Verbe haut et main molle, par Aristide Renou.
Pourquoi Emmanuel Macron ne fera pas mieux que ses prédécesseurs en matière de de sécurité.
Depuis trop longtemps, lorsqu’il est question d’insécurité, nos responsables politiques ont le verbe haut mais la main molle. Il n’est sans doute pas un Français aujourd’hui qui n’ait compris que, lorsque l’un de nos dirigeants déclare, le sourcil froncé et le regard noir, que tel crime ou atteinte à l’ordre public est « intolérable » et que le gouvernement sera « intraitable » dans sa réponse, cela signifie en réalité que nous allons devoir apprendre à vivre avec un niveau de violence accrue.
Vendredi 28 août, lors d’une rencontre avec l’Association de la presse présidentielle, selon le journal 20 minutes, Emmanuel Macron a déploré une « banalisation de la violence » qui se serait « durcie » mais face à laquelle le gouvernement serait – devinez quoi ? – « intraitable ».
Puis il a rappelé qu’il avait augmenté les moyens alloués aux forces de l’ordre, notamment en embauchant près de 10 000 policiers et gendarmes depuis le début de son quinquennat et a affirmé qu’il fallait « remettre des moyens sur notre justice, en embauchant partout là où c’est nécessaire davantage de juges et de greffiers ».
Enfin, se livrant à un exercice théorique qu’il affectionne, le président de la République a brodé sur les causes supposées de cette violence, affirmant qu’il s’agissait d’un « symptôme ou d’un malaise de notre société, qui est un problème d’éducation, un problème d’intégration, un problème de modèle économique », voire même d’un « changement anthropologique ». Il a conclu en appelant à « retrouver le sel du patriotisme républicain » (sic) et en mettant en garde contre toute « solution magique ». Tout cela semblait étrangement signifier : « Il n’y a aucune solution, faites-vous une raison. »
Préférons les solutions simples aux causes profondes
En effet, les causes énumérées par Emmanuel Macron échappent très largement à l’action des pouvoirs publics, particulièrement en démocratie où ceux-ci ne possèdent que des pouvoirs très encadrés. Changer de « modèle économique », par exemple, est-il à la portée d’un gouvernement démocratique, même animé de la meilleure volonté ? Sans doute pas. Et si nous sommes face à un « changement anthropologique », il n’y a plus qu’à baisser les bras. Il n’existe pas, à l’Elysée ou à Matignon, de levier sous lequel serait marqué « Changement anthropologique ». En vérité, de tels discours traduisent, ou préparent, la résignation et le fatalisme en matière d’insécurité, à mesure que les pouvoirs publics, inévitablement, échoueront à éradiquer ce qu’ils croient être les « causes profondes » de la violence.
Fort heureusement, il n’est nul besoin d’agir sur les causes ultimes d’un phénomène social pour l’endiguer ou même l’éradiquer. En matière de délinquance tout particulièrement, le traitement des causes profondes est une chimère dont la poursuite nous éloigne des solutions qui sont accessibles. Car oui, même si, par définition, il n’existe pas de solution « magique », il existe bien des solutions relativement simples pour réduire drastiquement la délinquance, et des solutions qui ne mettent pas des décennies à manifester leurs effets.
Lorsque William Bratton devint chef de la police de New-York, en 1994, il se fixa publiquement un objectif annuel de réduction de la criminalité de 10 %. Bratton dépassa son objectif, avec une baisse de 12 % cette année-là. L’année suivante il déclara que la police de New York réduirait la criminalité de 15 %. Cette année-là, la criminalité chuta de 16 %. Plus largement, entre le milieu de la décennie 1990 et le début 2010, la ville de New-York a enregistré une baisse de la délinquance dépassant les 80 %. Dans l’ensemble des États-Unis, la baisse a été de l’ordre de 40 %. Les conceptions qui ont permis cette baisse remarquable de la délinquance peuvent être résumées simplement.
La culture de l’excuse
La cause ultime du délit, c’est le délinquant lui-même. S’il commet des délits, ce n’est pas parce qu’il serait une « victime de la société » ou qu’il aurait eu une enfance malheureuse – ce qui peut arriver, bien sûr –, c’est d’abord et avant tout parce qu’il est impulsif et paresseux et qu’il désire des choses pour lesquelles il ne veut pas travailler. Jamais une enfance difficile ne pousse à commettre des délits à la manière dont une température négative conduit l’eau à se transformer en glace. La délinquance est, selon l’expression du criminologue canadien Maurice Cusson, une vie choisie. Ce qui dissuade le délinquant de commettre les délits dont il a envie, c’est d’abord la perspective d’une sanction rapide, certaine, et suffisamment sévère. Les délinquants ne sont pas spécialisés, et commettent en général, au cours de leur « carrière », toutes sortes de délits, violents ou non, du plus petit au plus grand suivant l’opportunité.
Face à cela, la police ne doit pas se contenter de pourchasser les criminels une fois qu’ils ont commis leur crime. Elle doit adopter une attitude proactive envers la délinquance et le désordre, en comprenant que les incivilités et les « petits » délits qui ne sont pas réprimés encouragent la délinquance et préparent les « zones de non droit » qui se répandent aujourd’hui dans notre pays comme un cancer.
La cause ultime du délit, c’est le délinquant lui-même qui désire des choses pour lesquelles il ne veut pas travailler.
La justice, elle, doit être prioritairement rétributive, prévisible et compréhensible par les justiciables ordinaires. Elle ne doit pas hésiter à prononcer de courtes peines, et même de très courtes peines de prison dès les débuts d’une « carrière » délinquante, ni à infliger de très longues peines pour sanctionner les crimes violents. Lequel de ces éléments Emmanuel Macron est-il en mesure de réunir ? Aucun, absolument aucun.
Avec Emmanuel Macron nous avons déjà eu droit à une ministre de la justice, Nicole Belloubet, qui s’est félicitée d’avoir fait baisser la population carcérale de plus de 13 500 détenus et un ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui a publiquement déclaré, à propos de manifestations illégales, que l’émotion dépassait la règle juridique et qui a trouvé des circonstances atténuantes aux violences urbaines dans la « galère » que vivraient les jeunes gens qui les commettent. Aujourd’hui nous avons un Garde des Sceaux qui dit que le « sentiment d’insécurité » est un « fantasme » et qui déclare, en visitant un Centre éducatif fermé : « J’ai toujours pensé qu’il valait mieux construire une école qu’une prison » et « ces gamins-là, qui pour la plupart n’ont pas eu de chance, il faut les aider. » Enfin, Emmanuel Macron lui-même a déclaré, au sujet d’un jeune braqueur en compagnie duquel il avait été photographié lors d’un voyage dans les Antilles : « J’aime chaque enfant de la République, quelles que soient ses bêtises, parce que bien souvent, parce que c’est un enfant de la République, il n’a pas choisi l’endroit où il est né, et il n’a pas eu la chance de ne pas en faire. » Autant de preuves que la culture de l’excuse est solidement ancrée au plus haut niveau de l’État.
Les prisons absentes
La France manque terriblement, dramatiquement de places de prison. Cette sous-dotation carcérale grippe toute la chaine pénale et, sans augmentation très importante de la capacité du parc pénitentiaire, rien ne sera possible. Aucune augmentation du nombre de policiers ou de juges ne produira de baisse tangible de la délinquance tant que la justice devra, faute de place en détention, tout faire pour envoyer les délinquants en prison le plus tard et le moins longtemps possible, comme c’est le cas aujourd’hui.
Avant son élection, Emmanuel Macron avait promis 15 000 places de prison supplémentaires durant son quinquennat. Nous savons aujourd’hui qu’il devrait y en avoir à peine 3000. Il y a quelques jours, Eric Ciotti a déclaré, dans les colonnes du Figaro, qu’il en faudrait 20 000. Dans une étude publiée en 2016 (« L’inexécution des peines d’emprisonnement ferme – Ampleur du phénomène, causes et conséquences », Notes et Synthèses de l’IPJ, n°38, octobre 2016 ICI), l’Institut pour la Justice avait estimé ce déficit à environ 30 000. Dix fois plus que ce qui, au mieux, sera produit durant le quinquennat d’Emmanuel Macron.
Les forces de l’ordre, enfin, ont-elles reçu de nouvelles consignes dans les « territoires perdus de la République » qui s’étendent un peu plus chaque jour ? En avons-nous fini avec la désastreuse politique du « mieux vaut un désordre qu’une émeute », qui conduit à abandonner des quartiers entiers à la loi des voyous et qui encourage précisément ces derniers à commettre des émeutes à la moindre occasion, puisque cela paye ? Manifestement non, et le dernier saccage en date des Champs-Elysées, lors de la finale de Ligue des Champions, a bien montré que les pouvoirs publics continuent à considérer l’intégrité physique des pillards comme plus importante que l’ordre public et le respect du droit de chacun à vivre en sécurité.
La réalité est que, comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a choisi l’impuissance en matière de sécurité, faute d’accepter de se donner les moyens matériels et juridiques nécessaires pour obtenir un résultat en la matière. Les Français sont inquiets pour leur sécurité. Ils ont de très bonnes raisons de l’être. Et cela ne va pas s’arranger.
Source : https://www.politiquemagazine.fr/