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Eric Zemmour : « Je ne suis pas là pour jouer », par Charlotte d'Ornellas, Geoffroy Lejeune.

Eric Zemmour. Photo © JOEL SAGET / AFP

À la veille du lancement de la campagne présidentielle, Éric Zemmour analyse la situation de la France et se confie sur les rumeurs d'une possible candidature. Entretien. 

Vous commentez chaque jour l’actualité sur CNews. Quels faits ont, selon vous, marqué les douze derniers mois ?
Je retiens l’assassinat de Samuel Paty, la fabrication du vaccin, ainsi que le conflit au Sahel et l’annonce du départ de la France de ce théâtre d’opérations. Je pense tout d’abord, très sincèrement, qu’il y aura un avant et un après la décapitation de Samuel Paty. J’aurais évidemment pu dire cela après Charlie Hebdo ou le Bataclan, c’est la raison pour laquelle je reste prudent, mais cet événement me semble différent pour au moins deux raisons. D’abord, parce que la victime est un professeur : dans l’imaginaire collectif, et particulièrement dans celui des électeurs de gauche, le professeur est l’incarnation de la République.

Ensuite, parce que cet assassinat n’était pas le fruit d’une expédition maîtrisée depuis l’étranger par des groupes professionnels. Le terroriste est, cette fois-ci, un Tchétchène qui a grandi en France et qui décide seul de faire appliquer la charia sur le sol français, sans besoin logistique particulier. Ces deux caractéristiques offrent une résonance particulière à cet acte de barbarie, qui succède par ailleurs à l’assassinat du père Hamel, sauvagement égorgé il y a cinq ans, et à celui de Stéphanie Monfermé, la policière de Rambouillet poignardée à la gorge, il y a quelques mois.

Quant à l’assassinat du prêtre vendéen par ce criminel rwandais qui avait déjà incendié la cathédrale de Nantes, il nous montre à quel point notre humanisme et notre juridisme sont devenus les marques d’une faiblesse qui nous tue.

Nous ne sommes plus en sécurité nulle part, les Français le ressentent et l’expriment. Un autre exemple terrible qui m’a beaucoup marqué : les médias et nos dirigeants sont restés pour la plupart silencieux à propos du meurtre ignoble du jeune Théo, assassiné par un Sénégalais multirécidiviste. On voit bien que cela ne les arrange pas, le deux poids deux mesures quand on compare au déplacement à l’hôpital de François Hollande pour dénoncer la prétendue violence policière envers cette fois un autre Théo.

J’évoque ensuite le vaccin parce que, en tant que Français, nous regardons cela avec des sentiments mêlés. Nous pouvons d’abord être admiratifs de la capacité incroyable des scientifiques du monde entier à trouver un vaccin aussi rapidement : ils ont mis quelques mois à le trouver avant les phases de test, alors que nous étions habitués à attendre dix ans ! On peut d’ailleurs émettre certaines réserves, parce que nous l’avons produit sans recul ni expérimentation, mais cela ne retire rien à la prouesse médicale. Et nous sommes également humiliés, parce que la France reste, même si la formule est éculée, le pays de Pasteur et elle est le seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu à ne pas avoir produit son vaccin. Je l’ai vécu, je pèse le mot, comme une humiliation. C’est un fait qui marque notre déclassement, déjà signifié au début de l’épidémie par le manque de masques, de tests et de lits. J’avais alors parlé de tiers-mondisation de la France, je maintiens ce constat.

Enfin, l’opération Barkhane. Emmanuel Macron a annoncé le retrait des troupes et je pense qu’il a bien fait, parce que nous y étions enlisés, à la manière des Américains en Afghanistan. Ce genre d’expédition doit durer quelques jours ou quelques semaines, comme nous l’avions très bien fait dans les années 1970 à Kolwezi. Là, nous nous enlisons, nous nous faisons insulter, nos soldats se font traiter de néocolonialistes… C’est évidemment un scandale, mais c’est la conséquence de ce genre d’interventions militaires et nous ne pouvons accepter cela plus longtemps. Évidemment, nous n’en avons pas fini avec cette zone ni avec les conséquences néfastes de notre intervention en Libye, en 2011. Nous l’avions déjà payée très cher avec l’invasion migratoire de 2015 et continuons à en souffrir parce que la région est durablement déstabilisée.

 

Que vous inspirent les débats actuels sur la liberté à propos de la vaccination obligatoire et de la mise en place du passe sanitaire ?
Ce sujet de la liberté arrive bien tardivement dans le débat public. À mes yeux, la plus grande privation de liberté a été le confinement, ce que tous semblent avoir oublié. Je crois qu’on a alors imité un régime communiste totalitaire, la Chine, et que, si elle ne l’avait pas mis en place, personne ne l’aurait osé. Ce mimétisme montre d’ailleurs à quel point la Chine sera le grand pays du XXIe siècle : son influence ressemble en réalité à l’impact qu’ont eu les États-Unis sur l’Europe après la Première Guerre mondiale. Quelques esprits ont compris à l’époque – Paul Morand ou Robert Aron, par exemple – que les Américains seraient la grande puissance du siècle, parce qu’ils avaient la capacité de pénétrer les esprits et d’imposer leur vision du monde. J’espère me tromper, mais je crois que nous vivons la même chose avec la Chine. Les méthodes totalitaires qui nous sont imposées vont désormais être parées des atours du progrès. Je ne crois pas qu’être pisté en permanence par son téléphone, ou par un QR code soit un progrès pour les libertés.

 

Vivons-nous un recul inédit de nos libertés ?
Cette question dépasse de loin celle de la vaccination. Je ne veux pas tomber ici dans des discussions folles ni m’opposer catégoriquement à la vaccination, mais je trouve délirant qu’il soit impossible, aujourd’hui en France, de questionner calmement la stratégie de vaccination pour tous. Si les personnes à risque sont vaccinées, je ne comprends toujours pas pourquoi il faudrait vacciner des jeunes Français qui pourraient certes transmettre le virus, mais sans mettre en danger les gens vaccinés ! La question à poser est donc bien celle de la liberté. Mais on doit la mettre en balance avec la recherche de l’intérêt général. On a le droit et même le devoir de questionner cet équilibre instable. Je sais trop les ravages qu’a fait une conception absolutiste de la liberté individuelle depuis les années 1970 pour ne pas être très prudent sur cette question. D’autres n’ont pas cette prudence. On réalise ainsi que le Conseil d’État – comme le Conseil constitutionnel, qui s’est lui aussi proclamé défenseur des libertés individuelles – accepte, dans cette crise, toutes les restrictions possibles. En revanche, et cela m’a frappé, il casse la décision du gouvernement de suspendre le regroupement familial durant cette crise sanitaire. Les libertés individuelles des migrants sont mieux protégées par le juge que celles des Français.

 

Les gens finissent par penser ce qu’on leur matraque toute la journée : Eric Zemmour serait un raciste misogyne qui déteste les Arabes, les homos, les musulmans ou les femmes.

 

Au-delà de l’hystérie des débats, c’est la question de la liberté au XXIe siècle qui est posée, et cela va bien au-delà de la crise sanitaire. Notre liberté de penser, d’écrire, de nous exprimer, de débattre est menacée, on l’a vu récemment avec la première tentative de la loi Avia. En l’occurrence, le Conseil constitutionnel avait fait son travail en la censurant, mais l’idée reviendra d’une manière ou d’une autre. Lorsque Twitter, Facebook ou YouTube se permettent de censurer les comptes de ceux dont les opinions ne leur plaisent pas, je pense que la liberté sera le sujet du siècle.

 

Comment expliquez-vous la docilité des Français dans cette crise, malgré des décisions exceptionnelles ?
Nous sous-estimons, je le dis souvent sur d’autres sujets, la capacité de la machine de propagande qui est en place aujourd’hui. Je sais que j’ai beaucoup choqué en le disant, mais je le maintiens parce que c’est exactement ce que je pense, Staline était un amateur en termes de propagande, parce qu’il avait besoin de la violence pour contraindre. Nous n’en avons plus besoin et c’est le signe de la supériorité de la machine de propagande actuelle, en termes d’efficacité. C’est vrai pour tous les sujets, et c’est absolument terrifiant.

 

Votre vie est particulièrement contrainte par vos combats médiatiques : protection policière, paparazzis… Quel est le prix à payer pour être Éric Zemmour aujourd’hui ?
Il est évident que le prix est de plus en plus cher à payer, mais je ne veux pas m’étendre dessus pour éviter que certains m’accusent de jouer les victimes ou de vouloir faire pleurer dans les chaumières. Ce n’est pas ma volonté du tout. J’observe simplement qu’il existe un point commun, un seul, entre Mila, Gilles Kepel et moi : nous vivons sous protection à cause de ce que nous avons dit sur l’islam. Je le répète sans cesse à mes enfants et à la jeune génération : nous n’aurions pas cru un seul instant une telle prédiction si elle avait été faite dans les années 1970. Ce que nous vivons est complètement fou et il faut remettre en perspective ce qui nous arrive. Le reste est dérisoire.

 

Quand vous êtes poursuivi en justice , ce n’est pas par les musulmans, mais plutôt par des associations, des hommes politiques, des journalistes…
Je me retrouve pris dans une alliance entre un islam qui profite de notre sacralisation de la liberté individuelle et un système qui ne veut pas entendre raison ni comprendre que tous nos principes sont remis en cause depuis trente ans. Les rares qui l’ont compris n’ont malheureusement pas le courage de leurs opinions. Les attaques sont d’autant plus agressives que je fais partie des très rares qui ont ciblé les deux “côtés”, c’est-à-dire ce système d’un côté et l’islam de l’autre.

 

Avez-vous le sentiment de payer trop cher les convictions que vous défendez depuis des années ?
Je n’y pense pas, c’est une question que je refuse de me poser. J’ai fait ce que je pensais devoir faire. Je n’aurais jamais pu me regarder dans une glace si je n’avais pas défendu ce que je pense être juste. Je pense vraiment ce que je dis, je ne suis pas là pour jouer, donc je ne vais pas me retourner sur ma vie pour me demander ce que j’aurais pu faire autrement.

 

L’accusation de misogynie revient très régulièrement à votre sujet et les sondages montrent une moindre adhésion des femmes à votre candidature. Que répondez-vous à cette critique ?
C’est toujours pareil, la puissance du système de propagande est inouïe. C’est la force de la répétition sur tous les réseaux, sur toutes les télévisions… Les gens finissent par penser ce qu’on leur matraque toute la journée : Zemmour serait un raciste misogyne qui déteste les Arabes, les homos, les musulmans ou les femmes. Cela fait quinze ans que les critiques sont répétées de la même manière à mon sujet et ça finit par rentrer.

Nous en avons assez que des minorités militantes imposent leur loi à la majorité. Ces minorités fonctionnent exactement comme des lobbies et sont parfaitement identifiées : le lobby féministe, le lobby LGBT, le lobby antiraciste et le lobby islamogauchiste. Ils me détestent parce que je les ai attaqués et parce que je continuerai à démonter leurs idéologies totalitaires. Ils prétendent donc que j’attaque les femmes, les homosexuels, les étrangers ou les musulmans. Mais ce sont en réalité ces minorités organisées que j’attaque, pas les individus.

Je note par ailleurs qu’ils entretiennent la confusion pour faire croire qu’ils défendent encore les gens qu’ils sont censés représenter, alors qu’ils en deviennent souvent les pires ennemis. Pour reprendre l’exemple des femmes, c’est de plus en plus net. Les féministes ne défendent pas les femmes, la féminité, la particularité ou même l’égalité, elles militent pour l’indifférenciation. Elles interdisent qu’une femme soit une femme et un homme un homme. Je continuerai à combattre cette vision de la société, comme je l’ai toujours fait. D’autant que l’on constate une alliance des féministes militantes avec les pires ennemis des femmes, qui remettent en cause leurs libertés, leurs droits élémentaires et parfois même leur vie. Les a-t-on entendues défendre Mila face à la haine de ceux qui voulaient la faire taire. Et ces féministes islamogauchistes voudraient venir me faire la leçon au nom des femmes ? Laissez-moi rire…

 

Cela ne vous empêche pas de dire que la société se féminise, que certains métiers ne sont pas faits pour les femmes…
Je suis pour la liberté individuelle. Je défends évidemment l’égalité et les gens sont libres de faire ce qu’ils veulent. On peut discuter et même interroger certains points dans le débat public : je pensais que la France était encore un pays qui permettait le questionnement. Quand je disserte sur les qualités des hommes ou des femmes, je lutte aussi contre la tentative d’indifférenciation, très militante et qui fait souffrir beaucoup de femmes. Ce n’est absolument pas une analyse de cas particuliers, mais une tentative d’explication des différences existantes. Je pense et je défends l’idée qu’il existe deux sexes, il est certain que je ne crois pas à la théorie du genre. Tant pis si je me fais insulter par des militants.


Je me méfie des optimistes par mesure d’hygiène intellectuelle. Dans l’histoire, les optimistes se trompent lamentablement, et cela peut très mal finir.

 

Mais s’il faut répondre plus concrètement, je n’ai évidemment aucun problème à lire un écrivain féminin. Je viens de relire les Mémoires d’Hadrien écrits par Marguerite Yourcenar, que je trouve admirables, je relis souvent Hannah Arendt, qui m’a énormément fait évoluer sur la question du totalitarisme. J’apprécie même certains romans de Simone de Beauvoir ! J’aime Tous les hommes sont mortels, ainsi que son autobiographie… Il n’y a absolument aucun blocage ou sectarisme de ma part vis-à-vis des femmes et du métier qu’elles exercent et sans entrer dans des considérations personnelles, je le prouve au quotidien. Chacun peut très librement accomplir ses rêves ou son destin… Par ailleurs, aujourd’hui qui défend vraiment les femmes ? Je devrais me revendiquer “grand défenseur des femmes” ! L’insécurité qui pèse sur elles, dans la rue ou dans les transports, est un scandale. Et ce manque de sécurité nuit à leur liberté au quotidien. Nous sommes bien peu à en parler, les partisans de l’omerta préférant abandonner les victimes à leurs agresseurs pour ne pas froisser le politiquement correct.

 

Les attaques s’intensifient aussi à mesure que grossit la rumeur de votre possible candidature à la présidentielle. Il y a eu une petite phrase dans votre émission sur Paris Première, des allusions sur la chaîne YouTube Livre noir, puis une chronique sur Jacques Bainville et ses regrets de ne pas être entré en politique… Quel message essayez-vous de faire passer ?
Je ne calcule rien ! Je fais une chronique chaque semaine dans le Figaro et mon rédacteur en chef, Vincent Tremolet de Villers, me propose souvent des livres. C’est ce qu’il s’est passé avec ce livre de Christophe Dickès sur Bainville. Vincent, qui est un ami, sait que j’aime Bainville et m’a conseillé cette lecture. J’ai découvert dans cet ouvrage, parce que je l’ignorais totalement, que Bainville avait eu des regrets à la fin de sa vie et qu’il aurait voulu agir à la même table que Vergennes, le ministre des Affaires étrangères de Louis XVI ! Évidemment, cela me fait réfléchir. Quand je lis cela, je ne peux pas ne pas penser à mes propres états d’âme et à mes propres réflexions sur les limites du combat culturel gramscien. J’ai pensé exactement la même chose, et j’ai également réfléchi, quand j’ai lu le portrait de Boris Johnson dans le Figaro , publié au mois de juillet… Tout le monde se jette dessus en imaginant que je lance une piste ou que j’envoie un message, mais je réfléchis tout simplement à haute voix. Je ne vais pas le taire, c’est la stricte réalité de mes réflexions.

 

Des jeunes collent des affiches, d’autres appellent à votre candidature sur les plateaux de télévision, d’autres encore travaillent sur une stratégie électorale… Que pense Éric Zemmour de ce qui ressemble à un début de campagne d’Éric Zemmour ?
Je ne vais pas commencer à condamner ou critiquer des gens qui m’aiment au point de penser que je peux être le meilleur candidat pour la présidentielle et qui le font savoir avec une passion et un enthousiasme absolument admirables ! Je regarde cela, je les trouve enthousiasmants et leur enthousiasme me fait réfléchir. D’autant que ça correspond à mes propres réflexions sur les limites de l’engagement intellectuel et journalistique que j’ai longtemps privilégié. Je réalise que c’est un engagement terriblement limité et je me sens obligé de réfléchir sérieusement à tout cela.

 

À vous lire et à vous entendre, on a toujours perçu un véritable pessimisme dans vos analyses. L’idée même d’une candidature semble rompre avec l’idée que la décadence française est inéluctable…
Je me méfie des optimistes par mesure d’hygiène intellectuelle. Dans l’histoire, les optimistes se trompent lamentablement, et cela peut très mal finir. Je maintiens par ailleurs que nous vivons une période de décadence. Je ne renie donc ni le pessimisme ni ce constat. J’ai effectivement le sens du tragique – qui n’a rien à voir avec le goût du tragique –, je vois donc la catastrophe arriver avant ceux qui font profession d’optimisme béat. Je continue de penser que nous vivons une période dramatique, que nous sommes en danger de mort, que la France que nous aimons peut mourir. Mais je pense que l’on peut agir. Je sais ce qu’il faut faire, j’ai en tête les étapes nécessaires, mais il faut aussi que les Français soient prêts à la bataille et refusent de se laisser soumettre plus longtemps à la propagande ambiante. Il faut le savoir – je crois que j’ai un peu d’avance –, le pouvoir, puis le vouloir.

 

Je pourrais dire la même chose avec l’extrême gauche : la manipulation et l’entrisme sont ses deux mamelles depuis la prise de la Bastille, en 1789. C’est devenu un métier qui, honnêtement, tourne au génie.

 

J’ai beaucoup réfléchi et je ne vois pas de situation désespérée qui interdise toute action, encore moins si on connaît l’histoire de France. Elle est une succession de gloires et de chutes tragiques, mais nous nous sommes relevés à chaque fois. Nous avons frôlé la destruction à de multiples reprises, nous avons déjà plongé très profondément et nous sommes remontés systématiquement. Pour m’amuser, je fais parfois un parallèle avec le football : en 1998, la France est championne du monde, elle ne passe pas le premier tour en 2002. Puis en 2006, nous sommes en finale et nous gagnons à nouveau en 2018 !

 

Vous vous posez souvent en défenseur de la France périphérique. Quel message pouvez-vous lui adresser avant cette élection présidentielle ?
La France périphérique souffre de deux maux fondamentaux : la désindustrialisation, qui l’a privée d’emplois et de progression sociale, puisqu’elle a été confinée dans des métiers de services aux médiocres revenus. Puis l’immigration, qui l’a chassée des métropoles et des endroits où se produit la création de richesses. On peut adapter à la France la thèse de Fernand Braudel au sujet de l’« économie monde » : plus on est loin du centre de cette économie, plus on est pauvre et déconsidéré. Si on est au cœur de cette économie, c’est-à-dire dans les métropoles ou dans les banlieues, on a un avantage sur ceux qui en sont éloignés. L’immigration a chassé les “gilets jaunes” de la banlieue, donc des endroits où ils pouvaient trouver du travail… Forcément, quand on finit par les punir parce qu’ils prennent leur voiture pour aller travailler, et ce au nom de l’écologie, c’est la révolte.

 

C’est pour cela que se sont révoltés les “gilets jaunes” ?
Cette histoire est typique. Les “gilets jaunes” sont les représentants de la France périphérique. Il s’agit là du concept créé il y a dix ans par mon ami Christophe Guilluy et je crois avoir été celui qui en a parlé en premier à la télévision. Ce concept a été brocardé et méprisé par tous les pontes de l’Université et de la classe politico-médiatique française. Cela me fait bien rire – très jaune – au moment où la colère de cette France périphérique nous éclate au visage. Il fallait voir nos “élites” moquer les pessimistes, les déclinistes…

 

Politiquement, les “gilets jaunes” ont perdu. Croyez-vous qu’ils puissent gagner un jour ?
Malheureusement, est ensuite arrivée la formidable récupération de l’extrême gauche. Il faut se souvenir du mot de Françoise Giroud sur Jean d’Ormesson, dans les années 1970 : certains s’étonnaient de l’élégance de la conversation de d’Ormesson, jusqu’à ce que Giroud réponde : « C’est normal, il fait ça depuis trois siècles ! » Je pourrais dire la même chose avec l’extrême gauche : la manipulation et l’entrisme sont ses deux mamelles depuis la prise de la Bastille, en 1789. C’est devenu un métier qui, honnêtement, tourne au génie. Rappelons seulement qu’il s’agissait initialement d’un mouvement de contestation de l’impôt et de gens qui souhaitaient simplement vivre de leur travail !

Les “gilets jaunes” ont donc perdu parce qu’il n’y avait pas de mouvement idéologique et politique pour porter leur mouvement. Les jacqueries perdent systématiquement, seules les révolutions gagnent. Le schéma idéologique et politique qui soutient l’action politique est donc fondamental. Mais les “gilets jaunes” ont témoigné de leur quotidien et manifesté avec le cœur et il faut savoir les entendre. À partir de ce témoignage essentiel, le décideur politique doit agir sur les causes premières de leur situation qui sont, selon moi, l’industrie et l’immigration.

 

Quels sont pour vous les grands thèmes qui devront faire l’élection de 2022 ?
Il y a trois grands débats : identité, instruction, industrie. Dans l’identité, il y a évidemment les autres “i” que sont l’islam et l’immigration, avec entre autres les problèmes de sécurité que cela pose à tous les Français. L’instruction, parce que l’école s’est effondrée. Et l’industrie, parce que la situation est catastrophique. Ce dernier thème fait quasi consensus, mais on se moquait encore de moi, il y a deux ans, avant la pandémie, lorsque j’évoquais la nécessité de la réindustrialisation. On était traité de ringard et de réactionnaire lorsqu’on posait ce constat. Cela a changé. Je garde donc les quatre “i” dont je parlais déjà l’an dernier dans les colonnes de Valeurs actuelles. Il faut choisir entre se répéter et se contredire, j’ai choisi de me répéter…

Source : https://www.valeursactuelles.com/

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