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  • «Si Salah Abdeslam est à terre, l'idéologie qui lui a fait commettre ses crimes est plus que jamais debout», par Céline

    Salah Abdeslam à droite, Mohamed Amri à gauche et Mohamed Abrini au centre. BENOIT PEYRUCQ / AFP

    FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que le procès des attentats du 13 novembre s'est ouvert le 8 septembre, l'essayiste Céline Pina rappelle qu'il ne faut ne pas confondre justice avec vengeance et que l'enjeu est de nommer l'idéologie des accusés.

    3.jpgLe procès des attentats du 13 novembre est un évènement historique aux enjeux énormes et dont le gigantisme est le premier défi. Évitera-t-on l'éparpillement et la perte de sens qui découle de l'accumulation des questions comme des attentes des parties civiles ? À écouter les commentaires sur les chaînes d'infos, ce n'est pas gagné. Que la compassion pour les victimes soit mise en avant est logique eu égard à l'ampleur du massacre, mais celle-ci est parfois utilisée pour éviter les questions qui fâchent et qui inscrivent ces attentats dans un contexte plus large. Le rôle de l'idéologie politico-religieuse qui alimente le terrorisme, l'islamisme, n'est pas toujours évoqué frontalement, pas plus le fait que son influence, loin de reculer, ne cesse de s'étendre en France et de par le monde.

    Si par son ampleur, ses dimensions et sa durée, ce procès historique est comparé parfois à celui de Nuremberg, une différence majeure saute aux yeux. À Nuremberg, il n'y avait pas que les accusés qui étaient vaincus, leur idéologie aussi était à terre et n'inspirait plus que l'horreur. Il y avait un consensus sur les racines du mal. Ici les accusés ont été vaincus, mais bien que la menace que celle-ci représente ne fasse que grandir sur notre sol, elle suscite toujours l'embarras quand il s'agit de la qualifier précisément, comme d'évaluer la force de son emprise. D'où l'importance de comprendre les filières, les financements et l'organisation qui ont amené les accusés à souvent trouver aides, complicités et soutiens dans nombre de pays, de la Syrie à la Belgique, de la Turquie à la France.

    Il s'agit certes de juger des actes monstrueux, mais aussi d'ouvrir les yeux sur une barbarie qui est trop souvent niée, alors que jamais les violences, sur notre sol ou ailleurs dans le monde, n'ont cessé. Il y a deux jours, c'est un jeune tchétchène radicalisé, profil similaire à l'égorgeur de Samuel Paty qui a été arrêté et remis en liberté alors qu'il avait commencé à organiser un attentat contre Mila. Manifestement le procès Charlie qui a pourtant eu lieu l'an dernier n'a toujours pas dessillé les yeux de nos institutions.

    La provocation est l'arme de ceux qui sont limités dans leurs moyens d'action et n'ont rien à perdre. C'est la vanité du perdant.

    Céline Pina

    Difficile à gérer, ce procès dont il ne faut pas attendre trop de choses a toutefois un mérite, celui d'exister. Certes la première journée s'est révélée éprouvante pour les victimes et les incessantes provocations de Salah Abdeslam pouvaient paraître insupportables, mais ce sont des rodomontades de vaincu qui refuse d'ouvrir les yeux sur le sordide de ce qu'il est et de ce que sera son avenir. Il invoque Allah et le paradis, sa réalité est qu'il est menotté, en prison et qu'il va devoir supporter ce procès sans avoir quoi que ce soit à décider. Sa vérité est qu'il est un assassin et un prisonnier. Le reste n'est que l'expression de sa vacuité intellectuelle et spirituelle.

    Il a beau réciter la shahada, «Je tiens à témoigner qu'il n'y a pas d'autres Dieu qu'Allah et Mohammed est son prophète» quand on lui demande son identité, il n'est pas un martyr en puissance, il n'est qu'un accusé entre les mains d'un système qu'il abhorre mais qui le domine. Si quand il ouvre la bouche, c'est pour clamer sa haine de la démocratie et son refus de l'État de droit, il ne lui reste pas moins soumis. Ne serait-ce le sang qu'il a sur les mains, tout cela relèverait de l'enfantillage. La provocation est l'arme de ceux qui sont limités dans leurs moyens d'action et n'ont rien à perdre. C'est la vanité du perdant. La grande bouche du petit bras. La réponse du président de la Cour, qui le traite comme un gamin sans grand intérêt en lui répondant «Bon on verra cela plus tard» était la meilleure manière de le remettre à sa place. Il va d'ailleurs tenter une nouvelle fois d'enflammer le prétoire en répondant à la question posée sur sa profession, qu'il est un «combattant de l'État islamique». «Ah» lui rétorque à nouveau le président «moi j'avais intérimaire», le ridiculisant un peu plus.

    On peut comprendre que cela ait été très douloureux à vivre pour les victimes, mais que Salah Abdeslam confirme son adhésion fanatique à l'islam politique, comme son absence de tout remord ou de toute prise de conscience n'est pas une surprise. Il est resté le même que celui qu'il était à son arrestation, un petit voyou sans envergure qui s'est construit dans la haine de ce que nous sommes et n'a pas les moyens intellectuels de comprendre une civilisation qui fait le choix de l'état de droit contre la violence arbitraire. Il ne comprend que la domination, la brutalité et le meurtre, le dépassement de la force par la loi lui échappe.

    Une autre dimension du personnage et un des fondamentaux de l'idéologie politico-religieuse à laquelle il adhère ne va pas tarder à être mis au premier plan dès ce premier jour d'audience : la victimisation. C'est ainsi que l'homme se met à se plaindre qu'il est traité comme «un chien» et couine sur sa revanche dans l'au-delà. Certes on peut avoir envie d'accélérer l'échéance et on ne peut reprocher aux victimes leur dégoût face à un tel personnage, mais il sera renvoyé une nouvelle fois dans les cordes par le magistrat responsable du procès, «On n'est pas dans un tribunal ecclésiastique mais dans un tribunal démocratique». Et il le fera rasseoir.

    En attendant, Salah Abdeslam aura une nouvelle fois montré l'arrogance et l'absence totale d'empathie du fanatique qu'il est et aura remis au cœur du procès l'islamisme. Il n'en reste pas moins que tout cela reste du cirque. Ses vociférations ne sont pas celles d'un homme puissant qui se maîtrise et retourne la situation à son avantage, mais celles d'un petit voyou pas assez intelligent pour comprendre la place qu'il occupe vraiment et qui se pousse du col pour se donner du courage.

    Avec la sortie de prison de centaines de djihadistes libérables prochainement, la menace ne cesse même de se renforcer.

    Céline Pina

    Finalement, cet homme du ressentiment et de la vengeance se cogne ici à l'idée de justice. Martin Luther King disait «cette ancienne loi d'œil pour œil laisse tout le monde aveugle». Cela ne signifie pas qu'il faut opposer la bienveillance au fanatisme, le pardon à la violence, mais qu'il faut savoir distinguer la vengeance de la justice. La sanction est nécessaire, mais elle est édictée dans le cadre du logos et de la raison. Le simple fait que ce procès se tienne est déjà en soi une belle réponse à la barbarie.

    Pour le reste, espérer que ces 9 mois et ces 542 tomes (soit 53 mètres linéaires) de procédures accouchent d'une prise de conscience généralisée de la réalité de la barbarie qui nous frappe n'est guère envisageable. Mais cela peut être une étape sur la voie de la lucidité. En effet, si Salah Abdeslam est à terre, l'idéologie qui lui a fait commettre ses crimes est plus que jamais debout. Avec la sortie de prison de centaines de djihadistes libérables prochainement, la menace ne cesse même de se renforcer.

    Or personne n'a encore tiré les leçons du fait qu'un des principaux commanditaires des attentats du 13 novembre, Oussama Atar, ressortissant belge et chef de l'Amn al-Kharij, la branche du service de renseignement de l'État islamique chargé des opérations terroristes a pu organiser ces actions meurtrières grâce en partie au gouvernement belge. L'homme avant d'appartenir à l'État islamique s'était engagé en effet auprès d'Al-Qaïda et avait été condamné à 20 ans de prison en Irak. Pourtant au courant de sa radicalisation le gouvernement belge a exercé des pressions pour le faire libérer et les partis belges Écolo et PS, avec l'appui d'Amnesty International, ont organisé une campagne intitulée «sauvons Oussama». Ils l'ont ainsi rapatrié et libéré en 2012. Aujourd'hui encore, la chape de plomb qui permet à Molenbeek et à d'autres territoires en Belgique et en France d'être des lieux de transit ou de refuge des islamistes et des djihadistes est aussi entretenue par l'aveuglement ou le clientélisme de certains élus. Si ce procès permet aux politiques de regarder ces faits en face, nous y aurons tous gagné beaucoup.

     

    Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).

    Source : https://www.lefigaro.fr/

  • Rapport Sauvé : l’Église en procès, ou le procès de l’Église ?, par Marie d'Armagnac.

    Un tsunami, une déflagration, une gifle, un uppercut : les superlatifs ne manquent pas pour qualifier le rapport, commandé et payé par l’Église de France (3 millions d’euros), que Jean-Marc Sauvé a conduit pour la CIASE, la « Commission d’investigation sur les abus sexuels dans l’Église », instaurée en 2018.

    4.jpgJean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, haut fonctionnaire aux états de service prestigieux, catholique et père de trois enfants, a donc remis solennellement à Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence épiscopale française, et à Sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, les conclusions et recommandations de ce rapport.

    Commandée en 2018, cette enquête sur « les violences sexuelles dans l’Église catholique, France 1950-2020 » a été menée par une vingtaine de membres, choisis « sans aucune interférence extérieure » et experts dans divers domaines : sociologie, psychiatrie, secteur social et éducatif, histoire, théologie, droit civil et canonique. Trente-deux mois de travail, un rapport de 485 pages flanquées de 2.000 pages d’annexes pour aboutir à un chiffre effarant, inimaginable : 216.000 mineurs auraient été victimes de violences sexuelles dans l’Église, dans les 70 dernières années. Entre 1950 et 2020 le clergé français a compté près de 3.000 prêtres prédateurs sexuels sur 115.000, soit environ 2,8 % du clergé.

     

    Méthodes scientifiques utilisées pour parvenir à ce chiffre.

     

    Dans son avant-propos, le rapport explique que la parole des victimes « a été la matrice du travail de la commission ». La connaissance et le témoignage des victimes ont été rendus possibles par les enquêtes archivistiques (archives de 31 diocèses, du ministère de l’Intérieur et de la Justice, articles de presse) et par les appels à témoins : selon les chiffres donnés par Jean-Marc Sauvé lors de sa conférence de presse, mercredi, les appels à témoignages ont permis de recenser 2.700 victimes, quand l’enquête archivistique en a identifié 4.800. 243 auditions de victimes ont aidé à dresser un tableau « qualitatif » des violences subies.

    Par ailleurs, « afin de mieux caractériser la population des personnes ayant été abusées et d’étudier les logiques sociales et institutionnelles qui auraient favorisé ces violences, la CIASE a sollicité la sociologue-démographe Nathalie Bajos, directrice de recherche INSERM et spécialiste des enquêtes sur la sexualité et le genre » pour mener une enquête en population générale sur 28.010 personnes.

    Avec son équipe, dont notamment le sociologue Josselin Tricou, auteur d’une thèse sur Des soutanes et des hommes, subjectivation genrée et politiques de la masculinité au sein du clergé catholique français depuis les années 1980, la sociologue et démographe a rendu une étude de près de 500 pages. Elle livre ce chiffre fatal de 216.000, déterminé selon, donc, la méthode du sondage scientifique, « évaluation à plus ou moins 50.000, intervalle de confiance à 95 % », explique Jean-Marc Sauvé. Évaluation qui grimpe à 330.000 enfants abusés si on inclut les laïcs « en mission d’Église », c’est-à-dire les personnes œuvrant dans les aumôneries, les établissements d’enseignement catholique, les aumôneries, etc.

    Grâce à cette étude, l’INSERM et la CIASE alertent sur un phénomène qui touche la société entière : 5,5 millions de Français aujourd’hui majeurs auraient été victimes d’actes pédophiles, dans les cercles familiaux et amicaux, dans l’Église donc, mais aussi dans le sport, à l’école… Les agissements d’un ne relèvent pas d’un cas isolé mais d’un phénomène massif. On attend les enquêtes publiques menées dans la société française sur le modèle de ce que fait aujourd’hui l’Église.

     

     

    Le procès de la « domination masculine » dans l’Église

    Au-delà de l’étude chiffrée et dévastatrice, la sociologue Nathalie Bajos s’interroge sur les raisons de l’omerta, sur ce qui a poussé, pendant des décennies, certains clercs et hauts prélats à privilégier la logique institutionnelle à la vérité, nue et cruelle.

    À cet égard, elle porte sur l’Église en tant qu’institution un regard qui semble démentir le jugement porté par Jean-Marc Sauvé sur les experts qu’il a lui-même choisis, « pour leurs compétences et leur impartialité, de toutes opinions et confessions ». Ainsi, elle conclut les 500 pages de son étude par une accusation sans appel : « L’institution ecclésiale revendique encore ouvertement la domination masculine et l’inscrit dans sa culture et dans ses structures. Tant qu’elle refusera de renoncer au monopole masculin du pouvoir et à sa métaphorisation paternelle qui, toute symbolique qu’elle soit (sic), n’en a pas moins des effets réels, le risque de violence sexuelle au sein de l’ restera d’actualité. »

    En clair, l’Église « observatoire privilégié de la domination masculine, et plus précisément du fonctionnement d’un système patriarcal » est coupable, et le restera, tant qu’elle demeurera l’Église ! Confondre ainsi l’omerta, l’abus de pouvoir et la lâcheté avec l’exercice d’une autorité paternelle, dénoncer une prétendue masculinité toxique de l’Église en évoquant la fonction sacrée du sacerdoce : l’amalgame est dangereux.

    Que l’Église de France, dans un effort louable d’humilité, de contrition et de transparence face à des actes indicibles ait voulu percer l’abcès est une bonne chose. Qu’elle se soit, pour cela, aliéné les services d’experts dont on peut raisonnablement douter de la neutralité est une erreur qu’elle paiera cher.

     

    Des recommandations révolutionnaires

    Dans le même fil, Jean-Marc Sauvé, à l’issue de son rapport, formule 45 recommandations : « La commission propose des mesures sur les questions de théologie, d’ecclésiologie et de morale sexuelle parce que, dans ces domaines, certaines interprétations ou dénaturations ont, selon elle, favorisé abus et dérives. Elle fait aussi des propositions dans les domaines de la gouvernance de l’Église, de la formation des clercs, de la prévention des abus et de la prise en charge des agresseurs. » Plaidant longuement pour la mise en place de garde-fous indispensables afin que le phénomène de pédérastie pédophile dans l’Église soit éradiqué (80 % des victimes sont des garçons de 10 à 13 ans), il n’en formule pas moins d’autres recommandations surprenantes : ainsi, la commission enjoint l’Église de reconnaitre « la responsabilité civile et sociale de l’Église indépendamment de toute faute personnelle de ses responsables ». De passer au crible « la constitution hiérarchique de l’ au vu des tensions internes sur sa compréhension d’elle-même : entre communion et hiérarchie, entre succession apostolique et synodalité et surtout entre l’affirmation de l’autorité des pasteurs et la réalité des pratiques de terrain, de plus en plus influencées par des fonctionnements démocratiques ». Ou encore de « développer l’esprit critique et les capacités de réflexion et d’élaboration des séminaristes et des novices, notamment sur les questions d’autorité et d’obéissance », mais aussi de revenir sur le secret de la confession, d’ordonner prêtre des hommes mariés (il se réfère au synode sur l’Amazonie), de renforcer la présence des laïcs et des femmes dans les sphères décisionnelles catholiques… Si l’Église ne suit pas ces recommandations, alors ce rapport n’aura servi à rien, dit-il.

    Commandé par l’Église de France, ce rapport pourrait l’affaiblir doublement. D’une œuvre de purification nécessaire, on pourrait arriver à une œuvre de déstabilisation de ses fondements, d’une Église en procès au procès de l’Église.

    Est-ce que cela serait rendre véritablement aux victimes ? Pas sûr.

    L’impossible réparation se fera-t-elle au prix d’une révolution culturelle ?

    Ce serait, assurément, agir au détriment des plus de 97 % des prêtres et religieux qui, humblement, quotidiennement, sans bruit mais avec le panache d’une conscience droite et d’une vie offerte, œuvrent dans l’Église et portent déjà, aux yeux du monde et des médias, la responsabilité des crimes de quelques-uns.

     

    Marie d'Armagnac

    Journaliste
    Journaliste et auteur
  • Les ides de Janvier, par Georges-Henri Soutou.

    L’Union européenne et ses États-membres semblent se réfugier dans une posture irénique où tout conflit est banni : mais comment croire que les conflits les épargneraient alors que les intérêts nationaux et ceux de la mondialisation s'éloignent de plus en plus ?

    11.jpgLe mois de janvier 2021 restera comme un point de retournement de notre histoire contemporaine. Et pas seulement à cause de l’aggravation de la pandémie. Le 5, la Géorgie a élu deux sénateurs démocrates, donnant ainsi à Joe Biden (avec la voix prépondérante de la vice-présidente Kamala Harris) une majorité au Sénat, et donc la possibilité d’accomplir son programme, qui fera probablement peu plaisir, expérience faite et malgré leurs illusions initiales, aux Européens en général et aux Français en particulier. J’attire l’attention sur le fait que l’une des premières décisions du nouveau président a été de proposer un itinéraire pour les « sans-papiers » leur permettant d’accéder à la nationalité américaine en huit ans au maximum. Si le Congrès accepte cette mesure, ce sera en fait la mise en place d’un droit général à l’immigration, qui aura une bonne chance de devenir progressivement une norme internationale, étant donné la pression un peu partout dans ce sens. En Allemagne par exemple, le deuxième pays d’immigration après les États-Unis, de nombreux experts et associations vont dans le même sens, comme un peu partout d’ailleurs.

    Le 16, la CDU a choisi le successeur de Mme Merkel à sa tête : Armin Laschet, de tous les candidats celui qui a le plus affirmé sa continuité avec la chancelière. Il n’est certes pas encore chancelier, les élections n’auront lieu qu’en septembre, mais malgré l’agitation du pays depuis 2015 un désir de continuité l’emporte. On ne remettra pas en cause l’arrêt du nucléaire, le refus de la puissance, le multiculturalisme et l’orientation croissante vers Pékin. Cela rendra beaucoup plus difficile une réponse européenne, à base franco-allemande, aux défis actuels auxquels est affronté notre continent.

    D’autant plus que la Chine, vient-on d’apprendre, est sortie, sinon de la pandémie, du moins de ses conséquences économiques, avec une progression du PIB de plus de 6 % en un an. Pendant ce temps Navalny est rentré en Russie où il a été immédiatement arrêté : malgré sa réputation en Occident, il ne paraît pas en état de remettre en cause le pouvoir poutinien, ses partisans sont moins nombreux qu’on le prétend ici.

    Sur qui compter ? L’Italie a elle aussi choisi ce mois de janvier pour une crise politique. Et la Grande-Bretagne ne fait plus partie de l’Union européenne. Mais on se rend compte depuis le 1er janvier que le Brexit n’est pas terminé, la rupture provoque une série de problèmes qui vont nous accompagner pendant des mois, voire des années : les échanges commerciaux physiques rencontrent pour le moment de grandes difficultés, à cause du maquis des procédures douanières. La filiale fret routier de la Deutsche Bahn a récemment arrêté ses expéditions vers la Grande-Bretagne, le commerce alimentaire en produits frais, les pièces détachées pour l’industrie automobile sont particulièrement affectés. Quant aux services financiers, non couverts par l’accord de Brexit, ils sont bloqués dans l’Union les uns après les autres, Bruxelles refusant pour le moment systématiquement autorisations et équivalences. Il est impossible actuellement de savoir comment cela sera réglé. On constate cependant qu’il y a quelques jours la Suisse (qui s’est vu retirer par Bruxelles, en 2019, l’agrément annuel dont elle jouissait pour ses services financiers) et Londres ont conclu un accord pour la cotation des valeurs sur leurs marchés respectifs. Est-ce le début de la formation d’un centre financier anglo-suisse en marge de l’UE, ce qui poserait à celle-ci de vastes problèmes ? Il est trop tôt pour y voir clair dans ces questions complexes, mais qui ne vont pas encourager les Britanniques à adopter une humeur coopérative…

    Forces centrifuges

    On peut cependant penser qu’un contre-modèle anglo-suisse pourrait bien voir le jour : l’Autriche voulait consacrer une aide (modique) à son secteur du spectacle sinistré, elle doit attendre l’accord de Bruxelles, qui se réserve d’autoriser ou pas toutes les aides nationales dans le cadre de la pandémie, alors qu’au même moment la Suisse mettait en place une aide équivalente, sans problème évidemment. C’est très exactement cette souplesse que Londres compte bien mettre en œuvre. Le potentiel des deux pays, en matière de services financiers et d’innovation, est considérable, rappelons-le.

    L’Irlande du nord et son gouvernement « unioniste » connaissent une situation très difficile : contrairement à ce qui avait toujours été promis par Boris Johnson à Belfast, l’accord du Brexit maintient l’Irlande du Nord dans l’espace commercial et juridique de l’UE, donc du côté de Dublin, avec des contrôles entre le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord, ce qui complique le commerce et provoque en ce moment des pénuries. Étant donné la complexité des relations entre les deux Irlandes, l’issue de cette situation est imprévisible, mais une réunification à terme de l’Irlande, et donc la sortie de l’Ulster du Royaume-Uni, ne peut plus être exclue.

    Au-delà du cas irlandais, beaucoup de Britanniques soupçonnent Bruxelles de vouloir encourager l’indépendantisme écossais pour affaiblir et « punir » le Royaume-Uni. Certes, la partie de l’accord du Brexit concernant la pêche est particulièrement pénible pour les pêcheurs écossais, et d’autre part le Premier ministre écossais, Mme Sturgeon, veut un nouveau référendum. Il n’est pas du tout sûr cependant que celui-ci ait lieu (il faut l’accord de Londres). L’Écosse représente 8,2 % de la population du Royaume-Uni, mais 7,4 % de son économie et ne réalise que 5 % de ses exportations. 61 % du commerce écossais se fait avec le Royaume-Uni, et 90 % transite par le Royaume-Uni. Et l’Écosse bénéficie massivement de la péréquation des dépenses publiques que pratique Westminster : 25 % de plus de dépenses publiques par habitant en Écosse qu’en Angleterre. Quant à la manne pétrolière, elle est à peu près épuisée. Si le référendum a lieu, il n’est pas sûr que les indépendantistes l’emportent.

    Mais l’important ici est que, si les responsables britanniques (à tort ou à raison, peu importe) estiment que les Continentaux veulent « détricoter » le Royaume-Uni, l’établissement de relations plus positives entre Londres et l’UE sera difficile… On constate par exemple que le Royaume-Uni vient de refuser d’accorder le plein statut diplomatique au représentant de l’Union européenne à Londres.

    En Europe, l’illusion du repli

    Par ailleurs, un récent sondage dans l’UE apporte une indication importante : deux tiers des Européens sentent que les choses vont mal, ils souhaitent rester neutres en cas de conflit entre les États-Unis et la Chine, ou entre les États-Unis et la Russie. Mais s’ils sont de plus en plus critiques à l’égard des États-Unis, de plus en plus conscients d’être européens et satisfaits de leur système de protection sociale, ils ne sont pas prêts à dépenser plus pour une véritable politique de défense européenne. En fait ils rêvent d’un repli sur eux-mêmes, dans une illusoire neutralité qui ne les mettrait pas à l’abri des pénétrations économiques, informatiques, migratoires, etc., qui sont la marque du monde actuel. Pour un grand ensemble géopolitique la neutralité n’est pas possible : « Si vous ne vous intéressez pas à la guerre, la guerre, elle, s’intéressera à vous », disait Trotski.

    Après ce noir mois de janvier, que faire ? Bien entendu lutter contre la dérive mondialiste qui, après la surprise de la pandémie, reprend de tout côté, en étant particulièrement attentif aux innovations juridiques et en suivant le conseil des vieux Romains : In principiis obsta. Ne pas déifier nous-mêmes le droit européen en gestation constante. Au niveau européen, ne pas céder à la tentation du financement bruxellois des aides budgétaires en ce temps de pandémie, solution de facilité mais qui sort du cadre fixé par les traités et prépare l’arrivée par la porte de service d’un État européen fédéral. Tout faire bien entendu pour réduire les conséquences négatives du Brexit pour notre commerce, pour notre industrie, pour notre capacité d’innovation, pour notre défense.

    Et pour le reste consacrer tous nos efforts à l’essentiel : maintenir une politique énergétique qui ne nous prive pas demain d’électricité, au nom de l’idéologie écologique dominante. Et pour la sécurité : rester ouvert aux nombreux cas de figure possibles, ne pas rêver à une défense européenne née toute armée, mais utiliser à fond les possibilités non négligeables de regroupements ad hoc que fournissent l’OTAN et l’UE pour pouvoir mettre sur pied, le cas échéant, en fonction des problèmes et avec ceux de nos partenaires qui le souhaiteront, des combinaisons de forces crédibles.

     

    Illustration : Flocke et ses trois oursons polaires nés dans le parc. Ils sont à l’abri dans un environnement contrôlé, petits citoyens européens protégés de tout et même de vivre. Marineland, Antibes.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Le théâtre indopacifique, par Georges-Henri Soutou.

    L’Union européenne et la France n'ont ni su ni voulu voir l'émergence de l'Inde, ni raisonner la volonté hégémonique chinoise. Sommes-nous capables d'agir ou même simplement d'exister dans ce “nouvel” économico-politique ?

    1.jpgLe centre du monde se déplace : ce n’est plus l’espace atlantique, qui avait succédé à l’espace méditerranéen, ce n’est pas le Pacifique, contrairement à ce que l’on avait pu penser, c’est l’ensemble indopacifique, comprenant les grandes puissances du XXIe siècle, la Chine et l’Inde mais bien sûr également les États-Unis et le Japon. Tous les autres pays de la région, de l’Australie à l’Indonésie et à Singapour, doivent s’organiser en fonction de cette réalité. Et les puissances extérieures, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, s’interrogent sur le rôle qu’elles doivent et peuvent y jouer.

    Les premiers à prendre conscience de cette réalité géopolitique furent les États-Unis. Déjà la Deuxième Guerre mondiale, même si on parlait de la « guerre du Pacifique », montrait les liens stratégiques étroits entre l’océan Pacifique et l’océan Indien pour les belligérants, et aussi toute l’importance de la charnière de l’Asie du Sud-Est (Indochine, Birmanie, Malaisie, Indonésie, Philippines), passage obligé et difficile entre les deux océans. Deux commandements supérieurs américains furent établis en 1941 : l’un pour le Pacifique, l’autre pour l’Asie du Sud-Est. En 1946, la structure fut rationalisée : un commandement pour l’Extrême-Orient (Asie du Sud-Est Japon et Corée), un autre pour le Pacifique, un troisième pour l’Alaska. À partir de 1971, des réorganisations successives prirent davantage en compte le facteur indien (d’autant plus qu’en 1968 les Britanniques avaient décidé de se retirer « à l’est de Suez »).

    Finalement, en 2018, un nouveau « commandement indopacifique » réunissait les trois commandements précédents. Il manifestait l’unité du théâtre et traduisait le « pivot vers l’Asie » proclamé par l’Administration Obama en 2011, et en particulier une amélioration des rapports avec l’Inde et une meilleure compréhension de son importance, tandis que New Delhi rééquilibrait une politique extérieure très tournée vers Moscou depuis les années 1960.

    Erreur idéologique

    Les Européens et en particulier les Français voyaient clairement les perspectives d’ascension de la Chine depuis les années 60, mais pas celles de l’Inde, pour des raisons largement idéologiques. Son système de castes ne pouvait que révulser des Européens séduits par l’égalitarisme (prétendu !) de la Chine communiste, supposée pure et vertueuse, tandis que l’économie indienne, incontestablement brouillonne, ne paraissait pas pouvoir un jour se développer autant que l’économie planifiée de la Chine, selon les préjugés dirigistes des Français de l’époque. Que l’Inde disposât d’une presse libre, d’un établissement scientifique important, et d’un régime politique aussi démocratique que possible dans un pays aussi peuplé et complexe, n’était guère perçu que par les Britanniques.

    En même temps l’idéologie dominante depuis les années 1990, celle de la mondialisation heureuse et du dépérissement des États, ne permettait pas de voir l’évolution des rapports de force et le glissement des plaques tectoniques. En effet nous sommes au cœur de la dialectique entre mondialisation et « grands espaces » : les forces à l’œuvre conduisent davantage à la constitution d’espaces économico-politiques autour de la Chine, du Japon ou des États-Unis, qu’à une mondialisation qui marque le pas depuis 2015.

    Tensions et prudences

    Les lignes de clivage et de conflit potentiel sont les suivantes : entre la Chine et l’Inde (avec de nombreux incidents militaires à leur frontière commune) ; entre la Chine et le Japon, avec de nombreux incidents aériens ou maritimes ; et évidemment la rivalité complexe entre Pékin et Washington, complexe car encore aujourd’hui chacun des deux pays dépend de l’autre pour certaines importations vitales. En outre, la Chine détient une bonne part de la dette américaine.

    Les zones de tension actuelles sont bien connues : la mer de Chine, que Pékin veut transformer en mer intérieure chinoise en interdisant le passage aux navires de guerre étrangers ; Taïwan, que visiblement la Chine pense pouvoir s’incorporer à un terme plus rapproché qu’on ne le pensait ; les détroits de l’Insulinde, passages cruciaux pour le commerce maritime.

    On remarquera que les puissances maritimes occidentales tiennent à envoyer des bâtiments de guerre en mer de Chine pour affirmer leur droit de passage. Les États-Unis le font régulièrement, la France l’a fait, le Royaume-Uni et la RFA vont le faire prochainement.

    Les États-Unis multiplient les coopérations militaires, les accords de défense, les manœuvres militaires avec l’Inde, le Japon, l’Australie, les Philippines, Singapour. Le président Macron a affirmé le rôle indopacifique de la France à plusieurs reprises, s’appuyant en particulier sur les territoires français dans le Pacifique (un million et demi d’habitants, 6,8 millions de km2 de « zone économique exclusive ») ; nous vendons des avions à l’Inde et des sous-marins à l’Australie. La « Revue de défense » britannique de mars 2021 annonce une réorientation stratégique vers l’Asie et le Pacifique, correspondant à la posture de Global Britain affichée par Londres depuis le Brexit. L’Allemagne elle-même met depuis peu, elle aussi, l’accent sur l’indopacifique.

    Mais les Européens disposent-ils de moyens militaires suffisants pour réellement peser dans la région ? À la marge, pour faire entendre leur voix, pour participer à des forums régionaux ou onusiens, sans doute. Mais pour jouer un rôle déterminant, non. D’autre part, et c’est encore plus important, s’ils voient bien la pression chinoise croissante dans toute la zone, ils ne sont pas disposés à mettre en danger leurs relations commerciales avec elles. Dans la situation très difficile où ils se trouvent, en particulier à cause de la pandémie, ils vont certainement rester prudents.

    Occident impuissant

    D’autre part, malgré les orientations et souhaits de certains experts ou responsables américains, on ne va pas assister face à Pékin à la formation d’un bloc occidental comparable à celui de la Guerre froide face à Moscou. Sur le plan idéologique, l’Occident actuel, complexé, racialisé, auto-flagellé, en état de collapsus politique et social, ne présente plus un ensemble cohérent de valeurs, comme celles qui avaient fini par l’emporter face au communisme soviétique. Alors que le modèle chinois paraît de plus en plus attirant pour bien des pays de par le monde.

    Et sur le plan économique, c’est Pékin qui mène le jeu : en novembre dernier, la Chine a signé avec 15 partenaires de la zone Asie-Pacifique un traité de libre-échange qui regroupe 30 % de la population et du PIB mondiaux, et 28 % du commerce international. Certes, l’Inde a refusé d’en faire partie. Et, en 2018, onze pays, sans la Chine, avaient signé un pacte de partenariat Trans-pacifique qui va plus loin. Mais ni les Américains (Trump avait refusé d’adhérer au pacte Trans-pacifique préparé par son prédécesseur) ni les Européens ne participent à ces nouveaux regroupements régionaux.

    On ne va donc pas reproduire la Guerre froide, avec ses camps bien marqués. Et sa relative stabilité ! L’avenir des relations internationales sera sans doute marqué par l’instabilité, les crises, les réalignements partiels (différents selon les domaines, économiques ou politico-militaires) et changeants.

    La Chine paraît s’y préparer. Début mars, son président a annoncé au Congrès du Peuple que désormais, dans le cadre du nouveau Plan quinquennal (le 14e), on distinguerait « les deux cercles » : celui du marché intérieur, à rendre le plus indépendant possible de l’extérieur, y compris sur le plan technologique, et celui du commerce international. C’est un sérieux bémol à l’engagement à fond dans l’économie mondiale pratiqué depuis 1978 avec Deng Xiaoping. L’autarcie revient à l’ordre du jour.

    Pékin s’apprête donc à jouer sur les deux tableaux, dont les rapports et la dialectique sont aujourd’hui incertains : le grand espace asiatique (face aux États-Unis et à l’Inde) et une éventuelle reprise de la mondialisation. L’essentiel étant d’être le mieux armé possible dans les deux hypothèses, pour pouvoir, en tout état de cause, contrôler le cours des choses.

     

    Illustration : Le porte-avions états-unien Theodore Roosevelt en exercice en mer de Chine le 15 mars 2021. Pour Joe Biden, Xi Jinping n’a « pas une once de démocratie en lui » mais est « un gars intelligent, très intelligent ». La concurrence va être rude…

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • La veuve noire du Rwanda, par Frédéric de Natal.

    Agathe Habyarimana, veuve du président rwandais assassiné, a-t-elle contribué au génocide en attisant les haines, ou n'est-elle qu'une victime de plus dans la désinformation permanente à l'œuvre sur ce conflit où la France serait un commode coupable ?

    frédéric de natal.jpgChers auditeurs, bonjour. Soyez enragés. C’est à nous de nous débarrasser de cette sale race. Réjouissons-nous, les cafards sont exterminés et restons surtout unis contre la vermine ». Au lendemain de l’attentat du 7 avril 1994, qui a coûté la vie aux présidents rwandais et burundais, Radio Mille Collines continue de cracher son venin, infusé depuis plusieurs mois au sein de la population. La région des Grands Lacs plonge dans une guerre civile qui va faire un million de morts de part et d’autre des deux pays. Hutus et Tutsis, les deux principales ethnies des Grands lacs, vont se massacrer impitoyablement, chaque camp en rejetant la responsabilité sur l’autre. En France, au palais de l’Elysée, le président français prend la décision d’exfiltrer l’Akazu, le clan présidentiel, et Agathe Habyarimana, veuve du président assassiné, accusée d’être une des initiatrices du génocide d’après le rapport Vincent Duclert remis au gouvernement le 26 mars dernier. Sans jamais avoir été réellement inquiétée, la veuve noire vit toujours en France et nie toute responsabilité dans les massacres.

    Depuis octobre 2009, Agathe Habyarimana fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Épouse du président rwandais Juvénal Habyarimana, elle réside toujours en France, dans l’Essonne, depuis l’attentat du 7 avril 1994 qui a coûté à la vie à son mari et au président du Burundi, Cyprien Ntaryamira. Tous deux venaient alors de signer un accord de paix à Arusha, en Tanzanie. À 78 ans, elle se défend des accusations et des soupçons qui pèsent sur elle depuis le déclenchement du génocide. Donné en main propre au président Emmanuel Macron, le rapport Vincent Duclert, chargé d’« analyser le rôle de la France » dans cette terrible tragédie, a remis en lumière l’Akazu (ou le Réseau Zéro), ce clan présidentiel exclusivement composés de Hutus du nord du Rwanda et de proches de la famille Habyarimana. Pour l’historien, le rôle d’Agathe Habyarimana dans le génocide n’est pourtant pas à ignorer.

    « Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important » aurait dit François Mitterrand. Entre l’Élysée et la famille Habyarimana, « une relation forte, personnelle et directe » qui s’est traduite par plusieurs rencontres entre les deux dirigeants au cours des deux septennats du président français. C’est en 1973 que Juvénal Habyarimana est arrivé au pouvoir, après avoir mis un terme à la présidence omnipotente du docteur Grégoire Kayibanda, le père de l’indépendance qui a chassé la monarchie tutsi de son trône. Pour la Belgique, l’ancien pays colonisateur, le coup d’État est bien accueilli car il évite un nouveau massacre ethnique en préparation. Quant à la France, elle offre au Rwanda une place de choix dans le giron de la Françafrique, un système nébuleux qui permet à l’Hexagone de s’ingérer politiquement dans ses anciennes possessions africaines en toute discrétion et de s’assurer de facto des contrats juteux. Le pays prospère et, jusqu’en 1990, aucune tension entre Hutus et Tutsis n’est relevée. Il faut l’entrée en rébellion des exilés tutsis, réfugiés en Ouganda depuis quatre décennies, pour que les démons ethniques se réveillent. La France envoie immédiatement des hélicoptères stopper l’avancée des rebelles avant de se retirer. C’est à cette époque que se forme l’Akazu qui relaye des thèses extrémistes grâce à son quotidien Kangura (« Réveille-le ») dont on dit qu’il prend directement ses ordres de la femme du président Habyarimana elle-même. D’ailleurs, un quart de la presse rwandaise est aux ordres de l’Akazu dont les membres estiment que Juvénal Habyarimana fait preuve de mollesse envers ses opposants tutsis et les hutus modérés.

    « L’objectif [du clan est] de saboter le processus de démocratisation » et il organise à cette fin, au moyen d’“escadrons de la mort”, des assassinats politiques et des massacres destinés à renforcer les haines ethniques. Ce Réseau Zéro, dont les « véritables cerveaux » semblent être, rapporte la DGSE, Agathe Habyarimana et son frère Protée Zigiranyirazo, dit « Monsieur Z » Comme le précise le rapport Vincent Duclert, l’Elysée ne pouvait pas ignorer cette radicalisation puisque l’attaché de défense à l’ambassade avait émis un document en ce sens. L’Akazu « paralyse l’action du chef de l’État et mine ses éventuelles velléités de transformation en profondeur. Parmi eux se distingue son épouse » n’hésite pas à écrire le colonel René Galini. Difficile aussi de nier que François Mitterrand ait été au courant. « Elle a le diable au corps. Si elle le pouvait, elle continuerait à lancer des appels au massacre à partir des radios françaises » déclare t-il en lisant un rapport secret défense qui soupçonne le clan d’avoir réduit au silence le président Habyarimana afin d’éviter qu’il ne partage le pouvoir avec les Hutus du sud. Dans le cadre de l’opération Turquoise, il ordonne son exfiltration deux jours après l’assassinat de son mari, « dans les premières rotations avec des ressortissants français […] » et accepte de l’accueillir dans l’Hexagone avec sa famille. L’ambassade de France est rapidement fermée par la suite non sans avoir fait brûler une petite montagne de documents diplomatiques. La cellule de crise pour l’évacuation des ressortissants européens s’étonne de ce départ et fait parvenir au ministère une lettre qu’elle a reçue d’un père blanc évacué du Rwanda, le père Hazard. Celui-ci pointe du doigt la responsabilité d’Agathe Habyarimana, « une instigatrice de premier plan dans la formation et l’armement des milices populaires [Interahamwe – ndlr] qui ont ensanglanté le pays ».

    « Son implication dans le génocide est difficile à prouver. Première dame d’une extrême discrétion, elle ne prenait jamais la parole en public et n’était pas au Rwanda pendant la majeure partie des massacres » note toutefois Jeune Afrique dans un article que l’hebdomadaire lui consacrait, il y a neuf ans. Dans une rare interview accordée au Figaro en 2007, la veuve noire dément toute participation directe ou indirecte au génocide. « Hypothèse sans fondement. Pourquoi ? Pour prendre le pouvoir ? Rendre mes enfants orphelins ? Me rendre veuve ? Je ne suis complice de personne ! » affirme-t-elle. « Je ne me suis occupée des affaires politiques, ni avant, ni pendant ni après les événements qui ont secoué notre pays. Que ceux qui affirment le contraire le prouvent ! J’ai tout simplement été épouse du chef de l’État. Depuis l’attaque du FPR [rébellion dirigée par l’actuel président Paul Kagamé] en 1990, on a sali la famille du président et inventé ce mouvement Akazu. Ce mot était inventé par nos détracteurs. Nous formions une famille comme les autres. Est-ce un crime ? Être chef d’État ou être son épouse n’exclut pas d’avoir une vie familiale normale, sans complots politiques » ajoute Agathe Habyarimana qui est désormais « sans papiers » depuis que la France a refusé de lui renouveler son permis de résidence. Elle a été convoquée en novembre 2020 par un juge d’instruction pour « complicité de génocide », afin d’être placée sous le statut de témoin assisté suite aux plaintes déposées en 2013 par l’association Survie, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et son antenne française. Le Rwanda affirme avoir un dossier accablant la concernant mais la France refuse toujours de l’extrader sans que les preuves n’aient été avancées, en dépit du rapport Vincent Duclert. Un document long de mille pages qui n’a peut-être pas encore révélé toutes ses zones d’ombres sur l’implication de la famille Habyarimana dans le génocide rwandais et le rôle du gouvernement français.

     

    Illustration : Vincent Duclert, spécialiste de l’affaire Dreyfus, remet son rapport sur le génocide rwandais à Emmanuel Macron, expert en déconstruction. Un grand moment de vérité historique sans arrière-pensées.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • RULE BRITANNIA ?, par Georges-Henri Soutou.

    La Grande-Bretagne change de cadre. Sa vision du monde redéfinit les rapports de force, les ambitions géostratégiques et les choix militaires. A-t-elle les moyens de son ambition ? Et y a-t-il encore une place pour la Grande-Bretagne ?

    8.jpgFin mars le gouvernement britannique a rendu publique sa « Revue intégrée de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère ». Elle est accompagnée d’un document spécifique au ministère de la Défense, intitulé « La Défense dans une époque compétitive ». Ces deux longs documents méritent une lecture attentive. D’une part ils représentent la traduction concrète de la politique extérieure post-Brexit annoncée par Boris Johnson avec son slogan de Global Britain, d’autre part ils constituent la meilleure analyse de la part d’un pays occidental, à ce jour, du nouveau contexte militaro-stratégique et des réponses qu’il appelle en termes d’organisation, d’équipements et de stratégie.

    Global Britain, d’abord. Les deux adversaires désignés sont la Russie, à cause de ses ingérences de toute nature, y compris l’empoisonnement de Salisbury, ses manœuvres aéronavales provocantes tout autour du Royaume-Uni et ses menaces contre l’Ukraine ; et la Chine, à cause des menaces qu’elle fait peser sur la liberté de navigation en Mer de Chine et, au-delà, sur les routes maritimes de la région indopacifique, essentielles pour l’Europe.

    Face à Pékin, la principale traduction du concept global est la volonté affichée de revenir dans la zone indopacifique, East of Suez, d’abord sur le plan commercial avec le but de signer de nombreux accords commerciaux, maintenant que la Grande-Bretagne est sortie de l’Union européenne et a retrouvé sa souveraineté douanière, mais aussi afin d’y maintenir la liberté de navigation et de protéger les voies maritimes. Cela se traduira par une présence maritime permanente dans la région, et par l’envoi ponctuel d’un groupe de porte-avions (comme ce sera le cas prochainement avec le Queen Elizabeth). Quand on se souvient du traumatisme suscité par l’annonce, en 1967, du repli des forces britanniques basées à l’Est de Suez, c’est-à-dire par l’abandon de la séculaire Route des Indes, on comprend que cette annonce suscite un écho puissant.

    Redéfinir complètement la chose militaire

    Mais cette orientation résolument globale est-elle réaliste ? Certes, la City, qui va se retrouver plus profondément coupée de l’Europe qu’on ne le pensait au départ, pourra sans doute, grâce à sa souplesse et à ses qualités d’innovation, retrouver un rôle dans ce cadre mondial ; les industriels britanniques devront faire un gros effort pour maintenir leur niveau de recherche et de développement. Mais enfin, c’est jouable. Sauf que l’évocation du passé impérial anglais ne suscite pas forcément l’enthousiasme en Asie, et que la question des moyens, face à la Chine, au Japon et à l’Inde, va se poser.

    La Revue de défense britannique insiste sur les relations de sécurité avec l’OTAN, les États-Unis, la France et l’Allemagne. L’Union européenne est à peine mentionnée, alors que de plus en plus Paris et Berlin font passer leur politique extérieure à travers les cadres bruxellois. Que deviendront leurs relations bilatérales avec Londres dans ce contexte ? On ne reviendra pas à la situation d’avant 2016…

    Si le cadre international envisagé pose beaucoup de questions, et laisse beaucoup d’observateurs sceptiques, en revanche le projet stratégique révèle une vraie prise en compte de certaines réalités militaires nouvelles. L’annulation de la décision de réduire le nombre des têtes nucléaires de 225 à 180, annoncée en 2010, et au contraire la décision de l’augmenter jusqu’à 260, est justifiée par l’aggravation de la menace nucléaire dans le monde. Cette annonce va au rebours des tendances actuelles et en particulier de la conférence de suivi du traité de non-prolifération, prévue en juin prochain. On peut penser que des scénarios de crises ont été étudiés, mais on n’en sait pas plus, les documents mentionnent seulement « le développement des menaces technologiques et doctrinales », ce qui paraît correspondre à l’apparition, en Chine et en Russie, d’armes dites « hypervéloces », capables de changer de direction en cours de trajectoire, qui posent de graves problèmes aux Occidentaux, et aussi à l’annonce de la doctrine russe de « désescalade nucléaire », qui est en fait une doctrine de frappe en premier pour dissuader un adversaire de tenter de prendre pied sur un théâtre sensible.

    Toute une série d’équipements de type nouveau devant être commandée, le budget de la Défense doit augmenter de 14 %. On tire la leçon des échecs britanniques en Irak et en Afghanistan. On comprend que des modèles tactiques éprouvés sont désormais dépassés, et que certains armements, comme les chars lourds, doivent être remis en cause quand des guérilléros peuvent les repérer avec des drones et les détruire avec des missiles légers et rustiques. On place au premier rang la connectivité entre les capteurs, les drones de tous types, les armes, les combattants, les états-majors, et l’accélération du commandement par l’intelligence artificielle, et cela dans tous les milieux, désormais unifiés : espace, air, terre, mer et « cyberespace ».

    D’autre part, l’heure n’est plus aux gros bataillons, présents sur les théâtres vraisemblables ou à leur proximité. On revient à une stratégie « expéditionnaire », en compensant la baisse du nombre des unités par une très grande agilité dans leurs déplacements. L’armée britannique ne tiendra plus des « créneaux », mais enverra des renforts (des « brigades de soutien » seront formées à cet effet) très rapidement, sur des points menacés, avec l’appui de la marine et de l’aviation. Hautes technologies et agilité deviennent les concepts-clé.

    Enfin, on prend pleinement en compte ce que l’OTAN appelle la menace « hybride », c’est-à-dire le mélange d’opérations de subversion, de désinformation et d’actions de forces camouflées, comme les Russes y ont eu recours pour la prise de la Crimée. Un régiment de Rangers va être créé à cet effet, avec la capacité de contrer des menaces de ce genre.

    Les dernières manœuvres de l’OTAN (« Trident » en 2018 vers la Scandinavie, « Defender Europe » en ce moment vers l’Europe centrale et les Balkans) correspondent tout à fait à ces schémas stratégiques et tactiques. L’ambition britannique est de se doter de l’outil militaire le plus moderne d’Europe, comparable en qualité à l’américain.

    Que devient l’Europe ?

    Cela implique de considérables efforts ! Certes, des coopérations sont prévues. La Revue rappelle les deux traités franco-britanniques signés en novembre 2010 à Lancaster House. Le premier concernait la coopération franco-britannique en matière de partage ou de mise en pool d’équipements, ainsi que la coopération industrielle et technologique. Le second, baptisé Teutatès, concernait l’établissement de centres de simulation pour les armes nucléaires, à Valduc et à Aldermaston. On décidait également la mise sur pied d’une « Force expéditionnaire combinée commune », formée d’éléments capables d’être projetés à bref délai, avec un quartier général et une logistique spécifiques et chargée également d’encourager une plus grande cohérence doctrinale et une meilleure interopérabilité des matériels. On décidait enfin de rendre les groupes de porte-avions compatibles, pour faciliter d’éventuelles opérations communes.

    Mais que deviendront les accords de Lancaster House, si les retombées du Brexit continuent à refroidir les rapports entre Paris et Londres ? Et la Revue parle finalement peu de l’Allemagne, et fait l’impasse sur l’Union européenne. Or les très importants efforts à faire en matière de technologies et d’industries de défense ne pourront l’être que par des coopérations au niveau européen, quel qu’en soit le cadre juridique. La réalisation de la Defense Review sera-t-elle à la hauteur de ses ambitions ?

    Et enfin le modèle stratégique présenté est très ambitieux, il concerne à la fois la menace russe et le problème chinois. Tandis que l’Armée de Terre britannique, déjà relativement peu nombreuse, devrait perdre encore 10 000 hommes. Jusqu’à quel point l’agilité et l’intégration des hautes technologies dans un système militaire certes à la pointe des évolutions actuelles et très novateur compensera-t-il la faiblesse des effectifs, face à des défis multiples et croissants ? C’est un problème qui se pose de plus en plus à tous les appareils militaires occidentaux.

    Et quelle place trouvera finalement Londres entre les États-Unis, l’OTAN, et ses alliés du Continent ? Question qui intéresse la France au premier chef !

     

    Illustration : Boris Johnson en route pour présenter au Parlement sa « Revue intégrée de sécurité, de défense, de développement et de politique étrangère » : du souffle, mais une maîtrise incertaine.

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Comment l’Éducation Nationale flique ses profs pour installer la cancel culture, par Éric Verhaeghe.

    C'est un aspect peu connu de l'Éducation Nationale et de sa bureaucratie pédagogique, qui vaut pourtant le détour. Depuis l'inénarrable Vincent Peillon, rien n'a bougé : le mammouth impose un "référentiel de compétences" des enseignants qui constitue une véritable arme de guerre pour faire régner la police de la pensée dans les rangs, et pour rétrécir au maximum les espaces de liberté des profs vis-à-vis de la bien-pensance vivre-ensembliste et snessienne. Ou comment une armée d'1 million de profs est équipée pour broyer toute forme d'esprit critique dans ses effectifs et pour imposer au goutte-à-goutte la cancel culture dominante dans la caste.

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    11.jpgEn 2013, le ministre socialiste de l’Éducation, Vincent Peillon (qualifié de cerf-volant à piloter depuis le sol par l’un de ses proches collaborateurs) a imposé un « Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation » que Jean-Michel Blanquer n’a pas modifié. Ce texte, publié au Bulletin Officiel, sert aujourd’hui d’arme d’intimidation contre les enseignants qui refusent le diktat de la Cancel Culture et de la bien-pensance à outrance. Il faut absolument lire ce texte hallucinant, qui participe au naufrage éducatif dont nous sommes quotidiennement les témoins. 

    Pourquoi un référentiel du métier de prof ?

    En soi, l’édiction d’un « référentiel des compétences professionnelles » est une bonne idée, assez courante d’ailleurs dans le monde contemporain, qui permet de clarifier les attentes d’un employeur vis-à-vis de ses employés. C’est une démarche de transparence et d’explication sur qu’on attend d’un enseignant pour le considérer comme « un bon enseignant ». 

    Dans le domaine éducatif, cette logique est salutaire. 

    Ce qui est très instructif, c’est de détailler ce que la bureaucratie éducative y a rangé et consigné sous le quinquennat Hollande, et que personne n’a remis en cause depuis lors. 

    Aux origines du référentiel français

    Il faut lire attentivement le référentiel français pour noter qu’il découle d’un référentiel européen un peu mystérieux, contenu dans un avis du Parlement européen datant de 2006 ! La lecture de cet avis ne manque d’ailleurs pas d’intérêt, car le texte du Parlement est assez concis, plein d’ambitions, et empreint d’idées que nous pouvons assez facilement partager. 

    Pour le comprendre, on lira ici les compétences clés attendues d’un enseignant selon le Parlement européen :

    Les compétences sont définies en l’occurrence comme un ensemble de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes appropriées au contexte. Les compétences clés sont celles nécessaires à tout individu pour l’épanouissement et le développement personnels, la citoyenneté active, l’intégration sociale et l’emploi.

    Le cadre de référence décrit huit compétences clés:

    1.

    Communication dans la langue maternelle;

    2.

    Communication en langues étrangères;

    3.

    Compétence mathématique et compétences de base en sciences et technologies;

    4.

    Compétence numérique;

    5.

    Apprendre à apprendre;

    6.

    Compétences sociales et civiques;

    7.

    Esprit d’initiative et d’entreprise; et

    8.

    Sensibilité et expression culturelles.

    Les compétences clés sont considérées comme étant aussi importantes les unes que les autres, dans la mesure où chacune d’entre elles peut contribuer à la réussite de l’individu vivant dans une société de la connaissance.

    On peut évidemment contester le jargon communautaire. Mais il a le bon goût de mettre en avant des compétences comme l’esprit d’initiative et d’entreprise qui font cruellement défaut à l’enseignement français, et dont il aurait bien besoin de s’inspirer. 

    Le Parlement européen contre la cancel culture

    Au passage, il n’est pas inintéressant (bien au contraire) de relever les affirmations du parlement européen sur le « Vivre Ensemble » et sa fçon de l’aborder à l’école. Par exemple cette citation riche de sens :

    La connaissance culturelle suppose d’avoir conscience du patrimoine culturel local, national et européen et de sa place dans le monde. Elle inclut une connaissance élémentaire des œuvres culturelles majeures, dont la culture populaire contemporaine. Il est essentiel de comprendre la diversité culturelle et linguistique en Europe et dans d’autres régions du monde, la nécessité de la préserver et l’importance des facteurs esthétiques dans la vie de tous les jours.

    Loin d’occulter les patrimoines locaux, le Parlement européen a donc appelé à en préserver l’apprentissage et la transmission. Cette idée est saisissante, car elle contraste singulièrement avec ce que la machine éducative a pu en déduire en 2013, comme nous allons le voir.

    Comment l’Éducation Nationale a « traduit » le référentiel

    Ce qui frappe à la lecture du référentiel français, c’est qu’il simplifie, appauvrit et amenuise fortement toutes les affirmations gênantes du référentiel français, pour en faire un document manifestement « téléguidé » pour mettre au pas les enseignants. 

    La reprise de la table des matières permet de mesurer la distance qui sépare l’ambition européenne et sa réduction française :

    1. Faire partager les valeurs de la République

    2. Inscrire son action dans le cadre des principes fondamentaux du système éducatif et dans le cadre réglementaire de l’école

    3. Connaître les élèves et les processus d’apprentissage

    4. Prendre en compte la diversité des élèves

    5. Accompagner les élèves dans leur parcours de formation

    6. Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques

    7. Maîtriser la langue française à des fins de communication

    8. Utiliser une langue vivante étrangère dans les situations exigées par son métier

    9. Intégrer les éléments de la culture numérique nécessaires à l’exercice de son métier

    10. Coopérer au sein d’une équipe

    11. Contribuer à l’action de la communauté éducative

    12. Coopérer avec les parents d’élèves

    13. Coopérer avec les partenaires de l’école

    14. S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel

    Et encore, ces compétences s’entendent pour « tous les professeurs ». Il faut ensuite distinguer les compétences spécifiques pour chaque catégorie d’enseignants (CPE, documentalistes, lycée, collège, etc.). Rien qu’à ce stade, on s’interroge sur la profusion de compétences attendues, et sur le glissement de sens d’un certain nombre d’expressions européennes. 

    Par exemple, le Parlement européen recommandait d’être compétent dans la communication dans la langue maternelle. Cette compétence est devenue « maîtriser la langue française à des fins de communication » sous la plume de Peillon et de ses acolytes. Les deux expressions ne se valent pas : l’Europe préconise de communiquer, la France préconise de maîtriser la langue pour pouvoir communiquer. La nuance est de taille. 

    Comment la Cancel Culture est introduite par Peillon

    Ce qu’il faut surtout, c’est le détail de chacune de ces compétences, qui illustre comment la Cancel Culture a fait son introduction subreptice dans les programmes éducatifs, sous couvert de bienveillance et de bienpensance. 

    Qu’il nous soit permis d’en donner une illustration précise et méthodique. 

    Le lavage de cerveau commence dès le premier item, où il faut « faire partager les valeurs de la République ». Le petit livre rouge-vert de Vincent Peillon détaille ainsi cet objectif :

    Savoir transmettre et faire partager les principes de la vie démocratique ainsi que les valeurs de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité ; la laïcité ; le refus de toutes les discriminations.

    On comprend donc que le « refus de toutes les discriminations » est une valeur républicaine aussi importante que la liberté ou la laïcité. Cet ajout curieux en dit long sur le fourre-tout dans lequel l’imagination pédagogique contemporaine a organisé le « refus de toutes les discriminations », et la suite du texte illustre parfaitement ce que cette expression suggère à demi-mots. 

    On découvre plus loin « qu’agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques » (compétence étrange, au demeurant, comme si respecter l’éthique était une compétence…), signifie notamment :

    Se mobiliser et mobiliser les élèves contre les stéréotypes et les discriminations de tout ordre, promouvoir l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes.

    Autrement dit, ne pas adhérer à la théorie du genre, et autres élucubrations à la mode relève de la faute professionnelle. Peu à peu se dessine la fourberie avec laquelle, sous couvert de déterminer les compétences des enseignants, le ministre pratique une reductio ad opinionem temporis. 

    Cancel culture jusqu’au bout des ongles

    Mais l’injonction donnée aux enseignants (sur de très nombreuses pages) de refuser toutes les discriminations ne s’arrête pas à quelques mots creux. Elle est déclinée jusqu’aux pratiques pédagogiques elles-mêmes. 

    Par exemple, les professeurs « praticiens experts des apprentissages », doivent savoir toiletter leur discipline pour :

    Prendre en compte les préalables et les représentations sociales (genre, origine ethnique, socio-économique et culturelle) pour traiter les difficultés éventuelles dans l’accès aux connaissances.

    Traduction : on oubliera soigneusement de préciser, en cours d’histoire, que le monde arabo-musulman a largement pratiqué l’esclavage des Noirs, car il faut tenir compte des « représentations sociales » de chacun dans l’enseignement. 

    Ce point de doctrine est complété par la compétence suivante : 

    Sélectionner des approches didactiques appropriées au développement des compétences visées.

    Voilà un principe simple posé : il faut utiliser des « approches didactiques appropriées ». Tout un programme…

    Bien entendu, ces exigences ne visent pas nommément la « Cancel Culture ». Elles permettent seulement de poser le cadre disciplinaire dans lequel les enseignants sont piégés s’ils refusent la culture de la discrimination positive, de la lutte contre les s

  • Sur la page FB de nos amis du GAR : quand les Royalistes parlaient d’écologie au cœur des Trente Glorieuse (1ère partie)

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    Quand les Royalistes parlaient d’écologie au cœur des Trente Glorieuses…
     
    La primaire des « Verts » a attiré les projecteurs et les micros sur les thématiques écologistes et sur les idées du parti qui se revendique officiellement de l’écologie, parfois de façon fort abusive. L’occasion est ainsi et aussi donnée aux royalistes d’évoquer leur conception du « souci environnemental », très lié au souci politique lui-même. Une plongée dans les textes « écolo-royalistes » anciens n’est pas inutile pour en saisir toute la portée…
    Partie 1 : La dénonciation de la technosphère destructrice.
     
    Alors qu'une récente étude de trois chercheurs états-uniens et mexicain évoquent l'accélération de la sixième extinction de masse des espèces animales sur la Terre, étude sur laquelle il nous faudra revenir et qui appelle des réactions appropriées qui, pour l'heure, ne viennent pas ou restent trop timides, y compris en France malgré la bonne volonté de nombre d'associations et de particuliers, et malgré les tentatives de M. Hulot lorsqu’il était éphémère ministre de l’environnement, il n'est pas inutile de rappeler qu'il n'y a sans doute pas d'écologie constructive ni efficace sans la prise en compte par le politique de cet enjeu vital qu'est la préservation de la nature et de ses différents éléments : c'est ce que, très tôt et malgré la priorité donnée alors à d'autres problématiques, quelques royalistes ont compris et développé à travers des articles et des réflexions dont il n'est pas inutile, en définitive, de rappeler les termes, non seulement pour alimenter les archives du royalisme mais surtout pour en tirer quelques leçons et en montrer toute l'actualité, parfois de toute éternité...
     
    Ainsi, au début 1971, le Bulletin d'AF Reims, supplément local de la revue royaliste étudiante AFU (AF-Université, anciennement Amitiés Françaises Universitaires, fondée en 1955 et disparue en 1973), publiait en première page un grand article titré « L'environnement », article qui résume la pensée écolo-royaliste avant même que le mot d'écologie ne connaisse le succès qu'on lui reconnaîtra ensuite et que Jean-Charles Masson ne théorise, dans les colonnes du mensuel Je Suis Français, publié par l'Union Royaliste Provençale dans les années 1970-1980, la notion de « l'écologisme intégral ». Cet article mérite d'être reproduit intégralement, avec quelques commentaires (en notes), et en rappelant bien qu'il n'est pas écrit aujourd'hui, mais il y a 50 ans...
     
    « Environnement est, ô combien, le terme à la mode ; traduction directe de l'américain, il rassemble en un seul vocable tout ce qui a trait au milieu naturel en relation avec la société humaine. La préservation de ce milieu naturel est indispensable à la survie de l'homme. Le combat pour la défense de l'environnement est le nôtre ; il s'intègre parfaitement dans notre contestation globale du système démo-libéral.
     
    Pendant longtemps, les déchets industriels de toute sorte ont été déversés dans l'atmosphère, dans les cours d'eau, les océans, considérés comme des gouffres sans fond. Aujourd'hui, en bien des points du globe, ces poubelles sont pleines et commencent à déborder. Ainsi les grands lacs américains sont biologiquement morts. L'émotion provoquée par le désastre du Torrey Canyon (1) n'a pas empêché la plupart des pétroliers à vidanger leur soute en pleine mer (2). Des milliers d'espèces animales et végétales ont disparues au cours de ces dernières années (3). Les insecticides utilisés par milliers de tonnes se révèlent être de puissants poisons (4). Les emballages en plastique qui font fureur aujourd'hui ne sont pas réintégrables dans le cycle naturel et continueront à flotter sur les océans pendant des millénaires (5). Tout ceci n'est guère réjouissant et conduit en général le lecteur non informé aux limites de l'angoisse. Essayons d'analyser le problème d'une façon scientifique. On distingue à la surface de la terre deux mondes différents : tout d'abord la biosphère antérieure à l'homme qui est capable de se suffire à elle-même et d'absorber ses propres déchets ; d'autre part, la technosphère bâtie par l'homme qui vit en parasite de la biosphère dont elle se sert à la fois comme source de nourriture et comme dépotoir. Or le délai nécessaire à la transformation des équilibres naturels s'exprime en unité géologique ; la biosphère mourra empoisonnée bien avant de pouvoir « digérer » la technosphère. Pour éviter cette issue fatale, il est nécessaire de favoriser sans retard l'action des mécanismes régulateurs existants et d'arrêter la pollution. Plus précisément, les sources d'énergie propres (nucléaire (6), hydraulique, solaire etc. (7)) doivent être totalement substituées à celles qui conduisent à augmenter le pourcentage de gaz carbonique dans l'atmosphère ( les forêts doivent être reconstituées dans l'état du début de notre ère ; toutes les productions humaines (plastiques, etc.) doivent être biodégradables, c'est à dire pouvoir réintégrer le cycle naturel de transformations. »
     
    Non, vous ne rêvez pas : c'est bien en 1971 que ces lignes ont été écrites et publiées dans la presse royaliste ! Considérez, en les relisant lentement, le temps que la République a fait perdre à la nécessaire préservation de l'environnement, de notre environnement français en particulier... Et que l'on ne nous dise pas, une fois de plus, que l'on ne savait pas ou que rien n'avait été vu, ni proposé comme remèdes : la simple reproduction de cet article royaliste prouve à l'envi que le souci environnemental, souci éminemment politique, était bien présent, en particulier dans les milieux royalistes « traditionalistes »...
     
    Notes : (1) : Le naufrage du Torrey Canyon est l'une des premières grandes marées noires qui touchent la France, par la Bretagne, avant celles provoquées par les naufrages de l'Amoco Cadiz (1978), de l'Erika (1999) et du Prestige (2002), entre autres.
     
    (2) : Les fameux dégazages qui, chaque année, selon une étude du WWF publiée en 2000, représentent pour la seule Méditerranée, plus de 1,5 million de tonnes de produits pétroliers, soit l'équivalent de 75 « Erika »...
     
    (3) : Un mouvement qui s'accélère sur la planète ces dernières années : une espèce disparaît toutes les vingt minutes, soit plus de 26.200 espèces par an, si l'on en croit les études sur le sujet... L'article, lui, a été écrit en 1971 : le calcul sur la période 1971-2021, évidemment à contextualiser et parfois à relativiser, est tout de même terrifiant !
     
    (4) : Hélas, ce problème des insecticides et des pesticides reste encore d'une sinistre actualité, et n'a toujours pas trouvé sa résolution, malgré les efforts gouvernementaux (mais toujours contrariés…) des dernières années, entravés par l'action des groupes de pression qui interviennent et réussissent mieux encore à Bruxelles qu'à Paris...
     
    (5) : Ces plastiques, à l'époque non recyclables et pas du tout biodégradables, envahissent la société depuis les années 60-70 : aujourd'hui, les déchets plastiques ont formé, dans le Pacifique nord, le « septième continent » (mais aussi un huitième dans le nord de l'Océan Atlantique), et constituent 90 % des déchets flottants sur les mers du globe.
     
    (6) : Là, il y a, de la part du rédacteur, une erreur partielle de perspective sur l'énergie nucléaire : si, effectivement, elle ne rejette pas dans l'atmosphère une pollution de gaz à effets de serre, visible et immédiatement nuisible (et en cela, elle est fort intéressante), elle reste la source d'une autre pollution particulièrement embarrassante et, sans doute, fort dangereuse pour un (très) long temps... D'autre part, la gestion des déchets radioactifs, fort coûteuse, n'est pas encore véritablement assurée et sécurisée ! A moins que des avancées technologiques puissent, pourquoi pas, régler ce problème, ce qui serait alors une opportunité à saisir !
     
    (7) : Des sources d'énergie auxquelles on peut rajouter les énergies éolienne, géothermiques et marines, ces dernières étant extrêmement diverses et très prometteuses si l'on prend les moyens d'investir dans la recherche et l'innovation en ce domaine, ce qui est loin d'être suffisamment le cas aujourd'hui. De plus, détruire des paysages (terrestres ou maritimes) pour établir des champs d’éoliennes industrielles n’apparaît pas comme une solution acceptable sur le plan environnemental…
     
    En somme, ce que demandent les royalistes de Reims de cette année 1971 rejoint ce que proposait, en matière de transport automobile, M. Nicolas Hulot pour 2040 !
     
  • L’EUROPE : VERS LE GRAND COMPROMIS ?, par Georges-Henri Soutou.

    Entre pandémie opportune et États-Unis décevants, l’Europe fédérale acquiert chaque jour un peu plus de substance. La Cour de justice s’efforce d’abolir les législations nationales, on lance une initiative commune chaque semaine, on punit les récalcitrants… La France de Macron y voit son avantage.

    5.jpgNombreux sont ceux qui souhaitent que l’Union européenne, à la faveur de la situation actuelle, fasse un pas décisif dans le sens fédéral. Leur projet progresse. D’une part, à cause de la pandémie, Bruxelles a brisé un tabou : l’Union prête directement quelques 750 milliards d’euros aux États membres. Ce n’est pas encore une « union fiscale », mais on s’en rapproche, par un endettement commun, sinon encore par une « mutualisation des dettes ». D’autant plus que les États doivent faire approuver par la Commission les programmes pour lesquels ils comptent utiliser ces prêts. C’est ainsi que l’Allemagne pourra les utiliser pour de nouvelles centrales à gaz, mais pas la France pour son programme nucléaire, ce qui est le comble du comble… Mais enfin, si ça peut contribuer à sevrer un peu la RFA du charbon, qui est redevenu cette année sa première source d’énergie…

    D’autre part le désastre de Kaboul a reposé la question d’une « autonomie stratégique » européenne par rapport aux États-Unis, comme le répète le président de la République. Le mot « autonomie » est très difficile à définir de façon précise. Disons que Paris souhaite reprendre un thème des années 1990, celui d’une véritable personnalité européenne de défense, le mot « autonomie » étant destiné à rassurer les partenaires qui continuent à compter d’abord sur l’OTAN pour leur sécurité. Mais si ces deux tendances concomitantes aboutissaient, on aurait bien affaire à un État européen fédéral. On parle d’un « moment Hamilton » de l’Union, allusion à l’histoire des États-Unis, quand le président Hamilton décida de doter les États de l’Union d’un budget commun.

    Certes, c’est bien le sens du discours optimiste « sur l’état de l’Union européenne » que Madame von der Leyen a prononcé le 15 septembre devant le Parlement européen. Mais la Commission de Bruxelles n’est pas un gouvernement, elle peut proposer tout ce qu’elle veut, elle ne sera pas forcément suivie par des États qui restent souverains. Pour qu’il en soit autrement, il faudrait un saut qualitatif.

    Mais ce saut peut intervenir de deux façons : d’abord de façon progressive, par une réinterprétation des traités existant dans un sens encore plus favorable à une intégration toujours plus poussée, c’est très exactement le rôle que s’est attribué la Cour de justice européenne de Luxembourg dès 1964, en déclarant le droit des Communautés européennes supérieur au droit des États membres et même, à partir de 1970, à leur constitution. Et la proclamation en 2000 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a permis à la Cour de se prononcer sur à peu près tous les sujets, bien au-delà de son domaine de compétence initiale (l’interprétation et le respect des règlements européens).

    La démocratie chrétienne était la gardienne du statu quo : elle a perdu le pouvoir, une nouvelle constitution est possible.

    Mais il y a des freins. D’abord les États peuvent se rebeller. Le refus des Britanniques de renoncer à leur indépendance juridictionnelle a été l’une des raisons du Brexit. Actuellement la Pologne refuse de s’incliner devant Luxembourg, qui estime sa récente réforme judiciaire contraire au droit de l’Union, et Varsovie réaffirme la supériorité de sa constitution sur le droit européen. La Commission envisage des amendes, qui peuvent prendre la forme d’une suspension du versement de la part polonaise dans le prêt de reconstruction post-covid. Les dirigeants polonais menacent de quitter l’Union le cas échéant. Il s’agit bien sûr d’un bras de fer en cours, et cela m’étonnerait que l’on en arrive là, mais enfin on ne peut absolument pas l’exclure.

    Et surtout, depuis longtemps (cf. son arrêt de 2008 à propos du Traité de Lisbonne), le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe a souligné que tout nouveau progrès de l’Union dans le sens du fédéralisme nécessiterait un accord spécifique du peuple allemand, par voie référendaire (sauf cas d’urgence, où un large consensus entre le gouvernement et le Bundestag pourrait suffire – ce qui est étonnant pour un esprit français mais correspond à une tradition juridique allemande bien ancrée).

    On se souvient que le dernier combat du Tribunal de Karlsruhe a été mené contre la Banque centrale européenne, accusée de dépasser son mandat avec son programme de quantitative easing. Celle-ci a dû fournir des explications et pour le moment la question est au repos. Et Karlsruhe est bien actuellement le rempart de la souveraineté de la RFA, mais aussi, par ricochet, des autres États membres.

    Mais les choses évoluent, et le Tribunal de Karlsruhe commence à susciter des oppositions en Allemagne elle-même. Le gardien sourcilleux de la « Loi fondamentale » (nom que porte la constitution allemande, adoptée en 1949 mais « provisoire ») paraît à beaucoup bloquer des évolutions nécessaires. En effet, nous ne sommes plus en 1949, la réunification, la construction européenne, les problèmes suscités par la mondialisation ou par la montée de l’écologie amènent de nombreux responsables à s’interroger sur l’adaptation de la Loi fondamentale à notre temps, malgré la stabilité politique qu’elle a contribué à assurer.

    D’autre part la pandémie et, plus ponctuellement, les toutes récentes inondations dévastatrices en Rhénanie ont reposé la question de la capacité de réaction de la RFA dans l’urgence face aux crises imprévues. Le livre passionnant du journaliste Robin Alexander, Machtverfall (l’écroulement du pouvoir), consacré à la fin de l’ère Merkel, montre que celle-ci, pour tenter d’organiser la lutte contre la pandémie du Covid, a dû recourir à des organismes informels non prévus par la constitution mais plus souples. Par ailleurs, démontre l’auteur, l’Internet remet complètement en cause les conditions d’exercice de la démocratie représentative.

    Or la RFA connaît une période d’élections capitales, à l’issue très ouverte. Elles pourraient conduire à des changements d’orientation inimaginables il y a peu. Ces changements pourraient toucher l’ordre constitutionnel : après tout le texte de 1949 était « provisoire », lors de la réunification en 1990 certains souhaitaient l’adoption d’une nouvelle constitution, ce qui était d’ailleurs prévu dans le dernier article de la Loi fondamentale. En outre celle-ci est un texte composite, reprenant parfois des articles de la constitution de Weimar de 1919, en particulier en ce qui concerne la place et le statut des Églises.

    La reconnaissance dans la Constitution de nouveaux droits sociaux, de l’écologie, la remise en cause des prérogatives de Karlsruhe et également du financement par l’État des Églises (les Allemands paient 8 ou 9 % de leur impôt sur le revenu à leur Église, pour quitter celle-ci il faut passer devant un tribunal, et plus question après de se marier devant Monsieur le Curé !), tout cela figure dans des revendications exprimées depuis des années dans différents segments du monde politique. La démocratie chrétienne était la gardienne du statu quo : elle a perdu le pouvoir, et si la nouvelle majorité dispose d’une majorité des deux tiers dans les deux chambres, Bundestag et Bundesrat, alors le champ sera libre pour des modifications à la Loi fondamentale (celles-ci ont d’ailleurs été fréquentes depuis 1949, plus de cinquante). Voire même pour une nouvelle constitution.

    On pourrait alors imaginer un grand compromis européen, avec un nouveau traité allant au-delà du grignotage constant de Luxembourg : les Allemands accepteraient l« union fiscale », la laïcité (de plus en plus d’Allemands rejettent désormais le statut des Églises comme « corporations de droit public », et ça réglerait le problème de plus en plus pressant du statut de l’Islam en Allemagne…) ainsi qu’une personnalité européenne de défense indépendante des États-Unis, que la CDU en fait refuse. En échange leurs partenaires, en particulier français, qui verraient ainsi bien de leurs souhaits satisfaits, accepteraient un saut fédéral européen.

    Bien entendu ce scénario, s’il n’est plus invraisemblable, reste hypothétique : il dépend des prochaines élections en Allemagne et en France, de l’évolution d’une pandémie loin d’être terminée, et d’une économie imprévisible, menacée par l’inflation et le désordre croissant du système monétaire international. Il dépend aussi des acteurs extérieurs, américains, russes, chinois… Et en Europe même des Européens de l’Est, soucieux de leur identité, et des Européens du Nord, très réticents à l’idée de payer pour les autres. Mais enfin la situation est désormais mouvante. 

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    Source : https://politiquemagazine.fr/

  • ”Interdire l'école à la maison est un crime contre l’esprit”, par Jean-Paul Brighelli.

    Emmanuel Macron à 'la Maison des habitants' aux Les Mureaux, le 2 octobre 2020.
    Ludovic MARIN / POOL / AFP

    Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, déplore la volonté d'Emmanuel Macron d'interdire l'apprentissage scolaire hors école alors que l'institution est devenue "globalement hostile à la transmission des savoirs" selon lui.

    Patricia appartient à la bourgeoisie cultivée versaillaise. Si cultivée que depuis longtemps elle a jugé pour ce qu’elles valaient les dérives pédagogistes de l’Ecole française, leur capacité de nuisance et de nivellement par le bas. En particulier, elle a évalué le pesant d’arsenic de la méthode idéo-visuelle d’apprentissage de la lecture, dite improprement « semi-globale », et de la grammaire « de texte », non systématique (contrairement à la grammaire « de phrase »), en vogue depuis une trentaine d’années et dont les IUFM puis les ESPE se sont faits les inlassables propagandistes.

    Elle a eu trois enfants, qu’elle n’a envoyés en classe qu’à partir de la Seconde : jusque là, c’est elle qui leur a fait classe, leur apprenant à lire et à écrire en méthode alpha-syllabique, leur enseignant les quatre opérations de base dès cinq ou six ans. Elle leur a par exemple appris la division comme une opération de multiplications inversées, et non comme une interminable série de soustractions. Et elle leur a inculqué de bonne heure l’Histoire de France, en ayant recours sans doute au « roman » de l’Histoire avant d’affiner peu à peu les événements et les concepts. Trilingue elle-même, elle leur a transmis les bases de plusieurs langues — y compris le latin — et a eu recours plus tard à des cours particuliers.

    Les dérives de l’école dite « républicaine »

    J’ai pu juger des résultats. A quinze ans, ses enfants en savaient davantage, dans tous les domaines, que nombre d’élèves de Terminale. Précisons enfin qu’elle n’a négligé ni l’Education physique — ils ont les uns et les autres pratiqué divers sports à haut niveau qui l’ont obligé à se muer parfois en chauffeur perpétuel de ses enfants entre tel ou tel terrain d’entraînement — ; ni les relations sociales, un réseau s’étant mis en place de bonne heure, entre parents dissidents et avertis des dérives de l’école dite « républicaine », qui permettait le mise en relation des enfants.

    Rien de très nouveau. Luc Ferry m’a personnellement raconté comment, dans les années 1960, il avait finalement abandonné le lycée Saint-Exupéry de Mantes, parce qu’il s’y ennuyait fort (et encore, il s’agissait à l’époque d’un enseignement « à l’ancienne ») et avait bouclé ses études à la maison grâce au CNED, qui dispense des cours de grande qualité. Et cet abandon du cadre collectif ne l’a pas empêché de passer l’agrégation de philosophie et de devenir ministre de l’Education…

    Or voici que le président de la République souhaite, dans son nouveau combat contre l’islamisme, interdire totalement l’apprentissage scolaire hors école, afin de supprimer les possibilités d’endoctrinement religieux — qui ne sont d’ailleurs pas toutes le fait de l’islam. Un bel effort, quoiqu’un peu tardif, qu’il conviendrait de saluer si ce n’est que…

    Côtoyer des imbéciles dans un monde hostile

    Si ce n’est que les émules de Patricia, qui font l’école à la maison, un droit garanti par les lois Ferry, vont être obligées d’y renoncer et d’envoyer leur progéniture user leurs fonds de culotte et leur patience dans un environnement qui est globalement hostile à la transmission des savoirs.

    Qui s’étonnera que Philippe Meirieu, qui a fait de son mieux, en quarante ans de malfaisance pédagogique, pour niveler par le bas le contenu des enseignements et les compétences des maîtres, salue très haut l’initiative d’Emmanuel Macron : « L’école est d’abord un lieu nécessaire pour la socialisation, pour marquer aussi une rupture symbolique avec la famille. Ce n’est pas seulement un lieu où les enfants vont apprendre. C’est un lieu où ils vont apprendre à apprendre des autres, à rencontrer des gens qui viennent d’autres horizons, qui ont d’autres histoires, d’autres convictions que leur entourage. » Et il enfonce le clou : « Je crois profondément que cette rencontre de l’altérité, de la différence, est essentielle pour le développement de l’enfant. En termes d’ouverture d’esprit, le collectif scolaire a des vertus que l’instruction en famille ne permet pas. Ou alors à de très rares exceptions. »

    Je ne suis pas sûr que l’expérience de cette « collectivité », qui oblige à côtoyer bien des imbéciles et à se risquer dans un monde prématurément hostile, soit si essentielle que cela. Ni que l’expérience de la sacro-sainte « mixité sociale » (qui est très loin d’être effective dans nombre d’établissements déshérités, où justement c’est une société monocolore qui s’est mise en place) soit souhaitable à n’importe quel âge.

    Des enseignants enthousiastes de l'école à la maison

    Je suis convaincu en revanche que passer sous les fourches caudines d’enseignants soumis à l’idéologie des formateurs que Meirieu et ses amis ont mis en place, quadrillant toute la France dans un réseau serré de médiocrité, n’est pas l’idéal en matière d’éducation. Il ne s’agit pas là de convictions politiques et encore moins religieuses, mais d’une réflexion pédagogique basée sur 45 ans d’expérience pratique.

    Si nombre d’enfants et de familles s’accommodent du système scolaire tel qu’il existe aujourd’hui, il faut bien réaliser que le succès des voies parallèles — l’école à la maison mais aussi toutes sortes de cours privés plus ou moins performants — témoigne d’une méfiance envers ce qu’est devenu l’enseignement de masse français. En particulier, tous les enfants qui justement ne s’identifient pas à la masse, tous les enfants quelque peu précoces, qui à huit ans ont des capacités de raisonnement adultes, tous les enfants qui apprennent à lire seuls et préfèrent les grands classiques à la contemplation béate de 22 mercenaires courant après une vessie pleine d’air sur un écran de télévision, tous ceux-là n’ont aucun intérêt à fréquenter l’école telle qu’elle est devenue.

    Une école où leur appétit de savoir est constamment freiné par l’inappétence de nombre de leurs condisciples — ceux pour lesquels, justement, tant de maîtres baissent chaque jour le niveau. Tout ce qu’ils en tirent, en général, c’est le sentiment d’un mépris précoce, ou d’une inadéquation qui peut tourner parfois au drame. À noter que parmi les enthousiastes de l’enseignement à la maison, il y a bon nombre d’enseignants — les mieux à même de juger de l’énormité des crimes contre l’esprit qu’on leur fait commettre chaque jour.

    Des dérives qui touchent peu de familles

    Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut absolument éviter les dérives sectaires et l’enseignement du fanatisme. Mais cela touche fort peu d’enfants et de familles (moins de 2000 en fait) — et une inspection sérieuse des conditions d’enseignement devrait en venir à bout, quitte à enlever les enfants, d’autorité, aux familles les plus nocives : les internats d’excellence, qu’il faut revivifier, pourraient jouer ce rôle de remise sur les bons rails.

    En revanche, priver de la chance d’apprendre au calme et précocement des notions complexes est un crime contre l’esprit. Un crime aussi contre la vraie vocation de l’Ecole, si j’en crois Condorcet, qui en a défini les bases : dégager une élite en amenant chacun au plus haut de ses capacités — et non en rabaissant tout le monde au niveau des plus cancres. Là encore, la République doit parler contre la fausse démocratie qui est devenue la norme afin de mieux étouffer toute chance de se distinguer.

    Source : https://www.marianne.net/

  • De quelle civilisation parle-t-on ?, par Oli­vier Per­ce­val.

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    La logor­rhée média­tique sur la mon­tée irré­mé­diable de la pan­dé­mie est ponc­tuée par les actes de vio­lences qui se suc­cèdent de loin en loin, contre la police, les pom­piers, les églises (peu de ces der­nières cepen­dant) et par des meurtres cra­pu­leux comme celui de Vic­to­rine, ou « reli­gieux » comme la der­nière et spec­ta­cu­laire déca­pi­ta­tion d’un pro­fes­seur d’histoire à Conflans Sainte Hono­rine qui nous offre la pos­si­bi­li­té de par­ler d’autre chose que du Coro­na­vi­rus, triste alter­na­tive !

    olivier perceval.jpgDepuis les décen­nies qu’une immi­gra­tion musul­mane inin­ter­rom­pue déferle sur notre pays, on fait sem­blant de décou­vrir que la confron­ta­tion de ce peuple (cinq, dix mil­lions ?) avec le peuple « d’accueil » indi­vi­dua­liste et maté­ria­liste, jouis­seur, trouillard, déla­teur et per­sua­dé d’être épris de liber­té parce qu’il ne met aucun frein à ses dési­rs cos­mo­po­lites et sexuels, que cette confron­ta­tion donc est pro­blé­ma­tique. Marches blanches et décla­ra­tions indi­gnées, accom­pa­gnées de fermes coups de men­ton de nos diri­geants, seront, c’est à craindre une fois encore, les seules réponses à cette bar­ba­rie.

    Mais pour­quoi s’offusquer de la déca­pi­ta­tion de notre com­pa­triote, quand par ailleurs on célèbre avec une larme à l’œil la révo­lu­tion la plus san­glante et la plus bar­bare de notre His­toire, fon­da­trice de la Répu­blique dont on pré­tend défendre les valeurs ?

    On bran­dit la laï­ci­té, prin­cipe inven­té par l’Église au demeu­rant, comme une ver­tu jus­ti­fiant non pas le droit, mais en réa­li­té, l’injonction au blas­phème.

    La Répu­blique, après les per­sé­cu­tions, s’est essuyée les pieds sur la catho­li­ci­té, a per­mis que soient insul­tés et abjec­te­ment repré­sen­tés le Christ, la vierge Marie et toute la chré­tien­té qui consti­tuaient les racines de notre civi­li­sa­tion.

    Et comme la chré­tien­té est plu­tôt non vio­lente et refuse le crime, sa marge de manœuvre s’est sur­tout limi­tée à des pro­cès le plus sou­vent per­dus.

    On ver­ra que s’agissant des musul­mans il en va autre­ment.

    Main­te­nant, on parle des valeurs sacrées de la Répu­blique ; mais de quelles valeurs s’agit-il ?

    Liber­té éga­li­té fra­ter­ni­té ? Qui ne sont que le détour­ne­ment vidé de leur sens des valeurs chré­tiennes ?

    Notre peuple déchris­tia­ni­sé et sécu­la­ri­sé réclame des mesures plus contrai­gnantes pour lut­ter contre une pan­dé­mie peu mor­telle et serait prêt si on le lui deman­dait à por­ter, en plus du masque, le sac et la cendre pour expier tous ses pêchés, à genoux, envers les peuples d’Afrique, d’Orient et du moyen Orient, les­quels, à part quelques grou­pus­cules mani­pu­lés, ne demandent rien.

    Et comme si cela ne suf­fi­sait pas, ils sont prêts à faire aus­si repen­tance, non seule­ment devant les indi­gènes de la répu­blique, mais aus­si auprès de toutes les micro-com­mu­nau­tés LGBTXY… Tout cela au nom des grands prin­cipes de la Répu­blique uni­ver­sa­liste et décons­truc­ti­viste.

    Pour lut­ter contre le ter­ro­risme isla­miste, nous n’avons plus de Nation de réfé­rence. Nous ne par­lons plus du peuple de France, mais de la Répu­blique, de quelle Répu­blique ? Celle làmême qui a réduit en miette le lien social et la soli­da­ri­té natio­nale sur notre ter­ri­toire et qui oppose à une reli­gion mul­ti­sé­cu­laire, un sys­tème de valeurs mobiles et chan­geantes au gré des lois, où il n’y a plus d’enfants à naître, plus de père ni de mères, où les ventres des femmes se négo­cie­ront bien­tôt sur les places finan­cières, dans le cadre d’une mon­dia­li­sa­tion heu­reuse…

    Alors oui, ces enfants de 13 ans, nour­ris à la mai­son des pré­ceptes du Coran, sur un mode iden­ti­taire, ne sup­portent pas qu’à l’école, avec un reste d’autorité pro­fes­so­rale, on leur montre des cari­ca­tures du pro­phète à poil. Cela ne jus­ti­fie aucu­ne­ment l’horreur bar­bare qui s’est abat­tue sur le pro­fes­seur d’histoire, mais on aurait tort de s’étonner que cela soit arri­vé : Si en effet 27% des jeunes Fran­çais musul­mans consi­dèrent Moha­med Merah comme un héros, cela fait quelques mil­liers d’individus radi­ca­li­sés et sus­cep­tibles de pas­ser à l’acte.

    J’entends déjà les huma­nistes crier : Pas d’amalgame ! Mais est ce faire de l’amalgame que de prendre en compte sans se men­tir ni se voi­ler la face (bas les masques) les faits, en se dépar­tis­sant de tout habillage idéo­lo­gique sen­ti­men­ta­liste ?

    Tous les musul­mans pieux ne sont évi­dem­ment pas des ter­ro­ristes, mais tous sont bles­sés par les vio­lences ver­bales et pic­tu­rales à leur encontre et quelques-uns, convain­cus de faire le bien, ou anciens délin­quants dési­reux de prendre un ticket pour le para­dis, font cou­ler le sang.

    Samuel Hun­ting­ton, parle de choc des civi­li­sa­tions. Je ne sais si on peut par­ler de civi­li­sa­tion musul­mane, mais il est sûr qu’une grosse frus­tra­tion habite ces « croyants » obli­gés chez eux à un contrôle social et reli­gieux per­ma­nent, un mora­lisme rigide, un asser­vis­se­ment des femmes et sur­tout à une stag­na­tion dans tous les domaines, scien­ti­fiques, techniques,économiques, artis­tiques… Face à un Occi­dent rayon­nant de tous ses feux, mais en grand déclin. En France notam­ment, on a de cesse que de flé­trir notre pas­sé, et de battre notre couple sur la poi­trine de nos ancêtres, il ne faut pas s’étonner d’être trai­té par ceux qui nous haïssent d’autant plus, comme des bêtes à abattre.

    Les peuples fana­tiques, frus­trés, affa­més, mani­pu­lés, habi­tués aux guerres per­ma­nentes, observent le cré­pus­cule de l’Occident et attendent la moindre fai­blesse pour se ruer à la curée.

    Nul doute qu’une France qui renoue­rait avec ses racines chré­tiennes, qui res­pec­te­rait les autres peuples , mais se ferait tout autant res­pec­ter, qui n’aurait pas recours à la seule immi­gra­tion pour com­pen­ser une démo­gra­phie affai­blie, qui pren­drait en compte prio­ri­tai­re­ment l’intérêt de son peuple avant celui des étran­gers, et qui ne trans­for­me­rait pas tous les étran­gers qui foulent son sol en Fran­çais , qui retrou­ve­rait le savoir-vivre dans le bien com­mun et non le « vivre ensemble »cha­cun pour soi, aurait une autre réponse à appor­ter au défi de la bar­ba­rie, mais encore fau­drait-il que les Fran­çais veuillent retrou­ver cet équi­libre royal.

    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • L'union européenne, le léviathan impuissant, par Georges-Henri Soutou.

    L’Union européenne n’a jamais paru si faible sur le plan international. Mais le projet fédéraliste, à l’intérieur de ses frontières, gagne sans cesse du terrain avec l’arme fatale du droit communautaire.

    La coïncidence du Brexit et de la crise pandémique a conduit l’Union européenne à une nouvelle étape de son développement, à mon avis désormais irréversible.

     3.jpgLe dernier conseil européen présidé par Mme Merkel a en effet définitivement adopté le projet de budget pour les années qui viennent, et l’aide spécifique pour la relance nécessitée par la crise sanitaire, de 750 milliards d’euros. Deux innovations essentielles : la Commission peut emprunter directement sur les marchés pour financer cette aide, et elle peut lier l’aide à des conditions, en particulier le respect de l’État de droit. La Hongrie et la Pologne, qui ne voulaient pas de cette conditionnalité, ont en fait fini par s’incliner, quelles que soient les formulations qui estompent leur reculade.

    Et il y aura des suites logiques : la question des ressources propres de l’Union, au-delà des droits de douane et du 1% de la TVA, va se poser très vite. On ouvrira ainsi la voie à un budget qui ne sera plus spécifiquement celui de l’UE comme institution, mais deviendra progressivement le budget européen fédéral, reprenant des responsabilités anciennement nationales. D’autre part la conditionnalité ne se limitera pas au respect de l’État de droit, mais va inclure très vite le non-respect des normes environnementales fixées par Bruxelles. Il est déjà possible de condamner un État devant la Cour européenne de Luxembourg dans ce domaine, avec amendes et astreintes, mais on passerait là à un niveau supérieur. D’autant plus que le parlement européen va très probablement voter l’avancement de la réalisation de l’objectif de zéro émission nette de 2050 à 2030, ce qui est d’ailleurs parfaitement irréalisable mais qui permet de s’immiscer dans pratiquement tous les aspects de la politique économique et sociale. Les Européens vont être de plus en plus concernés par les décisions de l’UE pour leurs impôts et pour leur vie quotidienne (chauffage, transports, logement…). Ainsi que pour tout ce qui concerne, par exemple, la politique d’immigration : Luxembourg attaque de plus en plus souvent les mesures que tentent de prendre les pays membres pour endiguer le flot et vient de condamner Varsovie et Budapest pour le durcissement de leur politique d’asile.

    Luxembourg über alles

    Une telle accélération n’aurait pas été possible si la Grande-Bretagne était restée (c’est d’ailleurs parce qu’elle sentait venir l’avalanche qu’elle est partie). Il y a eu une époque où la France n’aurait pas accepté tout cela, mais c’est bien fini, et maintenant nos cours et le conseil constitutionnel s’inclinent devant le droit européen et Luxembourg.

    La dernière résistance importante venait, on l’a vu dans cette chronique, du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, qui contestait la politique de la Banque centrale européenne ainsi que de la Cour européenne, et les accusait d’agir « ultra vires ». Or Luxembourg ne s’incline pas : il y a quelques jours, un avocat général auprès de cette Cour, le Bulgare Evgeni Tanchev, rappelait que le droit européen « brise le droit national » (reprise de la vieille formule allemande, « Bundesrecht bricht Landesrecht », le droit fédéral brise le droit des Länder). Un gouvernement qui ne serait pas content n’aurait selon lui que trois solutions : ou bien modifier sa constitution ; ou bien demander, via le processus de l’Union, une modification du traité concerné ; ou bien quitter l’Union. Ça a le mérite de la clarté ! Cette déclaration provoque à Berlin et à Karlsruhe beaucoup de spéculations : que la Pologne et la Hongrie soient condamnées à Luxembourg ne gêne personne, mais on se rend compte que la RFA pourrait l’être elle aussi, à cause des jugements de Karlsruhe !

    Mais il me semble que Karlsruhe commence sinon à reculer, du moins à changer de registre. L’un de ses juges, Peter Huber, dans une longue interview à la Neue Zürcher Zeitung le 8 décembre, ne parlait plus D’« ultra vires » mais demandait à Luxembourg de ne pas juger uniquement en fonction de critères juridiques mais en tenant compte des conséquences concrètes des programmes proposés, ou de leur refus (ce qui, dans la tradition juridique allemande, est tout à fait acceptable). En outre, il en appelle à une collaboration entre les différentes cours constitutionnelles des pays membres et Luxembourg, collaboration que nos propres juges invoquent toujours avec des larmes d’émotion mais qui ne me paraît pas figurer dans les traités, qu’elles court-circuitent. Et quant à la question précise de la position de la Bundesbank face aux rachats d’emprunts d’États membres par la BCE, ce qui avait déclenché toute la procédure, Peter Huber admet que la Banque fédérale fait ce qu’elle peut mais peut parfaitement être mise en minorité au conseil des gouverneurs à Francfort.

    Un empire qui consacre sa faiblesse

    Deux forces freinaient la dérive institutionnelle constante de l’UE : la Grande-Bretagne et Karlsruhe. La Grande-Bretagne est partie et Karlsruhe se réfugie dans des théories de plus en plus complexes. En revanche une contradiction fondamentale apparaît, et même s’est beaucoup aggravée ces dernières semaines, entre une entité de plus en plus étroitement intégrée à l’intérieur mais de plus en plus impuissante à l’extérieur. Et qui même refuse la puissance. Le dernier conseil européen a renoncé à prendre des sanctions un peu sérieuses à l’égard de la Turquie. L’Allemagne, après la France, vient d’accepter d’admettre Huawei à participer à la mise en place de la 5G, certes avec des conditions, mais les deux pays se séparent sur un point important de Washington et Londres. Dans le même sens, les dirigeants allemands, à la suite d’un débat national animé, se distancient de plus en plus de la politique de fermeté que Washington a engagé face à Pékin, y compris la ministre de la Défense Kramp-Karrenbauer, qui jusqu’ici pourtant prônait la résistance face aux pénétrations chinoises dans tant de domaines. Et ils ne tenteront pas une relocalisation de leurs industries, c’est désormais clair, le marché chinois est trop important à leurs yeux. A l’égard de la Russie, des déclarations très fermes de la chancelière sur l’Ukraine ou l’affaire de la tentative d’empoisonnement de Navalny n’empêchent pas le fait que le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas remis en cause.

    En ce qui concerne la politique de défense commune, on en est encore plus loin qu’en 2015, où on sentait certains frémissements. Le départ de la Grande-Bretagne représente la perte de près du quart du budget militaire total des membres de l’UE, ainsi que la sortie du seul pays européen, avec la France, à disposer (à peu près…) d’une panoplie complète et d’une capacité opérationnelle réelle. Il ne reste que l’OTAN, plus comme un moulin à prières d’ailleurs que comme un engagement militaire bien concret, sauf des exceptions comme la Pologne.

    Un ancien conseiller fédéral et ministre des affaires étrangères helvétique, Mme Micheline Calmy-Rey, a tout récemment suggéré que l’Union européenne adopte une politique de « neutralité active », sur le modèle suisse. Elle rappelle que les Cantons avaient fini par adopter cette politique parce que c’était le seul moyen de maintenir leur union, malgré leurs divergences et leurs attirances étrangères divergentes voire opposées. Et elle suggère que c’est la seule solution pour l’UE, étant donné ses divergences. A mon avis, cette thèse va faire des adeptes, particulièrement en RFA…

    Je dois dire cependant que la « neutralité active » à la Suisse repose sur une politique extérieure discrète mais très active, et sur un établissement militaire très sérieux et soutenu dans l’ensemble par la population. Si l’Union européenne en était là, je serais plutôt rassuré !

    Mais on assiste au contraire, exception dans l’Histoire, à la naissance d’un État fédéral, géant économique mais nain géopolitique, et qui tient à le rester. À mon avis, l’une des explications profondes est que le mouvement fédéraliste européen, reprenant pendant et après la Seconde Guerre mondiale des thèmes apparus dès les années 30, à la suite du traumatisme de la Grande Guerre, a voulu détruire systématiquement les systèmes politiques reposant sur des politiciens professionnels et sur le parlementarisme, ainsi que les États-nations fauteurs de guerres. Le « Message aux Européens » proclamé lors du Congrès européen de La Haye en 1948 fixait des objectifs qui sont ceux de l’Union européenne aujourd’hui : « la libre circulation des hommes, des idées et des biens », « une Charte des droits de l’homme », « une Cour de justice » et « une Assemblée européenne ». Et il ne parlait pas de sécurité et de défense de l’Europe…

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Caricature et marche blanche, par Olivier Perceval.

    Deux faits, deux « faits d’hiver » puisqu’ils viennent de se dérou­ler en ce mois de jan­vier sous nos yeux éba­his sur fond de dic­tat sanitaire.

    Le pre­mier met en scène un cari­ca­tu­riste plu­tôt de gauche voire assez tolé­rant au macro­nisme et tra­vaillant pour un quo­ti­dien qui fai­sait encore réfé­rence il y a quelques années : Le Monde.

    olivier perceval.jpgXavier Gorce, c’est son nom, com­mit un crime ter­rible en iro­ni­sant sur l’affaire Duha­mel qui met en transe tous les médias par un des­sin figu­rant ses pin­gouins huma­ni­sés dont l’un déclare à l’autre : « Si j’ai été abu­sée par le demi-frère adop­tif de la com­pagne de mon père trans­genre deve­nu ma mère, est-ce un inceste ? ». Tout de suite, les bonnes consciences   se sont indignées :

     « Les Nou­veaux Démo­crates » (LND, scis­sion de la REM)  ) mili­tants modèles, jugent « abject » l’amalgame entre « iden­ti­té de genre ou orien­ta­tion sexuelle et pédo­cri­mi­na­li­té ». Des per­son­na­li­tés poli­tiques ont com­men­té cette publi­ca­tion, notam­ment Nico­las Cadène, rap­por­teur géné­ral de l’Observatoire de la laï­ci­té. Remon­té, ce der­nier a twee­té : « Tout sauf drôle », mais aus­si : « à sup­pri­mer ». La séna­trice socia­liste Lau­rence Ros­si­gnol n’a pas oublié de com­men­ter ce des­sin. Sur Twit­ter, elle a sou­li­gné le manque de « talent et ten­dresse » de celui-ci.

    Faut-il déca­pi­ter le des­si­na­teur pour avoir blas­phé­mé publi­que­ment, non en véri­té sur la ques­tion de l’inceste, mais sur les « mino­ri­tés » ren­dues tel­le­ment visibles par les vents médiatico-politiques ?

    Le Monde s’est excu­sé par la voix de sa direc­trice de rédac­tion, Caro­line Mon­not ce qui a ame­né Xavier Gorce à cla­quer la porte de la véné­rable ins­ti­tu­tion. Car la gauche est un peu comme le dieu Chro­nos qui dévo­ra, selon la mytho­lo­gie, ses propres enfants, sur­tout ceux qui ont l’outrecuidance d’avoir de l’humour et de pen­ser librement.

    L’autre fait, est cette incroyable marche blanche orga­ni­sée à Etampes avec le sou­tien maté­riel de la muni­ci­pa­li­té LR.

    Dans la nuit du 13 au 14 jan­vier, deux frères de 32 et 39 ans, Samir et Nor­dine, ten­taient d’échapper aux gen­darmes à bord de leur véhi­cule. Pre­nant un rond-point à contre­sens sur la natio­nale 20, ils ont per­cu­té un poids lourd de face et sont morts sur le coup. Trois jours plus tard, est orga­ni­sée une marche blanche à Étampes, où vit leur famille. Samir, le plus jeune, est connu pour une tren­taine de faits, dont tous n’ont pas mené à des condam­na­tions, pré­cise le quo­ti­dien fran­ci­lien. Il devait tou­te­fois se pré­sen­ter ce 20 jan­vier au tri­bu­nal cor­rec­tion­nel d’Évry-Courcouronnes pour déten­tion non auto­ri­sée de stu­pé­fiants et recel de biens pro­ve­nant d’un délit.

    Quant à Nor­dine, il a déjà pas­sé une dizaine d’années der­rière les bar­reaux, condam­né à de mul­tiples reprises pour tra­fic de stu­pé­fiants dans l’Essonne, où il appor­tait en grande quan­ti­té du can­na­bis pro­ve­nant d’Espagne.

    Dimanche 17 jan­vier, envi­ron 150 per­sonnes sont venues leur rendre hom­mage. Podium, sono, écrans, dis­tri­bu­tion de café et de snacks, le tout finan­cé par la muni­ci­pa­li­té à majo­ri­té répu­bli­caine (LR). L’annonce de cette céré­mo­nie avait été faite la veille sur la page Face­book de la mai­rie (reti­rée depuis).

    Ces évè­ne­ments signi­fi­ca­tifs d’une triste « évo­lu­tion » de notre socié­té sont sus­cep­tibles de sus­ci­ter un sen­ti­ment par­ta­gé par les Fran­çais, d’abattement et de démo­ra­li­sa­tion s’ajoutant à l’ambiance déjà lourde du confi­ne­ment, de la catas­trophe éco­no­mique qui s’installe et de tous les griefs res­tés sans réponses depuis la crise des gilets jaunes et l’évidence du lien entre immi­gra­tion abu­sive et délin­quance que seuls les intel­lec­tuels au ser­vice du sys­tème conti­nuent à nier âprement.

    Ces faits montrent aus­si que d’une part on sera de plus en plus impla­cable envers tous les Fran­çais qui osent pen­ser par eux-mêmes et sor­tir du sen­tier obli­ga­toire tra­cé par les indi­gnés offi­ciels, et à plat ventre devant les nou­veaux maitres fussent-ils des voyous, dès lors qu’ils sont repré­sen­ta­tifs de la « diversité ».

    On n’est pas dans le com­plot aujourd’hui, mais dans le réflexe condi­tion­né par la trouille qu’inspirent les mino­ri­tés vic­ti­maires, qu’elles soient sexuelles ou ethniques.

    Il appa­rait qu’il se pro­file une perte de contrôle de la direc­tion géné­rale cen­sée être don­née à la France, non seule­ment par le pou­voir, mais aus­si par les élites si sûres d’elles qui conti­nuent à péro­rer dans le vide en levant le front avec assu­rance sur les pla­teaux télé.

    Il sem­ble­rait que la Répu­blique soit en train de se fis­su­rer du haut en bas et pour­rait s’écrouler avec fra­cas, ce qui pour­rait nous réjouir si l’anarchie qui en résul­te­rait ne livrait pas les plus faibles d’entre nous à une vio­lence dont l’histoire révo­lu­tion­naire de notre pays nous a lais­sé de dou­lou­reux souvenirs.

    L’Action fran­çaise, mou­ve­ment école a visi­ble­ment du pain sur la planche en remet­tant de la réflexion dans les jeunes cer­veaux et  en pré­pa­rant l’émergence de nou­velle élites et le plus tôt sera le mieux.

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    Source : https://www.actionfrancaise.net/

  • L’union européenne, le léviathan impuissant, par Georges-Henri Soutou.

    Illustration : La Suisse, modèle de neutralité active. Ça marche quand le cadre est petit.

    L’Union européenne n’a jamais paru si faible sur le plan international. Mais le projet fédéraliste, à l’intérieur de ses frontières, gagne sans cesse du terrain avec l’arme fatale du droit communautaire.

    La coïncidence du Brexit et de la crise pandémique a conduit l’Union européenne à une nouvelle étape de son développement, à mon avis désormais irréversible.

    1.jpgLe dernier Conseil européen présidé par Mme Merkel a en effet définitivement adopté le projet de budget pour les années qui viennent, et l’aide spécifique pour la relance nécessitée par la crise sanitaire, de 750 milliards d’euros. Deux innovations essentielles :

    • la Commission peut emprunter directement sur les marchés pour financer cette aide ;
    • et elle peut lier l’aide à des conditions, en particulier le respect de l’état de droit.

    La Hongrie et la Pologne, qui ne voulaient pas de cette conditionnalité, ont, en fait, fini par s’incliner, quelles que soient les formulations qui estompent leur reculade.
    Il y aura des suites logiques : la question des ressources propres de l’Union, au-delà des droits de douane et du 1 % de la TVA, va se poser très vite. On ouvrira ainsi la voie à un budget qui ne sera plus spécifiquement celui de l’UE comme institution, mais deviendra progressivement le budget européen fédéral, reprenant des responsabilités anciennement nationales. D’autre part la conditionnalité ne se limitera pas au respect de l’état de droit, mais va inclure très vite le non-respect des normes environnementales fixées par Bruxelles. Il est déjà possible de condamner un État devant la Cour européenne de Luxembourg dans ce domaine, avec amendes et astreintes, mais on passerait là à un niveau supérieur. D’autant plus que le parlement européen va très probablement voter l’avancement de la réalisation de l’objectif de zéro émission nette de 2050 à 2030, ce qui est d’ailleurs parfaitement irréalisable mais qui permet de s’immiscer dans pratiquement tous les aspects de la politique économique et sociale. Les Européens vont être de plus en plus concernés par les décisions de l’UE pour leurs impôts et pour leur vie quotidienne (chauffage, transports, logement…). Ainsi que pour tout ce qui concerne, par exemple, la politique d’immigration : Luxembourg attaque de plus en plus souvent les mesures que tentent de prendre les pays membres pour endiguer le flot et vient de condamner Varsovie et Budapest pour le durcissement de leur politique d’asile.

    Luxembourg über alles

    Une telle accélération n’aurait pas été possible si la Grande-Bretagne était restée (c’est d’ailleurs parce qu’elle sentait venir l’avalanche qu’elle est partie). Il y a eu une époque où la France n’aurait pas accepté tout cela, mais c’est bien fini, et maintenant nos cours et le Conseil constitutionnel s’inclinent devant le droit européen et Luxembourg.
    La dernière résistance importante venait, on l’a vu dans cette chronique, du Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, qui contestait la politique de la Banque centrale européenne ainsi que de la Cour européenne, et les accusait d’agir « ultra vires ». Or Luxembourg ne s’incline pas : il y a quelques jours, un avocat général auprès de cette Cour, le Bulgare Evgeni Tanchev, rappelait que le droit européen « brise le droit national » (reprise de la vieille formule allemande « Bundesrechtbricht Landesrecht », le droit fédéral brise le droit des Länder). Un gouvernement qui ne serait pas content n’aurait, selon lui, que trois solutions :

    • ou modifier sa constitution ;
    • ou demander, via le processus de l’Union, une modification du traité concerné ;
    • ou quitter l’Union.

    Ce qui a le mérite de la clarté ! Cette déclaration provoque à Berlin et à Karlsruhe beaucoup de spéculations : que la Pologne et la Hongrie soient condamnées à Luxembourg ne gêne personne, mais on se rend compte que l’Allemagne pourrait l’être aussi, à cause des jugements de Karlsruhe !
    Mais il me semble que Karlsruhe commence sinon à reculer, du moins à changer de registre. L’un de ses juges, Peter Huber, dans une longue interview à la Neue Zürcher Zeitung le 8 décembre, ne parlait plus d’« ultra vires », mais demandait à Luxembourg de ne pas juger uniquement en fonction de critères juridiques mais en tenant compte des conséquences concrètes des programmes proposés, ou de leur refus (ce qui, dans la tradition juridique allemande, est tout à fait acceptable). En outre, il en appelle à une collaboration entre les différentes cours constitutionnelles des pays membres et Luxembourg, collaboration que nos propres juges invoquent toujours avec des larmes d’émotion mais qui ne me paraît pas figurer dans les traités, qu’elles court-circuitent. Et quant à la question précise de la position de la Bundesbank face aux rachats d’emprunts d’États membres par la BCE, ce qui avait déclenché toute la procédure, Peter Huber admet que la Banque fédérale fait ce qu’elle peut mais peut parfaitement être mise en minorité au conseil des gouverneurs à Francfort.

    L’empire européen consacre sa faiblesse

    Deux forces freinaient la dérive institutionnelle constante de l’UE : la Grande-Bretagne et Karlsruhe. La Grande-Bretagne est partie et Karlsruhe se réfugie dans des théories de plus en plus complexes. En revanche, une contradiction fondamentale apparaît, et même s’est beaucoup aggravée ces dernières semaines, entre une entité de plus en plus étroitement intégrée à l’intérieur mais de plus en plus impuissante à l’extérieur. Et qui même refuse la puissance. Le dernier Conseil européen a renoncé à prendre des sanctions un peu sérieuses à l’égard de la Turquie. L’Allemagne, après la France, vient d’accepter d’admettre Huawei à participer à la mise en place de la 5G, certes avec des conditions, mais les deux pays se séparent sur un point important de Washington et Londres. Dans le même sens, les dirigeants allemands, à la suite d’un débat national animé, se distancient de plus en plus de la politique de fermeté que Washington a engagé face à Pékin, y compris la ministre de la Défense Kramp-Karrenbauer qui, jusqu’ici pourtant, prônait la résistance face aux pénétrations chinoises dans tant de domaines. Et ils ne tenteront pas une relocalisation de leurs industries, c’est désormais clair, le marché chinois est trop important à leurs yeux. À l’égard de la Russie, des déclarations très fermes de la chancelière sur l’Ukraine ou l’affaire de la tentative d’empoisonnement de Navalny n’empêchent pas le fait que le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas remis en cause.

    En ce qui concerne la politique de défense commune, on en est encore plus loin qu’en 2015, où on sentait certains frémissements. Le départ de la Grande-Bretagne représente la perte de près du quart du budget militaire total des membres de l’UE, ainsi que la sortie du seul pays européen, avec la France, à disposer (à peu près…) d’une panoplie complète et d’une capacité opérationnelle réelle. Il ne reste que l’OTAN, plus comme un moulin à prières d’ailleurs que comme un engagement militaire bien concret, sauf des exceptions comme la Pologne.

    Un ancien conseiller fédéral et ministre des affaires étrangères helvétique, Mme Micheline Calmy-Rey, a tout récemment suggéré que l’Union européenne adopte une politique de « neutralité active », sur le modèle suisse. Elle rappelle que les Cantons avaient fini par adopter cette politique parce que c’était le seul moyen de maintenir leur union, malgré leurs désaccords et leurs attirances étrangères séparées voire opposées. Et elle suggère que c’est la seule solution pour l’UE, étant donné ses propres divergences. À mon avis, cette thèse va faire des adeptes, particulièrement en Allemagne…

    Je dois dire cependant que la « neutralité active » à la Suisse repose sur une politique extérieure discrète mais très active, et sur un établissement militaire très sérieux et globalement soutenu par la population. Si l’Union européenne en était là, je serais plutôt rassuré !
    Mais on assiste au contraire, exception dans l’Histoire, à la naissance d’un État fédéral, géant économique mais nain géopolitique, et qui tient à le rester. À mon avis, l’une des explications profondes est que le mouvement fédéraliste européen, reprenant pendant et après la seconde guerre mondiale des thèmes apparus dès les années 30, à la suite du traumatisme de la Grande Guerre, a voulu détruire systématiquement les systèmes politiques reposant sur des politiciens professionnels et sur le parlementarisme, ainsi que les États-nations fauteurs de guerres. Le « Message aux Européens » proclamé lors du Congrès européen de La Haye en 1948 fixait des objectifs qui sont ceux de l’Union européenne aujourd’hui : « la libre circulation des hommes, des idées et des biens », « une Charte des droits de l’homme », « une Cour de justice » et « une Assemblée européenne ». Et il ne parlait pas de sécurité et de défense de l’Europe…

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    Source : https://www.politiquemagazine.fr/

  • Génération identitaire victime de la dissolution de BarakaCity, par Nicolas Lévine.

    Paris, novembre 2019

    © Remon Haazen/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40821926_000005

    Le projet visant à interdire Génération identitaire en donne fortement l’impression.

    Il y a de cela quelques semaines, Gérald Darmanin annonçait sur Twitter la dissolution de l’ONG islamiste Baraka City. Immédiatement, sur le même réseau social, où, sur l’air des victimes (paroles de Camélia Jordana, fanfare du FLN), la plupart des jeunes prennent la défense des djihadistes après chaque attentat, tout ce que la France compte de racisés s’était indigné et avait exigé la dissolution parallèle de Génération Identitaire.

    2.jpgLes figures de l’islamo-gauchisme avaient fait de même. Pas entendues sur le moment, elles ne désarmèrent pas. Le 4 janvier, dans Regards, revue progressiste ultra, elles y allaient carrément d’une tribune afin que « la haine » du « groupuscule d’extrême droite » soit enfin admise par les pouvoirs publics et entraîne sa chute. 

    Dans cette philippique, l’exagération voisinait avec le pur mensonge. Aubry, Autain, Thomas Portes et les autres écrivaient que les membres de Génération Identitaire se prêtaient à des « actions violentes, racistes et xénophobes ». Ils précisaient que « pas un mois ne s’écoule sans que ces nervis identitaires mènent des actions de terreur à travers le pays (sic) ». De quelles « actions » parlaient-ils ? Des ratonnades ? Des viols collectifs de femmes noires et arabes dans des fermes vendéennes ? Des décapitations de musulmans ? Des tueries au FAMAS dans des concerts de raï ? Non ! Il s’agissait du déploiement d’une banderole, de l’occupation du toit de la CAF de Bobigny, du « saccage » du siège d’SOS Méditerranée à Marseille. Dans l’esprit des auteurs de ce texte fort mal écrit, l’emploi du mot « terreur » visait bien sûr à amalgamer Génération Identitaire à l’islamisme politique radical – n’hésitez pas à ajouter une épithète, ça ne coûte rien –, à mettre sur le même plan – et même un peu devant, en fait – l’agit-prop d’un mouvement patriotique et les incessants massacres perpétrés, sur notre sol, par des islamistes. Pour justifier cette odieuse comparaison, nos Durutti des beaux quartiers versaient même dans une manipulation digne des heures les plus sombres de l’Union soviétique : « En octobre, en Avignon, c’est un homme portant un blouson de Génération Identitaire qui a braqué et menacé un chef d’entreprise avant d’être abattu par la police ». On se souvient que ce jour-là, déjà sur les réseaux sociaux, les mêmes fanatiques du vivrensemble s’étaient précipités sur ce détail ; ah ! avaient-ils claironné, on vous l’avait bien dit qu’à force d’humilier les musulmans, de gifler leur sensibilité, à force d’oser mêler l’islam aux crimes commis par des loups solitaires ou des déséquilibrés, vous alliez réveiller LABÊTIMONDE. Sauf que, apprit-on rapidement, le trentenaire qui avait erré en Avignon, arme à la main, était un ancien militant du PCF, qu’il avait fait dix séjours en HP, qu’il était inconnu au bataillon chez Génération Identitaire, et que le blouson en question, n’importe qui pouvait – et peut sans doute encore – en acheter un sur Internet. La suite de la diatribe était du même tonneau. En conclusion, ces contempteurs de l’identité française révélaient le véritable motif de leur appel à Darmanin : « Nous sommes extrêmement préoccupés par la décision rendue par la cour d’appel de Grenoble qui a prononcé une relaxe suite à l’occupation du col de l’échelle (sic) ». Au printemps 2018, en effet, des membres de Génération Identitaire avait fort pacifiquement manifesté, au sommet du col en question, contre l’invasion migratoire, sous les huées des médias qui les avaient présentés comme des nazis. C’est d’abord ce verdict qui avait poussé nos maquisards du XIe arrondissement à aligner des mots dans un texte si mal fichu que même Geoffroy de Lagasnerie – le Michel Foucault de Rennes-II – en aurait honte. Malgré le soutien de la magistrature, acquise à la cause antiraciste et à l’intersectionnalité, le droit n’avait pas permis de condamner les « nervis ». Après avoir lu ce torchon, je m’étais dit – j’ai des témoins – que Darmanin ne tarderait pas à céder afin d’envoyer un « signal » à la gauche qui, depuis deux siècles, dans ce pays dont elle déteste tant le peuple, oriente tous les « débats », est l’arbitre des élégances, domine le champ des idées comme la Mannschaft dominait autrefois les Bleus – Schumacher, on te retrouvera. 

    Eh bien voilà, ça y est, nous y sommes. Après avoir répété, dans les Pyrénées, sa placide opération des Alpes, Génération Identitaire est à nouveau accablé par « les Amis du Désastre » (Renaud Camus). Et cette fois, Darmanin a pris les choses en main. « J’ai demandé aux services du ministère de l’Intérieur de réunir les éléments qui permettraient de proposer la dissolution de Génération Identitaire », a-t-il twitté. En français, cela veut dire que des fonctionnaires – et des contractuels en plus grand nombre – zélés sont en train de fouiller les CV, les comptes, les draps, les chiottes de tous les membres de l’association. « Il n’est pas de grand homme pour son valet de chambre », écrit Goethe ; il est certain qu’en sondant de la sorte, les équipes du ministre de l’Intérieur trouveront ce qu’elles cherchent ; nos juges rouges-verts pourront ainsi, enfin, condamner ce « groupuscule » qui les fait tant cauchemarder, pèse tant sur leur conscience, qu’ils ont très mauvaise, comme tout gauchiste qui se respecte. 

    Quand on est patriote, on a le droit d’être en désaccord avec les actions menées par Génération Identitaire. On a aussi et surtout le devoir de se regarder dans une glace et de se demander ce que l’on fait concrètement pour contrarier l’effondrement accéléré de la civilisation française. Génération Identitaire, avec qui je n’ai aucun lien, dont je ne connais aucun des membres, se bouge, permet à de jeunes gens de se retrouver au milieu des décombres sous le poids desquels, isolés, promis à l’amertume par un système qui vise justement à nous briser moralement, nous croulons.  Et il n’hésite pas, ce mouvement, à occuper cette rue dont la gauche se croit propriétaire. Même s’il commet peut-être des erreurs stratégiques ou de communication – qui n’en commet pas ? –, il contribue au réarmement moral et intellectuel de la jeunesse française contre les puissances qui désirent la liquider. Son programme est, il me semble, plein de bon sens : il affirme que la France appartient d’abord aux Français. Ceux qui pensent que cette revendication est raciste n’iraient jamais contester que l’Algérie appartient aux Algériens, le Bénin, aux Béninois, la Thaïlande, aux Thaïlandais. 
    Macron vient de lancer un « débat » sur l’identité nationale. Nul doute que ce dernier aussi ridicule que celui qui avait accompagné les dernières semaines du mouvement des Gilets jaunes. C’était en effet pitié que tous ces élus des territoires qui râlaient parce qu’ils n’avaient pas qui une médiathèque, qui une rocade, qui une dotation suffisante pour mieux nourrir le clientélisme sans lequel ces notables républicains resteraient dans l’ombre à laquelle leur médiocrité les destine. Quel « débat » sérieux est possible quand le pouvoir progressiste en choisit à la fois le cadre, les termes et les participants ? La dernière fois que nous eûmes droit à un raout de ce genre, sous Sarkozy, nous gagnâmes un musée de l’Immigration… De celui-là sortira peut-être un musée Adama Traoré.

     

    Nicolas Lévine est un pseudonyme. Historien, il travaille dans la fonction publique au plus près du sommet de l'Etat et écrit pour "Causeur". Dernière publication : "L'incident", 2020, Ring.