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Un entretien de Sarah bafo, sur Atlantico

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Quand 92 % des données occidentales sont stockées aux États-Unis, qui peut croire que nous sommes souverains ?  Découvrez ci-dessous mon entretien avec Atlantico qui me permet de présenter mon rapport sur notre souveraineté...

Sarah Knafo : « Le retard technologique de l’Europe l’expose à une dangereuse vulnérabilité stratégique »

Députée européenne membre de Reconquête et de l’Europe des Nations Souveraines (ENS), Sarah Knafo invite l’Union européenne à suivre la vision française concernant la souveraineté dans le Cloud afin de nous protéger de l’extraterritorialité des droits américains et chinois. Elle invite aussi la France et l’Europe à « sortir de la naïveté » et montrer les dents dans le domaine des nouvelles technologies. Entretien.

Atlantico : Dans le cadre de votre fonction de députée européenne, vous êtes responsable d’un rapport sur la souveraineté technologique européenne. Vous évoquez les « principales faiblesses stratégiques européennes ». Jugez-vous que les États membres de l’Union soient devenus trop dépendants des technologies étrangères, singulièrement pour ce qui concerne le cloud ?

Sarah Knafo : Oui, c’est même un euphémisme. 92 % des données occidentales sont stockées aux États-Unis. 69 % des parts de marché européen du cloud sont détenues par des acteurs américains. Ce n’est pas seulement le symptôme du retard technologique de l’Europe, c’est aussi une vulnérabilité stratégique. Nos données sensibles sont dangereusement exposées aux lois extraterritoriales américaines. Or, en matière économique, les Etats-Unis n’hésitent jamais à recourir à des méthodes agressives pour parvenir à leurs fins. Certains ne se sont réveillés qu’avec la hausse des droits de douane décidée par Donald Trump, mais qu’ils se souviennent de l’amende exorbitante que la justice américaine avait infligée à Alstom, ce qui a conduit à son rachat par les Américains. Qu’ils se souviennent aussi de la vente des sous-marins français à l’Australie, que les Etats-Unis ont cassé, pour récupérer le contrat.

Donc évidemment, nous devons réduire notre exposition à ces manœuvres. Il faut que nos données sensibles soient hébergées sur des infrastructures souveraines, protégées des lois extraterritoriales étrangères : la France est déjà avancée en ce sens, avec de très belles entreprises. Avec une telle obligation, nous allons stimuler la construction de data centers chez nous et permettre la croissance de nos entreprises sans être contraints de les saupoudrer de subventions. Ce sera un grand pas vers notre indépendance numérique.

Pensez-vous que le volontarisme affiché par l’Union en matière de défense soit de nature à repartir du bon pied en matière de financement, de recherche et de développement d’innovations qui pourraient avoir un impact militaire et civil ? À renforcer la souveraineté du continent ? Le soutien constant des Etats-Unis aux industries de défense a ainsi eu des effets sur les technologies civiles.

Oui, c’est juste. Plus largement, on peut espérer que ces investissements militaires bénéficient à toute notre chaine industrielle.

Pour l’instant, sur l’industrie de défense, nous en sommes au stade de la prise de conscience et des déclarations d’intentions. C’est un bon début. Maintenant, il faut voir sur quoi cela va déboucher concrètement, car l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Par exemple, dans mon rapport sur la souveraineté technologique, j’insiste pour privilégier l’investissement privé et la commande publique, plutôt que les subventions. Nous sommes aujourd’hui dans un système totalement différent : nos marchés publics sont ouverts aux quatre vents, tout le monde profite de l’argent public européen, des Chinois aux Américains. Par ailleurs, notre marché capitalistique n’est pas assez performant, ce qui provoque des difficultés de financement pour les entreprises. Enfin, notre modèle de subventions s’apparente davantage à un saupoudrage d’argent public dans mille projets, dont beaucoup ne sont pas viables, qu’à une véritable stratégie. C’est d’autant plus absurde qu’une même collectivité publique peut subventionner une entreprise française le matin et choisir, l’après-midi, sa concurrente américaine pour son marché public. J’ai rencontré plusieurs dizaines d’acteurs du secteur tech depuis que je travaille sur ce rapport et tous m’ont dit la même chose : ils n’attendent pas l’aumône de l’Etat, ils ont simplement besoin de marchés, de débouchés pour croître, se développer et continuer d’innover. La commande publique et l’investissement privé, ont la vertu de mettre les entreprises en concurrence, ce qui les conduit à être meilleures.

Croyez-vous que l’Europe a échoué sur le plan des services en ne créant pas un marché unique des services qui aurait pu lui permettre de mieux lutter contre les Etats-Unis et la Chine ?

Cela dépend de ce que vous entendez par cette expression. Aujourd’hui, le marché unique des biens ne protège même plus vraiment notre industrie, ni notre agriculture... Et puis le marché unique des services, nous en avons eu un avant-goût avec le travail détaché, le fameux plombier polonais, en réalité le dumping social : ce n’est pas l’intérêt du travailleur français.

Je pense plutôt qu’il faut que nos entreprises soient les meilleures pour s’imposer sur le marché. Quel est le rôle de la politique, pour aider nos entreprises à être les meilleures ? Déjà ne pas les écraser d’impôts et de normes. Ensuite, leur réserver les marchés publics stratégiques, ce qui remplira leur carnets de commandes et les poussera à la performance. Sur ce dernier point, en effet, l’échelon européen est particulièrement pertinent, pour nous Français. Pourquoi ? Parce que nous avons un avantage comparatif à cette échelle : nous avons les meilleures entreprises d’Europe comme Mistral AI, OVH cloud, Shift Technology, etc. Nos ingénieurs et nos start-ups sont enviés et convoités, à tel point qu’elles sont souvent rachetées par des géants américains. Dans le vaste marché européen, avec la commande publique stratégique réservée aux entreprises européennes, nos entreprises françaises partiraient avec une longueur d’avance. Elle se tailleraient la part du lion dans les autres pays européens et augmenteraient donc considérablement leur terrain de chasse. Ce serait un formidable levier de croissance pour nos entreprises : il faut être pragmatique et s’en servir.

Comment jugez-vous le rapport Draghi ? Partagez-vous quelques-unes de ses orientations ? Qu’est-ce qui vous semble le plus indispensable pour relancer une industrie souveraine en Europe, mais aussi et surtout en France ?

Le rapport Draghi est intéressant car c’est un européiste convaincu qui s’attaque à quelques totems de l’UE : on peut y voir une sorte de droit d’inventaire ou d’autocritique plutôt bienvenue. Par exemple, lorsqu’il préconise aussi la préférence européenne pour la commande publique ou qu’il parle de réduire nos dépendances industrielles, de sécuriser nos approvisionnements en matières premières ou de relancer l’exploitation minière en Europe. On est très loin de « l’industrie sans usines » et de la « mondialisation heureuse », qui ont tenu lieu de doctrine européenne ces trente dernières années. Quand certains viennent à nos idées il faut s’en réjouir et les encourager à poursuivre.

Dans les mesures concrètes de ce rapport, il y a néanmoins de nombreuses choses qui ne vont pas. Sur l’électricité par exemple, Mario Draghi fait le bon constat : le marché européen de l’électricité n’est pas adapté. Il reconnait aussi le nucléaire comme une énergie propre. Très bien. Mais ensuite, ses préconisations sont à l’opposé de ce qu’il faut faire. Il explique que si le système actuel ne fonctionne pas, c’est que l’on ne l’a pas encore poussé assez loin : il faudrait encore plus de (soi-disant) renouvelable, encore plus d’infrastructures pour relier toutes ces installations intermittentes entre elles et une technostructure européenne pour piloter tout cela. C’est de la folie. Il faut arrêter cette fuite en avant qui consiste à essayer vainement de faire fonctionner un système intrinsèquement dysfonctionnel. Pour relancer l’industrie en Europe, il faut une énergie bon marché, abondante, fiable. On y arrivera qu’avec le nucléaire. Pas avec une énergie subventionnée pour les industries, façon bouclier tarifaire permanent. Car ces subventions, nous les finançons par l’impôt et la dette, ce qui est la même chose. Il ne sert à rien de soulager la facture énergétique des entreprises si c’est pour les écraser d’impôts.

Pour relancer l’industrie, le point central est d’ailleurs d’alléger le fardeau fiscal. Pour cela il n’y a pas 50 solutions : il faut baisser les dépenses publiques. Je ne le répèterai jamais assez.

Vous citez l’excellent exemple d’ASML. Cette entreprise a été empêchée de s’implanter correctement en Chine en raison de pressions américaines. Les Etats-Unis ont ensuite laissé Nvidia occuper le marché. Que faire face à l’extraterritorialité du droit américain ?

En effet, j’ai parlé d’ASML dans mon rapport, cette entreprise hollandaise qui produit, en Europe, des semi-conducteurs de pointe, parce que les semi-conducteurs sont un maillon essentiel de la révolution numérique en cours. Aucune industrie, qui fait appel au numérique, ne peut fonctionner sans semi-conducteurs. Donc il faut absolument augmenter notre production locale. Nous en produisons très peu en France, moins de 1% de la production mondiale. Quelle tristesse, quand on sait que c’est un Français qui a inventé la carte à puce !

Pour répondre plus largement à votre question sur les pressions américaines, on entre plutôt dans le domaine de la politique étrangère, que de l’économie. Les Etats-Unis n’hésitent pas à mettre leur puissance et leur diplomatie au service de leur économie. Nous, nous utilisons notre politique étrangère pour défendre des « valeurs » et le « rayonnement de la France ». Là encore, je crois qu’il faut sortir de la naïveté. J’ai essayé d’alerter sur ce sujet en parlant de l’aide publique au développement : il n’y a pas de rayonnement de la France quand on ne se fait pas respecter. Ce n’est pas en gaspillant notre argent dans des projets ubuesques aux quatre coins du monde que l’on se fait respecter. Si les Etats-Unis jouent le rapport de force pour défendre le pré carré de leurs entreprises, et bien soit. Nous devons en faire autant. Mais pour jouer à ce jeu-là, il faut en avoir les moyens. Dans notre situation, on n’est pas crédible avec 3300 milliards de dette. On n’est pas crédible quand le déficit gonfle tous les ans et les dépenses publiques aussi. On n’est pas crédibles pour jouer les gros bras quand on n’est pas capable de chasser les vendeurs à la sauvette au pied de la tour Eiffel. Il faut remettre de l’ordre chez nous avant d’aller défier les autres.

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