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Notre feuilleton : Une visite chez Charles Maurras (55)

 

(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

 

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Aujourd'hui : Le "jardin", le "bâtiment carré" et l'enfant (I)

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Pas vraiment très "jolie", cette vieille carte postale a cependant le mérite - et l'intérêt - de montrer ce qu'a été, à un certain moment, ce "jardin" et ce "bâtiment carré", à l'époque, bien lointaine maintenant, ou des paysans en cultivaient une partie; ce que nous voyons là doit donc correspondre, au moins en partie, et en gros, à ce que devait probablement voir le petit Charles, lorsqu'on l'emmenait "au jardin", les jeudis et les dimanches...

C'est dans un "drôle" de petit livre que l'on apprend quand, comment et pourquoi est né l'amour immense de Maurras pour "sa" maison de Martigues...
"Sans la muraille des cyprès" est le titre de ce qui, à proprement parler, n'est d'ailleurs pas un livre, mais une sorte de fourre-tout assez invraisemblable, dans lequel Mademoiselle Gibert, secrétaire de Maurras, a réuni, en 1941, plusieurs textes différents, certains n'ayant aucun rapport entre eux.
Le titre lui-même n'en est pas un, puisqu'il ne s'agit que des premiers mots du premier de ces textes, jetés là "en vrac", pourrait-on dire, ce qui n'avait, d'ailleurs, pas été du goût de Maurras...
Pourtant, si on laisse là ces considérations, la Préface de "Sans la muraille des cyprès" va nous apporter une foule de renseignements de première main, puisqu'ils sont fournis par Maurras lui-même : les uns carrément drôles, d'autres touchants, certains surprenants : on va suivre l'évolution des goûts et des désirs, dans la tête d'un enfant; puis, l'enfant ayant grandi, l'évolution de ses choix, décisions et réalisations : ce "non livre" improbable apporte ainsi, comme le diable, sa pierre à l'édifice; il n'est donc pas, bien que fort surprenant, inutile, loin de là...

Commençons donc par le commencement, et signalons de nouveau que les Maurras viennent, non pas de Martigues, mais de Roquevaire, Auriol, La Ciotat, c'est-à-dire, en fait, à l'époque, de grosses bourgades - ou de petites villes, comme on voudra... - à l'est de Marseille, et même du pays gavot (c'est-à-dire des Alpes) du "piton des Maurras", rocher du lieu-dit "Les Maurras", non loin de Manosque, à Saint-Julien-le-Montagnier...
Si Maurras a abouti à Martigues, c'est parce que son père, fonctionnaire, y a été muté, et qu'il y a fait la connaissance de Marie Pélagie Garnier, née le 27 avril 1836, décédée en 1922, à l'âge de 86 ans, fille de Pierre Étienne Garnier, maire de Martigues et Marie Antoinette Joséphine Boyer.
C'est par elle que les Maurras, de Roquevaire, se sont établis à Martigues...

Marie-Pélagie - la mère de Maurras - avait deux soeurs : Valérie et Mathilde. Et la famille Garnier possédait à Martigues une "maison", dans le quartier de l'Île (celle où est né Maurras), une "campagne", c'est-à-dire, en fait un terrain planté de vignes et d'oliviers; et un "jardin", l'actuelle "maison de Maurras" et son jardin.
Maurras explique, peu après le début du texte, qu'il a commis un sacrilège, dont il se repentira toute sa vie, en faisant abattre plusieurs magnifiques cyprès dans "le jardin" ("...j'ai débuté dans ma longue carrière en offensant ces maîtres sacrés..."); et comment il se rachètera ensuite, par une sorte de frénésie de plantation de cyprès...
Mais, revenons-en au début de "l'affaire", et voyons comment "cette offense mortelle succédait, il est vrai, au plus bel exploit de mon adolescence..."

"Je n'avais pas mes quatorze ans" écrit Maurras; il y a donc huit ans qu'il a connu sa première tragédie, la mort de son père adoré, alors qu'il n'avait que six ans. Il sera frappé bientôt par la deuxième tragédie que fut la survenue de sa forte déficience auditive, en 1882 : il aura alors ces fameux "quatorze ans" qu'il n'a pas encore quand il commence son récit...
"Je n'avais pas mes quatorze ans. On procédait à un partage de famille qui avait tardé. Selon l'usage établi chez nos bons bourgeois de Provence, notre grand-mère avait légué à ses enfants une maison de ville, une "campagne" et un jardin. La soeur aînée de notre mère annonçait son intention de se réserver la maison. Sa cadette voulait prendre le champ de vignes, d'olives et de blé. "Prends le jardin, maman ! disais-je, prends le jardin." Elle hésitait. Cette petite propriété, deux hectares et demi de fleurs, de fruits et de légumes, était moins de rapport que d'agrément; elle avait ceci d'onéreux qu'il fallait dédommager d'autres héritiers. Mais je voulais le jardin, et le voulais bien. Jadis, quand nous étions plus jeunes, avant d'aller à Aix pour nos études secondaires, on nous conduisait au "jardin", pour le moins tous les jeudis et les dimanches, et nous en revenions armés de ces grands roseaux verts qu'on appelle chez nous des cannes, et qui tournaient, comme nos têtes, à tous les vents. Puis j'aimais au jardin, le jardinier, la jardinière qui me faisaient boire le lait de leurs brebis et manger "le pain de maison" qu'ils pétrissaient eux-mêmes. Et j'aimais plus que tout le pavillon carré assis au-dessus des parterres, et qui m'avait ri de tout temps par l'or de sa façade, la broderie de ses fenêtres et les denticules de sa corniche : n'avait-il pas été bâti au XVIIIème siècle, avec le reste des pierres de l'église de l'Île ? La tradition le disait, c'était un nouveau lien de cette vieille pierre à moi..."

On sait maintenant, et de source sûre, comment "sa" maison et "son" jardin sont venus à Maurras : entre la maison de ville et la campagne, c'est "le jardin" que ce petit garçon voulait : trop tôt orphelin de père, il y passait au moins des jours heureux; voilà pourquoi, comme il le dit, "il le voulait et le voulait bien"...
Ce que nous connaissons tous, aujourd'hui, comme "la maison du Chemin de Paradis" ou "le jardin de Charles Maurras", c'était, pour un petit orphelin de moins de quatorze ans un "jardin" et un "bâtiment carré", hâvres de paix et d'amusements, de joies simples, de jeux et de bonheur...

La chose fut d'ailleurs heureuse : "Le voeu de notre mère allait d'accord. Seulement mon désir s'exprimait tout haut avec une force d'insistance qui finirent par l'emporter. On paya ce qu'il fallut, le jardin fut à nous, et bien nous en prit.
Lorsque, ses soixante ans sonnés, un peu meurtrie par dix années de Paris brumeux, notre mère eut vu partir son second fils pour les colonies (1) et, me laissant dans la grand'ville, revint seule en Provence, cette maison rustique, ce jardin sec et chaud, cette terrasse ensoleillée et embaumée que purifient le vents qui passent, lui auront dispensé une trentaine d'années tranquilles. Nous l'aurons gardée jusqu'au bout saine, lucide, gaie, en pleine possession de ses facultés, enfin digne d'elle et de son pays. Les "prends le jardin, maman !" n'auront pas fait conclure une mauvaise affaire, ni donné un mauvais conseil. J'en triomphai, mais ce triomphe fut suivi d'une lourde chute..."

(1) : Maurras eut deux frères : l'un, François, qui ne vêcut quasiment pas, et, en 1872 (donc, de quatre ans son cadet) Joseph, qui partit à Saïgon, où il mourut en 1924.
Joseph eut trois filles de son premier mariage (Hélène, Jeanne et Berthe) et un fils, Jacques, de son second : c'est ce fils, Jacques, adopté par Charles Maurras (avec Hélène et Jeanne) à la mort de son frère, qui fit don de la maison de Maurras à la Ville de Martigues, conformément au vœu de son oncle et père adoptif, en 1997...

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