"Interdire l'école à la maison est un crime contre l’esprit", par Jean-Paul Brighelli.
Emmanuel Macron à 'la Maison des habitants' aux Les Mureaux, le 2 octobre 2020.
Ludovic MARIN / POOL / AFP
Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, déplore la volonté d'Emmanuel Macron d'interdire l'apprentissage scolaire hors école alors que l'institution est devenue "globalement hostile à la transmission des savoirs" selon lui.
Patricia appartient à la bourgeoisie cultivée versaillaise. Si cultivée que depuis longtemps elle a jugé pour ce qu’elles valaient les dérives pédagogistes de l’Ecole française, leur capacité de nuisance et de nivellement par le bas. En particulier, elle a évalué le pesant d’arsenic de la méthode idéo-visuelle d’apprentissage de la lecture, dite improprement « semi-globale », et de la grammaire « de texte », non systématique (contrairement à la grammaire « de phrase »), en vogue depuis une trentaine d’années et dont les IUFM puis les ESPE se sont faits les inlassables propagandistes.
Elle a eu trois enfants, qu’elle n’a envoyés en classe qu’à partir de la Seconde : jusque là, c’est elle qui leur a fait classe, leur apprenant à lire et à écrire en méthode alpha-syllabique, leur enseignant les quatre opérations de base dès cinq ou six ans. Elle leur a par exemple appris la division comme une opération de multiplications inversées, et non comme une interminable série de soustractions. Et elle leur a inculqué de bonne heure l’Histoire de France, en ayant recours sans doute au « roman » de l’Histoire avant d’affiner peu à peu les événements et les concepts. Trilingue elle-même, elle leur a transmis les bases de plusieurs langues — y compris le latin — et a eu recours plus tard à des cours particuliers.
Les dérives de l’école dite « républicaine »
J’ai pu juger des résultats. A quinze ans, ses enfants en savaient davantage, dans tous les domaines, que nombre d’élèves de Terminale. Précisons enfin qu’elle n’a négligé ni l’Education physique — ils ont les uns et les autres pratiqué divers sports à haut niveau qui l’ont obligé à se muer parfois en chauffeur perpétuel de ses enfants entre tel ou tel terrain d’entraînement — ; ni les relations sociales, un réseau s’étant mis en place de bonne heure, entre parents dissidents et avertis des dérives de l’école dite « républicaine », qui permettait le mise en relation des enfants.
Rien de très nouveau. Luc Ferry m’a personnellement raconté comment, dans les années 1960, il avait finalement abandonné le lycée Saint-Exupéry de Mantes, parce qu’il s’y ennuyait fort (et encore, il s’agissait à l’époque d’un enseignement « à l’ancienne ») et avait bouclé ses études à la maison grâce au CNED, qui dispense des cours de grande qualité. Et cet abandon du cadre collectif ne l’a pas empêché de passer l’agrégation de philosophie et de devenir ministre de l’Education…
Or voici que le président de la République souhaite, dans son nouveau combat contre l’islamisme, interdire totalement l’apprentissage scolaire hors école, afin de supprimer les possibilités d’endoctrinement religieux — qui ne sont d’ailleurs pas toutes le fait de l’islam. Un bel effort, quoiqu’un peu tardif, qu’il conviendrait de saluer si ce n’est que…
Côtoyer des imbéciles dans un monde hostile
Si ce n’est que les émules de Patricia, qui font l’école à la maison, un droit garanti par les lois Ferry, vont être obligées d’y renoncer et d’envoyer leur progéniture user leurs fonds de culotte et leur patience dans un environnement qui est globalement hostile à la transmission des savoirs.
Qui s’étonnera que Philippe Meirieu, qui a fait de son mieux, en quarante ans de malfaisance pédagogique, pour niveler par le bas le contenu des enseignements et les compétences des maîtres, salue très haut l’initiative d’Emmanuel Macron : « L’école est d’abord un lieu nécessaire pour la socialisation, pour marquer aussi une rupture symbolique avec la famille. Ce n’est pas seulement un lieu où les enfants vont apprendre. C’est un lieu où ils vont apprendre à apprendre des autres, à rencontrer des gens qui viennent d’autres horizons, qui ont d’autres histoires, d’autres convictions que leur entourage. » Et il enfonce le clou : « Je crois profondément que cette rencontre de l’altérité, de la différence, est essentielle pour le développement de l’enfant. En termes d’ouverture d’esprit, le collectif scolaire a des vertus que l’instruction en famille ne permet pas. Ou alors à de très rares exceptions. »
Je ne suis pas sûr que l’expérience de cette « collectivité », qui oblige à côtoyer bien des imbéciles et à se risquer dans un monde prématurément hostile, soit si essentielle que cela. Ni que l’expérience de la sacro-sainte « mixité sociale » (qui est très loin d’être effective dans nombre d’établissements déshérités, où justement c’est une société monocolore qui s’est mise en place) soit souhaitable à n’importe quel âge.
Des enseignants enthousiastes de l'école à la maison
Je suis convaincu en revanche que passer sous les fourches caudines d’enseignants soumis à l’idéologie des formateurs que Meirieu et ses amis ont mis en place, quadrillant toute la France dans un réseau serré de médiocrité, n’est pas l’idéal en matière d’éducation. Il ne s’agit pas là de convictions politiques et encore moins religieuses, mais d’une réflexion pédagogique basée sur 45 ans d’expérience pratique.
Si nombre d’enfants et de familles s’accommodent du système scolaire tel qu’il existe aujourd’hui, il faut bien réaliser que le succès des voies parallèles — l’école à la maison mais aussi toutes sortes de cours privés plus ou moins performants — témoigne d’une méfiance envers ce qu’est devenu l’enseignement de masse français. En particulier, tous les enfants qui justement ne s’identifient pas à la masse, tous les enfants quelque peu précoces, qui à huit ans ont des capacités de raisonnement adultes, tous les enfants qui apprennent à lire seuls et préfèrent les grands classiques à la contemplation béate de 22 mercenaires courant après une vessie pleine d’air sur un écran de télévision, tous ceux-là n’ont aucun intérêt à fréquenter l’école telle qu’elle est devenue.
Une école où leur appétit de savoir est constamment freiné par l’inappétence de nombre de leurs condisciples — ceux pour lesquels, justement, tant de maîtres baissent chaque jour le niveau. Tout ce qu’ils en tirent, en général, c’est le sentiment d’un mépris précoce, ou d’une inadéquation qui peut tourner parfois au drame. À noter que parmi les enthousiastes de l’enseignement à la maison, il y a bon nombre d’enseignants — les mieux à même de juger de l’énormité des crimes contre l’esprit qu’on leur fait commettre chaque jour.
Des dérives qui touchent peu de familles
Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut absolument éviter les dérives sectaires et l’enseignement du fanatisme. Mais cela touche fort peu d’enfants et de familles (moins de 2000 en fait) — et une inspection sérieuse des conditions d’enseignement devrait en venir à bout, quitte à enlever les enfants, d’autorité, aux familles les plus nocives : les internats d’excellence, qu’il faut revivifier, pourraient jouer ce rôle de remise sur les bons rails.
En revanche, priver de la chance d’apprendre au calme et précocement des notions complexes est un crime contre l’esprit. Un crime aussi contre la vraie vocation de l’Ecole, si j’en crois Condorcet, qui en a défini les bases : dégager une élite en amenant chacun au plus haut de ses capacités — et non en rabaissant tout le monde au niveau des plus cancres. Là encore, la République doit parler contre la fausse démocratie qui est devenue la norme afin de mieux étouffer toute chance de se distinguer.
Source : https://www.marianne.net/
Commentaires
On avait déjà compris depuis les réformes d'Edgard Faure (novembre 1968) qu'il fallait enfoncer les "masses laborieuses" dans leur médiocrité afin que les élites (issues de la bourgeoisie établie) s'en distinguent plus facilement.
Et furent créés les soviets d'établissement scolaire, l'arrêt du latin en 6ème et la formule "apprendre à être" plutôt qu'apprendre ! Faure n'était pas un bolchevik mais un bourgeois rad-soc, avocat et thuné qui inversa le modèle pour se désennuyer peut-être à contempler la perversité du monde. Meirieu est le sous-produit de cette cagade !