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L’islam français, otage des Frères musulmans et d’Erdogan, par Abdelrahim Ali.

Abdelrahim Ali, islamologue et PDG du groupe de presse "Al Bawaba" au Caire.© D.R

Une tribune libre d’Abdelrahim Ali, islamologue et PDG du groupe de presse “Al Bawaba” au Caire.

Pendant les vingt dernières années, la France a vu de nombreuses initiatives visant à organiser l’islam sur son sol.

Cela a commencé en 1999 par la création de la fédération représentant les musulmans de France suite à une suggestion qui n’a pas vu le jour du ministre français de l’Intérieur de l’époque Jean-Pierre Chevènement. C’est sous le mandat de Nicolas Sarkozy que ce projet a pris corps en 2003 par la création du Conseil français du culte musulman, pour finir avec le dernier discours du président Emmanuel Macron dans lequel il a déclaré que l’islam traversait une crise mondiale. Pour empêcher ce qu’il a appelé le séparatisme, le président a appelé à redéfinir le lien entre l’État et cette religion. Cette initiative a provoqué la colère de nombre de chefs et penseurs du monde musulman ainsi que des musulmans de France.

Outre l’action politique, diverses écoles d’analyse sociologique, islamologique, et géopolitique dominèrent les médias ces dernières années. Ainsi, on a vu des dizaines de tentatives de présenter des solutions possibles selon l’orientation idéologique de l’analyste. Mais malheureusement, tous ces projets ont été voués à l’échec, parce qu’ils n’ont pas abordé le fond du problème. En réalité, l’islam et les musulmans en France sont « littéralement » les otages de l’organisation internationale des Frères musulmans. Ces derniers ont remis récemment les rênes de leur mouvement au service des ambitions de l’actuel président turc. Un bref retour en arrière est nécessaire pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle.

L’arrivée de la troisième génération des Frères en Europe

Le vrai drame de l’Europe avec l’islamisme a commencé avec l’arrivée de la troisième génération des Frères sur le continent européen dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix du siècle dernier. Jusqu’à ce moment-là, l’islam ou les musulmans ne représentaient pas un fardeau ni un problème dans la société française. Les musulmans ordinaires se sont succédé en Europe depuis plus d’un siècle: commerçants, savants ou étudiants échangeant leurs compétences en les transmettant à leur pays ou s’intégrant dans ces nouvelles sociétés. Les problèmes ne vont pas tarder à apparaître avec l’arrivée d’un groupe politique islamique croyant que le musulman doit tenter de créer l’État de l’islam partout où il vit sur Terre. Un groupe qui considérait que les pays européens étaient un butin dont il fallait convertir progressivement les habitants et en devenir, in fine, les maîtres.

La réalisation de ce plan est conçu en six étapes théorisées par le fondateur de la confrérie Hassan al-Banna et que chaque membre des Frères musulmans a le devoir de réaliser dans le pays où il se trouve. Le plan comporte ces six étapes : L’homme musulman > La famille musulmane > La société musulmane > Le gouvernement islamique > Le gouvernement du monde. La dernière étape exprime l’ambition du fondateur d’instaurer un régime de califat mondial, autrement dit de dominer le monde. Des programmes éducatifs intensifs sont imposés aux membres actifs, aux cadres mais aussi aux sympathisants du groupe. Cette doctrine est considérée par eux comme un « Coran Frériste » à la place du Coran de Dieu auquel croient les musulmans ordinaires.

Les Frères ont appris dans leurs écoles de pensée que ces six étapes s’obtiennent de plusieurs façons, en commençant par la prédication et l’enrôlement pour former le système des familles fréristes, proches du modèle d’une cellule d’organisation idéologique ou de l’unité partisane dans les partis politiques. Puis vient la réorganisation de la société en faisant tomber ses piliers civils ou laïcs, qu’il s’agisse d’associations, de syndicats, de fédérations professionnelles ou estudiantines, pour s’inspirer des principes de l’État religieux qui adopte des apparences religieuses dans toutes ses formations, et qui adopte aussi la fraternité issue de la seule appartenance à l’islam en lieu et place de la fraternité citoyenne de la nation. À cela se rajoute la préférence de la pensée du Guide par rapport aux autres obédiences au sein de l’islam. Vient enfin l’utilisation de la démocratie comme moyen, et non pas comme une fin et un choix fondé sur des valeurs fondamentales telles les libertés d’opinion, d’expression et de croyance. La démocratie devient ainsi un outil pour la conquête du pouvoir, un pont qui ne permet qu’une seule traversée vers l’autre rive sans pouvoir revenir.

Les recours à la violence

Viennent enfin les concepts de recours à la violence, en fonction de ce que permettent les rapports de force dans le pays concerné, ou la diffusion du chaos ou, le cas échéant, la formation d’alliances de circonstance, même avec le diable. Cette stratégie en toile d’araignée a pris en otage l’islam en France. Elle profite de toutes les initiatives des autorités visant à la reconnaître, ainsi que ses dirigeants et représentants, de façon officielle. C’est ainsi que cela s’est passé avec le projet de Sarkozy en 2003 qui a octroyé aux représentants du groupe le droit de représenter des musulmans de France auprès des autorités françaises, par le biais du libre choix à travers les mosquées et fédérations. C’est ainsi qu’ils ont réalisé des transactions avec des pays étrangers pour financer la construction de grandes mosquées en tant que voie d’accès à la direction et la représentation des musulmans de France, de même qu’ils ont formé des associations leur permettant à travers leurs représentants le contrôle total sur l’organisation nouvelle, qui est devenue le seul organe légitime représentant les musulmans de France. L’ancien président Nicolas Sarkozy a ainsi donné à l’organisation des Frères l’outil légal pour prendre en otage l’islam et les musulmans de France, et reformer leurs cadres organisationnels, pour devenir ainsi un Etat dans l’État. C’est là que commença le séparatisme.

La preuve en est que lorsque l’organisation internationale des Frères a remis les rênes de sa direction à Erdogan après la chute de leur régime en Égypte et leur échec dans nombre de pays arabes, ils ont choisi un Turc, Ahmet Ogras pour la présidence du Conseil français du culte musulman, en 2017, malgré le faible nombre de Turcs et la domination des Marocains et Algériens sur le Conseil depuis sa création en 2003. C’est pourquoi toute solution à la crise de ce qu’on appelle l’islam français doit commencer par combattre cette organisation frériste et sa branche en France, à savoir l’Union des musulmans de France. Cela doit commencer également par le démantèlement de sa structure, l’assèchement de ses sources de financement, et l’interdiction de ses associations, sinon cela reviendra à tourner en rond, pour revenir à la case départ à chaque fois. C’est ce qui s’est passé avec les expériences que j’ai mentionnées plus haut, et peut-être aussi avec celle qui n’a pas encore commencé.

Réfuter la matrice idéologique des Fréristes

Le démantèlement de cette organisation qui prend en otage, on l’a dit, l’islam et les musulmans de France ne se fera pas seulement en interdisant ses structures et ses associations ou en asséchant ses sources de financement. Il faut aussi réfuter les idées utilisées pour recruter ses membres, en révélant au grand jour les manœuvres utilisées par ses dirigeants dans des débats sérieux, tournant autour des bases idéologiques auxquelles ils croient et qui conduisent finalement au concept de séparatisme.

Pour réussir cette stratégie, le décideur doit respecter trois principes fondamentaux, le premier: ne pas confondre l’islam comme religion avec l’organisation en question. Il faut également traiter la crise par le prisme de l’influence étrangère et non pas comme un problème intrinsèque à la religion musulmane elle-même. Un tel traitement éviterait le discours victimaire de la persécution et de l’islamophobie auquel recourront aussitôt les cadres et ténors de l’organisation des Frères dans les médias du monde entier. Le second: que cette nouvelle politique se fasse sur le terrain du consensus national. Car le problème touche d’abord la sécurité nationale notamment par le problème du terrorisme. Enfin, il faut cesser de traiter le problème de la construction de l’islam en France comme on a traité avec le modèle de l’émancipation des juifs sous Napoléon Ier. Ce sont deux modèles différents. Nous y reviendrons ultérieurement.

 

Islamologue et PDG du groupe de presse "Al Bawaba" au Caire.
 

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