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Pascal Bruckner et le mal blanc Le bouc émissaire de notre temps, par Bérénice Levet.

Avec Un coupable presque parfait, Pascal Bruckner nous invite dans ce « chaudron de sorcières » du XXIe siècle où on fabrique le monstre absolu : l’homme blanc hétérosexuel. Une cuillère de féminisme identitaire, une cuillère d’indigénisme et un bouc émissaire tout chaud est offert à la vindicte des victimes professionnelles.     

6.jpgLe titre a des accents hitchcockiens, et l’essai, tout d’une haletante enquête policière. Dans l’ouvrage qu’il fait paraître aujourd’hui, Un coupable presque parfait : la construction du bouc émissaire blanc (Grasset), Pascal Bruckner se fait le fin limier de l’infiltration, en Occident et d’abord en France, de deux idéologies estampillées « made in USA », le féminisme identitaire, non seulement étranger, mais contraire au féminisme universaliste à la française, et l’indigénisme ou le décolonialisme, faisant de la couleur de peau et de l’appartenance raciale la base et le ciment des communautés humaines. Deux idéologies dont les haines et les luttes cristallisent autour d’une seule et même figure : l’homme blanc.  Bruckner veut comprendre. Comprendre comment nous en sommes arrivés là, là c’est-à-dire à « la prédominance du racial sur le social, de l’ethnique sur le politique, du minoritaire sur la norme, de la mémoire [et très exactement des mémoires] sur l’histoire ». Comment l’antiracisme et le féminisme ont pu se fourvoyer et se dévoyer pour ne plus consister que dans un combat mené contre l’homme blanc.

Le mâle blanc, ennemi à abattre

Bruckner nous fait ainsi pénétrer dans le laboratoire de fabrication de cette créature inédite et singulièrement maléfique : le mâle blanc hétérosexuel et plus maléfique encore, si tant est que cela soit possible, s’il a plus de 50 ans et s’il est juif – et c’est ainsi que Polanski a pu devenir l’incarnation même de l’homme à abattre, ou, à l’heure de la « cancel culture », à « annuler », à « effacer » de l’histoire du cinéma et des instances du septième art, comme au temps de Staline, on biffait des photographies officielles les personnalités tombées en disgrâce.

Le mâle blanc hétérosexuel est l’aimant qui attire à lui toute la limaille des idéologies ; il est la clef qui ouvre toutes les serrures. Il est au carrefour, à l’intersection de toutes les luttes, celles des féministes naturellement, des « diversités ethniques », des minorités sexuelles, des mouvements LGBT, mais non moins des écologistes, des végans, des animalistes. Car ces luttes ne racontent jamais qu’une seule et même histoire, celle de la domination masculine, toute la complexité du réel se résolvant dans l’antagonisme d’un bourreau, l’homme blanc, et de ses victimes aux visages multiples et infinis. Qui chasse ? Qui s’obstine à demeurer carnivore et se montre le plus rétif à se convertir au régime végan ? Qui conduit « sa bagnole et roule au diesel » ? Et de Greta Thunberg à Alice Coffin, en passant par Grégory Doucet ou Éric Piolle (les maires EELV respectivement des villes de Lyon et de Grenoble), c’est autour de cette créature infernale qu’est l’homme blanc que se fomentent les petits crimes, crimes symboliques pour le moment, mais jusqu’à quand, car, ainsi que le rappelle Pascal Bruckner, « il n’est pas d’exemples dans l’histoire d’un groupe ethnique ou culturel qui, désigné à la vindicte générale, ne finisse par être malmené »

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Manifestation à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, Toulouse, 8 mars 2020. ©Frédéric Scheiber/ Hans Lucas/ AFP

L’imprégnation des esprits par la propagande néoféministe

Inspiré par Racine, Bruckner a intitulé un de ses chapitres « Vers l’Occident compliqué, avec des idées simples », mais c’est d’abord vers l’humaine condition dans son entier que ces idéologues s’avancent avec des idées simples. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, de la fine et subtile grammaire du désir féminin, qui ne se résout pas dans la claire alternative du oui et du non, mais où toutefois le oui est un oui, et non, comme le voudraient les néoféministes, un « peut-être » susceptible le lendemain ou des années plus tard d’être requalifié en viol – on saluera le courage de Bruckner de se risquer sur ce terrain éminemment glissant du « consentement ». Sous l’influence du féminisme américain, au pays de Colette, cette romancière dont Philip Roth disait que « pour un Américain, c’est l’acceptation du sexe » et une exaltation du « plaisir pris et donné » inconnue de la littérature américaine, une femme jamais ne se donnerait, toujours elle serait prise et malgré elle. [Livre : Cliquer sur l’image pour en savoir plus]

Ces idéologies sont bêtes et méchantes, on aimerait pouvoir les ignorer, les mépriser, ne pas leur consacrer une seconde de notre vie, mais elles sont prises au sérieux, très au sérieux, et font des adeptes dans les plus hautes sphères de la société. « Il serait présomptueux, écrivait Pascal Bruckner en 1994 dans La Tentation de l’innocencede se croire immunisés pour toujours de la contagion américaine. » La France semblait en effet, de par son histoire, de par son entente de la vie, de par sa personnalité, mieux armée que toute autre nation pour faire barrage aux activistes du féminisme identitaire, de l’indigénisme et du décolonialisme. Mais en France, il n’est guère que contre Marine Le Pen et le RN qu’il convienne de faire barrage.

Et les citadelles tombent les unes après les autres. La logique identitaire a acquis en France une autorité et un crédit tout à fait exorbitants, dans les médias et jusque dans les universités et les grandes écoles où elle trouve audience et chaire. L’histoire s’est singulièrement accélérée ces trois ou quatre dernières années. « Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts. » De toute évidence, nos élites ont fait leur la devise du comte de Bréville dans Boule de suif. Et les forts aujourd’hui, ce sont les femmes, les Noirs, les musulmans, bref les minorités et la diversité.

Une rupture culturelle et civilisationnelle

Il faut mesurer à quel point parler la langue des identités, s’orienter selon les catégories du « genre », de la « race », de la « sexualité », réclamer la « visibilité » en tant que « femme », « Noir », « gay », « lesbienne », « trans », que sais-je encore, représente une rupture civilisationnelle pour la France. Sans doute tous les pays sont-ils affectés par ces offensives identitaires, mais la question prend un tour singulièrement brutal et cuisant dans un pays comme le nôtre, longtemps fier de son universalisme, c’est-à-dire de son indifférence aux différences, et de sa laïcité, qui est d’abord une exigence sinon d’invisibilité, du moins de discrétion, portée par la conscience vive de ce que les particularités peuvent être des brandons de discorde (leçon des guerres de religion du XVIe siècle). Ces deux idéaux, universalisme et laïcité, sont corrélés et sont ensemble sous-tendus par une certaine idée de l’homme. La France fait, a longtemps fait, en effet, c’est sa singularité et sa noblesse, le pari de la liberté humaine, elle postule en chacun la possibilité de faire un pas de côté par rapport à ses appartenances. La France ne prêche pas l’arrachement, mais elle éperonne la marche du cavalier, comme on dit au jeu d’échecs. Elle n’abandonne pas l’individu au vide identitaire, elle le rattache – et par là même l’agrandit et l’élargit – à cette réalité plus vaste qu’est la patrie, douée d’une personnalité propre, irréductible à la somme des parties. Aux indigénistes et aux décoloniaux, nous rappellerons le mot de l’historien Jacques Bainville : « Le peuple français […], c’est mieux qu’une race. C’est une nation. »

 Nous étions fiers de cette exception française, mais aussi loués, admirés, aimés pour cette singularité que nous portions haut. Pascal Bruckner cite Joséphine Baker (qu’il ne dédaignerait pas de voir entrer au Panthéon) et le romancier James Baldwin, rendant l’un et l’autre hommage aux vertus émancipatrices de l’universalisme à la française. Si les jeunes générations se révèlent si poreuses aux idéologies diversitaires, si le féminisme identitaire trouve ses adeptes parmi les moins de 50 ans, c’est que voilà quatre décennies que nous ne cultivons plus cet idéal. Que nous n’en goûtons plus la saveur. Qui conçoit encore qu’il soit possible de vivre dans un monde où l’identité ne joue aucun rôle dans l’espace public et politique ? Les identités particulières séparent, l’identité nationale unit.

Un appel courageux à une prise de conscience de l’Occident

Si l’Occident est « désigné à l’opprobre alors que son rôle décline », c’est que « rien n’excite plus la rage qu’un homme à terre », explique Bruckner ; c’est aussi, doit-on ajouter, que ces mouvements identitaires sentent que le fruit est mûr, qu’il ne demande plus qu’à tomber et qu’ils n’auront plus, bientôt, qu’à le ramasser. Ils ont raison, sans mobilisation collective, il tombera.

Ce livre est un grand coup de pied dans la fourmilière. Un coupable presque parfait ne saurait en effet être lu comme un simple état des lieux désolé et désolant, une énième déploration de la France comme elle ne va pas, mais bien comme un énergique appel à nous réveiller, à recouvrer la raison et les raisons de nous estimer. Les avancées de ces idéologies sont sans doute fulgurantes, mais elles ne sont pas inexorables, veut croire Bruckner, et nous avec lui. [Livre : Cliquer sur l’image pour en savoir plus]

Sa confiance procède de sa foi dans les ressources françaises. Si nous aspirons réellement à faire rentrer dans leur lit les identités, à triompher de cette tyrannie dissolvante et potentiellement meurtrière, servons-nous de la France, comme dirait Bernanos, servons-nous en l’occurrence de notre idéal universaliste à la française. Déjà en 2019, Bruckner déclarait dans Le Figaro : « Ce n’est pas le Royaume-Uni multiculturaliste ou l’Allemagne qui gagneront face aux islamistes, la France est seule capable de leur tenir tête en Europe » – et ce n’était pas péché de vanité hexagonale, mais conscience ardente des trésors que nous recelons. Confiance portée également par l’écart que l’essayiste observe entre une partie des élites communiant dans la détestation de l’Occident et manifestement travaillée par un « désir d’extinction », et les peuples – non le peuple, idole à laquelle Bruckner ne sacrifie guère, on a pu le vérifier lors du mouvement de Gilets jaunes – attachés à leur civilisation et mus par « un véhément désir de résurrection ». 

 

Bérénice Levet

Bérénice Levet est docteur en philosophie et professeur de philosophie. Elle a fait paraître Libérons-nous du féminisme !  aux éditions de l’Observatoire, 2018. Elle avait publié précédemment « Le Crépuscule des idoles progressistes » (Stock, 2017) et « La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges », préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016). 

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Source : https://www.causeur.fr/

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