et ceci afin de promouvoir, de renforcer et de protéger une présence chrétienne libre et dynamique en Orient.

Voici nos objectifs.

1/ Créer un lieu de rencontre, d’échanges et de coordination permanent entre toutes les communautés chrétiennes orientales et leur fournir une tribune médiatique, cruciale dans les circonstances historiques dangereuses qu’elles traversent actuellement. Nous pouvons ainsi accompagner l’action du Conseil des Églises du Moyen-Orient, organisme ecclésial et œcuménique.
2/ Créer un observatoire chargé de suivre la situation démographique, sociale, économique et politique des chrétiens en Orient et à l’étranger, tout en proposant des solutions pratiques pour leur survie.
3/ Faire connaître les défis auxquels les chrétiens sont confrontés au sein de leurs sociétés, aussi bien en Orient que dans les pays d’émigration.
4/ Mettre en place des structures chargées de
soutenir le financement des projets et le retour
des chrétiens émigrés.

 

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Fouad Abou Nader

 

 

La Nef : Au Liban, vous présidez Nawraj (1), une ONG qui œuvre au maintien des chrétiens sur leur terre d’origine. Quels sont les principes qui animent votre action dans ce domaine précis ?

Fouad Abou Nader : Nous voulons préserver et défendre le pluralisme, la diversité, le dialogue et la paix, pour que chrétiens et musulmans puissent y vivre ensemble en toute liberté, sécurité, dignité et égalité. Pour le Liban, Nawraj prône la neutralité positive permanente dotée d’une garantie internationale ainsi que le régionalisme qui irait plus loin qu’une simple décentralisation administrative. La neutralité immuniserait le Liban des luttes intercommunautaires pour le pouvoir par l’intermédiaire de formations politiques ayant souvent des allégeances étrangères. Le régionalisme transformerait ces luttes en compétition saine sur les plans économique et social. Il permettrait de pallier les défaillances du pouvoir central.
Dans le domaine social, Nawraj conçoit des projets de proximité (agriculture, industrie, écotourisme, tourisme religieux) pour pallier les carences de l’État: accès aux soins et à l’éducation, défense de l’environnement et développement durable.
Au niveau politique, Nawraj agit sur le terrain en facilitateur et médiateur pour créer ou renforcer les liens entre chrétiens, sunnites, chiites, druzes et alaouites, et bâtir des ponts entre les belligérants, comme nous l’avons fait en 2014 suite au conflit sanglant qui a opposé Daech et l’armée libanaise à Ersal.
La disparition des Libanais chrétiens signerait la fin du pluralisme et de la coexistence. Dans les régions qui vivent au rythme du conflit entre sunnites et chiites, ils sont le liant et le ciment social : sur les 1611 villages que compte le Liban, il n’y a presque aucun village mixte sunnites-chiites, sunnites-druzes ou chiites-druzes; par contre, les chrétiens vivent avec toutes les communautés musulmanes sur l’ensemble du territoire.

La Nef : Vous participez activement à la révolte contre le système libanais. Quelles sont vos motivations à ce sujet et comment voyez-vous l’issue de ce mouvement ?

Fouad Abou Nader : Avec un peu moins de 5 millions de ressortissants libanais répartis sur une superficie de 10.452 km2 au relief montagneux, mon pays est une véritable forteresse naturelle qui a toujours accueilli les minorités persécutées et a ainsi été bâti sur le principe de la liberté. Malheureusement, le système politique, hérité des Ottomans, repose, d’une part sur le népotisme, la corruption, le détournement d’argent et de marchés publics, d’autre part sur la « peur de l’autre », entraînant les luttes intercommunautaires pour le pouvoir, l’allégeance de dirigeants et de leurs formations politiques à des pays étrangers et enfin le féodalisme. D’où la léthargie et la paralysie de l’État. La jeunesse libanaise a identifié ces maux et a su créer une cohésion nationale qui pourrait servir de base à une citoyenneté au-dessus de l’appartenance communautaire. C’est pourquoi je soutiens les jeunes sur le terrain en essayant de les guider.
Aucun Libanais ne veut d’une guerre civile, pas même le Hezbollah. En revanche, les réfugiés, essentiellement sunnites, peuvent être utilisés par des puissances étrangères. Ainsi, les organisations palestiniennes restent armées; parmi les Syriens, les hommes ayant fait leur service militaire pourraient recevoir armes, munitions et argent à tout moment. Syriens et Palestiniens pourraient ainsi constituer une armée
sunnite contre le Hezbollah chiite. Israël pourrait s’inviter dans un tel conflit.

La Nef : La déconfessionnalisation du système libanais, revendiquée par une partie des chrétiens, n’est-elle pas un piège pour eux? Ne risque-t-elle pas de profiter à l’islam, désormais majoritaire, dans la mesure où la charia prévoit qu’en pareille situation cette religion doit régir l’État ?

Fouad Abou Nader : Il s’agit d’un projet qui prendra du temps car il se fera par étapes et dépendra de l’évolution de la société libanaise. Il est important de commencer par le bas : pour édifier un État-nation, l’identité communautaire doit laisser place à une identité citoyenne. Pour cela, il faut instituer un Code civil unifié du statut personnel, avec l’accord libre et volontaire des musulmans, ce qui serait une première dans leur histoire.
Cela pourrait provoquer un effet boule de neige dans le monde de l’islam. Les Libanais musulmans ont beaucoup évolué grâce à leurs contacts au quotidien avec les chrétiens. Chez nous, le 25 mars, fête de l’Annonciation, a été proclamé fête nationale islamo-chrétienne. Au Proche-Orient, cette décision ne pouvait se prendre qu’au Liban. Les musulmans visitent les sites religieux chrétiens et y prient à leur façon. L’an passé, au cours du même mois, un imam chiite a annoncé la guérison de sa mère par l’intercession de saint Charbel, puis un druze et un sunnite ont annoncé leurs propres guérisons grâce au saint le plus connu du Liban.

La Nef : D’une manière générale, les chrétiens sont-ils encore en mesure de relever les défis religieux, sociaux et culturels auxquels le Liban est aujourd’hui confronté ?

Fouad Abou Nader : Leur alignement fréquent sur les idées et les mœurs de l’Occident ne les affaiblit-il aux yeux des musulmans ?
Depuis la chute de Saddam Hussein (2003) et le retrait syrien du Liban (2005), trois paramètres ont changé pour les Libanais chrétiens. D’abord, pour la première fois depuis 1400 ans, les musulmans ont besoin d’eux et ne sont plus dans une logique de confrontation avec eux, ceci en raison du conflit qui oppose sunnites et chiites au Liban et dans toute la région. Ensuite, la proclamation de l’État du Grand-Liban en 1920 a insufflé le virus de la liberté et on observe que toutes les dictatures arabes qui nous voulaient du mal sont en crise et peinent à trouver des solutions à leurs problèmes. Enfin, la présence d’une coalition internationale au ProcheOrient est peut-être le signe d’un remodelage prochain de la région, mais la nouveauté est surtout que la Russie, qui nous a combattus à l’époque de l’Union Soviétique, se pose désormais en protectrice des chrétiens d’Orient.
Étant profondément croyant et pratiquant, j’ai l’espérance que les chrétiens peuvent relever les défis dont vous parlez. Vous avez raison de dire que la chrétienté libanaise s’aligne volontiers sur les idées et les mœurs de l’Occident mais, dans le même temps, nous avons aussi le sentiment d’être, au fond, une nouvelle Jérusalem pour l’âme occidentale. Cela peut vous paraître déconnecté des réalités aujourd’hui mais, je vous l’assure: le renouveau chrétien de l’Europe viendra du Liban.

Le terrorisme djihadiste pose de vrais défis religieux, sociaux et culturels aux musulmans. Ils sont de plus en plus nombreux à devenir chrétiens ou athées. Le malaise est profond. L’islam doit changer ou alors il explosera de l’intérieur. On voit partout dans le monde musulman, et surtout en Arabie-Séoudite, en Égypte et en Iran, une jeunesse désireuse de libertés.

La Nef : Quels rapports entretenez-vous avec la France ? Vous avez lancé un appel pour susciter des jumelages entre communes françaises et libanaises. Avez-vous été entendu ?

Fouad Abou Nader : Avec la France, il est difficile de décrire tout ce que nous avons en commun, tellement tout cela est incrusté dans l’inconscient collectif de nos deux peuples. Au Proche-Orient, le Liban est le pays qui possède le plus d’institutions francophones : établissements d’enseignement, centres culturels, centres hospitaliers et entreprises commerciales. Des liens solides unissent donc nos deux pays.
Nous cherchons à obtenir une aide financière de la France et de l’Union européenne car les chrétiens sont lésés en ce domaine alors qu’ils en ont besoin pour promouvoir des projets de développement générateurs d’emplois.
La France peut exercer des pressions politiques et économiques sur les gouvernements du Proche-Orient pour les inciter à préserver les droits des chrétiens, y compris celui d’exercer librement leur culte et de participer équitablement au pouvoir. Un observatoire pourrait être créé à Paris à cet effet.
L’Europe et la France pourraient œuvrer à établir la neutralité du Liban, laquelle devrait être garantie internationalement, comme l’Autriche autrefois et le Turkménistan aujourd’hui.
Concernant les jumelages, notre projet comprend 40 villages libanais frontaliers. Le premier a vu le jour entre Ras-Baalbeck et Camaret-sur-Aigues (Vaucluse). Il s’agit là aussi de contribuer à l’enracinement des chrétiens dans leurs villages. Ces jumelages peuvent également se faire au niveau des paroisses libanaises et françaises, des écoles et universités chrétiennes libanaises et françaises, des groupements sociaux libanais et français, etc.


Propos recueillis par Annie Laurent 

 

(1) Ce mot arabe signifie « fléau à blé ».

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