Jean-Louis Bianco refuse le débat avec Zemmour : Raphaël Enthoven a-t-il tort de le traiter de « lâche » ?, par Philippe Bilger.
Jean-Louis Bianco a eu une carrière prestigieuse grâce, surtout, au Président François Mitterrand. En 2013, il a été nommé président de l’Observatoire de la laïcité, puis renouvelé en 2017. Pour être franc, sans l’avoir jamais rencontré mais en le lisant et en l’écoutant, je n’ai jamais été un enthousiaste de sa personnalité.
Aussi, quand j’ai su que Raphaël Enthoven l’avait traité de « lâche » parce qu’il avait refusé de débattre avec Éric Zemmour, on comprendra mon intérêt immédiat.
D’abord celui qui avait proféré cette insulte avait une certaine légitimité pour le faire parce que, appréciant ou non Enthoven fils, on n’a jamais pu dénier le courage intellectuel et politique de celui-ci lors des joutes médiatiques ou au cours de réunions plus houleuses. Il avait, par exemple, dominé dans l’échange avec Étienne Chouard, sur Sud Radio, tenu le choc lors d’une manifestation pour l’union des droites et dialogué, à plusieurs reprises, avec Éric Zemmour sur CNews.
Je me demande même si, avec les critiques trop injustes de son dernier livre, il ne paie pas la rançon de sa liberté d’esprit.
Jean-Louis Bianco, usant de la piètre argumentation de ceux, de plus en plus rares, se campant dans le refus de toute rencontre médiatique avec Éric Zemmour, a indiqué que, celui-ci ayant été condamné, il ne pouvait que s’abstenir.
Ce prétexte ne me convainc pas à un double titre.
D’une part, je m’amuse que, souvent, ceux qui ont beaucoup de mansuétude pour les délits et crimes de certains soient, au contraire, d’une fermeté totale seulement sur la condamnation d’Éric Zemmour.
D’autre part, derrière cet opprobre ciblé, il y a une méconnaissance de ce qu’est la délinquance de presse par rapport à la délinquance ordinaire. Quand la première est régie par des textes qui prêtent à interprétation, voire à contradiction, la seconde ne laisse pas place au doute. Le voleur d’un poste autoradio est sanctionné : aucune raison de discuter la sanction. Éric Zemmour, condamné pour des propos controversés, ne nous confronte pas à la même certitude. Ministère public, comme je l’ai été durant cinq ans à la 17e chambre correctionnelle de Paris, j’aurais peut-être estimé qu’ils relevaient de la liberté d’expression et n’étaient pas délictueux.
Aussi, quand j’entends des indignations sur cette condamnation d’Éric Zemmour, je suis, mauvais esprit, enclin plutôt à croire, comme Raphaël Enthoven, qu’il y a de la « lâcheté » derrière ces hauts cris et, surtout, de la peur.
Peur de débattre avec Éric Zemmour, peur non pas de sa violence – il est toujours parfaitement courtois dans les débats et, de surcroît, ce qui n’est pas habituel, écoute avec attention son contradicteur – mais de son talent et du rapport de force intellectuel et historique qu’il fera tourner à son avantage. Cette angoisse est d’autant plus vive chez ceux qui ne concevraient la rencontre que sur le mode de l’empoignade et de l’obligatoire défaite d’Éric Zemmour : ils savent tous, aujourd’hui, que ce serait un vœu pieux et une inévitable déception pour eux !
Si Jean-Louis Bianco n’est pas « lâche », en tout cas il est peureux, frileux, tétanisé. Avait-il besoin de tant faire sa « coquette » alors que les interventions de BHL, de François Pupponi et encore de Raphaël Enthoven – j’ose même rappeler les miennes – auraient dû le rassurer, puisqu’ils n’étaient pas moins soucieux d’éthique que lui mais probablement plus sûrs d’eux, plus courageux !
La vigueur d’Éric Zemmour, dans le débat, tient au fait qu’il ne recule jamais, que même attaqué, lui n’est jamais sur la défensive et que, techniquement, s’appuyant sur le propos critique de l’autre, il parvient cependant toujours à garder la main, et tout cela, j’insiste, avec une parfaite urbanité dans le ton et la forme !
Sans que l’excellente Christine Kelly soit sa « servante ». Elle est insultée et menacée à hauteur de ce qu’elle a de remarquable dans un monde médiatique qui, contrairement à elle, se met plus en scène qu’il ne stimule la parole de ses invités.
Cette constance dans la courtoisie chez Éric Zemmour – il a parfois du mérite ! – me touche d’autant plus que, moi-même, je suis prêt à accepter n’importe quel échange, quelle confrontation dès lors que j’ai la certitude que j’échapperai à des violences, des explosions et des « pétages de plomb » dans l’oralité !
J’avoue que j’en aurais peur, les détestant au plus haut point dans l’expression médiatique formelle. Ce qui autorise que le fond soit, lui, sans retenue !
Quand Jean-Louis Bianco ne consent pas à s’opposer à Éric Zemmour, il donne un mauvais exemple et n’offre pas une belle image. Quand on est si sûr de soi, de son humanisme et de ses pensées souvent étrangement accommodantes, on accepte de venir les faire passer au crible d’Éric Zemmour et on ne satisfait pas d’un mépris facile grâce à une abstention qu’on a du mal à ennoblir !
Ce que j’écris sur Jean-Louis Bianco s’appliquerait parfaitement à Jean-Michel Aphatie : je ne détesterais pas voir ce dernier dire, mais face à Éric Zemmour, ce qu’il pense de lui.