Le soulèvement général du gand Ouest, dans son ensemble, et de la Vendée, en particulier, sont évidemment uniques en leur genre.
Pourtant, à leur image, partout en France on s'est levé contre cette démence sanguinaire des terroristes révolutionnaires, sauvant ainsi également, en tous points du pays, l'honneur du nom Français.
Aussi avons-nous choisi de prendre trois exemples de ces soulèvements "pour Dieu et pour le Roi", pour la liberté de l'homme intérieur, et que l'on peut qualifier, sans porter nullement atteinte à la Geste vendéenne, "d'autres Vendées". Soljénitsyne ne dira-t-il pas, d'ailleurs, que les Russes aussi ont eu "leur Vendée" (à Tanbow, comme on le verra plus bas) ?
On évoquera donc ici :
• une Vendée dans les Flandres;
• une Vendée créole, en Martinique;
• et la "Vendée provençale", d'où surgiront, plus tard, un Maurras, un Daudet...
Aujourd'hui : Une Vendée dans les Flandres : Louis Fruchart...
"Une Vendée flamande" (1813-1814), par L'abbé Harrau :
L'année 1813, marquée dans l'histoire du Premier Empire, par de lâches et perfides trahisons, s'achevait sous les plus sinistres présages. Napoléon, après avoir repassé le Rhin avec les débris de son armée, refusait de s'avouer vaincu et un Senatus-consulte avait décrété une nouvelle levée de trois cent mille hommes ; mais la France était dépeuplée, les campagnes étaient épuisées, et nos populations du Nord maudissaient en secret l'humeur guerrière du grand faucheur d'hommes.
Après avoir fermentée sourdement dans les chaumières, la révolte éclata, terrible, menaçante, le 22 novembre 1813. À Hazebrouck, chef-lieu d'arrondissement, où le sous-préfet De Ghesquières négligea de prendre les mesures nécessaires pour assurer la tranquillité publique, on eut l'imprudence d'appeler toutes les recrues, près de 3.000 hommes, le même jour et l'on prépara ainsi une journée d'émotions restée célèbre sous le nom de "Stokken maendag". Ce lundi-là, 22 novembre, les conscrits devaient se présenter à la revue. Vers neuf heures du matin, ils firent leur entrée en ville par bandes plus ou moins nombreuses, jurant, vociférant mille insultes contre les autorités et frappant le pavé de leurs bâtons noueux. À dix heures, le nombre des recrues était à peu près complet. On les vit alors parcourir les rues dans un état d'exaspération indicible. Les uns se dirigèrent vers la Petite Place; d'autres suivirent la rue de l'Église et rencontrèrent par hasard la musique communale qui venait d'assister, en uniforme, à la messe Sainte-Cécile; ils voulurent tout d'abord se ruer sur cette troupe paisible et sans armes et s'attaquèrent surtout à Macquart, propriétaire, qu'ils prenaient pour le sous-préfet, quant on parvint heureusement à les calmer et à leur faire comprendre raison. L'hôtel de la Sous-Préfecture était désigné à leur fureur. De grosses pierres lancées d'un bras vigoureux, enfoncèrent la porte-cochère et les cinq employés des bureaux se hâtèrent de se sauver par les croisées. Papiers, glaces, meubles, cristaux voire même le cabriolet, tout fut brisé, mis en pièces et traîné dans la boue. Les salles inférieures sont saccagées et l'on arrive enfin dans une chambre où se tenaient cachés le sous-Préfet et un gendarme nommé Loutres. Le gendarme a compris qu'il faut, pour assurer leur salut, un acte de vigueur, et le voilà qu'il dégaine et s'élance en avant, le sabre au poing; il frappe de droite et de gauche et se fraye un passage à travers la foule qui recule. De Guesquières qui le suivait est reconnu; il est accablé de coups de bâton et il allait périr dans la bagarre sans le dévouement du vitrier Hanicot, son voisin, qui lui ouvrit la porte d'entrée de sa maison. L'infortuné sous-préfet était sauvé. Cependant le sac de l'hôtel continua et les conscrits songeaient même à mettre le feu aux bureaux, mais ils craignirent pour la vie de leurs camarades descendus dans les caves et le cellier. L'intervention de la gendarmerie et de la cohorte municipale mit fin à cette scène lugubre. À peine la nouvelle de ces désordres transmise par l'estafette fut-elle parvenue à Lille, que les autorités civiles et militaires se concertèrent pour envoyer à Hazebrouck le peu de forces disponibles en ce moment dans les dépôts. Des canonniers lillois, réunis aux troupes qui les avaient devancés, apparurent en ville, mirent leurs pièces en batterie sur la Grand'Place, pendant six jours, et rétablirent l'ordre. Ils furent relevés par un détachement d'artillerie de ligne envoyé de Douai.
Les insurgés, comme on les appelait, pour se soustraire à tout danger, se retirèrent dans la forêt de Nieppe et dans les terrains marécageux des environs, entrecoupés de fossés profonds, et de fortes haies d'épines vives. À la tête des réfractaires et des mécontents qui s'étaient organisés aux abords de Bailleul et de Merville, se distinguait un certain Fruchart, qui fut comme le chef des Vendéens de la Flandre.
Louis-Célestin-Joseph Fruchart, l'aîné de sa famille, était un brave paysan de l'Alleu ; ses traits expressifs et son visage reflétait un air de dignité supérieure à sa condition. Il était d'une haute stature, d'une force athlétique et d'une intrépidité qui défiait tout péril. On raconte qu'il domptait de quelques coups de main les chevaux les plus fougueux. Un jour, à la fête de La Gorgue, il aperçoit un militaire terrassé et foulé aux pieds par cinq ou six individus. Fruchart ne connaît pas cet homme mais la lâcheté des agresseurs l'indigne; soudain, il fond sur eux, assomme à demi l'un des assaillants et adossé à un mur il soutient, pendant un quart d'heure, une lutte héroïque qui ne prit fin qu'à l'arrivée de la police. Louis Fruchart était un chrétien convaincu autant qu'un royaliste ardent. Dieu et le Roi étaient dans son coeur plein de droiture l'objet de la plus profonde vénération. Que de fois, sous le manteau de la cheminée, Louis avait senti bondir sa jeune âme des plus vives émotions au récit des horreurs de la Révolution; ère de fraternité sanglante, une fraternité de Caïn qui n'était scellée que par le meurtre et le pillage; l'échafaud en permanence; les nobles proscrits ou expirants dans les cachots; les églises saccagées; les prêtres fidèles jetés sur tous les chemins de l'exil ou traqués comme des bêtes fauves.
Pouvait-il oublier les avanies dont sa famille avait été abreuvée aux jours de la Terreur et les dangers qu'avait courus sa mère, sauvée, comme par miracle, par un généreux voisin : "Oui, mes enfants, racontait la mère, les Bleus m'avaient entraînée sur la place de La Gorgue, et là me présentant la cocarde tricolore, ils voulurent me la faire porter. Je la foulai aux pieds. Ils me menacèrent de me lier à l'arbre de la Liberté : je refuse, répondis-je; et devant l'échafaud je refuserai encore. Rien au monde ne serait capable de me faire changer !"
Et maintenant qu'il ne suffit plus d'avoir déjà payé la dette du sang ou de s'être fait remplacer, au prix de l'or, deux ou trois fois, maintenant que l'empereur, pour faire face à toutes les puissances coalisées de l'Europe, réclame tous les célibataires valides et veut plonger dans les dix classes libérées (de 1803 à 1813) pour en tirer tout ce qui peut porter le fusil, n'est-ce pas le moment propice pour rallier sous un même étendard les mille et mille réfractaires du pays ? N'est-ce pas l'heure providentielle de servir la patrie en la délivrant du joug cruel qui l'accable et en rendant aux princes légitimes le trône qui leur appartient ? Ainsi pensait Louis Fruchart. Avant de prendre une résolution définitive le jeune homme consulte son père qui le félicite de son projet. "Mon fils, dit le paysan attendri et ému de fierté, je t'approuve ; va et si tu succombes, que ton dernier cri soit : Vivent les Bourbons !" Sa vieille mère, celle-là qui n'avait pas tremblé devant la guillotine, ajoute, les larmes aux yeux : "Louis, la cause que tu soutiens est juste; le ciel sera ta sauvegarde, mon coeur me le dit; nos princes légitimes reviendront sur ce trône qui n'a jamais cessé de leur appartenir. Pars, et ne crains rien; chaque nuit, je serai à genoux à prier. Dieu et ta mère veilleront sur toi."
Et voici que ce nouveau Jean Chouan, vêtu de la blouse des campagnards, fixe à son chapeau de paille une cocarde blanche avec cette inscription : "Je combats pour Louis XVII." Il s'élance sur un cheval de labour et convoque les villageois insurgés qui veulent partager sa fortune. Ils arrivèrent nombreux et ce capitaine improvisé, après avoir organisé son armée par compagnies et tracé son plan de campagne, adressa à ses compagnons un mot d'ordre que l'on a retrouvé dans ses notes autographes et qui retracent énergiquement ses convictions patriotiques. "Mes amis, leur dit-il, de cette voix forte et accentuée dont il était doué, les puissances coalisées ne se battent contre la France que pour la délivrer de Bonaparte et rétablir les Bourbons, nos seuls souverains légitimes; ne rejoignons plus les armées du tyran; ne lui payons plus aucune espèce de contributions; armons-nous, unissons-nous pour chasser les troupes envoyées contre nous ! Pour se soustraire à la tyrannie, il suffit de vouloir hardiment; Bonaparte est aux prises avec l'Europe; il a contre lui l'opinion publique; il sera bientôt contraint de renoncer au trône usurpé. Un meilleur avenir nous attend ; mais pour l'obtenir, prenons les armes contre celui qui nous gouverne injustement et qui nous prouve, tous les jours, qu'il est capable de sacrifier à son ambition le dernier des Français..."
Est-ce là le langage d'un chef de bandits et de pillards comme certains voulaient le faire croire ?... Parmi tous ces jeunes gens, conscrits, réfractaires, adversaires politiques, que l'on a évalués au chiffre de vingt mille; dans cette milice de volontaires qui avaient pris les armes pour défendre leurs familles appauvries et ruinées par des guerres incessantes, règne une discipline exacte et soutenue. Toute vexation injuste envers les particuliers est expressément défendue; le vol et le dévergondage sont menacés des punitions les plus sévères; aucune paie ne peut être réclamée et les plus riches fourniront aux vivres et aux besoins de la vie. Pour abréger la lutte on empêchera les fonds publics d'arriver à leur destination. On distribuera aux indigents le produit des captures et les convois de blé et de subsistances destinés à l'armée impériale. Que jamais un juron ne se fasse entendre... Chacun invoquera Dieu pour la cause commune.
Forts de leurs droits, Louis Fruchart et ses partisans attendirent de pied ferme à Estaires un détachement de 800 soldats envoyés contre eux, par le commandant du Département. On était au 27 décembre 1813. Le tocsin sonne dans tous les villages soulevés; et tous les hommes en état de faire le coup de feu se réunissent au nord, à l'est et à l'ouest d'Estaires. À dix heures, toutes les compagnies sont en ligne et à midi sonnant, elles sont sur la place de la bourgade. Ce qui dépasse 1.500 hommes doit former la réserve. Le père Fruchart, à la tête des conscrits du Pas-de-Calais, se porte à l'est.
Cependant le chef du détachement venu de Lille et qui s'imaginait que ses troupes allaient disperser ses adversaires au premier choc, eut l'imprudence de sectionner ses soldats en deux corps qui marchèrent l'un sur Merville, l'autre sur Estaires. C'est de ce côté qu'eut lieu la principale attaque. Débordées, à leur grande surprise, par des forces supérieures les troupes impériales cherchent un refuge dans l'Hôtel-de-Ville. Les conscrits pouvaient les en déloger facilement en incendiant l'édifice, mais cette mesure extrême répugnait à Fruchart qui préféra poster ses hommes dans les maisons avoisinantes. De part et d'autre une fusillade nourrie se poursuivit jusqu'au soir. Les réfractaires comptèrent sept hommes tués et vingt blessés. Quant aux assiégés, il firent dans cette rencontre de nombreuses pertes et ils profitèrent des ténèbres de la nuit pour emporter leurs morts et leurs blessés dans un bateau couvert et pour battre en retraite.
Plusieurs autres escarmouches furent livrées, mais dans ces régions dépourvues alors de grandes routes, et où ne pouvaient pénétrer que de faibles détachements armés, le succès final resta toujours aux rebelles. À la tête de ses francs-tireurs apparaissait sans cesse Fruchart; il semblait se multiplier sur tous les points, aussi son nom et sa personne inspiraient de l'effroi à ses ennemis qui mirent en jeu tous les artifices pour le faire prisonnier. On rapporte qu'un jour, vêtu en paysan, mais armé sous sa blouse, il est accosté par deux gendarmes chargés de l'arrêter. Ces gendarmes qui ne le connaissaient pas, après un échange de quelques mots, lui demandèrent s'il ne pouvait leur indiquer la retraite de Fruchart connu sous le sobriquet de Louis XVII. "Je puis vous le faire voir, répondit-il, venez avec moi." Il les attire près d'une embuscade des siens et leur dit : "Ce Louis XVII que j'ai promis de vous montrer, le voici. En garde !" À ces mots il tire son pistolet de dessous son habit, les charge, les met hors de combat et puis regagne paisiblement ses compagnons.
Cependant les alliés, Russes, Polonais, Saxons, partis de Courtrai, leur quartier général, pénétraient en Flandre du côté de Bailleul. Le 16 février 1814, le baron de Geismar, colonel aux gardes de l'empereur de Russie et commandant un corps de cavalerie légère de six à sept cents hommes vint prêter son appui aux conscrits insurgés. Il adresse aux habitants du pays de Lalleu et cantons voisins cette proclamation en français : "On fait savoir que tout conscrit et tous autres, qui voudront se battre pour la cause des Bourbons, seront commandés par Louis Fruchart surnommé Louis XVII, qui marche avec un corps de troupes alliées. Ils seront bien nourris, habillés et payés."
Fruchart profita de ce nouveau concours pour faire triompher dans la vallée du Lys et dans toute la région d'alentour la cause monarchique et pour adoucir les rigueurs de l'invasion. Quand le baron de Geismar arriva à Hazebrouck le 17 février avec ses Cosaques et ses Saxons, Fruchart qui avait toujours traité avec humanité les prisonniers faits par les insurgés, lui qui distribuait aux indigents les produits des prises de guerre, osa lui parler avec autant de courage que d'indépendance et lui déclara qu'il ne souffrirait pas le pillage dont la ville semblait menacée... et les Cosaques ne regardèrent pas sans étonnement ce capitaine paysan coiffé d'un chapeau rond et caracolant fièrement sur sa grosse jument pommelée, au milieu de la Grand'Place d'Hazebrouck, où bivouaquaient leurs chevaux légers tartares.
Après la première Restauration et au retour de Napoléon de l'île d'Elbe, les volontaires du pays de Lalleu coururent de nouveau aux armes et rejoignirent, à Gand, le monarque fugitif. Dans la suite ils composèrent deux régiments sous les ordres de Bourmont et du Prince Croï-Solre.
Louis XVIII, rétabli sur le trône de ses aïeux, n'oublia pas la famille Fruchart. Pour récompenser Louis, le chef des Vendéens flamands, il le nomma capitaine de ses gardes. Un de ses frères fut incorporé dans la compagnie de Noailles, un autre fut lieutenant au 28ème de ligne. Quant aux vieux parents, le roi, plein de reconnaissance, leur alloua sur sa liste civile une honorable pension.
Le 8 janvier 1851, midi sonnant, Louis Fruchart mourut auprès de sa soeur Catherine épouse Leroy dans leur maison Rue Haute à Lestrem.
Un moment Louis Fruchart passa à l'état d'idole aux yeux de ses compatriotes. Le 27 août 1815, au château d'Assignies, une sorte de petit fanion blanc était offert au chef des Vendéens du Nord par ses admirateurs. Dans le haut de ce fanion étaient peintes trois fleurs de lys surmontées de la couronne royale encadrée de lauriers et des mots : Vive le Roi !
Dans le bas étaient dessinés quatre personnages à cheval représentant :
* Louis XVIII, Roi de France;
* Louis-Célestin Fruchart, valeureux guerrier;
* Pierre-Joseph-Célestin Fruchart ;
* Benoît Xavier Fruchart.
Enfin dans le milieu, figurait le texte suivant :
Vers adressés à M. Louis Fruchart, au château d'Assignies, le 27 août 1815
Digne et vaillant sujet d'un Roi que l'on révère,
Deux fois contre un tyran, tu montras ta valeur;
Accepte notre hommage : il est aussi sincère
Que doit l'être pour toi le sentiment du coeur.
Déjà depuis longtemps ta juste renommée
Répandait en ces lieux le bruit de tes exploits;
Heureuse mille fois, heureuse la contrée
Qui voit ce serviteur du meilleur de nos Rois.
Toi qui vient embellir ces lieux de ta présence
Tu laisses dans nos coeurs le plus doux souvenir.