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Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (5)

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Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.

(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)

Aujourd'hui : À Juliette Récamier...

À Juliette Récamier...

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Le naufrage.

Rebut de l’aquilon, échoué sur le sable,
Vieux vaisseau fracassé dont finissait le sort,
Et que, dur charpentier, la mort impitoyable
Allait dépecer dans le port !

Sous tes ponts désertés un seul gardien habite :
Autrefois tu l’as vu sur tes gaillards d’avant,
Impatient d’écueils, de tourmente subite,
Siffler pour ameuter le vent.

Tantôt sur ton beaupré, cavalier intrépide,
Il riait quand, plongeant la tête dans les flots,
Tu bondissais ; tantôt, du haut du mât rapide,
Il criait : Terre ! aux matelots.

Maintenant retiré dans ta carène usée,
Teint hâlé, front chenu, main goudronnée, yeux pers,
Sablier presque vide et boussole brisée
Annoncent l’ermite des mers.

Vous pensiez défaillir amarrés à la rive,
Vieux vaisseau, vieux nocher ! vous vous trompiez tous deux :
L’ouragan vous saisit et vous traîne en dérive
Hurlant sur les flots noirs et bleus.

Dès le premier récif votre course bornée
S’arrêtera : soudain vos flanc s’entr’ouvriront ;
Vous sombrez ! c’en est fait et votre ancre écornée
Glisse et laboure en vain le fond.

Ce vaisseau c’est ma vie, et ce nocher moi-même :
Je suis sauvé, mes jours aux mers sont arrachés :
Un astre m’a montré sa lumière que j’aime,
Quand les autres se sont cachés.
Cette étoile du soir qui dissipe l’orage,
Et qui porte si bien le nom de la beauté,
Sur l’abîme calmé conduira mon naufrage
A quelque rivage enchanté.

Jusqu’à mon dernier port, douce et charmante étoile,
Je suivrai ton rayon toujours pur et nouveau ;
Et quand tu cesseras de luire pour ma voile,
Tu brilleras sur mon tombeau.

"En approchant de ma fin, il me semble que tout ce qui m'a été cher m'a été cher dans madame Récamier, et qu'elle était la source cachée de mes affections. Mes souvenirs de divers âges, ceux de mes songes comme ceux de mes réalités, se sont pétris, mêlés, confondus pour faire un composé de charme et de douce souffrance dont elle est devenue la forme visible. Elle règle mes sentiments, de même que l'autorité du ciel a mis le bonheur, l'ordre et la paix dans mes devoirs.

Je l'ai suivie, la voyageuse, par le sentier qu'elle a foulé à peine; je la devancerai bientôt dans une autre patrie. En se promenant au milieu de ces Mémoires, dans les détours de la basilique que je me hâte d'achever, elle pourra rencontrer la chapelle qu'ici je lui dédie; il lui plaira peut-être de s'y reposer: j'y ai placé son image." (Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, Tome II, page 222 (poème: pages 501/502)

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