"Terribles", vraiment, les conséquences du vote suisse ? A quels sommets de cinglerie ne ménera pas la schyzophrénie en vase clos de certains, Marianne en l'occurrence !
Perdant tout sens de la mesure, et tout sens du ridicule, Marianne donne ainsi ce ton apocalyptique à sa Une. Tous aux abris !
Face à cette déferlante de niaiseries en tous genres, il est bon que certains aient pris leur plume pour recadrer le débat...
Chantal Delsol nous offre ainsi dans Le Figaro du 3 décembre ce texte pertinent, qui est une sorte de réponse au(x) délire(s) et aux peurs (feintes ?) de Marianne; et qui est aussi une savoureuse remise des pendules à l'heure :
Ce n'est pas le vote suisse qui représente un nouveau missile contre la démocratie, mais les réactions au vote suisse...
La question est l'indignation que ce scrutin soulève. On entend partout des injures. Un vote honteux... ignominieux, dégradant, scandaleux, répètent les radios . Et pourquoi ? A croire que les Suisses viennent de commettre un crime collectif, un crime décrété par d'autres. Autrement dit, il y a une voix extérieure et sommitale qui juge ce qu'un peuple décide, et jauge cela à une aune...
Laquelle, d'ailleurs ? L'ivresse démocratique... a bien disparu. Le peuple est encore souverain institutionnellement, mais plus vraiment dans les esprits. Naturellement, la précédente sacralisation de l'opinion populaire avait quelque chose de ridicule et de faux. Qui peut croire comme Rousseau que la volonté du peuple est "toujours droite" ? Les moines d'Occident, qui depuis Saint Benoît élisaient leur supérieur, disaient que le nombre est "présomption" d'opinion droite, et non pas preuve...
Mais aujourd'hui, on assiste à un processus plus radical : le début d'une mise en cause systématique, ironique et méprisante de la volonté populaire. Plusieurs types d'acteurs s'y conjuguent.
Tout d'abord les élites universitaires, sûres de leur bon droit dans le chemin de l'émancipation et du "progrès", envisagé d'une manière strictement individualiste et déspiritualisé. Ce phénomène s'aperçoit clairement dans le cadre de l'Europe. Un peuple qui refuse d'avancer dans le sens de la laïcité à la française, dans le sens de la liberté individuelle toute puissante, ne doit pas être écouté, en raison de sa ringardise, de son conservatisme dépassé, de son "repli identitaire" (allumez la radio, vous entendrez immédiatement un journaliste affirmer d'une voix profonde et pompeuse: "il semble bien que les Suisses soient hélas tombés en plein repli identitaire").
Et l'on trouve des truchements incroyables pour détourner la décision populaire. Les Français votent contre la "constitution" de Lisbonne ? On fait passer la décision derrière leur dos en la confiant au Parlement. Les Irlandais en font autant ? On leur impose de revoter jusqu'à ce qu'ils changent d'avis..... Manière aussi peu démocratique que possible, et qui augure bien mal de la citoyenneté européenne dont on nous rebat les oreilles...
Et puis les intellectuels... Il s'agit pour eux de décrire une déception: le peuple, contrairement à ce qu'espéraient les grands esprits férus de modernité, se livre sottement au bon sens du village, au réalisme de mauvais aloi, à l'évidence partagé aussi par les incultes. Il s'intéresse à son pré carré... Bref, il n'a rien compris. D'ailleurs, si on le laissait faire... "Le peuple français n'aurait-il pas voté pour conserver la peine de mort, en cas de vote ?", se demande avec justesse un quotidien à propos du vote suisse. C'est bien pourquoi on ne lui a pas demandé son avis. Mais qui nous a nantis d'un peuple pareil, qui ne fait pas ce qu'on lui dit !
Nous voyons s'avancer tout doucement la justification d'un nouveau régime: une oligarchie... Elle agira sournoisement, comme elle a déjà commencé à le faire. Elle utilisera d'abord toutes les ressources de son ironie sardonique pour ridiculiser la voix populaire qui se trompe. Puis, constatant l'inutilité de ce moyen par ailleurs assez odieux (les peuples se moquent complètement de l'ironie, qui les conforte plutôt dans leurs opinions), elle ostracisera avec vigueur les délinquants (on parle aujourd'hui de retirer massivement les comptes de Suisse), enfin elle se saisira de tous les instruments institutionnels à sa portée pour casser les décisions populaires, les remettre aux voix, les contredire en coulisse. Finalement, elle régnera sur des peuples qu'on amuse avec les scrutins, mais qui au fond ne décident rien. Les peuples ne seront peut-être pas plus malheureux. Mais enfin ils verront retomber sur eux ce sentiment d'arbitraire et d'injustice des temps anciens.
Les oligarques, par exemple, feront de la pédophilie un horrible crime, sauf s'il est pratiqué par l'un des leurs; enfin délivrés des sottises populaires, ils seront la mesure des lois et des décisions, ce qui leur paraîtra naturel puisqu'ils sont sûrs, depuis le début, d'avoir raison: ils n'avaient pas défendu la démocratie par amour pour la liberté de pensée, mais parce qu'ils croyaient que les peuples allaient leur obéir.