Sortir du troupeau bêlant !, par Philippe Bilger.
Il n’y a pas de jour où je ne sente pas le bienfait de me qualifier de réactionnaire dans la définition que j’en donne.
Non pas la mutilation du réel, de la vie intellectuelle, de l’approche humaine mais, au contraire, leur plénitude, les ombres et les lumières, le pour mais aussi le contre, penser certes, mais savoir également penser contre soi, refuser la facilité des condamnations sommaires, des décrets expéditifs, des haines hémiplégiques.
Avoir le courage de l’honnêteté et ne pas récuser la lucidité au prétexte qu’elle vous ferait sortir du troupeau bêlant.
Je me félicite d’avoir le droit de stigmatiser les rares violences illégitimes commises par des fonctionnaires de police et, en même temps, comme je l’ai toujours fait, de soutenir la police dans la multitude de ses actions et missions. Je suis heureux, connaissant par expérience le caractère difficile et éprouvant de ses tâches, de ne pas lui imputer une présomption de culpabilité et de la remercier au quotidien pour la tranquillité publique qu’elle nous assure, qu’elle nous sauvegarde. Je considère que le préfet de police Lallement enjoignant à ses troupes de respecter « une ligne républicaine » a raison, mais je ne serais pas hostile à ce qu’il s’applique aussi à lui-même cette prescription.
Je n’ai pas, non plus, à m’excuser d’être curieux de l’opinion des autres, de ne pas mépriser celle de mes adversaires et de mes contradicteurs, d’écouter ceux-ci et peut-être d’en tirer profit.
Pourquoi devrais-je détester par principe, une bonne fois pour toutes, en bloc ceux qui nous dirigent, nous gouvernent, sans prendre la peine d’être équitable et de suivre, par exemple, notre Président à la trace, le louant pour ce qu’il accomplit de bien, le critiquant s’il agit mal ? Pourquoi notre société exige-t-elle qu’on prenne un parti à vie, qu’on choisisse un camp à perpétuité, qu’on schématise, qu’on réduise, qu’on mente en occultant délibérément ce qui ne viendrait pas au soutien de nos thèses ?
Se comporter ainsi n’a rien à voir avec du centrisme ni avec une quelconque lâcheté. C’est, au contraire, faire preuve du courage rare de l’équilibre.
Pour le grave comme pour le dérisoire.
Un policier a été lynché le 28, place de la République, par des casseurs dans les marges d’une manifestation contre les violences policières et la loi de sécurité globale. Comprenne qui pourra ! Mais je rends grâce à Michel Zecler qui a refusé que la moindre violence soit commise en son nom.
Maradona est mort. À la fois un génie du football mais une personnalité qui ne m’a jamais enthousiasmé. La manière dont sa disparition a été accueillie relève du délire. A-t-on si peu de héros authentiques à se mettre dans l’âme et la sensibilité pour être obligés de porter aux nues les footballeurs, ces gladiateurs d’aujourd’hui mais qui, heureusement, ne meurent pas de devoir taper dans un ballon ?
Je ne supporte pas ce monde qui est incapable d’embrasser tout ce qui doit nourrir et irriguer l’esprit parce qu’il risquerait de devoir changer d’avis. Alors qu’il est si doux et si confortable, mais si bête au fond, de demeurer dans le cocon de nos idées toutes faites, jamais questionnées.
L’opprobre qu’on ne cesse de déverser sur certains médias, parce qu’ils ne seraient pas assez progressistes, donc univoques et monocolores, est au contraire un hommage qu’on leur rend. Puisqu’ils font bouger, stimulent, contredisent et dérangent.
Réactionnaire, c’est d’abord réagir contre ce qui nous limite, nous emprisonne. Contre ce qui nous interdit de sortir de nous-mêmes. Contre ce qui prétend stériliser ce qu’on a à penser et à exprimer.
Tout le réel, sinon rien.