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  • Un Dieu intempestif ?, par Gérard Leclerc.

    Dieu serait-Il de retour ? Par des voies imprévisibles, parfois redoutables comme celle de l’islamisme, mais qui nous obligent à réfléchir à sa véritable nature. Même la revendication pour la messe qui le font envisager par certains comme un intrus. Mais un intrus qui nous réveille pour notre plus grand bien.

    gerard leclerc.jpgPourrait-on dire que, décidément, Dieu est de retour dans notre bel aujourd’hui ? Malheureusement, pourrait-on ajouter. Que ce soit à cause du terrorisme islamiste n’a rien de rassurant. Qu’est-ce que ce Dieu qui exige la mort de celui qu’on qualifie d’impie ? Les vrais connaisseurs du sujet avancent que, précisément, le propre des islamistes est de ne pas avoir de théologie au sens direct du terme. La théologie consiste en un discours sur Dieu, sur la connaissance que nous pouvons avoir de sa nature et sur ses relations avec nous. Or, pour les islamistes, il est l’inconnu. Sans doute, Dieu est-il le Tout-Autre. Il n’est pas la projection de nous-mêmes au risque que nous l’approprions. Mais ce Tout-Autre est aussi celui qui se révèle à nous. Du moins, c’est ce que nous enseigne la Bible. Et saint Augustin va jusqu’à écrire dans ses Confessions que Dieu est intimior intimo meo, plus intime que ma propre intimité. Paul Claudel a traduit : « Un Dieu qui soit plus moi-même que moi. »

    Est-ce vraiment cette figure qui ressort de notre actualité ? On peut aussi envisager la question avec la revendication pour la messe, que certains déclarent injustifiable eu égard au droit commun. D’une certaine façon, oui, c’est Dieu qui s’impose à la République. On peut le trouver dérangeant et incommode. Mais en même temps, ne nous oblige-t-il pas à sortir de nos conformismes pour lever la tête au-delà de l’immédiat ? Dans un excellent papier du Figaro, Benoît Schmitz, montre comment la revendication pour la messe est libératrice : « Le vrai culte libère de l’idolâtrie, il mine la tyrannie plus efficacement qu’une révolution. Par la célébration du culte, César, Pharaon, Créon, Macron sont remis à leur juste place. » Il faut prendre cela avec une dose d’humour bien sûr, mais en pensant que ce Dieu-là pourrait être vraiment notre libérateur.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 19 novembre 2020.

    Sources : https://www.france-catholique.fr/

    https://radionotredame.net/

  • Sur Valeurs Actuelles, les commerçants répondent à Guillaume Meurice.

    Guillaume Meurice, journaliste sur France Inter, a dressé dans un article un portrait au vitriol des petits commerçants. Il les décrit comme des donneurs de leçon égoïstes, des petits propriétaires avares et sans scrupules n'hésitant pas à déloger leurs locataires en difficulté. Qu'en pensent les principaux intéressés ?

    Le texte en question de Guillaume Meurice :

    "Alors? Je rêve ou tu chouines ? Ton business est en train de couler alors tu demandes de l'aide à L'État? Ah bon? Je croyais que dans la vie, il fallait se débrouiller tout seul. Que quand on veut, on peut. Qu'il ne faut pas donner du poisson mais apprendre à pêcher, ou je ne sais quelle autre connerie inventée pour justifier ta petite position dominante. Tu disais que quand on est au chômage ou à la rue, c'est notre seule et unique responsabilité; qu'il faut se bouger pour rebondir et ne rien attendre des autres. Mais si, rappelle-toi: t'as voté Fillon ou Macron au premier tour en 2017 contre l'État providence que tu conchiais. T'as changé ? D'un coup, tu serais devenu un affreux défenseur de la solidarité nationale. C'est un symptôme du coronavirus? Il y a des gènes de marxisme à l'intérieur ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Respecte-toi un peu. Tu ne vas pas devenir un putain d'assisté. Tu vas t'en sortir tout seul. Comme un grand qui n'a besoin de personne. Avec tes petits muscles et ton petit cerveau rempli de bouillie libérale. Ou alors tu crèveras, mais comme un grand aussi. Quoi ? Les huissiers sonnent à ta porte ? Et cette fois-ci, c'est pas toi qui les a appelés pour déloger tes locataires au RSA qui n'avaient plus de quoi payer ton loyer, ou pour ta résidence secondaire squattée ? Ils viennent pour toi. Ah bah merde! Je croyais qu'ils ne s'en prenaient qu'aux parasites. À moins que... tu en sois devenu un? Allez, j'arrête. Je ne te veux pas de mal. C'est pour ça que je ne t'aiderai pas, ça te déresponsabiliserait. Ciao, loser!'

  • Le culturel et le cultuel, par Gérard Leclerc.

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    © Daniel Enchev 

    En ce temps de Noël il n’est pas incongru de revenir sur la signification de la crèche. Objet culturel ou objet culturel ? La distinction est légitime mais la culture renvoie nécessairement à la signification religieuse et oblige à poser toutes les grandes questions.

    gerard leclerc.jpgÀ la veille de Noël, je m’étais concentré sur la crèche, en tant que premier lieu d’évangélisation. Peut-être avais-je ainsi fourni un bon motif à ceux qui militent ardemment contre la présence de la scène évangélique dans les lieux publics, au nom des principes de la stricte laïcité ? Il est vrai que sur le sujet, le Conseil d’État, me semble-t-il, a tranché en reconnaissant à la crèche un statut culturel, distinct de son statut cultuel. La distinction est intéressante, non sans laisser place à une interrogation. Car la culture, si elle peut être distinguée du domaine proprement religieux, ne saurait vraiment s’en séparer. Comme objet de culture la crèche renvoie nécessairement à l’événement fondateur qu’elle représente et elle oblige à réfléchir aux données essentielles du christianisme.

    Donner à réfléchir ce n’est d’évidence pas imposer la foi, mais c’est créer une ouverture à la pensée. Qu’est-ce que cette religion qui se fonde sur l’incarnation du Fils de Dieu en ce monde ? Est-il possible que le Verbe se soit fait chair et qu’il ait habité parmi nous ? De la représentation naïve, on est forcément renvoyé aux textes des Évangiles, les Évangiles de l’enfance, saint Matthieu et saint Luc, mais aussi au fameux prologue de l’Évangile de saint Jean : « La grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ. Nul n’a jamais vu Dieu, le Fils unique qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître. »

    Tout est dit et tout commence. Il est vrai que nous ne pouvons comprendre notre civilisation sans la mémoire chrétienne. Mais cette mémoire, avec la crèche, est une invitation à poser toutes les grandes questions à la lumière de cet enfant qui est la vraie lumière venue en ce monde.

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 28 décembre 2020.

    Sources : https://www.france-catholique.fr/

    https://radionotredame.net/

  • Laïcité ! Laïcité !, par Gérard Leclerc.

    Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, doit affronter les nombreuses atteintes à la laïcité que les établissements publics subissent en ce moment. Mais qu’est-ce que la laïcité et comment se posent aujourd’hui les problèmes avec une population d’origine musulmane ?

    gerard leclerc.jpgLa laïcité est sans doute un grand mot, qui renvoie à notre histoire, notamment à la fameuse loi de 1905, dite de séparation de l’Église et de l’État, bien que le mot n’y soit pas prononcé. C’est que le concept est difficile à définir. Il semble être de nature essentiellement juridique, puisqu’il consiste d’abord dans la séparation de l’État et de la société religieuse, ce qui entraîne une obligation d’impartialité et de neutralité de cet État à l’égard des confessions religieuses. Peut-on tirer une philosophie, au sens d’une conception générale du monde et de l’existence, de ce principe juridique ? Émile Poulat, qui fut un des grands historien de la laïcité et notamment de la loi de 1905, se montrait extrêmement réservé à ce propos. Parlant de « notre laïcité publique », il signifiait une démarche pragmatique de la part de l’État, afin de trouver dans ses relations avec les religions la bonne distance possible, les mesures pratiques les plus sages.

    Encore faut-il ajouter que le problème, au début du XXe siècle, concerne fondamentalement les rapports entre la République française et l’Église catholique. Et même si c’est une nouvelle page qui va s’ouvrir, elle ne s’ouvre pas à partir de rien, parce que la France a été profondément marquée par le christianisme et que même les querelles anti-religieuses des XVIIIe et XIXe siècles sont incompréhensibles sans cette imprégnation chrétienne. L’islam est une donnée nouvelle pour la République, et la notion de laïcité lui est particulièrement obscure, n’étant nullement coutumière de cette séparation du spirituel et du temporel.

    C’est pourquoi, lorsque Jean-Michel Blanquer entend se défendre contre les atteintes à la laïcité dans l’école d’aujourd’hui, sa tâche est particulièrement délicate. Et ce n’est pas un mot talisman qui résoudra les difficultés. Les spécialistes nous avertissent de l’infinie complexité de la tâche. Il y a un sacré travail en perspective !

    Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 14 octobre 2020.

     
  • Pourquoi le comte de Paris a été reçu par le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, par Philippe Emery.

    Jean d'Orléans, comte de Paris, et son épouse ont déjeuné au Capitole et visité la basilique de la Daurade.

    Article de la Dépêche partagé par notre ami Frédéric de Natal.

    Jean d'Orléans, prétendant en titre au trône royal, et son épouse la comtesse de Paris ont déjeuné avec Jean-luc Moudenc au Capitole ce mardi 2 mars. Une "visite de courtoisie", selon le maire de Toulouse, pour le couple royal qui réside dans l'Aude, visite qui passait aussi par la basilique de la Daurade afin d'évoquer un souvenir de la famille royale. 

    Quand le «comte de Toulouse» rencontre le comte de Paris, qu’est-ce qu’ils se racontent?.. pourrait-on s’interroger sur le mode plaisant de la fameuse chanson de Ray Ventura et ses collégiens, un peu oubliée certes. Des histoires de vicomte? En fait ce n’est que le maire de Toulouse (qu'on pourrait comparer à un de ces Capitouls du temps jadis, peut-être) qui a reçu au Capitole, hier, l’héritier des rois de France pour «un déjeuner de courtoisie sans aucune connotation politique», selon les propres termes de Jean-Luc Moudenc. En fait, le comte et la comtesse de Paris sont venus en voisins dans la Ville rose puisqu’ils résident désormais la plupart du temps dans l’Aude. 
    On ne sait pas si Jean d’Orléans, aîné de la maison d’Orléans, fils d’Henri d’Orléans, duc de France, âgé de 55 ans, et son épouse Philomena de Tornos y Steinhart, d’ascendance espagnole et autrichienne, ont évoqué, entre la poire et le fromage, l’histoire des relations mouvementées des anciens comtes de Toulouse avec le trône de France. Pour digérer ces agapes républicaines, Jean-Luc Moudenc a invité, après le dessert, le couple royal à une visite sans protocole de la basilique récemment rénovée de la Daurade, consacrée à la dévotion de sa fameuse Vierge noire. L’occasion pour le prétendant au trône de découvrir le plus gros ex-voto de l’église, déposé par son arrière-grand-mère, une Habsbourg, qui voulait s’assurer ainsi une bonne grossesse pour l’enfant qu’elle portait.

     

    Philippe Emery

    Source : https://www.ladepeche.fr/

  • « Femmes de djihadistes » : Matthieu Suc, l'homme qui sait écrire un livre mais ignore le sens du mot « martyr » ...

     

    Travestir les mots, en inverser le sens, c'est aussi jouer avec les choses, triturer les réalités, à des fins de subversion. C'est, selon Camus, « ajouter au malheur du monde ». Et c'est, en l'occurrence, prêter la main à notre propre malheur.

    Mur-bleu gds.jpgJournaliste à Médiapart, Matthieu Suc est venu présenter son livre sur France info. Il a tenu des propos surprenants et choquants sur ceux qu'il appelle les « martyrs », propos par lesquels il démontre sa méconnaissance crasse du sens de ce mot.

    Donnons donc un petit cours d'éthymologie à Matthieu Suc : qu'est-ce c'est qu'un martyr ? Du grec « marturos », qui signifie « témoin », ce mot s'emploie pour celles et ceux qui ont souffert la mort pour leur foi religieuse, pour une cause à laquelle ils et elles se sont sacrifiés (historiquement par exemple, les Chrétiens mis à mort ou torturés en témoignage de leur foi, qu'on appelle aussi des « Confesseurs »). Il s'agit donc de quelqu'un à qui on enlève sa vie, mais qui, lui, n'enlève pas celle des autres ; de quelqu'un que l'on tue, pas de quelqu'un qui tue (celui-là est un assassin, comme le sont sont ses complices directs et ceux qui, d'une manière ou d'une autre, même indirectement, l'aident dans son acte); n'est pas martyr celui qui « fait » violence, est martyr celui à qui « on fait » violence, même s'il l'accepte « joyeusement », d'une joie non pas humaine - bien sûr - mais « spirituelle », comme le Père Maximilien Kolbe, qui s'offre joyeusement pour mourir à la place d'un père de famille, qui conservera ainsi sa vie; mais le martyr n'aime pas cette violence, elle lui répugne, et s'il l'accepte c'est par devoir et par esprit de sacrifice; l'autre - non pas martyr mais assassin - s'en réjouit et s'en vante...

    En parlant comme il l'a fait, Matthieu Suc a déformé, défiguré et travesti le sens du mot martyr, jusqu'à lui faire dire exactement le contraire de ce qu'il veut dire en réalité. Il n'est, du reste, pas le seul...  

    « Femmes de djihadistes »est un livre de Mathieu Suc, édité chez Fayard

  • « Nos ancêtres, les Gaulois...» ça les rend fous !

     

    1903076588.3.jpgComme dit Astérix, qu'est-ce qu'on en « rit-Gaule » !

    Nicolas Sakozy ayant déclaré qu'à partir du moment où l'on devenait Français, c'était comme si l'on revêtait un vêtement, et que les ancêtres devenaient, à partir de ce moment-là, « nos ancêtres, les Gaulois », cela a arraché des commentaires allant du goguenard à l'hystérique un peu partout, sur l'échiquier politique.

    Passons sur Bruno Lemaire, qui nous a appris qu'il avait une arrière-grand-mère brésilienne (ce dont, très franchement, tout le monde se fiche éperdument...) et arrêtons-nous plus particulièrement sur deux réactions remarquables - au sens étymologique du terme - mais qui - remarquables - ne le sont certainement pas, dans le sens courant du mot, de nos jours...

    1. Alain Juppé s'est ainsi fendu d'un « c'est nul » devant un journaliste de BFM aux anges (et plus encore, frisant l'extase...), et twittant (à 6h30 du matin, s'il-vous-plaît !) sur « la nullité de la campagne » qui l'effrayait, et dont les « incongruités » l'attristaient.

    2. Le président du groupe socialiste au Sénat, le très illustre inconnu Didier Guillaume, a carrément lâché, lui, un laconique « ça pue ! » !

    Pourtant, on ne se souvient pas d'avoir entendu Alain Juppé dire que c'était « nul » lorsque Chirac avait sorti son himalayenne hénaurmité sur « les racines musulmanes de la France », ni de l'avoir entendu parler à ce propos d' « incongruité », alors que, de toute évidence, s'il y a bien une incongruité, et de taille, c'est bien celle-là : comme dit Cyrano « c'est un pic... c'est un cap ! / Que dis-je, c'est un cap ? ... c'est une péninsule ! »

    Mémoire sélective, sans doute, chez Juppé; ou alors, est-ce la fatigue, l'âge ?...

    Quant à l'illustre inconnu président socialiste etc... etc... il a probablement dû se tromper de débat : il pensait peut-être commenter le procès Cahuzac ! 

  • A Marseille, les « hontes » sélectives de Samia Ghali et quelques autres ...

    La Grande Mosquée de Marseille : le projet ... 

     

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    Samia Ghali est Sénatrice des Bouches-du-Rhône et Maire du huitième secteur de Marseille (Mairie des 15e et 16e arrondissements, c'est-à-dire la moitié des tristement célèbres « Quartiers Nord », l'autre moitié, les 13e et 14e étant tenus par Stéphane Ravier, du Front National...)

    Elle a « honte » pour Marseille parce que le projet de Grande Mosquée ne verra pas le jour. Et pourquoi ne verra-t-il pas le jour ? Parce que les musulmans de la ville sont déchirés entre eux par d'inexpiables guerres « d'origine » (marocains, algériens, tunisiens...) ou de « parrains » (comme dans la Mafia ?) : Arabie, Qatar, Emirats... 

    Et ces frères ennemis, et plus qu'ultra-ennemis, ne parviennent pas à s'entendre, depuis des années, pour utiliser le très spacieux terrain que la Ville a mis à leur disposition. Aucuns travaux n'ont été effectués, et les loyers ne sont plus payés depuis belle lurette. Du coup, Gaudin « reprend » le bien municipal. Fureur - et « honte » - de la sénatrice, et aussi de Roger Ruzé, pour qui, ne pas payer les loyers, ce n'est pas si grave. Tiens donc ! « On nous dit que l'association censée monter ce projet n'a pas payé ses loyers. Qu'est-ce que cela veut dire ? » (Sic !) 

    1849394_7_ad7b_samia-ghali-au-centre-avec-des-femmes-du_31e9a0e2ba377ab713f34e73c1bf9805.jpgNous laisserons ces élus à leur « honte », qui n'est honteuse que pour eux : car, par exemple, ni l'un ni l'autre n'ont honte que Samia Ghali, maire de quartiers paupérisés à l'extrême, vive dans une très belle villa, sur la superbe Corniche, qui est - pour ceux qui l'ignorent - un peu « le seizième arrondissement » de Marseille - bien loin de la misère de ses quartiers nord. Ils doivent sentir trop mauvais à son goût, sans doute ; elle doit leur préférer l'air iodé. Mais, de cela, elle n'a pas honte ; mais, alors, absolument pas. Et Roger Rozé, lui, trouve cela normal... 

    Que voulez-vous ? De même qu'on ne peut pas tout faire à la fois, on ne peut pas « avoir honte » de tout à la fois : alors, on fait des choix... 

  • De la colère en politique (II) : La colère est-elle juste et bonne ?, par Guillaume Staub.

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    Dans notre précédent article nous nous sommes intéressés à la colère en tant que telle, nous allons maintenant nous concentrer sur sa dimension morale : est-elle bonne, est-elle juste ? Permet-elle la construction du Bien commun ou n’est-elle toujours qu’un élan destructeur ? Pour que nous puissions y répondre, nous devons préalablement nous interroger sur la nature exacte des passions, puis nous pourrons nous demander ce qui, a priori, peut la pervertir ou ce qui peut la bonifier. C’est-à-dire que la colère, si elle peut devenir une puissance qui nous pousse à l’action et au mouvement – une puissance de ce fait positive -, elle peut aussi nous amener à la destruction quand elle est mue par l’orgueil ou la déraison oublieuse.

    2.jpgCommençons par rappeler qu’une des premières caractéristiques de la colère est qu’elle nous pousse à désirer des dommages à une personne qui s’est montrée injuste envers nous et ce tout en voulant un bien pour nous qui s’accompagne d’un éloignement du mal redouté. Ajoutons que la colère est toujours personnelle, elle ne concerne jamais qu’un moi  ; je ne suis en colère que lorsqu’un mal me touche et si la colère naît lorsqu’un mal atteint une autre personne, c’est que cette personne nous est liée d’une quelconque manière. C’est pourquoi une personne empathique – au sens le plus profond et le plus vrai du terme – à tendance, si c’est aussi une personne forte, à être en colère plus facilement et plus souvent. L’amour lie et, étant lié, l’amour entraîne à la colère quand un mal est commis. Les chrétiens ne devraient-ils pas être en colère à chaque fois qu’on touche à un baptisé puisqu’ils font tous deux partie du même monument sacramentel qu’est l’Eglise et sont, de ce fait, liés  ?Chacun de nous ne devrait-il pas se livrer à une honnête introspection lorsqu’un mal touche un frère et que nous ne ressentons nulle colère  ?

    ​Ceci étant dit, intéressons-nous à ce qu’est une passion. En effet, la colère est une passion, or les passions ne sont ni intrinsèquement bonnes, ni intrinsèquement mauvaises  ; elles dépendent de l’utilisation qui en est faite par la volonté qui devrait les modérer. Saint Thomas d’Aquin, après Aristote, sépare les passions de l’appétit concupiscible (amour et haine, désir et aversion, joie et tristesse) des passions de l’appétit irascible (espoir et désespoir, audace et crainte, colère). Remarquons d’ailleurs que la colère est la seule passion qui ne possède pas de passion opposée. Ces passions, modérées par la volonté, sont au service de la vie humaine, elles en sont constitutives, et elles dépendront de l’utilisation faite. Les passions bien utilisées sont éminemment positives et «  tandis que la passion antécédente, qui précède le jugement, obnubile la raison, comme il arrive chez le fanatique et le sectaire, la passion dite conséquente, qui suit le jugement de la droite raison, éclairée par la foi, augmente le mérite et montre la force de la bonne volonté pour une grande cause (…). Par contre, les passions déréglées ou indisciplinées par leur dérèglement deviennent des vices, l’amour sensible devient gourmandise ou luxure, l’audace devient témérité (…). Mises au service de la perversité, les passions augmentent la malice de l’acte  » (Garrigou-Lagrange Réginald o.p., La synthèse thomiste, Lourdes, Nuntiavit, 2016, p. 261).

    ​Ayant à l’esprit ces notions, nous pouvons maintenant nous demander ce qui dérègle notre passion qu’est la colère, qu’est-ce qui la touche spécifiquement, qu’est-ce qui nous empêche de ressentir une saine et sainte colère  ?  Nous retiendrons quelques éléments. Le premier est l’orgueil – à l’origine de tous les maux. Quand notre orgueil est attaqué, notre colère devient incommensurablement forte et elle ne peut jamais s’exprimer justement. De même, si nous ressentons un mépris dans l’injustice commise envers nous, notre colère deviendra disproportionnée. Pourquoi  ? Au fond de nous-mêmes, nous possédons toujours un certain élan qui nous pousse vers une forme d’excellence, vers une chose que nous considérons comme un mieux. Nous tendons toujours vers ce mieux, inscrit inconsciemment en nous, même si celui-ci est en réalité un pire. Autrement dit, ce mieux ressenti peut être biaisé et faussé. Le mépris est une attaque frontale contre cet oméga personnel, le mépris, qui se joint à l’injustice commise, heurte cet élan constitutif que nous avons en nous et c’est pourquoi la colère devient si forte. De même, notre orgueil peut être touché de différentes manières. Un illettré qui critique un lettré, par exemple, provoquera une terrible colère chez ce dernier qui se sentira gravement offensé à cause de l’état de celui qui l’a offensé. Deuxièmement, notre colère peut être pervertie par notre propre injustice, par exemple quand nous oublions le bien que la personne qui m’offense m’a fait antérieurement au mal commis, ou le soutien qu’elle m’apporta à un moment donné. Nous pouvons aussi oublier de prendre en considération l’état de l’autre. Autrement dit, est-ce que celui qui m’a offensé souffre du décès d’un de ses proches  ? Est-il dans une situation délicate  ? Etc. N’oublions jamais les circonstances et l’état de l’autre  ; nous pouvons être en colère contre une personne privilégiée qui nous vole et ne pas l’être contre un malheureux qui tente de survivre en me volant dans un geste désespéré. Troisièmement, la colère est souvent injuste et irrationnelle quand l’injustice que l’on subit porte sur un mal qui nous affecte et nous trouble particulièrement  : celui qui lutte contre la gourmandise pourrait se mettre plus facilement et plus durement en colère qu’un autre si on l’attaque sur son alimentation.

    ​In fine, nous pouvons simplement dire que la colère n’est ni intrinsèquement bonne – ou juste -, ni intrinsèquement mauvaise – ou injuste -, elle est simplement intrinsèque, en tant que passion, à l’Homme qui l’exercera d’une bonne ou d’une mauvaise manière et à des fins plus ou moins justes. « La colère est bonne quand elle est vertueuse, c’est-à-dire selon la raison que de droit elle suppose (…). Il en résulte ce qu’on appelle une « sainte colère » (capacité authentiquement humaine d’indignation) (…). La passion de colère n’est donc vertueuse que quand elle est réglée par la raison. Les vertus de mansuétude et la douceur viennent la contenir dans de justes limites sans jamais l’éteindre puisqu’elle est une passion authentiquement humaine, mais alors ses manifestations sont vertueuses et louables » (Margelidon Philippe-Marie, Floucat Yves, Dictionnaire de philosophie et de théologie thomistes, Paris, Parole et silence, 2016, p. 68 – 69). 

    Dans notre prochain article, nous essayerons d’induire de nos deux précédents articles – Qu’est-ce que la colère ? et La colère est-elle juste et bonne ? – des applications concrètes de la colère dans le champ politique et militant.

  • Déclin de la France: Onfray pas quelque chose ?, par Aurélien Marq.

    De gauche à droite, Eric Zemmour, Stéphane Simon et Michel Onfray, Paris, 4 octobre 2021 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01041694_000029

    Quand un souverainiste de gauche rencontre un souverainiste de droite

    Eric Zemmour et Michel Onfray ont débattu hier soir dans un palais des Congrès comble à Paris, à l’invitation de la revue “Front Populaire”. Le premier estime pouvoir réunir autour de ses idées 70% des citoyens français, et il a presque réussi à convaincre le second que notre déclin civilisationnel n’était pas inéluctable. Toutefois, des désaccords subsistent entre les deux hommes. Analyse.

    Après le remarquable débat entre Eric Zemmour et Michel Onfray – exemplaire de bout en bout – quelques réflexions, au débotté : sur l’islam, le transhumanisme, l’Orient, et l’exigence de vérité. Je n’ose espérer réconcilier ici les deux intervenants, même si je le souhaiterais. Leurs désaccords, pourtant, ne sont pas insurmontables.

    La France et l’islam

    Sur l’islam, d’abord. Si Eric Zemmour pêche peut-être par excès de simplification, Michel Onfray fait l’erreur d’appeler « islam » les multiples pratiques et convictions individuelles des musulmans d’ici et d’ailleurs, au risque de ne plus voir les doctrines et les traditions élaborées au fil des siècles – qui sont plurielles, mais reposent néanmoins sur un socle commun parfaitement identifié par Zemmour. Reste que concrètement tous deux se rejoignent. En effet, ce que propose Michel Onfray à nos concitoyens musulmans pour s’assimiler à la France, avec l’exigence de garder certains éléments du Coran et d’en rejeter d’autres, sera considéré par presque tous les courants de l’islam comme n’étant plus l’islam. C’est une démarche que font déjà quelques individus, éminemment respectable mais profondément distincte de ce qu’est devenu l’islam sunnite depuis plus de mille ans, et radicalement opposé à ce que les traditions musulmanes elles-mêmes permettent de penser qu’était l’islam du prophète. Hasardons dès lors une synthèse : l’islam ne se réduit pas aux quatre madhhabs sunnites – en cela, Michel Onfray a raison – mais ce sunnisme – et là c’est Zemmour qui a raison – n’est en effet pas vraiment distinct de l’islamisme (c’est-à-dire de la volonté d’imposer l’islam comme norme) puisqu’il est par essence « Din wa Dunya », « religion et monde », religion et société. Et cet islamisme, cet islam « religion et monde », est totalement incompatible avec notre civilisation.

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    Répartition des écoles juridiques dans l’islam contemporain / Image Creative Commons

    Le transhumanisme, première des menaces selon Onfray

    Autre désaccord qui pourrait se résoudre par une convergence inconsciente, le fait que Michel Onfray identifie le transhumanisme (dont le wokisme serait l’avant-garde) comme la menace principale pesant sur notre civilisation, alors qu’Eric Zemmour insiste sur l’islam. Tous deux, bien sûr, diagnostiquent également la haine de soi et la fatigue d’être qui rongent l’Occident, et qui ne peuvent qu’évoquer le déclin du courage déjà dénoncé par Soljenitsyne il y a plus de quarante ans. Désaccord apparent mais superficiel, car il y a entre ces trois périls un point commun essentiel : la soumission à l’arbitraire. Arbitraire de la puissance divine dans le cas de l’islam(isme), l’obéissance aveugle à la volonté d’Allah prenant le pas sur toute considération réellement éthique, les débats interminables et vétilleux sur le licite et l’illicite, le halal et le haram, se substituant à toute réflexion sur le Bien et le Mal. Arbitraire de la subjectivité triomphante et de la tyrannie du ressenti dans le wokisme, fluidité prométhéenne du transhumanisme où rien n’est vrai, puisque ma volonté sans cesse changeante modèle une réalité infiniment plastique selon mes moindres caprices, dans un fantasme d’autodétermination et d’auto-engendrement illimités. Arbitraire du positivisme dans le déclin de l’Occident, qui a renoncé à l’exigence de vérité pour lui préférer le confort mou du consensus et la lâcheté du relativisme. Déconstruction, post-modernité, société du « care » enveloppant et infantilisant, fétichisation de la manipulation performative du langage et adoration du signifiant au détriment du signifié. Refus, dans les trois cas, de se confronter à la difficile recherche du Vrai, du Beau, du Bien, du Juste. Refus d’assumer la responsabilité de tendre vers ce qui est indépendamment de ce que quiconque en pense. Refus de se donner « le trouble de penser et la peine de vivre », pour s’abandonner servilement à la volonté écrasante d’un dieu, aux ressentis d’enfants-rois ivres de ressentiment, ou à l’opinion majoritaire du moment et à l’addiction aux modes passagères.

    Une opposition millénaire

    Eric Zemmour a évoqué l’opposition millénaire entre l’Orient et l’Occident depuis le temps de la Grèce Antique.

    Il faudrait distinguer, dans cet Orient, entre de multiples composantes. L’islam théocratique totalitaire est ce qu’il est, une hydre dont les têtes sont multiples mais le cœur unique : l’idolâtrie du Coran combinée à l’adulation du « bel exemple » du prophète. Autre pôle évoqué : la Chine. Mais la Chine actuelle, brisée par les Gardes Rouges et désormais soumise à un capitalisme compulsif impitoyable, est infiniment plus proche de l’Amérique woke que de l’enseignement de Confucius qui, lui, cherchait justement l’harmonie dans l’exigence permanente de vérité. La référence à la Grèce est cependant cruciale. Car qu’est-ce que la Grèce Antique, sinon le refus de l’arbitraire quel qu’il soit – « nous n’avons pas de maître, nous avons des lois », et Zeus lui-même pèse les destins dans sa balance pour agir selon ce qui doit être, et non selon ses envies ? Qu’est-ce que cet élan, qui initia et détermina notre civilisation plus sûrement encore que leurs enfances ont préparé Eric Zemmour et Michel Onfray à devenir ce qu’ils sont devenus, qu’est-ce que cet élan fondateur et fondamental, sinon la quête du Vrai, du Beau, du Bien, du Juste, et la foi en apparence irrationnelle mais pourtant inébranlable dans le fait que cette quête n’est pas vaine ?

    C’est cette foi partagée qui a permis à Eric Zemmour et Michel Onfray de débattre comme ils l’ont fait, dans le souci constant de la vérité et de la recherche de ce qui est bien pour la France, luttant chacun à sa manière contre tous les arbitraires qui œuvrent à notre déchéance et à notre soumission.

    Qu’ils en soient tous deux remerciés.

     

    Elisabeth Lévy était également présente dans la salle. Elle a livré son analyse à la radio ce matin.

    Retrouvez la chronique d’Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio à 8h10.

     

    Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Disciple de Plutarque.
     
  • De quelle réalité le prédicat est-il le nom ?

     

    par FM

    L’introduction récente de la notion de prédicat dans l’apprentissage de la grammaire française a suscité de violentes réactions contre les pédagogues modernes qui, non contents de modifier l’enseignement de l’orthographe,  s’en prennent maintenant à l’enseignement de la grammaire. Mais a-t-on justement instruit le procès de cette nouvelle réforme ?

    Lucie Martin, l’une des « professeures », qui a lancé la polémique, précise ce qu’il faut entendre par prédicat : « Un nouvel intitulé est apparu, issu du travail des linguistes, appelé le prédicat. C’est, dans une phrase, ce qui se définit par « ce qu’on dit du sujet ». Par exemple, dans la phrase « Lucie a passé de bonnes vacances de Noël », le sujet, c’est Lucie, et le prédicat c’est ce qui est dit sur Lucie. Et que dit-on sur Lucie ? Qu’elle a passé de bonnes vacances de Noël. Le prédicat dans cette phrase, c’est donc « a passé de bonnes vacances de Noël ». » Exit, selon Lucie Martin, l’étude des  compléments ; repoussée aux calendes grecques, la question des accords du participe passé puisque seule une approche analytique de la phrase permettait de la résoudre. Jean-Paul Brighelli, qui signe dans Le Point, la plupart des billets sur l’éducation, souligne les dangers d’une telle réforme : « Si on leur parle de prédicat au lieu de COD, on leur donne un cadre général en les privant du détail. C’est les emmener au bord de l’eau sans les faire boire. Il y a une entreprise de démolition de la langue, une volonté de n’en avoir qu’une vision utilitaire pour pouvoir seulement lire un ordre ou une recette de cuisine ! »

    La fin de l’étude analytique ?

    Le conseil supérieur des programmes se défend d’un tel procès d’intention : la notion de prédicat ne consiste pas à faire passer à la trappe l’étude analytique de la langue française. « Le « prédicat », précise-t-il, ne se substitue pas aux compléments du verbe comme l’ont affirmé différents commentateurs dans les médias. Il comprend le verbe et ses compléments si celui-ci en a ; les compléments continuent donc d’être étudiés systématiquement. » Le prédicat est simplement, dans l’esprit du CSP, un bon outil pour « entrer » dans l’analyse grammaticale. Il n’abolit pas cette dernière. Michel Lussault, le président du CSP, informe ses contradicteurs que cette notion a été introduite depuis longtemps au Québec sans poser le moindre problème ; elle a d’autre part pour elle de faire l’objet de savants travaux universitaires dont on trouve de fait la recension dans l’éminente Revue de linguistique et de didactique des langues (LIDIL), en particulier dans le numéro 37 qui a trait à la syntaxe et à la sémantique des prédicats. Un gage d’honorabilité.

    Si ces précisions rassurent, suffisent-elles à indemniser cette nouvelle démarche de toute critique ? Le polémiste est, à un moment donné, tenté, pour convaincre son lectorat, d’accuser le trait : ce faisant,  sa critique prend l’allure d’une caricature qui dessert son point de vue. C’est souvent la manière de Brighelli. On le comprend : les dégâts qu’occasionne la caste des théoriciens de la pédagogie sont si irritants qu’on est tenté d’exprimer sa colère, à s’en époumoner à longueur d’articles. Mais ces dégâts sont à la fois si redoutables et si pernicieux qu’on ne peut faire l’économie de dévoiler les fondements philosophiques qui les inspirent.

    Précisions du CSP…

    Si l’on prend soin, en effet, de lire attentivement les précisions du CSP, précisions qu’on trouve sur son site officiel, on s’aperçoit que cette réforme, comme bien d’autres, est motivée par le souci de « donner les moyens d’analyser des énoncés de formes très différentes et en incitant à s’intéresser à leur sens ». Dans cette perspective, le CSP indique « qu’il a fait le choix de limiter le plus possible la terminologie d’étiquetage ». Le décor est planté : la division de la phrase en éléments simples (sujet/prédicat) conduirait plus sûrement à appréhender le sens de la phrase qu’en étiquetant les unités qui la composent (sujet/verbe/COD, COI, Compléments circonstanciels etc…). Cette nouvelle approche « doit permettre, selon Michel Lussault, de saisir la phrase comme un énoncé signifiant et pas seulement comme une suite de mots à étiqueter » (Le Parisien). On retrouve ici cette fameuse dichotomie entre le sens et le savoir, jugé trop technique, peu en prise directe avec la vie. Il ne sert à rien, suivant cette approche, se moque Lussault, « d’apprendre des étiquettes ». Cette dichotomie entre le sens et le savoir sous-tend toutes les réformes qui concernent l’apprentissage de la langue. A ce titre, la méthode syllabique (B et A : BA) qui nous servit à apprendre à lire est également « découplée du sens » : on décida que la méthode globale de lecture installait plus directement « l’apprenant » au cœur du sens. De même, l’apprentissage des règles d’orthographe apparaît, suivant de tels principes, comme un considérable alourdissement au regard de l’exaltante envie de s’exprimer qui motive, comme on sait, des générations de lycéens. Je ne répèterai pas ici les critiques qu’on peut trouver sur la méthode globale dans l’apprentissage de la lecture, et je ne veux pas ajouter à maints articles un billet d’humeur sur une orthographe qui serait devenue négociable, prétend-on. Veut-on dénoncer les réformes qui mettent en péril l’enseignement de la langue, il faut commencer par s’en prendre au principe que j’ai mis ici en exergue. Ses effets ne se font d’ailleurs pas sentir seulement dans le domaine de l’acquisition des connaissances : à faire de l’école, un lieu de vie plus qu’un lieu de savoir, un lieu d’expression démocratique où se libère enfin la parole du futur jeune citoyen, à considérer que l’élève est au centre du système éducatif, et non plus le savoir qu’on y enseigne, on détruit l’autorité, on remet en question le principe même de la transmission, comme l’a bien montré François-Xavier Bellamy dans son beau livre sur la transmission.

    Vertus de l’étiquetage

    C’est ce principe fondateur -et ravageur- de la démarche pédagogique moderne qu’on retrouve ici et qu’il faut encore et toujours dénoncer : outre que prétendre échapper à l’étiquetage est imbécile (qu’est-ce que la notion de « prédicat », si ce n’est une étiquette ?), affirmer que l’étiquetage, sous prétexte que le savoir en s’y montrant de manière trop voyante nous éloignerait de la compréhension,  est une opération mécanique dénuée de sens est une contre-vérité. L’opération de l’étiquetage a des vertus centrales. Etiqueter, c’est résumer sous l’égide d’une étiquette tout le savoir que contient l’objet à laquelle elle se réfère ; c’est l’étape terminale d’une enquête portant sur une réalité donnée et c’est un moyen commode de retrouver le savoir qui s’y trouve déposé. « L’étiquette » de COD renvoie à l’idée que l’action du verbe s’exerce sur un objet, que la désignation de l’objet complète l’information que le verbe a commencé de donner et, de surcroît, elle donne une indication sur la construction du verbe. Chacun s’y retrouve : même si, aux yeux des linguistes, l’étiquette peut être discutable, elle désigne un savoir pratique qui permet au jeune élève de s’orienter dans la langue et dans le monde. Je ne suis pas sûr, par contre, que la notion de « prédicat » soit aussi simple à décrypter et que dans le magasin des espèces exotiques de nos Diafoirus modernes, les jeunes cervelles s’y retrouvent mieux. D’autre part, que nos éminents théoriciens y songent : jeter le discrédit sur l’étiquetage, c’est, à terme, condamner la démarche scientifique : que serait la botanique ou la zoologie si elles étaient dépourvues du souci de classer les espèces ? Je ne peux penser qu’en classant. Je ne peux m’orienter dans l’infinie diversité du réel qu’en nommant les choses. Je ne m’éveille au spectacle du réel qu’en assurant mes prises sur lui : l’emploi de la  terminologie est indispensable dans cette entreprise.

    La fin de la grammaire ?

    Cette rectification philosophique nous permet de pointer les effets délétères de cette réforme. On peut d’abord augurer que les « apprenants » habitués à s’emparer du matériel linguistique, en se fondant sur une terminologie complexe et pauvre tout à la fois (un  seul terme pour une réalité globale) répugneront ensuite à se plonger dans les distinctions d’une grammaire analytique qu’on leur promet pourtant. Il faudra donc renoncer à resservir les classifications de la grammaire classique, puisqu’il est, dès le départ entendu, qu’elles relèvent de toute façon d’une démarche scolastique pesante. Faut-il y voir, de la part de nos théoriciens de la pédagogie, un calcul stratégique ? Je serais plutôt tenté d’y voir une nouvelle preuve de leur coupable ingénuité : il suffit sans doute à leurs yeux de réformer pour qu’un changement bénéfique notable s’ensuive nécessairement. Leur célébration de la réforme permanente les détourne d’en considérer les effets. Il y a, du coup, chez eux une méconnaissance crasse des mécanismes mentaux, un intérêt nul pour une science qui s’attacherait à dégager les procédés par lesquels on peut faire croître une jeune intelligence. De leur côté, les enseignants qui y croient encore s’évertueront à enseigner la notion de prédicat sans s’apercevoir que l’esprit de l’élève habitué à n’appréhender le réel que d’une manière globale ne peut plus consentir ensuite à effectuer un effort d’analyse. On peut prédire, à partir de là, le développement de cette réforme : les principes de la grammaire traditionnelle subiront à leur tour quelques adaptations, avant d’être tenus pour des outils inutilement pesants. Au mieux, on se souviendra de leur pertinence mais ne sachant leur trouver un emploi, on les considèrera comme de plaisantes antiquités, au même titre que la méthode syllabique en lecture, réputée pour avoir produit des effets bienfaisants, mais qu’on répugne aujourd’hui à trouver opérationnels. Toujours est-il que dans ce souci exclusif de s’orienter immédiatement vers le sens, on largue les précautions, jugées toujours trop formelles, qu’on doit prendre avec les règles. Mais il ne faut pas chercher ailleurs l’incapacité  de beaucoup d’élèves à lire correctement un texte, à se soucier de l’orthographe des mots, à accorder une importance minimale à la syntaxe, à la ponctuation…

    Le prédicat au service de la servitude

    Si l’enseignement d’une grammaire authentique est, à ce jeu, gravement hypothéqué, la construction des repères de l’enfant permise par le repérage rigoureux des fonctions d’un message est assurément compromise, elle aussi. Le linguiste Alain Bentolila insiste sur les bienfaits de la grammaire traditionnelle : l’analyse grammaticale permet à l’enfant de maîtriser les choses. Il prend un exemple : « Dans la phrase « Je construis une maison avec des briques et du ciment », ce qui importe à l’enfant c’est de savoir que la maison est un objet sur lequel on agit, que les briques et le ciment sont des compléments de moyen ou d’accompagnement. Vous allez situer votre action dans le temps et lui donner du sens. C’est très concret, la grammaire. » En simplifiant, d’entrée de jeu, l’acquisition des formes grammaticales, on ne prépare plus l’enfant à agir efficacement sur les choses.

    Je pointerai un dégât ultime de cette démarche et ce n’est pas le moindre : en habituant l’élève à envisager le message dans sa globalité, on ne dresse pas son esprit, à accueillir celui-ci avec une certaine suspicion ; le prédicat étant « tout ce qu’on dit -indistinctement- sur le sujet », le détail de ce qu’on dit sur lui perd son relief, cesse d’accrocher l’attention. A terme, faudra-t-il s’étonner que le récepteur du message soit devenu étrangement passif et … politiquement malléable ?

    Je découvre ainsi de quelle réalité le prédicat est le nom : elle s’appelle régression intellectuelle, imbécilité, et pour finir servitude politique.

    Mais du côté des théoriciens de la pédagogie, bref de ceux qui décident depuis des décennies de l’avenir de l’éducation de nos enfants, l’installation de cette réforme, apparemment minime, renvoie à une réalité dans la compréhension de laquelle, seule la théologie peut nous guider : elle s’appelle l’angélisme.

    Ce sera l’objet d’un prochain article. 

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  • Sur le blog de Michel Onfray : Berezina, Macron au pied du mur.

    PHASE 1

    Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre que, la Chine ne passant pas pour très économe de la vie de ses citoyens, le confinement de l'une de ses villes de plusieurs millions d'habitants par les autorités communistes témoignait de facto en faveur de la gravité de cette crise du coronavirus. Je l'ai pour ma part fait savoir sur un plateau de télévision fin janvier. Ce pays, dont il est dit qu'il prélève dans les prisons les condamnés à mort qu'il exécute afin de vendre leurs organes frais au marché noir des transplantations partout sur la planète, n'est pas connu pour son humanisme, son humanité et son souci des hommes concrets. C'est le moins qu'on puisse dire... En prenant ces mesures, il disait à qui réfléchissait un peu qu'il y avait péril en sa demeure, donc en la nôtre. Qui l'a vu? Qui l'a dit? Qui a compris cette leçon? La plupart ont vu et dit ce que les agents de l'État profond disaient qu'il fallait voir et dire.

    Mais, comme pour illustrer la vérité de la sentence qui dit que le sage montre la lune et que l'imbécile regarde le doigt, il y eut quantité de prétendus sachants pour gloser sur le doigt et oublier la lune: c'était une gripette, elle ferait moins de morts qu'une vraie grippe, la véritable épidémie, c'était la peur des gens -et les intellectuels et les journalistes du régime libéral en profitaient pour rejouer la scie musicale du peuple débile et de la sagacité des élites...

    Pendant que la populace achetait des tonnes de papier toilette, ce qui permettait d'avouer qu'elle avait, disons-le comme ça, le trouillomètre à zéro, les comités de scientifiques invisibles chuchotaient à l'oreille du président ce qu’il convenait de faire entre gestion de l'image présentielle et santé publique, proximité des élections municipales et mesures d'hygiène nationale, situation dans les sondages et décisions prophylaxiques. Un mélange de Sibeth Ndiaye et de docteur Knock fabriquait alors la potion infligée par clystère médiatique au bon peuple de France. Nul besoin de préciser qu'il s'agissait d'une soupe faite avec une poudre de perlimpinpin aussi efficace qu'un médicament commandé sur internet... en Chine!

    Quel était cette position magique? Une grande admonestation libérale, un genre de leçon de chose prétendument antifasciste. Il s'agissait de montrer aux abrutis de souverainistes la grandeur de l'idéologie maastrichienne: plus de frontières, libre circulation des hommes, donc des virus! Les chinois étaient contaminés mais ils n'étaient pas contaminants: nous étions immunisés par la beauté du vaccin de Maastricht! Pendant qu'ils fermaient leurs frontières, nous ouvrions les nôtres plus grand encore -si tant est que cela puisse être encore possible... Nous nous offrions au virus.

    Voilà pourquoi, sur ordre du chef de l'État, le gouvernement français s'est empressé d'aller chercher sur place les expatriés français qui travaillaient en Chine. On n'est jamais mieux servi que par soi-même: si l'on devait se trouver contaminés, qu'au moins ce soit en allant nous-mêmes chercher le virus sur place et le ramener en France. Mais pas n'importe où en France, non, pas à Paris, bien sûr, ni au Touquet, mais en province qui est, en régime jacobin, une poubelle ou un dépotoir dont on se souvient toujours dans ces cas-là. Une première livraison s'est faite dans le dos du maire d'une commune du sud de la France, une seconde en Normandie où nous avons l'habitude des débarquements.

    La mode à l'époque, nous étions dans le premier acte de cette histoire, consistait à rechercher le client zéro: celui qu'il aurait fallu confiner chez lui pour que rien n'ait lieu, un genre de bouc émissaire à traire. C'était chercher la première goutte du raz-de-marée avec le projet de l'enfermer dans une bouteille afin que la catastrophe n'ait pas lieu.

    Il fut dit que, peut-être, ce numéro zéro serait à chercher sur la base militaire d'où étaient partis les soldats français missionnés pour aller taquiner le virus chinois sur place avant de rentrer chez eux. Que croyez-vous qu'il advint à ces militaires ayant été au contact de gens immédiatement mis en quarantaine après leur retour de l'empire du Milieu? Ils ont été renvoyés chez eux en permission... Pas question de les mettre en quarantaine! Quelle sotte idée c'eut été! Qu'on aille donc pas chercher aujourd’hui le client zéro car il se pourrait bien qu'on puisse obtenir des informations qui nous permettraient demander des comptes au ministre de la défense et au chef des armées auquel il a obéi.

    PHASE 2

    L'acte deux a été guignolesque: le tsunami arrivait et on lui avait creusé des voies d'accès sous forme de canaux à gros débits, et ce avec l'aide du génie militaire français. S'y est ajouté le génie du chef de l'État. Le grand homme qui se prenait pour de Gaulle et Gide en même temps, mais aussi pour Stendhal (on est beylien ou on ne l'est pas) nous a délivré la parole jupitérienne: il fallait se laver les mains, éviter la bise et éternuer dans son coude -j'imaginais qu'anatomiquement il était plus juste d'envoyer ses postillons dans le pli de son coude car je me suis luxé l'épaule en essayent d'éternuer "dans" mon coude... Du savon, du gel et un coude: nous étions prêts, comme en 40, le virus n'avait qu'à bien se tenir.

    Il a continué à progresser bien sûr. Et le pouvoir a fait semblant d'estimer que le plus urgent était toujours de savoir qui avait postillonné le premier. Il n'y avait pas de foyers d'infection mais des clusters, ce qui changeait tout. Il s'agissait en effet de ne pas donner raison aux benêts qui estiment, comme moi, qu'un peuple n'est pas une somme d'individus séparés, comme les monades de Leibniz, ce qui est l'idéologie libérale, mais une entité qui est elle-même une totalité. Aller chercher le virus en Chine c'était une fois encore estimer que la minorité (d'expatriés) pouvait imposer sa loi à la majorité (du peuple français). Que périsse le peuple français, mais les maastrichtiens n'allaient tout de même pas donner tort à leur idéologie alors que le réel invalidait déjà leurs thèses dans les grandes largeurs!

    L'élément de langage maastrichtien fut: le virus ignore les frontières -comme Macron et les siens qui les ignorent tout autant... La plume du chef de l'État lui a même fourbi la formule adéquate: "Le virus n'a pas de passeport"- on dirait un titre de San-Antonio.

    Tous les pays qui, comme Taïwan ou Israël (dont on n'a pas parlé, un pays qui, lui, a le sens de son peuple), ont décidé la fermeture des frontières, sont passés pour des populistes, des souverainistes, des illibéraux, des passéistes qui n'avaient rien compris à la grandeur nihiliste du progressisme.

    Or, ces faux progressistes vrais nihilistes n'aspirent qu'à une seule chose: le gouvernement planétaire d'un État universel où les techniciens (les fameux scientifiques, comme il y en aurait au GIEC ou dans ce comité invisible qui conseille (!) Macron)) gouverneraient le capital en faisant l'économie des peuples.

    Le coronavirus leur donne une autre leçon politique: la suppression des frontières c'est la possibilité pour tout ce qui menace contamination de se répandre à la vitesse de la lumière... Le virus n'ignore pas les frontières, mais les frontières savent et peuvent le contenir.

    PHASE 3

    La preuve, le troisième acte décidé par... Emmanuel Macron lui-même. Dans un premier temps, le Président tire une salve pendant un long monologue d'une demi-heure: fermeture des crèches, des écoles, des collèges, des lycées, des universités, réduction des contacts avec autrui, en priorité les personnes âgées. Et puis, bien sûr, le coude et le savon, le gel et la bise, des armes de destruction massive.

    Or, qu'est-ce que ce confinement sinon l'invitation à fabriquer autant de frontières qu’il y aura de Français? La frontière nationale n'est pas bonne, mais la frontière qui sépare de son prochain est présentée comme la solution, la seule solution nous dit-on. Le virus qui ignore les frontières se trouve donc tout de même contenu par les frontières pourvu qu'elles soient érigées par chacun contre son prochain pensé comme un contaminateur potentiel. Ce qui marcherait pour les monades ne marcherait donc pas pour les États! Étrange paralogisme ...

    Il faut donc radicalement éviter les contacts et les brassages, il faut donc remettre ses voyages et ses déplacements, il faut donc rester le plus possible chez soi, mais mais mais: le premier tour des élections municipales n'est pas reporté! Comprenne qui pourra! On dit que Gérard Larcher, président du Sénat, se serait opposé au report des élections: mais qui est ce monsieur auquel le président de la République mange dans la main? Quel est son pouvoir? Des dizaines de millions d'électeurs sont donc invités à se ruer en direction de lieux confinés, les bureaux de vote, dans lesquels, tout le monde en conviendra, on évite les contacts et les brassages et on montre qu'on doit préférer rester chez soi pour éviter les promiscuités.

    Le lendemain, quelques heures après la prise de parole présidentielle, le Premier ministre est envoyé au front pour enfoncer le clystère plus profond: fermeture des cafés, des restaurants, des boîtes de nuit, des musées, des bibliothèques, de tous les lieux publics, etc. Mais, toujours: maintien du premier tour des élections municipales. On se lavera les mains avant et après, on respectera une distance d'un mètre avec son voisin, puis on mettra son bulletin dans l'urne. Il faudra bien empoigner le rideau à pleine main pour l'écarter afin d'entrer dans l'isoloir, mais aucun risque - le savon veille... Magique!

    Que s'est-il passé le lendemain du jour de la décision de ce presque couvre-feu? il faisait beau, dans les rues de Paris, des gens ont fait leur footing, d'autres se sont un peu dévêtus pour prendre le soleil près du canal Saint-Martin, certains faisaient du vélo ou du roller, de la trottinette aussi. Ils transgressaient la loi? Et alors. Pas un seul policier n'a verbalisé qui que ce soit. Tout le monde se moque de l'État qui n'a plus d'autorité et plus aucun moyen de faire respecter l'ordre républicain! La peur du gendarme est une vieille lune qui a rejoint celle des dragons et du diable! De la même manière qu'une jeune fille porte un voile musulman en présence de Macron, ce qui est formellement interdit par la loi, et que rien ne se passe, le mépris affiché des décisions du chef de l'État témoignent de la déliquescence dans lequel se trouve le pays et dans quel mépris est tenue la parole de cet homme.

    Les libéraux et leurs cervelles soixante-huitardes voulaient des monades et des consommateurs en lieu et place de citoyens et de républicains? ils les ont... Ils souhaitaient jouir sans entraves? ils jouissent sans entraves... Ils affirmaient qu'il était interdit d'interdire? ils se croient résistants en se faisant la bise... Ils croient toujours que CRS=SS? Ils n'auront pas même vu la queue d'un policier municipal à vélo ou en mobylette, sinon en roller, pour leur rappeler que Jupiter dans son Olympe a décidé qu'il fallait éternuer dans son coude.

    Olympien comme le comédien d'un club de théâtre dans un lycée, Emmanuel Macron a dit: "Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe." Et puis ceci: "Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché." Quel talent! Quel menteur! Quel bouffon! Mais quel mauvais comédien...

    Cet homme qui a mis sa courte vie au service du Veau d'Or fait semblant aujourd’hui de découvrir que piétiner l'intérêt général, conchier le bien public, compisser la santé dans les hôpitaux quand elle était pilotée par les comptables, ce n'étaient peut-être pas exactement les bons choix! Qui croira cet hypocrite dont toute la politique depuis qu'il est au pouvoir consiste à détruire le système de santé (et de retraite) français? C’est la quintessence du projet politique libéral mené sans discontinuer par les présidents de la V° république depuis la mort du général de Gaulle.

    Quiconque écoute les personnels de santé depuis des mois (ils sont en grève depuis un an...) sait qu'en temps normal, avec cette politique libérale, ils sont débordés et impuissants tant l'hôpital public est malade sinon mourant. Qui pourra croire que la France est en état de recevoir un afflux massif de malades du coronavirus alors que la congestion était déjà là avant l'épidémie ?

    Ce qui est dit par quelques spécialistes de la santé c'est, je vais l'exprimer de façon brutale, que lors du pic à venir, phase 4, nommons-là comme ça, il faudra, faute de places pour tous, trier les arrivants et laisser les vieux à leur sort, donc à la mort... Voilà où mène le libéralisme initié par Pompidou & Giscard, augmenté par Mitterrand en 1983, accéléré par le traité de Maastricht en 1992 et tous ceux qui, droite et gauche confondue, communient dans cette idéologie, puis par Macron qui, depuis son accession à l’Élysée, a voulu activer ce mouvement à marche forcée.

    Voici une autre leçon donnée par cette crise, en dehors d'apprendre l'impéritie du chef de l'État: les caisses sont vides quand il s'agit d'augmenter le SMIC ou le salaire des plus modestes; elles le sont quand ces mêmes personnes doivent être soignées (on ne compte plus ceux qui ont renoncé à s'occuper de leurs dents, de leur ouïe, de leur vue à cause de leur pauvreté ; elles le sont quand il faut se soucier des paysans dont l'un d'entre eux se suicide chaque jour ; elles le sont quand il faut construire des écoles ou des universités, doter les hôpitaux de matériel performant, humaniser les prisons, recruter des fonctionnaires, financer la recherche scientifique dont nous aurions bien besoin aujourd’hui, laisser ouvertes des écoles de campagne, maintenir en vie les lignes de chemins de fer en dehors des grandes villes et des grands axes; elles le sont quand il faudrait se donner les moyens de récupérer la multitude de territoires perdus de la République), elles le sont si souvent quand il faudrait construire une République digne de ce nom.

    Mais il y a de l'argent pour faire face à cette crise économique qui s'annonce... Tous ces gens mis au chômage technique par cet état de siège seront payés -par les assurances chômage. C'est bien sûr très bien, mais il y avait donc de l'argent... Plus un café, plus un restaurant, plus un lycée, plus une école, plus un commerce, sauf liste donnée, plus un cinéma, plus une salle de spectacle ne sont ouverts, mais Macron nous assure que "l’État prendra en charge l’indemnisation des salariés contraints de rester chez eux". Mais alors, bonne nouvelle, l'État existe encore? Il peut fonctionner? Il sait faire autre chose que prélever les impôts et recouvrer les amendes? Il sait faire autre chose qu'envoyer sa police et son armée tabasser les gilets-jaunes? Il sait faire autre chose que de subventionner des médias publics pour diffuser massivement l'idéologie maastrichtienne? Il sait faire autre chose que de libérer les élus délinquants renvoyés chez eux? Vraiment?

    Ce virus fait donc dire des bêtises à Macron: on pourrait donc être solidaires et fraternels en France? On pourrait estimer que le consommateur hédoniste n'est pas l'horizon indépassable de notre modernité et qu'on peut aussi être un citoyen responsable? On pourrait trouver de l'argent public pour financer des solidarités nationales au-delà des habituels bénéficiaires? Il y a là matière à révolution: il est bien certain qu'Emmanuel Macron est le dernier homme pour la réaliser.

    Après le virus, il faudra y songer.

    En attendant, l'Allemagne ferme ses frontières avec trois pays, dont la France! Maastricht tousse, crache et menace l'embolie.

    Michel Onfray

  • Lettres & Philo • « Pour Boutang, Les Fables de La Fontaine proposent une sagesse de la limite »

    Une Lecture de Bérénice Levet

    blue-wallpaper-continuing-background-wallpapers-bigest-images - Copie.jpgLa Fontaine politique, de Pierre Boutang vient récemment d'être réédité. Bérénice Levet salue un ouvrage qui décèle dans les Fables une profondeur philosophique digne d'Aristote [FigaroVox, 26.12]. Penseur assumé d'une condition humaine noble parce que limitée, La Fontaine peut être un maître pour notre temps, souffle, en philosophe, Bérénice Levet. D'ailleurs, elle fait bien plus que saluer l'ouvrage réédité de Pierre Boutang. Elle le prolonge de sa propre méditation. Ouvrage difficile dont on sent qu'elle l'a lu avec passion, sympathie, gourmandise, et, en un sens, avec affection, ou à tout le moins, empathie pour son auteur, dont nous n'oublions pas, ici, qu'il est l'un de nos maîtres. Il faut en rendre grâce à Bérénice Levet.  Lafautearousseau. 

     

    6792525lpw-6792702-sommaire-jpg_4039695.jpgQuasiment disparu de l'école républicaine depuis les années 1970 - si vous en doutez, interrogez vos enfants, et si vous êtes quarantenaires, interrogez-vous vous-mêmes ! -, La Fontaine connaît depuis plusieurs années un regain d'intérêt et de faveur. À la fin des années 1990, le comédien Fabrice Luchini inscrit Les Fables au programme de ses représentations. La gourmandise, la délectation, la jubilation avec lesquelles il les récite provoquent un effet d'entraînement qui dure depuis lors. En juin dernier, dans le cadre de l'opération « un livre pour les vacances », le ministre de l'éducation nationale, Jean-Michel Blanquer offrait à 800 000 élèves sortant de classe de CM2, un recueil des œuvres du poète. Ce printemps, Le Monde et Le Figaro consacraient chacun un numéro spécial au fabuliste, Le Point, L'Obs, Lire lui réservaient leur couverture. Sans être dupe des motifs purement mercantiles qui président à ce retour en force et en grâce - l'industrie culturelle, avide de produits toujours neufs, toujours frais se plaît à puiser et à épuiser les ressources spirituelles du passé -, ce phénomène dit quelque chose de notre présent. Comme si nous pressentions que rouvrir La Fontaine ne nous serait peut-être pas inutile, comme si nous devinions que cette œuvre avait encore bien des choses à nous dire, bref qu'il était, pour user d'une formule vermoulue, un poète pour notre temps.

    arton771.jpgPour Pierre Boutang, ce n'est pas qu'un pressentiment, c'est une conviction, qu'il déploie dans cet ouvrage que « Les provinciales » ont l'heureuse idée de rééditer aujourd'hui, La Fontaine politique.

    Le titre est hasardeux, et Boutang le sait. « Prenons garde, écrit-il, se souvenant de Sainte-Beuve qui recommandait de toujours s'imaginer l'auteur auquel on se voue assis à nos côtés, tendant l'oreille, prenons garde donc, que La fontaine ne s'enfuie par le fond du jardin, s'il entend notre dessein de lui attribuer une politique ». Mais précisément Boutang ne se brise pas sur cet écueil, il n'attribue pas une politique au fabuliste, il ne transforme pas Les Fables en programme électoral ni en petit livre rouge. Mais il célèbre en La Fontaine le penseur de la condition politique des hommes, c'est-à-dire de l'homme comme « animal politique ». On y aura reconnu l'empreinte d'Aristote. « Animal politique » désignant l'homme comme être d'emblée pris dans le faisceau des relations humaines. Politique renvoie donc d'abord à une essentielle sociabilité de l'homme, consubstantielle au don du logos, du langage et de la raison intrinsèquement mêlés, qui le distingue d'entre toutes les espèces vivantes (et fonde, soit dit en passant, sa responsabilité à leur égard). C'est parmi et avec ses semblables que l'homme accomplit son humanité. L'atome des modernes est une fiction. « Politique, définit Boutang, veut dire que ni bête ni dieu, l'homme se revêt de son image dans le regard et les projets de ses frères humains incertains et bigarrés ». Anthropologie pré-moderne avec laquelle Boutang n'est pas seul à renouer, songeons à Hannah Arendt ou à Léo Strauss, par exemple.

    Les Fables sont donc politiques parce qu'elles n'ont pas d'autre objet que cette chétive créature avec ses passions, ses grandeurs et ses faiblesses, aux prises avec des questions qui ne se résolvent pas à la façon d'une équation mathématique ou d'un problème technique et financier. Comment vivre, comment rendre le monde plus habitable, la vie un peu plus douce, le commerce avec nos semblables un peu moins âpre ? La réponse n'est écrite nulle part. À nous, hommes, de nous débrouiller, de nous bricoler, de nous composer un art de vivre. En dehors de tout système, de tout dogme, La Fontaine nous est une béquille: « La Fontaine n'enseigne pas, dit si justement Boutang, il montre, […] il aide à faire naître la douce habitude ». Et l'on peut dire de La Fontaine ce que Pascal disait du christianisme, il a bien connu l'homme, « il montre tout, sa paideia va au meilleur et au pire ».

    Mais Les Fables sont politiques aussi, et c'est peut-être la leçon première que nous devons retenir de ce livre, parce qu'elles nous donnent la langue, et qu'il n'est pas d'autre force politique que la possession, la maîtrise de cette langue : « La seule réelle force politique [est] la perfection d'une langue […] et d'abord sa transmission religieuse aux enfants de chaque patrie. […] Je ne dis plus seulement que ma patrie c'est la langue française, mais que c'est l'enseignement et la tradition de cette langue dans son intégrité. Tous les autres biens passent effectivement par celui-là ; c'est en lui que l'intérêt et les intérêts deviennent par une métamorphose quotidienne, le bien commun national ». La langue est le ciment d'un peuple : « Chaque fois qu'un enfant apprend sa langue, il imite et prolonge l'aventure capétienne du rassemblement d'une terre dans l'unité de sa parole maîtresse ». À un moment où non seulement les « gilets jaunes », mais la classe politique tout entière et le Président de la République lui-même peinent tant à formuler le discours salutaire et réaliste dont nous avons besoin - nous comprenons que c'est cet apaisement que notre langue nationale est capable de produire en traduisant dans sa perfection et avec sa franchise singulière la réconciliation des intérêts dans le bien commun national, que tout un peuple espère. Apprendre sa langue dans La Fontaine, c'est acquérir un vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence d'une extrême richesse. Boutang est parfaitement accordé à La Fontaine, à l'anthropologie de la transmission qui est la sienne : relisons sa préface aux Fables : Une des grandes « utilités » de son ouvrage, indique-t-il d'emblée, est d'escorter les enfants, de les accompagner : « ces derniers sont nouveaux venus dans le monde, ils n'en connaissent pas encore les habitants ; ils ne se connaissent pas eux-mêmes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on peut ».

    La Fontaine nous est précieux, parce qu'il nous donne les mots, parce qu'il nous donne les histoires pour être rapatriés sur terre, dans le monde des hommes, ce monde humain trop humain. Un politique qui ne donne audience qu'à la raison technicienne, technocratique, calculante, est comme condamné à méconnaître et à sacrifier la réalité humaine, qui crie parfois pathétiquement pour être reconnue et entendue, sans même pouvoir trouver les mots. « Nous avions cessé de regarder le hibou et les souris (cf XI, 9) mais la figure de meurtre et de servitude qui y était contenue, associée cette fois, hors nature, avec la raison calculatrice et technicienne, est revenue sur nous. Qu'est-ce qu'un camp d'extermination, ou un goulag, avec leur finalité industrielle ? Ne reconnaissons-nous pas le hibou et les souris aux visages d'homme ? »

    Prenons l'exemple d'une question politique majeure aujourd'hui, la question écologique, la question de notre rapport à la nature. Avant toute mesure, avant toute interdiction, c'est d'une autre philosophie que celle de l'individu et de ses droits que nous avons besoin. Et à cet égard, le détour par La Fontaine lu par Boutang ne serait peut-être pas vain. « La Fontaine devrait être le saint patron des ‘'écologistes'' authentiques ». Rien que de très convenu, dira-t-on : La Fontaine, la nature, les animaux … Mais le propos de Boutang est autrement hardi et fécond. Lisons avec lui, L'homme et la couleuvre. Si La Fontaine mériterait d'être érigé en saint patron de l'écologie, ce n'est pas seulement parce qu'il rend une âme aux bêtes et même aux végétaux (et particulièrement dans cette fable, aux arbres), mais parce qu'il se fait le poète d'une disposition sans laquelle il ne saurait y avoir de véritable sauvetage de la nature : la gratitude, la capacité à remercier, à se tenir pour les obligés de ce dont nous ne sommes pas les auteurs, à voir un don dans ce qui nous est donné, dans ce que nous recevons. Il faut lire les pages très inspirées qu'il consacre à la vertu de gratitude. « La Création n'est confiée à l'homme qu'aux conditions de l'Alliance », disposition qui, au-delà de l'écologie elle-même, devrait être considérée comme le critère et le principe de toute vie politique.

    font-couvR.jpgAvant d'aller plus avant, prévenons un malentendu. On conçoit que résumé ainsi, l'objet de ce livre puisse rebuter et ce n'est plus seulement La Fontaine qui risque de prendre ses jambes à son cou mais non moins l'éventuel lecteur de Boutang, redoutant de voir le fabuliste enseveli sous des considérations abstraites, dépossédé de son charme, de sa grâce, de sa légèreté, de son « sourire ». Il n'en est rien. Pierre Boutang ne cède à ce péché (familier à ses semblables) d'abaisser la fable au statut de servante de la philosophie, et le fabuliste à celui de simple illustrateur de thèses et de concepts.

    Car précisément, par-delà La Fontaine, un des enjeux majeurs de cet ouvrage est de rendre leurs lettres de noblesse aux œuvres de fiction en tant qu'œuvres de fiction, d'exalter, de faire rayonner la puissance de vérité et de signification du mythe, de la fable, des histoires. La condition humaine ne se laisse pas dire dans la langue de la science ou du concept, non plus, soit dit en passant, dans la langue de carton des technocrates, des politiques et des médias. Et c'est bien pourquoi nous avons tant besoin des poètes, de leurs mots, de leurs fables. « Grâce à l'art, disait Soljenitsyne, il nous arrive d'avoir des révélations, même vagues, mêmes brèves, qu'aucun raisonnement si serré soit-il, ne pourrait faire naître ». L'art est en effet le lieu de l'épiphanie de la vérité, d'une vérité humaine, toute humaine.

    Le projet de ce La Fontaine politique, qui paraît pour la première fois en 1981, remontait à loin, au début des années 1950, Boutang devait surseoir à son exécution mais sans jamais y avoir vraiment renoncé. La rencontre avec l'œuvre du philosophe Giambattista Vico fut l'étincelle qui ralluma la mèche, en quelque sorte. La scienza nuova lui donna la clef des Fables … « J'y découvrais, se souvient-il, une philosophie de l'être et de l'homme » et une philosophie qui donnait à la fable, au mythe, leurs fondements anthropologiques. D'où vient que les hommes, depuis l'aube de l'humanité, racontent des histoires ? D'où vient ce que La Fontaine lui-même appelle le « pouvoir des fables », pouvoir irrésistible, sans rival: « Et moi-même, confesse le fabuliste, au moment que je fais cette moralité, /Si peau d'âne m'était conté, j'y prendrais un plaisir extrême » (VIII, IV) ? Vico est en effet ce philosophe qui, contre Descartes, pour dire les choses rapidement, réhabilite l'imagination, le vraisemblable, le mythe, refuse d'abandonner à la rationalité scientifique et à ses critères, le monopole de la vérité. Souvenons-nous de Flaubert: « Pécuchet voulut faire lire [à Bouvard] Vico. Comment admettre, objectait Bouvard, que des fables soient plus vraies que les vérités des historiens ?''» - , échos d'une époque où, notons-le au passage, grâce à Michelet qui s'en faisait le traducteur, l'auteur de la Scienza Nuova était redécouvert.

    Giovan_Battista_Vico.jpgBoutang puisa chez « le grand, le sublime Vico » (photo) différents outils conceptuels, et tout particulièrement, la notion d' « universaux fantastiques ». Que désigne cette expression peu amène à l'oreille, qui sent son jargon philosophique ? « Fantastique» s'entend en son sens grec étymologique, produit par la « fantasia », par l'imagination mais une imagination qui n'est pas la folle du logis, mais l' « ouvrière d'universaux », c'est-à-dire de généralités, de vérités qui mordent sur la condition humaine, qui mettent en forme les invariants de l'humaine condition. Des universaux, et c'est là leur spécificité par rapport aux universaux produits par les sciences ou la philosophie, sans abstraction, qui procèdent du particulier, qui se donnent sous la forme colorée, chatoyante, concrète d'histoires singulières, de récits. Et Boutang se propose d'établir une sorte de table des universaux, des catégories d'intelligibilité, du vocabulaire de la sensibilité et de l'intelligence que recèlent Les Fables de La Fontaine.

    Aristote est l'autre grande figure philosophique invoquée, sollicitée par Boutang. Et là encore le détour se révèle fécond et nullement forcé. Car il ne s'agit pas d' « éclairer » La Fontaine par Aristote mais de faire apparaître qu'il y a chez le fabuliste une pensée de la condition politique et morale des hommes aussi consistante, aussi puissante que chez le philosophe. Chacune des « vertus » requises par et pour l'action, les qualités qui font le citoyen, dont Aristote fait en quelque sorte l'inventaire dans L'Éthique à Nicomaque, ont trouvé en La Fontaine leur poète, leur conteur. Phronesis, kairos, c‘est-à-dire repérage du moment opportun, rôle de l'opinion, du conflit des opinions dans la prise de décision, La Fontaine met en scène ces notions, leur donne un contenu narratif et opère à l'avance la critique radicale des complaisances électoralistes dont la totalité de notre personnel politique ne sait plus comment se dépêtrer. C'est ainsi que Boutang propose une lecture extrêmement stimulante du Meunier, son fils et l'âne.

    Et l'épreuve de la mise en regard se révèle âpre pour le philosophe : comment rivaliser avec la saveur d'une fable, avec « la langue des dieux telle que La Fontaine en use » et grâce à laquelle il fait droit à cet excès de sens que recèle l'expérience vivante, concrète ? C'est elle que charriaient les proverbes et que le poète restitue à sa manière pour constituer le vrai socle de l'antique sagesse populaire et la transmettre à nos riches autant qu'aux pauvres auxquels elle manque si cruellement.

    Le corbeau, la gazelle, la tortue, et le rat.jpgLe thème de l'amitié en offre une belle illustration. Aristote est le philosophe par excellence de cette vertu, mais les deux livres de l'Éthique à Nicomaque qu'il lui consacre pâlissent face à ce « chef d'œuvre absolu » qu'est « Le Corbeau, la Gazelle, le rat, la tortue » (XII, 15): cet «universal fantastique complexe, [cette] délicate machine de l'imaginaire ne contredit point aux chapitres d'Aristote mais combien plus elle parle à tout homme encore capable de devenir pareil à des enfants'' » , « à quelle profondeur elle pénètre dans nos vies » ?

  • Onfray : « La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené ».

    Source : https://www.lepoint.fr/

    Essayiste et philosophe, Michel Onfray lance sa revue « Front populaire », où il souhaite réconcilier souverainistes de droite et de gauche.

    Il porte une chemise blanche mais surmontée d'une redingote noire ; il est l'un des philosophes les plus connus et médiatiques de France ; il publie régulièrement chez Grasset ; il adore la politique et ne rechigne jamais à intervenir dans le débat public… À 61 ans, Michel Onfray, fondateur à Caen de l'Université populaire et auteur notamment du Traité d'athéologie, s'apprête à lancer une revue et un site Web pour peser sur le débat politique. Quoi de plus normal dans une époque où le moindre médecin, humoriste ou éditorialiste se croit habilité à donner son avis sur tout et tous.

    Sauf qu'il donne à son nouveau bébé un nom sacré : « Front populaire ». La gauche s'étrangle, hurle à la captation d'héritage. On le soupçonne de vouloir construire le chaînon manquant qui relierait l'extrême droite à l'extrême gauche. On assure qu'il ajoutera le jour venu son nom à la longue liste des prétendants à l'Élysée. Le bruit et la fureur, les rumeurs et les approximations accompagnent désormais le lancement de cette initiative. Ce mercredi, de passage à Paris, où il rencontrait le soir même « des banquiers, des traders, des hommes d'affaires curieux et intéressés par [sa] démarche », Michel Onfray est venu au Point répondre à nos questions.

     
    D'une voix calme et posée, sans hésitation, sûr de la justesse de son analyse, pétri de références philosophiques et historiques, il nous a livré son bréviaire politique, sa vision d'une France fatiguée d'elle-même, traumatisée par une année de Gilets jaunes et convalescente d'une épidémie de coronavirus. La gauche, Emmanuel Macron, Éric Zemmour, le gaullisme, l'extrême droite, le peuple, les médias… Onfray dit tout.

    Le Point : « Le Front populaire, c'est Blum. Onfray, désormais, c'est Doriot », dit de vous Bernard-Henri Lévy dans Le Point. Quelle est votre réaction ?

    3.jpgMichel Onfray : BHL maîtrise à ravir la rhétorique fasciste française des années 30 dans laquelle l'insulte et l'attaque ad hominem pallient l'incapacité au dialogue et au débat… Cet homme est capable de juger d'une revue qu'il n'a pas lue puisqu'elle n'est pas encore en vente, ce qui est une performance morale bien dans son genre… Il a trop lu Botul et pas assez Front populaire

     

    Après l'enquête du Monde, cette nouvelle attaque qui vise à vous présenter comme le porte-voix de la fachosphère vous affecte-t-elle ?

    On ne peut rien attendre de ces journaux qui ont renoncé à penser et qui, comme BHL, insultent, invectivent et salissent en traitant de fasciste, de vichyste, de pétainiste, d'antisémite quiconque ne pense pas comme eux. Quant au Monde qui a accueilli dans ses colonnes le négationniste Faurisson, mais aussi Badiou faisant l'éloge de Pol-Pot, il est un journal qui, en matière de rouge-brun, sait de quoi il parle : il est une référence !

     

    Enfin, la fachosphère, comme vous dites, renvoie au fascisme. Or, comme avec le mot « antisémite » qui, servi hors de propos, ne veut, hélas, plus rien dire, le fascisme étant partout, il n'est plus nulle part. Or, il existe un antisémitisme chez les musulmans radicaux et un fascisme chez ceux qui contrôlent l'information planétaire : comment dès lors lutter contre ? Si la fachosphère, c'est Valeurs actuelles, par exemple, je trouve que ce journal est moins liberticide avec ses articles que l'État maastrichien dont j'ai montré dans Théorie de la dictature combien il incarnait une modalité light du totalitarisme post-XX° siècle.

    J'ai ma conscience pour moi et je ne vois pas pourquoi je serais affecté par un BHL qui m'associe à Doriot, un homme qui a porté l'uniforme nazi, ou au fascisme, c'est-à-dire au national-socialisme qui a envoyé des enfants dans les chambres à gaz et dans les fours crématoires ! Si je suis l'homme de ces projets-là, je demande qu'on me traîne devant les tribunaux, qu'on m'y juge et qu'on m'enferme s'il y a lieu ! Socrate avait raison de dire qu'il vaut mieux subir l'injustice que de la commettre…

    Vous êtes devenu la tête de Turc favorite de la gauche médiatique. Comment l'expliquez-vous ?

    Depuis le virage libéral de Mitterrand en 1983, cette gauche médiatique défend les idées du Giscard des années 70 : le libéralisme, le marché faisant la loi, l'euro et l'Europe de Jean Monnet qui fut financée par les États-Unis, la haine du général de Gaulle et du souverainisme auquel elle lui préfère son exact inverse : la sujétion, la soumission, la servitude. Comme depuis la Libération, la gauche est un passeport de Vérité transcendantale, la gauche caviar n'aime pas que je lui dise que son roi est nu et qu'elle-même n'est guère mieux accoutrée ! Je n'ai pas voté pour les idées de Giscard en son temps, je ne vois pas pour quelles raisons je voterais pour ces mêmes idées sous prétexte qu'elles seraient portées par le syndicat des puissants qui se décrète de gauche parce que la plume de gauche va bien à son chapeau ! La gauche germanopratine est autant de gauche que le pape un athée forcené ! Il est normal de se faire haïr quand on dénude les chimères…

    Pourquoi estimez-vous que le peuple est mal représenté aujourd'hui ?

    Pour deux raisons : la première est que la sociologie des élus ne recouvre pas la sociologie du pays. La sociologie des Gilets jaunes, qui n'est certes pas celle de toute la France, comporte des employés, des ouvriers, des artisans, des petits commerçants, des chauffeurs routiers, des paysans pauvres, des marins pécheurs, des chômeurs, des retraités modestes. Combien d'élus du Congrès viennent de ce monde-là ?

    La seconde, c'est que le coup d'État de 2008 qui, avec le traité de Lisbonne, a vu le Congrès voter contre le choix du peuple qui avait rejeté par référendum le traité européen en 2005 (Giscard a dit dans les colonnes du Point que c'était le même texte, sauf nettoyage cosmétique…) montre que le vote du peuple est considéré comme nul et non avenu quand les maastrichiens estiment qu'il a mal voté. Nombre d'intellectuels du système, dont celui qui estime que j'ai porté l'uniforme nazi pendant la dernière guerre mondiale, sont même allés jusqu'à déplorer que le peuple ait à donner son avis sur des questions comme celles-ci.

    Pour vous, les médias ont leur part de responsabilité…

    Bien sûr puisque, lors des présidentielles, tout est fait pour obtenir un second tour entre un Le Pen démocratique jusqu'au soir du premier tour puis fasciste dès le résultat de ce même premier tour. Comme un seul homme, les médias convoquent alors à nouveau Pétain et Hitler, Déat et Doriot (pour Macron ce fut une visite à Oradour-sur-Glane et une autre au Mémorial de la Shoah…) pour expliquer que le bon vote, c'est le vote maastrichien !

    De quinquennat en quinquennat, le peuple a fini par comprendre que cette instrumentalisation du Front national puis du Rassemblement national permettait de fabriquer un entonnoir politique qui fait immanquablement gagner le candidat de l'État maastrichien.

    Pourtant, on vote presque tous les ans dans des élections qui intéressent encore les Français…

    Mais ceux qui gagnent les élections sont ceux dont on ne parle jamais : les abstentionnistes, ceux qui ont voté blanc ou nul, ceux qui ont porté leurs suffrages sur des partis folkloriques – le bien-être animal, par exemple… Je vous rappelle que 49,88 % des électeurs n'ont pas voté à la dernière élection européenne. Quelle légitimité peut bien sortir de ce genre de consultation ?

    4.jpgEn 2017, Emmanuel Macron est élu avec 66 % des voix. C'est donc qu'il a séduit une large partie du peuple !

    Au deuxième tour, 25,44 % des gens n'ont pas voté… Depuis la mort du général de Gaulle, c'est un record. Par ailleurs, la propagande est telle que j'aimerais savoir, parmi ceux qui ont voté pour lui, lesquels ont eu un vote d'adhésion à son programme politique, un vote positif donc, et lesquels ont avant tout voté contre Marine Le Pen, un vote négatif. Je ne sais si des instituts de sondage ont jamais posé ce genre de question pour mesurer l'adhésion véritable et positive. Qui a souscrit ? Qui a écarté ?

    En lançant votre revue Front populaire, vous êtes donc nostalgique de la gauche de 1936. Mais celle-ci peut-elle encore exister ? N'est-elle pas fantasmée ?

    Je dis dans l'éditorial que vous découvrirez que le Front populaire est associé à des images heureuses : des tandems, des pique-niques, des vacances, du camping, la découverte de la mer, des plages, des paysages français, la découverte de la culture, de la lecture et des musées pour des gens simples et modestes, pour le petit peuple. C'est, dans l'histoire de la gauche, une page heureuse pour les ouvriers sans qu'il ait été besoin de verser une seule goutte de sang. On n'en dira pas de même pour la Révolution française ou pour la Commune – que je ne méprise pas pour autant.

    La gauche à laquelle j'aspire n'est pas d'hier ou d'avant-hier : elle procède de la tradition libertaire française et vise un futur avec une France girondine, donc une France qui évite le pouvoir centralisateur qui tombe du ciel, le lieu du ciel étant Paris bien sûr, et qui descend jusqu'au peuple par ruissellement. Le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple – je vous rappelle que c'est le mécanisme de souveraineté inscrit dans notre Constitution… – doit partir de la base, là où sont les compétences professionnelles. Le vieux schéma théocratique qui fait du chef de l'État un représentant de Dieu sur terre et du peuple un ramassis de sujets soumis n'a pas été aboli par 1789-1792… mais recyclé. Tocqueville a bien montré tout ça dans L'Ancien Régime et la Révolution française.

    Front populaire va lancer une plateforme qui recueillera les doléances des Français. Vous copiez Macron, son grand débat et ses cahiers de doléances…

    Je vous rappelle que le cahier de doléances n'est pas né avec Macron, mais au XIVe siècle ! Bien sûr, il y a eu ensuite ceux de la Révolution française. Quant à ceux de Macron, qui a vu à quoi ils ressemblaient en dehors de l'effet d'annonce ? Ont-ils jamais été synthétisés et publiés après un travail honnête de collation ?

    Nous allons réellement travailler ces doléances qui remonteront par capillarité numérique sur cette plateforme. Une équipe écartera tout ce qui serait hors sujet, purement négatif, pour ne retenir que les propositions positives. C'est le principe autogestionnaire en vertu duquel il n'y a pas mieux que les personnels de santé pour dire ce qui est le mieux pour le monde de la santé, les paysans, les marins, les viticulteurs pour leurs mondes respectifs, etc.

    Nous travaillons également dès à présent avec des fiscalistes, des juristes, des banquiers, des traders, des économistes, des syndicalistes, des militaires, des paysans qui avouent que la création de la revue les libère de la culpabilité qu'ils avaient à se dire souverainistes. Il existe également un groupe constitué d'acteurs, de comédiens, de réalisateurs qui savent que sortir du bois leur vaudrait la mort sociale, la fin de leurs subventions, la mise au ban de la profession, la disparation de leur travail et qui travaillent également avec nous. Pour l'instant, nous la nommons La belle équipe en relation avec le film de Duvivier que j'adore – du moins avec sa fin française, et non sa fin commerciale américaine…

    La gauche française est-elle encore de gauche ?

    Pour le PS, c'est clair que non. Ce parti est giscardien, saturé de notables bien nourris. Pour La France insoumise, oui, bien sûr. C'est une gauche robespierriste, jacobine, néomarxiste qui, suivant les humeurs de Jean-Luc Mélenchon dont le talent est aussi grand que l'ambition, adopte des lignes contradictoires. Il fut ainsi souverainiste et gaullien par exemple, donc laïque à l'endroit de l'islam, il eut alors ma sympathie, puis islamo-gauchiste, donc complaisant envers le communautarisme. Mélenchon délaissant Robespierre et Castro pour leur préférer de Gaulle et Jaurès aurait fait un malheur.

    Pour l'extrême gauche, NPA et LO, oui, bien sûr aussi. LO est sur une ligne trotskiste orthodoxe et le NPA sur un néotrotskisme mouvementiste affiché au départ de sa création. Un article élogieux sur Louise Michel dans Libération signé Olivier Besancenot m'avait en son temps retenu l'attention. Mais cette promesse n'a pas été tenue. Le NPA a ripoliné le vieux trotskisme avec les nouvelles luttes communautaristes.

    Vous croyez encore dans la Politique (avec un grand P)…

    Je vais vous faire un aveu : non… Mais je crois à l'éthique, à la morale, et la politique, pour moi, relève de l'éthique et de la morale. Notre civilisation disparaît, c'est inéluctable, mais on peut au moins ne pas accompagner ou augmenter le nihilisme. Lui résister, même si c'est un combat perdu, crée du sens dans un monde qui n'en a plus. Tant qu'à mourir, qu'au moins ce soit sans avoir courbé l'échine.

     

    Éric Zemmour ? Un interlocuteur avec lequel ce qui faisait le génie français est encore possible.

     

    Maastricht en 1992, Chevènement en 2002… En France, les souverainistes ont toujours perdu. Et quand il gagne le référendum de 2005, ils perdent quand même à la fin. Comment vaincre cette malédiction ?

    Ils perdent quand même à la fin comme vous dites parce que le personnel de la classe politique réalise ce que Babeuf appelait un populicide : si nous étions en démocratie, le vote « Non » aurait dû engager les gouvernants socialistes et chiraquiens à obéir au peuple qui les mandatait. Au lieu de cela, vous connaissez l'histoire, le peuple qui avait gagné a été déclaré perdant par les vaincus…

    Nous avons regardé sur CNews votre débat courtois et parfois complice avec Éric Zemmour. Qu'est-ce qui vous sépare encore ?

    Il défend l'État jacobin, moi pas. Il est contre toute immigration avec renvoi des immigrés « chez

  • Pour une opposition rationnelle au macronisme.

    COMMUNIQUÉ. Après l’allocution présidentielle fourre-tout du 12 juillet, le renforcement sanitaire se poursuit. Des camps se forment et la France se divise au lieu de faire front. Une opposition rationnelle au macronisme est plus urgente que jamais.

    Près de 115 000 Français ont manifesté à travers toute la France ce samedi, cinq jours après l’annonce présidentielle des nouvelles conditions sanitaires sur le territoire français (obligation vaccinale pour les soignants, incitation générale à la vaccination, extension du passe sanitaire, déremboursement des tests PCR…).

    Malgré certaines différences de ligne idéologique entre les intervenants les plus en vue et entre les manifestants eux-mêmes (certains clairement « anti-vaccins », d’autres principalement opposés la logique du « passe sanitaire »), un plus petit dénominateur commun a largement émergé : contester la mise en place de ce qu’à peu près tous considèrent une situation « tyrannique » inédite dans l’histoire de France récente : une société à deux vitesses fondée sur la discrimination entre « vaccinés » et « non-vaccinés ».

    « Non à la dictature sanitaire ! », « Macron démission ! », « Macron dictateur ! », « libérons la France », « Je ne suis pas un cobaye », « Mon corps mon choix », pouvait-on par exemple entendre à Paris où trois manifestations ont rassemblé environ 18 000 personnes selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Même son de cloche, semble-t-il, sur le Vieux-Port à Marseille, à Bordeaux, à Nice, à Toulouse, à Strasbourg ou à Quimper.

    Une présidence illégitime

    Entendons-nous bien : nous sommes de ceux qui considèrent que l’on n’a jamais fini de dénoncer les compromissions, les mensonges et les louvoiements de la macronie en général, et d’Emmanuel Macron en particulier. Au-delà de son système de valeurs (néolibéralisme autoritaire), la parole de ce dernier a été durablement discréditée et en égrener ici la liste serait long et fastidieux. Rappelons tout de même quelques éléments récents pas piqués des hannetons :

    « Les gens qui peuvent vous dire qu’on aura un vaccin au mois de mars ou au mois d’avril vous trompent. » (Salon BPI France, 1er octobre 2020)

    « Je vais être clair, je ne rendrai pas la vaccination obligatoire. » (allocution présidentielle, 24 novembre 2020)

    « Le passe sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis. » (Entretien Ouest-France, 29 avril 2021)

    « J’ai toujours tenu un langage de vérité. » (allocution présidentielle, 12 juillet 2021)

    Il se trouve qu’entre temps, plusieurs vaccins ont été mis au point, que la vaccination prend des allures d’obligation (via le déremboursement des tests PCR), que le passe sanitaire est bien en passe d’être étendu aux lieux de la vie de tous les jours, et que, dès lors, il s’en faut de beaucoup que l’on puisse parler de « langage de vérité » !

    Il est évident que le logiciel du macronisme est en tout point opposé à ce que nous défendons et espérons pour la France. Cette défiance s’inscrit jusque dans son illégitimité même à gouverner étant donné le contexte – jugé illégal par notre chroniqueur Régis de Castelnau - de son élection en 2017.

    Mais de même qu’il serait stupide de vouloir démolir le palais de L’Élysée (qui appartient au patrimoine des Français) au seul prétexte qu’il est momentanément habité par Emmanuel et Brigitte Macron, il est urgent de découpler la parole personnelle d’Emmanuel Macron de la stratégie sanitaire française.

    En somme, ce n’est pas parce que ce que dit Macron est souvent faux ou mauvais pour la France, qu’il faut tenir pour systématiquement faux ce qu’il dit. C’est toute la différence entre l’exercice de l’esprit critique et le réflexe pavlovien. Il faut prendre Emmanuel Macron pour ce qu’il est : une horloge cassée qui, comme toutes les horloges cassées, finit mécaniquement, à un moment ou un autre, par donner la bonne heure (deux fois toutes les 24h).

    La question vaccinale

    La question vaccinale a moins à voir avec la liberté d’opinion qu’avec la responsabilité de l’État. Les vaccins fonctionnent partout dans le monde, quels que soient les gouvernements en place. Et paradoxalement, la problématique du vaccin reste davantage politique que scientifique. Les citoyens opposés aux vaccins ne refusent pas l’usage du vaccin sur la base d’une analyse rationnelle des propriétés du vaccin (peu de gens savent comment fonctionne un vaccin et du reste tout le monde prend de l’aspirine…molécule synthétisée par le géant allemand de l’agrochimie Bayer, acheteur récent de Monsanto !), mais parce qu’ils n’ont pas confiance dans « l’élite » qui veut le leur injecter.

    Une « ruse de Parmentier » aurait peut-être suffi à le démontrer. Contexte : on dit qu’au 18ème siècle, le pharmacien Antoine Augustin Parmentier eut une idée ingénieuse pour faire manger à ses concitoyens une pomme de terre jusqu’alors réservée aux seuls animaux et considérée par le peuple comme toxique. Dans la pleine des Sablons, il fit garder les champs de pommes de terre le jour par des hommes en armes, mais pas la nuit. Comprenant que la denrée devait être rare et précieuse, les paysans se ruèrent la nuit pour en voler et les planter dans leur champ.

    Procédons à l’expérience de pensée suivante : de même, si Macron avait déclaré publiquement que le vaccin allait être momentanément interdit pour les Français et réservé aux seuls hauts fonctionnaires d’État, les mêmes qui refusent le vaccin actuellement auraient probablement appelé à manifester pour le droit pour le peuple d’accéder au vaccin, arguant qu’il fallait en finir définitivement avec les privilèges iniques de l’élite…Preuve que la question est ici celle de la confiance et non celle de la validité des sciences dures.

    À l’heure actuelle, sur le plan strictement scientifique, tous les arguments anti-vaccin ont été rationnellement réfutés, et ce par des gens qui n’y ont aucun intérêt personnel particulier autre qu’un certain goût pour la rigueur et l’exactitude (cf notre grand entretien à paraître avec Jacques Sapir). Les derniers chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) montrent que sur 2120 tests positifs, 1700 concernent des non-vaccinés, lesquels représentent donc 80% des cas positifs. Ces chiffres se retrouvent un peu partout dans le monde. Aux États-Unis, 99,2% des morts du Covid en juin n’étaient pas vaccinés. Le taux atteint même 100% dans l’État du Maryland.

    Le seul argument vaccinal non réfuté est celui des « effets potentiels à long terme » du vaccin et pour cause, cet argument ne peut pas être réfuté empiriquement. Toutefois, il peut l’être théoriquement : dans la longue histoire de la vaccination, aucune maladie rare n’a jamais été détectée plus de huit semaines après injection d’un vaccin.

    De surcroît, il peut être renversé : le vaccin est récent donc son innocuité à long terme ne saurait être acquise. Admettons, mais il en va alors de même du Covid. Qu’est-ce qui nous garantit que l’infection par le Covid-19, jugée largement bénigne par les anti-vaccins, n’aura pas à long terme des conséquences désastreuses qu’elle n’a pas à court terme ? Rien. Or, les mêmes qui refusent les vaccins au nom d’un horizon d’analyse prétendument flou ajoutent que ce dernier n’est pas nécessaire puisque la maladie est peu dangereuse pour la majorité des gens, avec le même flou sur le long terme. D’ailleurs la symétrie est fausse, car nous savons justement qu’il y a des « Covids longs » en particulier chez les jeunes adultes.

    L’ambiguïté du passe sanitaire

    La question du passe sanitaire est encore plus politique que celle des vaccins. Son extension s’insère dans le « projet de loi relative à l’adoption de nos outils de gestion de la crise sanitaire » qui est présenté ce jour en conseil des ministres pour promulgation début août.

    Actuellement entre les mains du Conseil d’État, il pourrait également passer devant le Conseil constitutionnel. Au cœur du débat : la question de la « disproportion » entre l’objectif poursuivi (protection de la santé publique) et l’atteinte aux libertés engendrée par la mise en pratique.

    À ce titre, l’avant-projet de loi posait déjà réellement question, proposant notamment d’enfermer les positifs au Covid pendant 10 jours, sous la juridiction d’un Juge des libertés et de la détention (JLD), donc par déclinaison sous contrôle policier. Le fameux « isoler » du triptyque – pourtant peu appliqué faute de moyens depuis un an – « tester, tracer, isoler ». Dans ce cadre, une autorisation de sortie serait accordée entre 10h et 12h ainsi que des aménagements pour la « poursuite de la vie familiale »…

    Une fois admis l’impératif de la vaccination dans une politique sanitaire sensée, l’impératif du contrôle des vaccinations s’entend comme une conséquence logique. Pour autant, la crainte de la mise en place d’une société de contrôle est largement compréhensible (les autorités sanitaires chinoises elles-mêmes viennent de recadrer le fonctionnement du passe sanitaire dans les provinces du pays en insistant sur la coopération « consentie »).

    Présenter un QR-Code à l’entrée de chaque lieu de la vie rend possible le traçage des activités quotidiennes. Les données ne seront pas enregistrées, nous a-t-on prévenus pour rassurer les foules ? Qu’il nous soit permis d’en douter (non pas parce qu’il faudrait douter de tout, mais précisément parce que ce doute est rationnel).

    Dans une tribune publiée vendredi 16 juillet dans le Figaro, Cyrille Dalmont, spécialiste du numérique de l’Institut Thomas More, affirme que l’application « TousAntiCovid » n’est pas respectueuse de la vie privée des utilisateurs : « si le QR code est effectivement stocké en local sur un smartphone (ou sur une feuille de papier), il devient actif dès qu'il est scanné. C'est sa vocation même ! Une application de tracking et de back tracking (identification des relations interpersonnelles) ne fonctionne pas autrement et les informations recueillies sont alors stockées dans des bases de données distantes. »

    Par ailleurs, tel qu’il est déployé par le gouvernement – dans la précipitation et au doigt mouillé -, le passe sanitaire n’est pas fonctionnel. Demander aux citoyens de se contrôler entre eux ne pourra qu’accentuer la fracture sociétale entre les « pro » et les « anti ». C’est faire reposer un travail de police sur les épaules de commerçants dont ce n’est pas le métier ni la vocation. Quant à l’exploitant qui écoperait de 45 000 euros d’amende et d’un an de prison pour manquement à l’obligation de contrôle, même Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, juge la mesure excessive !

    Plus largement, le fait que l’accès à l’espace public soit conditionné à la présentation de données de santé pose une vraie question philosophique. Comme l’a relevé l’euro-député François-Xavier Bellamy récemment dans une tribune dans le Figaro, cette décision devrait à minima faire l’objet d’un débat parlementaire. Le premier passe sanitaire avait été accepté par les autorités administratives françaises précisément car il ne concernait pas les lieux de vie quotidienne…

    En réalité, le gouvernement est face à un problème majeur de stratégie : ayant annoncé que la vaccination ne serait pas imposée de façon discrétionnaire, puis ayant pris conscience qu’elle était la meilleure chance d’atteindre l’immunité collective, il est obligé de la rendre obligatoire officieusement en sur-contrôlant les Français. Il aurait été beaucoup plus clair et efficace (et surtout loyal) de rendre la vaccination obligatoire (en Etat stratège), de renoncer au passe sanitaire, et d’encadrer la couverture vaccinale par le biais de la sécurité sociale.

    Réhabiliter la raison citoyenne

    « Je suis l’ami de Platon, mais plus encore de la vérité », nous rappelle Aristote dans son Éthique à Nicomaque. Nous pourrions retourner la formule : nous sommes les adversaires de Macron, mais plus encore ceux de l’erreur. Et en l’état actuel des données scientifiques, dire que le vaccin est un poison est une erreur.

    À ce titre, il nous faut retrouver collectivement le goût du jugement rationnel, et éviter ce que la philosophe Catherine Kintzler a appelé la « dictature avilissante de l’affectivité ». En l’occurrence, l’exemple présidentiel est probant : Emmanuel Macron est insupportable, or il défend la vaccination et le passe sanitaire, donc la vaccination et le passe sanitaire sont insupportables. Le syllogisme paraît rigoureux, mais il est fautif.

    Cette émotion pose un redoutable défi à la démocratie en tant qu’il s’agit, par nature, d’un phénomène qui place le citoyen en position passive. Or, s’il n’y a plus d’arguments réels irréfutables contre les vaccins, il existe des arguments intéressants pour et contre la mise en place du passe sanitaire.  S’empêcher de penser une problématique du seul fait que l’on conteste la légitimité de celui qui la symbolise dans l’espace public (Macron, en l’occurrence) est une erreur. La pensée rationnelle est une lutte de tous les instants. Or la démocratie est le lieu d’expression du citoyen éclairé par sa raison et son libre jugement…ou n’est pas.

    Au cœur des manifestations de ce week-end, il y avait là des Gilets jaunes, des citoyens anonymes, des drapeaux français, quelques Marseillaises chantées par tel ou tel petit groupe. Et puis malheureusement, beaucoup de citoyens de bonne foi agitaient des banderoles « vaccin = thérapie génique = génocide » ou encore « vaccins = poison », pour ne rien dire des rapprochements avec la Shoah. Mélange des genres irrationnel, condamnable et honteux (qui nous rappelle celui des Gilets jaunes déconsidérés dans l’opinion à cause des Black blocs), car il jette en partie le discrédit sur un large mouvement populiste pourtant légitime et donne inévitablement l’occasion à certains médias de fredonner le vieil air populophobe du : « alors, vous voyez bien que ce sont des beaufs… »

    Plus largement, le discrédit jeté sur une partie des médias traditionnels n’empêche pas d’interroger le fonctionnement en vase clos de l’information « dissidente ». Les réseaux sociaux et l’information numérique deviennent petit à petit un piège, car les algorithmes favorisent les biais cognitifs de confirmation, créant des îlots communautaires de gens d’accord entre eux sur une vérité (dès lors très relative) qu’ils auront fabriquée ensemble. Chacun renforce ses propres croyances par accumulation de pseudo-arguments venant confirmer ce qu’il pense déjà. Au lieu de penser la société comme des classes sociales qui s’affrontent politiquement, nous sommes amenés à la penser comme des strates cognitives enfermées dans leur chez-soi idéologique. Il y a une différence entre déclarer aimer la vérité et déclarer vraies les idées qu’on aime.

    Dans La société malade, le sociologue Jean-Pier