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Feuilleton : Une visite chez Charles Maurras - Page 4

  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (46)

     

    (retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

     

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    Aujourd'hui : Prologue des Quatre nuits de Provence...

     

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    "La journée va finir sans flammes, j’ai prié qu’on n’allumât point.
    Que le soir monte avec ses fumées incertaines : le détail, l’accident, l’inutile y seront noyés, il me restera l’essentiel.
    Ai-je rien demandé d’autre à la vie ?

    Donc, çà et là, dans ses transparences divines, traversées de soudaines opacités, le Soir léger et pur se rend, peu à peu, à la Nuit. Sur la pente gauche du ciel, le croissant couleur de perle s’élève, glisse, coule à l’autre versant, pareil aux concessions d’une rêverie fatiguée qui se replie sans hâte et ne faiblit pas sans honneur. Cette face souffrante pourrait décliner en silence. Mais l’accent de sa flamme morte insiste, de très haut, et m’impose, en quelque manière, le ressouvenir du refrain d’un beau chant entendu, il y a de longues années, et qui n’a rien perdu de sa force sur ma pensée. Ses délices renaissent, leur voix remplit mon ciel, devenu tout entier musical et sonore :

    Va, mon ami, va,
    La lune se lève !
    Va, mon ami, va.
    La lune s’en va !


    L’astre, étonné, a fait une halte apparente. Ma veille est suspendue aussi, mais non le cours de mes pensées qui se précipitent, et les petits flots qu’elles roulent valent en nombre et en vertu les parcelles étincelantes dont l’éther est criblé.

    Le glissement lunaire reprend. J’ai quitté la fenêtre d’où je le regardais, et m’éveille sur ma terrasse provençale, un peu scandalisé du temps que je dissipe à subir la révolution nocturne des songes : car je les reconnais pour de simples échos du passé.

    Qu’on leur pardonne, ainsi qu’à moi ! Ces hôtes anciens d’une mémoire minutieuse et tenace ont d’abord été convoqués, s’il m’en souvient, comme les témoins du mouvement originaire de ma pensée : ils comparaissent devant moi pour m’aider à écrire un Mémorial intellectuel. Mais je vois bien qu’ils se moquent des témoignages et ne sont animés d’aucun désir étranger à leur joie de vivre ou plutôt de survivre.

    N’étant plus rien que ce qu’ils sont et ne voulant rien d’autre, ils marchent et ils parlent, ils pleurent et ils rient sur le théâtre intérieur sans autre objet que de reparaître tels qu’ils furent, non sans se retourner de temps en temps, pour me dire qu’il ne m’est pas permis de les laisser mourir.

    Pas plus que moi, ils ne s’étonnent de leur étrange résistance aux forces de ruine. Ils sont fidèles, étant vivaces, et me remplissent à mon tour de l’horreur d’un oubli qui doit les coucher avec moi. C’est pour cela que je redis à mes homuncules si vifs, en les dévisageant et en les nommant un par un :

    Va, mon ami, va.



    Un seul point me surprend, le charme que je trouve au jeu de mes ombres heureuses.

    Mais rien n’en délivre mon cœur, il est le prisonnier de ces figurines d’enfance que durant un demi-siècle je me suis montrées, racontées et presque chantonnées, à moi, il est vrai, pour moi seul…


    Va, mon ami, va,


    La lune s’en va !

    Qu’elle aille ! Seulement ne la suivez pas, vous autres, vieux amis, condamnés à passer comme elle ! Restez, attendez, revenez, pour revivre et briller, pour me baigner encore, pendant ces quelques nuits, d’un rayon du jour éternel."

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (47)

     

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    Aujourd'hui : Destin contrarié

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    Comme son grand-père maternel, Garnier, qui a reçu chez lui, au Chemin de Paradis, le Prince de Joinville, fils du Roi Louis-Philippe, sous les ordres duquel il naviguait, Maurras aurait voulu être marin. Et dans la marine de guerre...

    C'était un petit garçon plein de vie et d'énergie, aux antipodes de l'image que l'on a trop souvent d'un Maurras vieux monsieur austère. Vocation contrariée, et même plus : empêchée, à partir du moment où il était devenu, non pas sourd, comme on le dit souvent, mais fortement malentendant...

     

    Maurras a fait de cette vocation contrariée, et de la perte de ses rêves d'enfant, le thème d'un de ses poèmes, en partie cryptée (mais en partie seulement, car plusieurs passages sont parfaitement clairs, et évoquent cet appel irrésistible de la mer et du grand large que ressentent tous les marins...)  Destinée :


    Tu naquis le jour de la lune,
    Et sous le signe des combats,
    Le soleil n'en finissait pas
    De se lever sur ta lagune

    Le vent d'ouest au seuil béant
    De ta maison sur le rivage
    Vint moduler son cri sauvage
    Et les appels de l'océan.

    Mais tu n'as pas quitté ton île
    Ni fait bataille sur la mer :
    Jamais la gloire du vrai fer
    N'a brillé dans ta main débile.

    Tu ne peux être matelot
    Que d'imaginaires espaces
    Où, plus qu'ailleurs, l'aube fugace
    Est longue à naître sous le flot,

    Darde au zénith la flamme torse
    Des volontés de ton destin :
    Dans les angoisses du Matin
    Quelle Nuit lente use ta force !

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (48)

     

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    Aujourd'hui : D'un amoureux de Martigues...

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    ...dont le texte pourrait presque, en quelque sorte, être présenté comme une introduction aux Trente beautés de Martigues, texte qu'on lira dans les deux livraisons suivantes, d'abord en français puis en provençal...

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (49)

     

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    Aujourd'hui : Les trente beautés de Martigues ( en français)

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    (Ce texte est paru en septembre 1888 dans la Revue félibréenne, puis dans l'Armana Prouvençau pour l'année 1890; il a enfin été repris en 1915 dans L'Étang de Berre et ses différentes rééditions, dont celle des Œuvres capitales)



    Aux félibres de Paris.

    Savez-vous ce que me rappellent vos causeries, savez-vous ce qu'elles me disent et me retracent ? Puisque nous sommes ici pour parler de nos pays d'origine, je puis bien vous le dire : c'est Martigues que je vois dans ces moments-là, quelques disques de terre entourés par la mer, trois petites îles qui font la chaîne au couchant de l'étang de Berre, avec un ruban de maisons qui flotte sur les deux rives ; on dirait qu'elles sont là pour amarrer au continent les trois perles que l'eau emporterait, ou qu'elle engloutirait.

    J'aime mon village mieux que ton village, nous chante Félix Gras. Je le crois bien, que je l'aime ! Et tous mes compatriotes sont comme moi. Nos hommes de mer en savent quelque chose. Autrefois, qu'un vaisseau sortît de Marseille et qu'un des nôtres y commandât, avec le meilleur vent, la mer juste assez émue pour le charrier tout doucement à Cette (1), à Barcelone ou à Majorque, croyez-vous que notre capitaine pût s'éloigner ainsi ? Ah ! mais non ! Là-bas, miroitaient les trois clochers de la patrie ; vite un coup de barre sur Bouc (2), vite, le canot à la mer pour le mener jusqu'à Martigues, et embrasser une dernière fois les places vives de son cœur !

    De là viennent, peut-être, les sornettes que l'on a racontées sur nous. Les Marseillais chansonnèrent nos capitaines, qui n'en furent que plus fiers. Sur cet article-là, vous serez avec nous, Félibres, puisque le Félibrige consiste à maintenir l'amour du pays.

    Et si je vous disais notre histoire, si ancienne, qu'elle a commencé près de deux mille ans avant que naquît notre vieux croisé Gérard Tenque (3), le fondateur des Moines hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Si je vous déployais notre bannière qui, du temps du roi de France Henri III, en quinze cent quatre-vingt-trois, arborait les trois couleurs de nos quartiers, qui sont le bleu, le blanc et l'écarlate, alors que le drapeau français n'avait pas encore usé ses grands plis liliaux, où seraient-ils, les insensés pour me soutenir que Martigues n'est pas dans le train du progrès !

    Ah ! toutes ses beautés, si j'en faisais le dénombrement et le compte, vous seriez ici jusqu'à demain. Pour vous faire plaisir, mettons que Martigues soit seulement doté de trente beautés. Le plus joli morceau de la création, qui est la femme, n'en a pas davantage.

    Je prouve tout ce que je dis.

    La première beauté de mon Martigues, c'est l'Étang de Berre, qui, le matin, blanchit et qui le soir s'azure, quand je regarde de ma maison ; l'Étang qui, de ses mille langues vertes, lèche amoureusement le sable des calanques et ronge les rochers où l'on pêche le rouget.

    La seconde, c'est l'étang de Caronte, qui le rejoint à la grand'mer. Les tartanes et les autres barques y font gonfler leurs larges voiles aux angelots joufflus.

    La troisième, ce sont nos collines nues, qui se gonflent comme mamelles et qu'embaume l'arôme chaud des thyms, des fenouils, des romarins et des sarriettes.

    La quatrième, ses champs de pierres plantés d'oliviers, où vient l'odeur du sel, dans la brise.

    La cinquième, cette petite chapelle de la Bonne Mère, si haut perchée, sur laquelle un boulet anglais est venu s'aplatir, qui sait quand ?, et que les ex-voto des pauvres gens étoilent comme des fleurs d'amour.

    La sixième, nous avons le mistral pour balayeur municipal.

    La septième, nous avons pour fosse d'égout la grande mer.

    La huitième, le Saint-Christ, qui est à l'entrée d'un canal et dont, le soir, une lanterne rouge ensanglante les jambes rompues.

    La neuvième, les grandes arrivées de caïques, en hiver, à coups de rame, pleins de grands diables aux cabans qui ruissellent de pluie et d'eau de mer.

    La dixième, les vastes corbeilles où remue le poisson comme du vif-argent ; qui peut dire combien il y a de bouillabaisses, là dedans !

    La onzième, les monceaux de sel, aux salines, qui attendent le chaland, et les douaniers, qui font un peu moins que d'attendre, les fainéants !

    La douzième, le coup d'aile des goélands qui raye le ciel.

    La treizième, la cabriole des mulets hors de l'eau, dès qu'ils sentent le grain.

    La quatorzième beauté, c'est le galbe parisien des vagons (4), de notre chemin de fer (5), ce qui fait voir une fois de plus que personne ne nous a jamais fait notre part.

    La quinzième, c'est, pour Noël, l'anguille qui se mange entre deux chandelles.

    La seizième, les pénitents qui, sous le grand soleil, vont à la Sainte-Terre (il y a deux lieues de mauvais chemin), les blancs devant, les bleus derrière, pour chanter messe à Sainte-Croix.

    La dix-septième, c'est, le jour de Pâques, la tartane de la Vierge, celle qui a le plus pêché de tout l'an, qui se fleurit comme une mariée.

    La dix-huitième, nos pêches de nuit, quand l'étang, couvert de flambeaux, est un ciel qui répond aux splendeurs de là-haut, limpide, doux et clair.

    La dix-neuvième, nos joutes colorées, le port comblé de bâtiments, de pavillons, et les beaux jeunes gens, au chant des tambourins et des flûtes, qui partent demi-nus, debout à l'arrière, et donnent et reçoivent des coups de lance comme des héros de Toloza (6).

    La vingtième beauté de Martigues, c'est bien sûr notre poutargue. Pour manger sa pareille, il faut aller jusque là-haut, chez les Russes pâles (7).

    La vingt et unième, nos prud'hommes si honorés, qu'on a fait ce proverbe : «  Que toute barbe d'homme s'incline, le prudhomme va parler.  » C'est le reste dernier de ces consuls puissants qui, par toutes les pêcheries du Midi, furent renommés, à preuve Calendal à Estérelle, vantant son aïeul :
    — Qui a été consul de Martigues.

    La vingt-deuxième beauté de Martigues, c'est la marmaille qui nage entre les quais, dans le costume d'Adam, montrant de petits culs bronzés au commissaire qui jure et qui sacre.

    La vingt-troisième, les quatre ponts jetés d'île en île, d'où les badauds regardent la tour de Bouc en aspirant leurs calumets.

    La vingt-quatrième, c'est le sang cramoisi de ces pêcheurs et de leurs brunes filles.

    La vingt-cinquième, c'est la fontaine de Ferrière, où les filles vont, le soir, puiser l'eau fraîche avec des brocs et bavardent tant qu'elles peuvent, et se font chatouiller par leurs amoureux.

    La vingt-sixième, c'est la grand'rue qui passe sur les ponts chargés d'hommes et qui charrie, au soir, comme un ruisseau d'amour, les centaines de couples enivrés.

    La vingt-septième, c'est cette folle de lune, qui jette dans nos lagunes tant de bijoux diamantins et fait courir sur l'eau ses blancs frémissements.

    La vingt-huitième, c'est la douzaine de moulins qui attendent Alphonse Daudet et où les lapins se rassemblent dans la solitude.

    Élégante et monstrueuse, la vingt-neuvième beauté, c'est la haute fleur qui éclate et s'ouvre au milieu des poignards (8), une fois, dit-on, tous les cent ans ; il ne lui faut pas cinq semaines pour élever son candélabre au ciel émerveillé.

    La trentième… Sainte bonne Mère, nous y sommes ! Et je ne vous ai rien dit de ses trois églises, non plus que de ses trois curés et de ses trois congrégations de filles !

    Il faut savoir qu'à Martigues nous allons volontiers par trois ; mais que nul ne s'en raille, parce que le nombre trois est sacré dans toutes les religions et les philosophies. Je n'ai rien dit, pauvre de moi, ni de nos salles vertes, ni des feux que l'on fait pour sainte Madeleine ! Mais si j'ai voulu abréger ce mauvais portrait des beautés de mon pays, messieurs les Félibres, c'est pour vous dire :

    — Allez le voir, car vous ne pourrez pas finir le compte que j'ai commencé.

    Notes :

    1. La graphie actuelle « Sète » ne sera adoptée qu'en 1927.

    2. Le port de Bouc, embouchure de l'étang de Caronte canalisé, qui sert de station sur la Méditerranée aux bâtiments de Martigues, situé à cinq kilomètres, sur la mer intérieure de Berre.

    3. « L'an du Saint-Christ 1040 », dit l'inscription provençale de l'hôtel de ville, en l'honneur de Gérard Tenque.

    4. Graphie en usage à l'époque. (n.d.é.)

    5. Ils avaient alors deux étages, comme dans les trains de la banlieue parisienne.

    6. Poème épique de Félix Gras, composé en 1882.

    7. Ils fabriquent leur caviar de manière très différente, mais comme nous avec des œufs de poisson.

    8. Nos paysans donnent ce nom aux belles plantes hérissées de piquants et recourbées en forme de glaives barbares que l'on appelle vulgairement aloès. En réalité c'est l'agave d'Amérique, qui depuis le XVIe siècle s'est répandue sur tous les rivages de la Méditerranée ; on la retrouve également sur les pentes du vieux Monaco et sur la montée de l'Acropole d'Athènes.

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (50)

     

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    Aujourd'hui : Les trente beautés de Martigues (en provençal) Li Trento Bèuta dou Martegue

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    I felibre de Paris.

    Sabès ço que me rememoron vòsti parladuro, sabès ço que me dison e me retrason ? D'abord que sian eici pèr charra de nòstis endré, pode bèn vous lou dire. Es lou Martegue que vese en aquéli moumen, quàuqui roudelet de terro encenturado pèr la lono, tres iscleto que se tènon e s'enfielon au tremount de l'Estang de Berro, em'un un ribanet d'oustau que floto sus li dos ribo. Dirias que soun aqui pèr amarra au countinènt tres perleto que l'aigo empourtarié vo manjarié.

    Ame moun vilage mai que toun vilage ! nous canto Fèlis Gras. Va crese que l'ame ! E tóuti li Martegau coume iéu. Nòstis ome de mar n'en sabon quaucarèn. Autre-tèms, s'un veissèu sourtié de Marsiho, qu'un Martegau ié coumandèsse, emé lou meiour vènt, la mar tout-bèu-just proun esmougudo pèr carreja plan-plan à Ceto, à Barcilouno vo à Maiorco, cresès-ti que lou Martegau s'aliuen-chavo coume acò ? Pas mai ! Eilalin miraiavon li tres clouchié de soun endré, e zóu ! un cop de barro en Bou, e zóu ! lou barquet à la mar pèr l'adurre enjusqu'au Martegue ounte beisavo un darrié cop li plaço vivo de soun cor !

    D'aqui vènon, bessai, li martegalado que se conton sus nautre. Li Marsihés cansounejèron nòsti capitàni, que n'en fuguéron que mai fièr. E pèr acó-d'aqui sarés emé nautre, Felibre, d'abord que voste Felibrige es lou mantenamen de l'amour dóu païs.

    Ah ! se vous disiéu nosto istóri, tant enciano qu'a belèu acoumença peraqui dous milo an avans que nasquèsse noste vièi crousa Gerard Tenco, lou foundatour di Mounge Espitalié de Sant Jan de Jerusalèn ! Se vouliéu desplega nosto bandiero que, dóu tèms dóu rèi de Franço Enri lou tresen, en quinge cènt vue-tanto-tres, enauravo li tres coulour de nósti quartié, que soun lou blu, lou blanc e l'escarlato, basto que lou drapèu francés noun avié encaro gausi si grand ple blanquinèu, mounte sarien li darnagas pèr ausa m'afourti que lou Martegue n'es pas dins lou trin dóu prougrès ?

    Ah ! tóuti si bèuta, se n'en fasiéu dedu e conte, sarias eici fin-qu'à deman. Pèr vous faire plesi, meten que lou Martegue siegue soulamen prouvesi de trento bèuta. Lou plus poulit moussèu de la creacioun, qu'es la femo, n'en a pas mai.

    Prove tout ço que dise.

    La bèuta proumiero de moun Martegue, es l'Estang de Berro que, de matin, blanquejo e de vèspre bluiejo se regarde de moun oustau ; l'estang qu'émé si verdo lengo amourousido lipo la sablo di calanco e rouigo li roucas ounte se pesco lou rouget.

    La segoundo, es l'Estang de Carounto que lou religo à la grand mar. Aqui tartano e beto fan regounfla si làrguis velo is ange boufarèu.

    La tresenco, es si colo nuso que reboumbellon coume mamèu e qu'embaimon li càudi sentour di ferigoulo, di fenoui, di roumanin, di pebre-d'ai.

    La quatrenco, es li clapeirolo e si plant d'óulivié ounte vèn l'óudour de la sau, dins l'aureto.

    La cinquenco, aquelo capeleto de la Bono-Maire qu'es quihado tant aut, ounte un boulet anglés es vengu s'esquicha, qu saup quand ?, e qu'estellon, coume di floureto d'amour, lis es-voto di pauri gènt.

    La sieisenco, avèn loti mistrau pèr escoubaire municipau.

    La setenco, avèn per pouciéu la grando mar.

    La vuechenco, lou Sant-Crist qu'es à l'intrado d'un canau e que, lou sèr, un lume rouginèu ensaunousis si cambo routo.

    La nòuvenco, lis gràndis arribado de caïque, d'ivér, a cop de remo, plen d'ome endemounia, que si sauto-en-barco regoulon de pluejo e d'aigo de mar.

    La desenco, li vàsti gorbo ounte boulego loti bèu pèis coume d'argènt vièu ; qu pôu dire quant n'i'a de bouï-abaisso, aqui dedins !

    La voungenco, li moulounas de sau, i salino, qu'espèron lou chaland, émé li douanié, fasènt un pau mens que d'espera, li feniantas !

    La dougenco, lou cop d'alo di gabian que rego lou cèu.

    La tregenco, li cabriola di muge en foro de la mar, tre que sènton lou gran.

    La quatourgenco bèuta, es lou flame parisen di vagoun de noste camin de fèrri, ço que fai vèire uno fes de mai qu'au nostre degun fai sa part.

    La quingenco, es, pèr Nouvè, l'anguielo que se manjo entre dos candèlo.

    La segenco, li penitènt au souleias que van en Santo-Terro (i'a dos lègo de marrit camin), li blanc davans, li blu darrié, pèr canta messo à Santo-Crous.

    La des-e-setenco, es, loti jour de Pasco, la tartano de la Vierge, aquelo qu'a lou mai pesca de l'an, qu'es flourido coume uno nóvio.

    La des-e-vuechenco, nòsti pesco de niue, que l'estang cubert de fasquié es un cèu respoundènt i trelus d'amoundaut, siau e clarinèu.

    La des-e-nouvenco, nòsti targo acoulourido, lou port clafi de bastimèn, de pavaioun, e li bèu drole, au cant di tambourin e di flahut, que parton mitanus, e, dre sus la tintèuno, dounon, e reçaupon li cop de lanço, coume d'eros de Tolosa.

    La vintenco bèuta dóu Martegue, es de segur, nosto poutargo, que pèr n'en tasta la parièro, se fau ana enjusqu'amount, encò di Rùssi palinéu.

    La vint-unenco, nòsti prudome tant ounoura qu'an fa aquéu prouvèrbi : « Que touto barbo d'ome cale, lou prudome vai parla. » Es lou rèsto darrié d'aquéli conse pouderous que, pèr tòuti li pescarié dóu Miejour, fugueron renouma ; à provo Calendau disènt à-n-Esterello, de soun grand :
    — Que fugué conse dòu Martegue.

    La vint-e-dousenco bèuta martegalo, es aquelo marmaio que nado entre li quèi, dins lou vièsti d'Adam, moustran si pichot quiéu brounza au coumessàri foutrejant.

    La vint-e-tresenco, li quatro pont jita d'isclo en isclo, d'ounte li badaire arregardon la tourre d'Embou e fan tuba si cachimbau.

    La vint-e-quatrenco, es lou sang cremesin d'aquéli pescaire e de si brùni fiho.

    La vint-e-cinquenco, es la font de Ferriero, que pèr soun aigo fresco, lou fihan iè vai, de vèspre, emé de bro, e barjo tant que pòu, e se fa coutiga per si calignaire.

    La vint-e-sieisenco, es la grand cariero que passo sus li pont carga d'ome e qu'es, au sèr, un riéu d'amour, carrejant pèr centeno li parèu enchuscla.

    La vint-e-setenco, es aquelo desaviado de luno que jito dins nòsti clar tant de beloio diamantino, e fai courre sus l'aigo si blànqui fernisoun.

    La vint-e-vuechenco, es la dougeno de moulin qu'espèron Anfos Daudet e mounte soulet se recampon li lapin.

    Espetaclouso e mistoulino, la vint-e-nouvenco bèuta es l'auto flour qu'au mitan di pougnard un cop, dison, cade cènt ans cracino e flouris ; mai ié fau basto cinq semano pèr vira lou candelabre au prefouns de l'aire espanta.

    La trentenco… Santa bono Maire, li sian ! E vous ai rèn dit de si tres glèiso, nimai de si tres curat, nimai de si tres coungregacioun de fiho !

    Fau saupre qu'au Martegue s'amo d'ana pèr tres. E que degun s'en trufe, perqué lou noumbre tres es sacra dins tóuti li religioun e li filousoufio. Ai rèn di, paure de iéu, de nósti salo verdo, nimai di fió que fasen pèr Santo Madaleno ! S'ai pas vougu tira de long pèr lou marrit retra di bèuta martegalo, esque, messiés li Felibre, vous vole dire de i'ana vèire, que noun poudrès feni lou comte pèr iéu acoumença.

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (51)

     

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    Aujourd'hui : "...quand je regarde de ma maison..." (I/II et II/II)

     

    1. L'Étang...

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    "La première beauté de mon Martigues, c'est l'Étang de Berre, qui, le matin, blanchit et qui le soir s'azure, quand je regarde de ma maison; l'Étang qui, de ses mille langues vertes, lèche amoureusement le sable des calanques et ronge les rochers où l'on pêche le rouget..."

     

    2. Le canal de Caronte...

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    Entrée de Bouc, et début du Canal de Caronte

     

    "...La seconde, c'est l'étang de Caronte, qui le rejoint à la grand'mer. Les tartanes et les autres barques y font gonfler leurs larges voiles aux angelots joufflus..."

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (52)

     

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    Aujourd'hui : "...De la conque de Fos...

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    Fos, on l'a vu sur le Mur des Fastes, tire son nom des "Fosses mariennes", ce gigantesque canal que fit creuser Marius, lequel, nous dit Plutarque, "tira le Rhône jusqu'à la mer".
    Ce canal partait du Rhône proprement dit, là où le fleuve était toujours un fleuve puissant, et le continuait en le suppléant, à partir du moment où il se perdait en divagations et marécages.
    Le consul voulait en effet à tout prix barrer la route maritime et côtière aux barbares, qui auraient pu, sans ce "mur liquide" qu'il leur opposa, se rendre très rapidement à Massalia puis à Rome.
    Marius, en bon général, avait choisi l'endroit où il voulait livrer bataille : près d'Aix, au pied de la montagne qu'on appellera, après son triomphe, la montagne de la Victoire, et qui deviendra par la suite la Sainte Victoire....
    Fos est donc le premier maillon de cette sorte de "route de Marius", dont elle conserve l'histoire en son nom toponymique...

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (53)

     

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    Aujourd'hui : ...aux frères de la Mède..."

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    Curiosité géologique, situés sur la commune de La Mède, à deux pas de Martigues "li dous fraire" (les deux frères) sont deux rochers de taille très inégale, situés tout près du rivage.
    Alexandre Dumas - qui aimait beaucoup le site de l'Étang de Berre en général, et - on l'a vu - celui de Martigues en particulier - parle de ces rochers dans son ouvrage "Le Midi de la France".
    Il y en avait trois autrefois : il n'en subsiste plus que deux, le troisième ayant été arasé/détruit au début du XXème, lors du creusement du Canal de Marseille au Rhône...

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (54)

     

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    Aujourd'hui : La maison natale (I, II et III)

    1. Façade sur le Quai, vue de face...

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    Le Quai sur lequel s'élève cette maison s'appelait autrefois Quai Brescon sur toute sa longueur.
    De nos jours, sa moitié ouest s'appelle Quai Marceau, seule la partie est (du côté de l'Étang de Berre) s'appelle encore Quai Brescon..
    C'est la raison pour laquelle, dans les Oeuvres capitales, on voit une vieille photo de l'autre extrémité du Quai (aussi appelé par les martégaux "le Miroir aux oiseaux") avec, écrite de la main de Maurras, cette légende : "Mon quai natal"...
    On notera les dimensions extrêmement réduite de cette maison : si elle s'étend sur tout le pâté de maison, de sa façade sud à sa façade arrière, au nord, elle est de forme irrégulière (plus large devant que derrière) : sa façade sud, sur le quai, que l'on voit ici, ne mesure que 4,20, et sa façade arrière encore moins : à peine 3 mètres !...

    2. Façade sur le quai, vue de trois quart...

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    Très étroite, sur trois plans (deux étages sur rez-de chaussée) la maison ne comporte qu'une fenêtre par plan !
    Elle occupe par contre le pâté de maison sur toute sa longueur, mais, de forme irrégulière, elle ne mesure que 3 mètres sur sa façade arrière...

    3. Façade arrière...

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    La mère de Maurras était une Garnier. Et la famille Garnier possédait trois "biens", à Martigues :
    * une "maison", dans le quartier de l'Île (celle-ci, où est né Maurras);
    * une "campagne", c'est-à-dire, en fait un terrain planté de vignes et d'oliviers;
    * et un "jardin", l'actuelle "maison de Maurras" et son jardin...
    Il y avait trois filles dans la famille Garnier (et pas de garçon) : Marie-Pélagie - la mère de Maurras - et ses deux soeurs : Valérie et Mathilde.
    Maurras est donc né dans l'une des maisons de la famille Garnier, celle donnant sur le Quai Brescon (aujourd'hui, Quai Marceau)...

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (55)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (I)

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    Pas vraiment très "jolie", cette vieille carte postale a cependant le mérite - et l'intérêt - de montrer ce qu'a été, à un certain moment, ce "jardin" et ce "bâtiment carré", à l'époque, bien lointaine maintenant, ou des paysans en cultivaient une partie; ce que nous voyons là doit donc correspondre, au moins en partie, et en gros, à ce que devait probablement voir le petit Charles, lorsqu'on l'emmenait "au jardin", les jeudis et les dimanches...

    C'est dans un "drôle" de petit livre que l'on apprend quand, comment et pourquoi est né l'amour immense de Maurras pour "sa" maison de Martigues...
    "Sans la muraille des cyprès" est le titre de ce qui, à proprement parler, n'est d'ailleurs pas un livre, mais une sorte de fourre-tout assez invraisemblable, dans lequel Mademoiselle Gibert, secrétaire de Maurras, a réuni, en 1941, plusieurs textes différents, certains n'ayant aucun rapport entre eux.
    Le titre lui-même n'en est pas un, puisqu'il ne s'agit que des premiers mots du premier de ces textes, jetés là "en vrac", pourrait-on dire, ce qui n'avait, d'ailleurs, pas été du goût de Maurras...
    Pourtant, si on laisse là ces considérations, la Préface de "Sans la muraille des cyprès" va nous apporter une foule de renseignements de première main, puisqu'ils sont fournis par Maurras lui-même : les uns carrément drôles, d'autres touchants, certains surprenants : on va suivre l'évolution des goûts et des désirs, dans la tête d'un enfant; puis, l'enfant ayant grandi, l'évolution de ses choix, décisions et réalisations : ce "non livre" improbable apporte ainsi, comme le diable, sa pierre à l'édifice; il n'est donc pas, bien que fort surprenant, inutile, loin de là...

    Commençons donc par le commencement, et signalons de nouveau que les Maurras viennent, non pas de Martigues, mais de Roquevaire, Auriol, La Ciotat, c'est-à-dire, en fait, à l'époque, de grosses bourgades - ou de petites villes, comme on voudra... - à l'est de Marseille, et même du pays gavot (c'est-à-dire des Alpes) du "piton des Maurras", rocher du lieu-dit "Les Maurras", non loin de Manosque, à Saint-Julien-le-Montagnier...
    Si Maurras a abouti à Martigues, c'est parce que son père, fonctionnaire, y a été muté, et qu'il y a fait la connaissance de Marie Pélagie Garnier, née le 27 avril 1836, décédée en 1922, à l'âge de 86 ans, fille de Pierre Étienne Garnier, maire de Martigues et Marie Antoinette Joséphine Boyer.
    C'est par elle que les Maurras, de Roquevaire, se sont établis à Martigues...

    Marie-Pélagie - la mère de Maurras - avait deux soeurs : Valérie et Mathilde. Et la famille Garnier possédait à Martigues une "maison", dans le quartier de l'Île (celle où est né Maurras), une "campagne", c'est-à-dire, en fait un terrain planté de vignes et d'oliviers; et un "jardin", l'actuelle "maison de Maurras" et son jardin.
    Maurras explique, peu après le début du texte, qu'il a commis un sacrilège, dont il se repentira toute sa vie, en faisant abattre plusieurs magnifiques cyprès dans "le jardin" ("...j'ai débuté dans ma longue carrière en offensant ces maîtres sacrés..."); et comment il se rachètera ensuite, par une sorte de frénésie de plantation de cyprès...
    Mais, revenons-en au début de "l'affaire", et voyons comment "cette offense mortelle succédait, il est vrai, au plus bel exploit de mon adolescence..."

    "Je n'avais pas mes quatorze ans" écrit Maurras; il y a donc huit ans qu'il a connu sa première tragédie, la mort de son père adoré, alors qu'il n'avait que six ans. Il sera frappé bientôt par la deuxième tragédie que fut la survenue de sa forte déficience auditive, en 1882 : il aura alors ces fameux "quatorze ans" qu'il n'a pas encore quand il commence son récit...
    "Je n'avais pas mes quatorze ans. On procédait à un partage de famille qui avait tardé. Selon l'usage établi chez nos bons bourgeois de Provence, notre grand-mère avait légué à ses enfants une maison de ville, une "campagne" et un jardin. La soeur aînée de notre mère annonçait son intention de se réserver la maison. Sa cadette voulait prendre le champ de vignes, d'olives et de blé. "Prends le jardin, maman ! disais-je, prends le jardin." Elle hésitait. Cette petite propriété, deux hectares et demi de fleurs, de fruits et de légumes, était moins de rapport que d'agrément; elle avait ceci d'onéreux qu'il fallait dédommager d'autres héritiers. Mais je voulais le jardin, et le voulais bien. Jadis, quand nous étions plus jeunes, avant d'aller à Aix pour nos études secondaires, on nous conduisait au "jardin", pour le moins tous les jeudis et les dimanches, et nous en revenions armés de ces grands roseaux verts qu'on appelle chez nous des cannes, et qui tournaient, comme nos têtes, à tous les vents. Puis j'aimais au jardin, le jardinier, la jardinière qui me faisaient boire le lait de leurs brebis et manger "le pain de maison" qu'ils pétrissaient eux-mêmes. Et j'aimais plus que tout le pavillon carré assis au-dessus des parterres, et qui m'avait ri de tout temps par l'or de sa façade, la broderie de ses fenêtres et les denticules de sa corniche : n'avait-il pas été bâti au XVIIIème siècle, avec le reste des pierres de l'église de l'Île ? La tradition le disait, c'était un nouveau lien de cette vieille pierre à moi..."

    On sait maintenant, et de source sûre, comment "sa" maison et "son" jardin sont venus à Maurras : entre la maison de ville et la campagne, c'est "le jardin" que ce petit garçon voulait : trop tôt orphelin de père, il y passait au moins des jours heureux; voilà pourquoi, comme il le dit, "il le voulait et le voulait bien"...
    Ce que nous connaissons tous, aujourd'hui, comme "la maison du Chemin de Paradis" ou "le jardin de Charles Maurras", c'était, pour un petit orphelin de moins de quatorze ans un "jardin" et un "bâtiment carré", hâvres de paix et d'amusements, de joies simples, de jeux et de bonheur...

    La chose fut d'ailleurs heureuse : "Le voeu de notre mère allait d'accord. Seulement mon désir s'exprimait tout haut avec une force d'insistance qui finirent par l'emporter. On paya ce qu'il fallut, le jardin fut à nous, et bien nous en prit.
    Lorsque, ses soixante ans sonnés, un peu meurtrie par dix années de Paris brumeux, notre mère eut vu partir son second fils pour les colonies (1) et, me laissant dans la grand'ville, revint seule en Provence, cette maison rustique, ce jardin sec et chaud, cette terrasse ensoleillée et embaumée que purifient le vents qui passent, lui auront dispensé une trentaine d'années tranquilles. Nous l'aurons gardée jusqu'au bout saine, lucide, gaie, en pleine possession de ses facultés, enfin digne d'elle et de son pays. Les "prends le jardin, maman !" n'auront pas fait conclure une mauvaise affaire, ni donné un mauvais conseil. J'en triomphai, mais ce triomphe fut suivi d'une lourde chute..."

    (1) : Maurras eut deux frères : l'un, François, qui ne vêcut quasiment pas, et, en 1872 (donc, de quatre ans son cadet) Joseph, qui partit à Saïgon, où il mourut en 1924.
    Joseph eut trois filles de son premier mariage (Hélène, Jeanne et Berthe) et un fils, Jacques, de son second : c'est ce fils, Jacques, adopté par Charles Maurras (avec Hélène et Jeanne) à la mort de son frère, qui fit don de la maison de Maurras à la Ville de Martigues, conformément au vœu de son oncle et père adoptif, en 1997...

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (56)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (II)

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    Maurras commet un sacrilège...

    "...Aux premières vacances, celles de 1882, on s'était tant bien que mal installé en procédant à quelques accomodations très rudimentaires. "Réformer pour conserver...", c'était déjà le bon programme. Or, parallèle à la maison, perpendicualire à l'allée centrale, il existait, comme un petit jardin dans le grand, complètement effacé du sol aujourd'hui : quelques pauvres carrés d'iris, d'oeillets et de roses, abondamment tendus de toiles d'araignées, bornés par des demi-lunes de pierre grise et - écoutez-moi bien ! - complantés de puissants cyprès, de neuf grands cyprès plus que beaux qui passaient pour avoir deux siècles. On disait au juste : cent quatre-vingt-dix ans. Notre malchance voulut qu'un nouveau fermier vint d'entrer en charge, excellent homme, mais maniaque : il détestait nos cyprès parce que leurs racines énormes lui mangeaient de la bonne terre arable et, disait-il, empiétaient sur le verger, sur le fruitier. Ses premières réclamations furent mal reçues, il les répéta, il osa parler d'abattre nos arbres...
    - Les plus anciens ! les plus grands ! les plus beaux ! c'était un péché !
    Ma mère et mon frère en étaient indignés. Quel mauvais démon me fit prendre le contre-pied ? Je plaidai pour l'ennemi des arbres et sur un ton de fausse raison, si persuasif que peu à peu j'obtins le plus triste et le plus honteux des succès. On peut trouver comme un écho de ma faute flagrante et de mon repentir gêné dans un petit poème de ma Musique intérieure qui a pour titre "Les témoins" :


    "Le sort et ses coups, la Vie et ses songes / Ne sont pas obscurs, / Disent les cyprès que la lune allonge au ras de ton mur. / Devant la maison que trois siècles dorent, / Fuseaux ténébreux, / Nous recommençons le rêve d'enclore / Votre jardin creux... / Tu dis que la loi les a fait renaître ? / Mais je vois encor quel rustre acharné qui te dit son maître / Nous porta la mort."



    Si la jeunesse est folle, l'adolescence l'est bien plus. Dans ses dix ans, mon jeune frère était bien plus sage que moi...
    Plus donc j'y réfléchis en y appliquant toutes les ressources de la mémoire et de l'expérience, et plus il me semble certain que je ne pris parti contre nos beaux cyprès qu'en raison de leur charme mystérieux et de cette beauté contre laquelle je voulais me mettre en garde, au nom de quelque chose de meilleur encore, pour y faire un sacrifice dont la peine me semblait avoir aussi sa beauté. Tout est dit contre l'erreur de cette Antiphysie stoïcienne. Il me fut dur et long de m'affranchir de ce préjugé de raison appauvrie ou dénaturée. Alors que le paysan avait réagi en fonction de ce qu'il croyait son intérêt, moi, nouveau philosophe scythe, je m'étais plu au conformisme de cette barbarie.
    Elle eut donc le dessus et les cyprès furent abattus. Je vois encore saigner entre leurs ramures d'un vert bronzé la chair rose de leurs aubiers... Le dernier tronc à peine couché au sol, tout aussitôt, sans intervalle, j'eus la claire conscience de la faute, et le deuil du malheur, et le désir de réparer l'irréparable ou de le compenser..."



    Illustration : l'un des nombreux cyprès plantés par Maurras pour "racheter" sa faute (ici, au-dessus du Mur des Fastes)...

     

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (57)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (III)

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    Le rachat (I) : plantation de dix-huit cyprès...

    "Quelques saisons après ce crime, quand de médiocres labours eurent occupé toute la place du jardin de notre grand'mère, je fis planter en sens inverse (où et comme je pus), du nord au sud le nombre double de celui des cyprès sacrifiés : dix-huit.
    Un seul est mort depuis.
    Le reste me murmure les versets et les répons de l'expiation méritée.
    Au surplus, leur croissance ne m'apporta qu'un faible repos d'esprit.
    Je caressai longtemps le têve de dédier d'autres satisfactions aux ombres des premiers martyrs, mais la vie à Paris et mes rares retours ne le permirent pas..."


    Illustration : un autre cyprès ("de Florence") du Jardin, vu en se plaçant de dos au précédent...

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (58)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (IV)

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    Le rachat (II) : plantation de la double "Allée des philosophes"...

    "...Ce fut plus tard, beaucoup plus tard, que je pus construire à la bordure du Chemin de Paradis ma double "Allée des Philosophes"; 18 cyprès par ci, 18 cyprès par là, répétés de chaque côté, ce qui fit les 72..."


    Illustration : tout de suite en entrant dans le Jardin, une fois le portail ouvert, on a, à droite et à gauche, la même "Allée des philosophes", s'achevant toutes les deux par une petite table de pierre ronde, chacune avec son banc de pierre; les deux allées sont formées de deux haies de cyprès parallèlles, espacées de deux mètres environs, propices à la méditation...

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (59)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (V)

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    Le rachat (III) : nouvelles plantations de cyprès...

    "Plus récemment encore, apparurent les 11 qui dominent terrasse et jardin d'est en ouest, mais ces derniers ont une histoire.
    Ils avaient été commandés dans l'hiver 1927-1928 et n'étaient jamais arrivés du village d'horticulteurs où ils m'avaient été promis. Un petit accident de santé survenu en juin me retint à la campagne pendant tout l'été, et je voulus mettre à profit cette occasion de les planter.
    - Mais, dirent les compétences, on ne plante pas en été...
    Mon ami Henri Mazet, l'architecte, dont l'érudition légendaire s'étend à toute chose, m'avait raconté un jour, d'après un professeur d'arboriculture de lui connu, que l'on peut parfaitement planter des arbres en n'importe quelle saison, pourvu que ce soit la nuit, avant le lever du soleil, tant que dure, paraît-il, le sommeil des plantes. Que risquait-on à essayer ? On prit date.
    Le pépiniériste de Saint Andiol jura de nouveau qu'il livrerait ses plants, tel soir, à telle heure sonnée, ce qui permettrait à mon camion de me les remettre avant minuit. Quelle angoisse ! Nous étions réunis à quelques uns sur la terrasse pour bien recevoir et pour vite planter; les onze trous avaient été creusés, garnis d'une eau fraîche et limpide avec tout ce qu'il fallait pour les reboucher sans retard... Minuit arrive. Une heure sonne. Puis deux. Enfin, les mélancoliques coups de trois heures : le jour approche, et pas de camion ! Accident ? Manque de parole ? Les deux ouvriers réquisitionnés bâillaient, voulaient partir, et nous trompions nos impatiences sur lesquelles tournait l'implacable ciel de la nuit en égrenant des souvenirs, en récitant des vers, en chantant des chansons, ou en les écoutant.
    Le côté de l'aurore pâlissait vaguement. Trois heures et demie ! Bientôt quatre, et le désespoir... quand un gros oeil rougeâtre s'ouvrit dans le chemin : camion ! cyprès ! tout !... ils furent débarqués en cinq minutes, placés dans les ronds d'eau, dressés et enterrés en moins de temps qu'on ne l'écrit. Les dernières façons étaient administrés au sol foulé et aplani quand, du Pilon du Roi, l'astre allongea quelque lumière. La nuit cessait à peine. Mais tout était fait avant jour, nous étions en règle avec le professeur de Mazet. Le serions-nous avec la nature ? Les onze cyprès prendraient-ils ? Ils ont pris, grandi, prospéré. Ils ont même, on aura tout vu, subi les épreuves du feu, dans un grand incendie champêtre qui, en les roussissant, n'a mordu qu'à la feuille; on ne peut même dire qu'ils en aient été abîmés..."



    Illustration : un des cyprès en bordure droite de l'escalier qui monte au Mur des Fastes...

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  • Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (60)

     

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    Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (VI)

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    Le rachat (IV) :

    "...Les onze que voilà ne furent pas mes derniers nés. J'en ai planté encore quelque huit dizaines de l'autre côté de la maison, d'ouest en est, et tous, ils manifestent une énergique volonté de vivre. Infiniment plus sage que son prédécesseur de 1882, mon paysan d'aujourd'hui a planté pour son compte, en avant de son potager, plus de cent autres braves cyprès utilitaires. Arrivons-nous au demi-mille ?
    On peut y arriver, car il en est bien d'autres, et beaucoup plus beaux, qui n'existent encore que dans mes rêves, et rien ne peut me délivrer du cher souci de voir grandir leurs fantômes légers en un endroit où je médite de les aligner, jusqu'à notre limite du nord-couchant, sur cette arête de colline qui aboutit près du moulin.
    Sans doute, ainsi plantés, les arbustes naissants seront-ils longtemps invisibles. Mon âge ne me permet pas d'espérer de les voir dépasser la masse des autres végétations et découper leur noble dentelle sur mon horizon. Mais avec moi comme sans moi le temps fera son oeuvre, les fûts puissants prendront racine, ils grandiront et peu à peu la forme sublimée atteindra, quelque jour, aux libres espaces du ciel. À la condition qu'il n'y ait ni invasion barbare, ni abattage insensé, que le feu les respecte et qu'une terre favorable ne manque pas à ses coutumes et à mon espoir, il naîtra dans ce lieu choisi, sur cette côte, déjà parfaite de lignes, quelque chose de comparable, et peut-être supérieur, à l'admirable allée, gloire et honneur de Malaucène, que j'ai vue non loin de Vaison, cette double montée de cyprès qui fait oublier tout ce que la Toscane, l'Ombrie et la Grèce ont pu donner de graves, d'élégants et fiers décors forestiers.
    À mi-côte, j'aurai pris soin d'élever une stèle en pierre du pays, qui portera ces mots du vieil Olivier de Serres, seigneur de Pradel, dans son Théâtre d'agriculture et mesnage des champs :

     


    "LES PLUS DIGNES ARBRES DE TOUT LE GÉNÉRAL DES AUTRES, VESTUS ET DESPOUILLÉS, ET PLUS PROPRES AUX COUVERTURES, SONT LES CYPRÈS ET LAURIERS, DESQUELS LES BONNES QUALITES DES COULEURS, DE SENTEUR ET D'OBÉISSANCE, RENDENT LES OUVRAGES MAGNIFIQUES"



    Mais le laurier est ambitieux. Il convient de nous en tenir à nos fiers cyprès dont la majesté est simple et humaine. Puissent-ils, très vieux et très hauts, pointe aiguisée, large poitrine, sans rien de maigre ou de fluet, justifiant leur beau nom de pyramidaux, prodiguer l'ombre, la vigueur, la paresse, la fierté, la confiance, la sécurité à maint arrière-neveu qui se soit rendu digne d'une telle "couverture"..."

     

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