L’horreur à Conflans-Sainte-Honorine : toujours l’impuissance ?, par Philippe Bilger.
C’est bien le moins, que tout le pays soit uni le temps d’une indignation collective face à la décapitation, par un terroriste islamiste de 18 ans, d’un professeur d’histoire et de géographie dans un collège à Conflans-Sainte-Honorine.
C’est bien le moins, que toute la France soit derrière ses professeurs – qu’elle ne traite pas assez correctement le reste du temps – face à ce crime abject.
C’est bien le moins, que le président de la République nous exhorte à la résistance, à l’unité et à la lutte contre l’obscurantisme.
C’est bien le moins, que toute la classe politique, un court instant rassemblée dans un saisissement effrayé et une compassion authentique, s’incline émue, s’interroge pétrifiée.
C’est bien le moins, que les citoyens et les médias soient accablés par la répétition d’horreurs, comme si celle de ce soir était la première alors qu’elle n’est que la continuation de ce que nous ne parvenons pas à vaincre. De nos deuils, recueillements, marches et hommages successifs.
Il est inutile de se pencher sur les explications, les motivations, les modalités de l’enseignement scolaire, la liberté d’expression : on connaît tout cela et on ne l’a que trop fait.
Il est inutile d’évoquer les quelques familles qui avaient protesté auprès de l’enseignant parce qu’il avait pris pour exemple de la laïcité et de la liberté de penser les caricatures de Mahomet et que, pourtant, il avait eu l’élégance de ne pas contraindre qui était choqué à assister au cours. Le début de la fin.
Rien de ce qui s’est déroulé à Conflans-Sainte-Honorine n’est tombé sur la tête de notre démocratie par hasard, par inadvertance. Elle n’a pas été prise en traître, mais voulait-elle vraiment voir ce qui lui crevait les yeux ?
Notre pays est si remarquable dans les constats d’après les tragédies qu’il ne songe même pas au fait qu’il aurait peut-être pu les éviter.
Demain ou plus tard, on recommencera à s’apitoyer, à craindre l’amalgame, à refuser de nommer et de cibler l’ennemi, on recommencera à parler de guerre mais pour la forme, on aura honte de son énergie républicaine manifestée comme par mégarde, on entendra les partisans d’une démocratie molle, les défenseurs tonitruants de nos libertés pourtant pas attaquées, on retombera dans le cours d’une alternance entre crimes, effroi et volontarisme de discours, d’injonctions et d’humanisme.
Je n’en peux plus, là où modestement je suis. Beaucoup n’en peuvent plus de devoir supporter une nation qui, à force de se laisser tuer, se laisse mourir.
Si la République d’aujourd’hui, avec ses principes, ses services, sa vigilance, est incapable d’empêcher les atrocités terroristes de jeunes tueurs, il faudrait en changer. Trop faible pour ce qu’elle devrait avoir de continûment dur. Pas assez efficace pour se faire craindre de ceux qui aspirent à la mettre à bas.
Qu’on nous épargne surtout les admonestations de ceux qui, inévitablement, viendront nous dire qu’en sauvant notre peau nationale par tous moyens, nous ferions le jeu de notre terrifiant adversaire. Il veut nous tuer, mais il ne faudrait surtout pas lui donner l’impression que nous serions prêts à lui résister, à le vaincre !
L’effroi encore, l’effroi renouvelé, un professeur décapité, un Président qui parle bien, une France sous le choc.
Mais toujours l’impuissance ?