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«Si Salah Abdeslam est à terre, l'idéologie qui lui a fait commettre ses crimes est plus que jamais debout», par Céline Pina.

Salah Abdeslam à droite, Mohamed Amri à gauche et Mohamed Abrini au centre. BENOIT PEYRUCQ / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que le procès des attentats du 13 novembre s'est ouvert le 8 septembre, l'essayiste Céline Pina rappelle qu'il ne faut ne pas confondre justice avec vengeance et que l'enjeu est de nommer l'idéologie des accusés.

3.jpgLe procès des attentats du 13 novembre est un évènement historique aux enjeux énormes et dont le gigantisme est le premier défi. Évitera-t-on l'éparpillement et la perte de sens qui découle de l'accumulation des questions comme des attentes des parties civiles ? À écouter les commentaires sur les chaînes d'infos, ce n'est pas gagné. Que la compassion pour les victimes soit mise en avant est logique eu égard à l'ampleur du massacre, mais celle-ci est parfois utilisée pour éviter les questions qui fâchent et qui inscrivent ces attentats dans un contexte plus large. Le rôle de l'idéologie politico-religieuse qui alimente le terrorisme, l'islamisme, n'est pas toujours évoqué frontalement, pas plus le fait que son influence, loin de reculer, ne cesse de s'étendre en France et de par le monde.

Si par son ampleur, ses dimensions et sa durée, ce procès historique est comparé parfois à celui de Nuremberg, une différence majeure saute aux yeux. À Nuremberg, il n'y avait pas que les accusés qui étaient vaincus, leur idéologie aussi était à terre et n'inspirait plus que l'horreur. Il y avait un consensus sur les racines du mal. Ici les accusés ont été vaincus, mais bien que la menace que celle-ci représente ne fasse que grandir sur notre sol, elle suscite toujours l'embarras quand il s'agit de la qualifier précisément, comme d'évaluer la force de son emprise. D'où l'importance de comprendre les filières, les financements et l'organisation qui ont amené les accusés à souvent trouver aides, complicités et soutiens dans nombre de pays, de la Syrie à la Belgique, de la Turquie à la France.

Il s'agit certes de juger des actes monstrueux, mais aussi d'ouvrir les yeux sur une barbarie qui est trop souvent niée, alors que jamais les violences, sur notre sol ou ailleurs dans le monde, n'ont cessé. Il y a deux jours, c'est un jeune tchétchène radicalisé, profil similaire à l'égorgeur de Samuel Paty qui a été arrêté et remis en liberté alors qu'il avait commencé à organiser un attentat contre Mila. Manifestement le procès Charlie qui a pourtant eu lieu l'an dernier n'a toujours pas dessillé les yeux de nos institutions.

La provocation est l'arme de ceux qui sont limités dans leurs moyens d'action et n'ont rien à perdre. C'est la vanité du perdant.

Céline Pina

Difficile à gérer, ce procès dont il ne faut pas attendre trop de choses a toutefois un mérite, celui d'exister. Certes la première journée s'est révélée éprouvante pour les victimes et les incessantes provocations de Salah Abdeslam pouvaient paraître insupportables, mais ce sont des rodomontades de vaincu qui refuse d'ouvrir les yeux sur le sordide de ce qu'il est et de ce que sera son avenir. Il invoque Allah et le paradis, sa réalité est qu'il est menotté, en prison et qu'il va devoir supporter ce procès sans avoir quoi que ce soit à décider. Sa vérité est qu'il est un assassin et un prisonnier. Le reste n'est que l'expression de sa vacuité intellectuelle et spirituelle.

Il a beau réciter la shahada, «Je tiens à témoigner qu'il n'y a pas d'autres Dieu qu'Allah et Mohammed est son prophète» quand on lui demande son identité, il n'est pas un martyr en puissance, il n'est qu'un accusé entre les mains d'un système qu'il abhorre mais qui le domine. Si quand il ouvre la bouche, c'est pour clamer sa haine de la démocratie et son refus de l'État de droit, il ne lui reste pas moins soumis. Ne serait-ce le sang qu'il a sur les mains, tout cela relèverait de l'enfantillage. La provocation est l'arme de ceux qui sont limités dans leurs moyens d'action et n'ont rien à perdre. C'est la vanité du perdant. La grande bouche du petit bras. La réponse du président de la Cour, qui le traite comme un gamin sans grand intérêt en lui répondant «Bon on verra cela plus tard» était la meilleure manière de le remettre à sa place. Il va d'ailleurs tenter une nouvelle fois d'enflammer le prétoire en répondant à la question posée sur sa profession, qu'il est un «combattant de l'État islamique». «Ah» lui rétorque à nouveau le président «moi j'avais intérimaire», le ridiculisant un peu plus.

On peut comprendre que cela ait été très douloureux à vivre pour les victimes, mais que Salah Abdeslam confirme son adhésion fanatique à l'islam politique, comme son absence de tout remord ou de toute prise de conscience n'est pas une surprise. Il est resté le même que celui qu'il était à son arrestation, un petit voyou sans envergure qui s'est construit dans la haine de ce que nous sommes et n'a pas les moyens intellectuels de comprendre une civilisation qui fait le choix de l'état de droit contre la violence arbitraire. Il ne comprend que la domination, la brutalité et le meurtre, le dépassement de la force par la loi lui échappe.

Une autre dimension du personnage et un des fondamentaux de l'idéologie politico-religieuse à laquelle il adhère ne va pas tarder à être mis au premier plan dès ce premier jour d'audience : la victimisation. C'est ainsi que l'homme se met à se plaindre qu'il est traité comme «un chien» et couine sur sa revanche dans l'au-delà. Certes on peut avoir envie d'accélérer l'échéance et on ne peut reprocher aux victimes leur dégoût face à un tel personnage, mais il sera renvoyé une nouvelle fois dans les cordes par le magistrat responsable du procès, «On n'est pas dans un tribunal ecclésiastique mais dans un tribunal démocratique». Et il le fera rasseoir.

En attendant, Salah Abdeslam aura une nouvelle fois montré l'arrogance et l'absence totale d'empathie du fanatique qu'il est et aura remis au cœur du procès l'islamisme. Il n'en reste pas moins que tout cela reste du cirque. Ses vociférations ne sont pas celles d'un homme puissant qui se maîtrise et retourne la situation à son avantage, mais celles d'un petit voyou pas assez intelligent pour comprendre la place qu'il occupe vraiment et qui se pousse du col pour se donner du courage.

Avec la sortie de prison de centaines de djihadistes libérables prochainement, la menace ne cesse même de se renforcer.

Céline Pina

Finalement, cet homme du ressentiment et de la vengeance se cogne ici à l'idée de justice. Martin Luther King disait «cette ancienne loi d'œil pour œil laisse tout le monde aveugle». Cela ne signifie pas qu'il faut opposer la bienveillance au fanatisme, le pardon à la violence, mais qu'il faut savoir distinguer la vengeance de la justice. La sanction est nécessaire, mais elle est édictée dans le cadre du logos et de la raison. Le simple fait que ce procès se tienne est déjà en soi une belle réponse à la barbarie.

Pour le reste, espérer que ces 9 mois et ces 542 tomes (soit 53 mètres linéaires) de procédures accouchent d'une prise de conscience généralisée de la réalité de la barbarie qui nous frappe n'est guère envisageable. Mais cela peut être une étape sur la voie de la lucidité. En effet, si Salah Abdeslam est à terre, l'idéologie qui lui a fait commettre ses crimes est plus que jamais debout. Avec la sortie de prison de centaines de djihadistes libérables prochainement, la menace ne cesse même de se renforcer.

Or personne n'a encore tiré les leçons du fait qu'un des principaux commanditaires des attentats du 13 novembre, Oussama Atar, ressortissant belge et chef de l'Amn al-Kharij, la branche du service de renseignement de l'État islamique chargé des opérations terroristes a pu organiser ces actions meurtrières grâce en partie au gouvernement belge. L'homme avant d'appartenir à l'État islamique s'était engagé en effet auprès d'Al-Qaïda et avait été condamné à 20 ans de prison en Irak. Pourtant au courant de sa radicalisation le gouvernement belge a exercé des pressions pour le faire libérer et les partis belges Écolo et PS, avec l'appui d'Amnesty International, ont organisé une campagne intitulée «sauvons Oussama». Ils l'ont ainsi rapatrié et libéré en 2012. Aujourd'hui encore, la chape de plomb qui permet à Molenbeek et à d'autres territoires en Belgique et en France d'être des lieux de transit ou de refuge des islamistes et des djihadistes est aussi entretenue par l'aveuglement ou le clientélisme de certains élus. Si ce procès permet aux politiques de regarder ces faits en face, nous y aurons tous gagné beaucoup.

 

Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).

Source : https://www.lefigaro.fr/

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