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Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant, par Aurélien Marq.

Signature de la charte des principes de l'islam, Paris, le 18 janvier 2021 © Raphael Lafargue-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01000385_000011

Encore un effort, mon frère!

Les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), principal interlocuteur des pouvoirs publics parmi les musulmans, ont trouvé un accord et signé une «charte des principes». Elle affirme enfin l’égalité hommes-femmes et le droit de changer de religion. Mais des zones d’ombre dans le texte et la faiblesse de l’autorité du CFCM sur les fidèles ne sont pas sans laisser de nombreux problèmes irrésolus. Analyse.

Le simple fait que l’on ait envie d’applaudir parce que le CFCM s’est enfin décidé à adopter une charte par laquelle il s’engage à respecter certains principes fondamentaux de la République montre à quel point le mal est profond. Ce devrait être une évidence, un prérequis indispensable, on y voit une avancée majeure, et les signataires eux-mêmes évoquent « une page importante de l’histoire de France » pour qualifier le fait que l’islam ne se proclame plus au-dessus des lois.

Reste que les auteurs de cette charte ne sont pas responsables du passé. Alors oui, c’est une avancée. Oui, on devine que la tâche a été ardue. Oui, c’était une démarche nécessaire. Et on peut saluer l’action du gouvernement qui a voulu l’existence de ce document. Comme quoi, quelques mois de fermeté ont obtenu bien plus que des décennies d’accommodements et des milliards de subventions, et c’est sans doute la principale leçon à retirer de tout ceci. L’islam ne respecte la République que lorsqu’elle ose enfin se faire respecter.

Ceci posé, que dire de cette charte ? Elle souffre de deux péchés originels, qui malheureusement en limitent considérablement la portée malgré les bonnes intentions évidentes de ses principaux artisans. D’abord, elle veut rassembler au lieu de distinguer, d’où des formulations à l’ambiguïté dangereuse, et des compromis douteux que l’on devine entre les lignes. Ensuite, elle évite soigneusement tout regard critique sur l’islam pour se contenter de parler de ce qu’elle appelle l’usage fait de la religion, ce qui l’empêche de traiter les vrais problèmes. Je rejoins là totalement l’analyse de Razika Adnani, islamologue et membre du Conseil d’Orientation de la Fondation de l’Islam de France.

Les signataires prennent parti pour la France

Soulignons tout de même certains des principaux points forts de la charte : l’affirmation que « aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; le refus que « les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde » ainsi que le rejet des « politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes Français » (on comprend que les sbires d’Erdogan n’aient pas signé !) ; enfin la déclaration que « les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation » et un paragraphe que je reproduis intégralement car il me semble fondamental : « Dans notre pays, visé trop souvent par des propagandes qui le dénigrent, des millions de croyants se rendent paisiblement à l’office religieux de leur choix et des millions d’autres s’abstiennent de le faire en toute liberté. Cette réalité qui nous semble normale n’est malheureusement pas celle de nombreuses sociétés du monde d’aujourd’hui. » Par ce crucial « malheureusement », les signataires sortent du simple constat et prennent parti pour la France contre le modèle historique du « monde musulman ». Il y a donc du bon dans ce texte, et même du très bon.

Hélas ! À côté de ces déclarations fortes et bienvenues, la charte peine à naviguer la distinction entre l’essence et l’usage. Ainsi dit-elle que « les valeurs islamiques et les principes de droit applicables dans la République sont parfaitement compatibles » : ce n’est pas faire injure à nos concitoyens musulmans que de constater que 14 siècles d’histoire ainsi que la lecture des injonctions coraniques démontrent le contraire, et que la démarche des musulmans humanistes n’en est que plus méritoire, puisqu’elle est non un confortable retour aux sources, mais une exigeante et radicale rupture.

De même, l’article 6 est remarquable par cette note de bas de page qui rejette toute promotion du « salafisme (wahhabisme) » – qu’en est-il du salafisme non wahhabite ? – du Tabligh et de « la pensée des Frères musulmans et des courants nationalistes qui s’y rattachent » – les oreilles du néo-sultan Erdogan ont dû siffler derechef – mais il parle encore « d’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques ». Double erreur : d’une part parce que l’islamisme n’est pas une instrumentalisation de la religion à des fins politiques, mais une instrumentalisation de la politique à des fins religieuses, d’autre part parce que l’islam est depuis son origine un projet de société total et donc entre autres politique. Le fiqh n’est pas un épiphénomène !

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La mosquée radicale de Pantin avait critiqué sur Facebook le professeur Samuel Paty assassiné à Conflans Sainte Honorine © CHRISTOPHE SAIDI/SIPA Numéro de reportage : 00986850_000004

Ambiguïtés potentiellement dangereuses

On peut comprendre que les rédacteurs de la charte aient choisi de ne pas se couper de l’islam tel qu’il existe partout ailleurs, en affirmant ne critiquer que des usages de la religion et non son essence. C’est néanmoins regrettable : dans les faits, certaines de leurs prises de position introduisent une distance critique courageuse vis-à-vis tant du texte coranique que de la tradition, notamment sunnite. Mais en ne l’assumant pas clairement, ils permettent des ambiguïtés potentiellement dangereuses. Par exemple, ils refusent toute promotion de « l’islam politique » (avec la fameuse liste wahhabisme, Tabligh, Frères Musulmans) mais affirment également que « toutes les écoles doctrinales de l’islam revêtent la même légitimité », y compris donc celles dont ils refusent de faire la promotion mais qu’ils ne vont manifestement pas jusqu’à condamner franchement.

Autre exemple frappant, et qui devra être rapidement clarifié : l’apostasie. Le droit de changer de religion est enfin reconnu, et les signataires s’engagent à ne pas criminaliser ni stigmatiser un renoncement à l’islam « ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda) ». Un esprit chagrin dira que cela revient à s’engager à ne pas qualifier de pain un aliment obtenu par la cuisson d’une pâte mélangeant de la farine et de l’eau, pour dire que l’on autorise la consommation de cet aliment tout en continuant à interdire le pain. Sans aller jusque-là, il faudra tout de même préciser quelle est la différence entre l’apostasie (au sens du dictionnaire) et la ridda. Je crains, parce que cette argutie est fréquente dans nombre de pays musulmans, que dans l’esprit des signataires de la charte la nuance porte sur la « discrétion » du renoncement à l’islam. Ils insisteront alors pour que, par « respect », les apostats ne fassent pas la « publicité » de leur apostasie, ce qui veut dire soit ne la rendent pas publique, soit n’en fassent pas la promotion en exposant leurs motivations, soit les deux – positions évidemment inacceptables. J’espère me tromper, mais en tout cas il y a là une ambiguïté qu’il faut lever au plus vite.

Par ailleurs, cette question de la « publicité » de l’apostasie m’amène à la grande absente de la charte : la liberté d’expression, avec ses corollaires évidents que sont le droit de critiquer l’islam (et les religions en général) et le droit au blasphème. Bien sûr, il est écrit « nous acceptons tous les débats », mais sa propre charte va-t-elle obliger le CFCM à se débarrasser d’Abdallah Zekri, qui trouvait que Mila l’avait « bien cherché » ? Si la réponse est non, si la « charte des principes pour l’islam de France » permet de continuer à affirmer qu’une adolescente a « bien cherché » de voir sa vie menacée et d’être confrontée à des dizaines de milliers de menaces de viol et de mort parce qu’elle a blasphémé, alors cette charte n’est qu’une triste fumisterie.

On peut aussi se demander quel sera la portée concrète de ce texte. Une chose est sûre : il servira de cache-sexe à certains de ceux qui voudront affirmer que « cépaçalislam » et que les crimes commis au nom de l’islam et en conformité avec le Coran n’ont rien à voir avec l’islam. Mais encore ? Les manquements aux engagements pris doivent entraîner l’exclusion des « instances représentatives de l’islam de France » : avec quelles conséquences en termes de statut légal ? De subventions ? De droit de prêcher ?

Le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles

De plus, n’imaginons pas que la mentalité des fidèles va miraculeusement changer – mais ne le reprochons pas aux signataires de la charte. Les catholiques ne sont pas tous subitement devenus des militants no-borders sous prétexte que le Pape en est un, et il faut rappeler que contrairement au Vatican le CFCM n’a aucun magistère, aucune autorité morale ni théologique sur les fidèles. Et le silence assourdissant de la fameuse « majorité silencieuse » face aux crimes et aux ambitions des islamistes laisse craindre qu’elle soit plus sensible aux discours de ces derniers qu’à ceux de la frange républicaine du CFCM.

Et justement, l’opposition à cette charte n’a pas tardé à se faire entendre. « Dômes et Minarets » par exemple, qui qualifie Hassen Chalghoumi de « faux imam » parce qu’il exerce un jugement moral et critique sur certains passages du « noble Coran » (statut des femmes, mise à mort des polythéistes, etc), s’oppose explicitement à la charte et a organisé ces jours-ci un sondage « vous sentez-vous représenté par le CFCM ? », question à laquelle les internautes ont répondu « non » à 96%.

De cette opposition, les rédacteurs et les signataires de la charte ne sont pas responsables, mais ils le sont des zones d’ombre du texte. Face aux unes comme aux autres, la balle est désormais dans le camp du gouvernement. Puisse-t-il poursuivre ses efforts et se souvenir de cette leçon : face à l’hydre islamiste, seule la fermeté est efficace.

 

Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Disciple de Plutarque.
 

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