Feuilleton : Chateaubriand, "l'enchanteur" royaliste... (4)
Anne-Louis Girodet, Portrait de Chateaubriand,
Saint-Malo, musée d’Histoire de la Ville et du Pays Malouin.
(retrouvez l'intégralité des textes et documents de cette visite, sous sa forme de Feuilleton ou bien sous sa forme d'Album)
Aujourd'hui : La Vallée aux loups...
"Il y a quatre ans qu'à mon retour de la Terre-Sainte, j'achetai près du hameau d'Aulnay, dans le voisinage de Sceaux et de Chatenay, une maison de jardinier, cachée parmi des collines couvertes de bois. Le terrain inégal et sablonneux dépendant de cette maison, n'était qu'un verger sauvage au bout duquel se trouvait une ravine et un taillis de châtaigniers. Cet étroit espace me parut propre à renfermer mes longues espérances; spatio brevi spem longam reseces...
...Si jamais les Bourbons remontent sur le trône, je ne leur demanderai, en récompense de ma fidélité, que de me rendre assez riche pour joindre à mon héritage la lisière des bois qui l'environnent : l'ambition m'est venue; je voudrais accroître ma promenade de quelques arpents; tout chevalier errant que je suis, j'ai les gouts sédentaires d'un moine. Depuis que j'habite cette retraite, je ne crois pas avoir mis trois fois les pieds hors de mon enclos. Mes pins, mes sapins, mes mélèzes, mes cèdres tenant jamais ce qu'ils promettent, la Vallée-aux-Loups deviendra une véritable chartreuse. Lorsque Voltaire naquit à Chatenay, le 20 février 1694, quel était l'aspect du coteau où se devait retirer, en 1807, l'auteur du Génie du Christianisme ?...
...Les arbres que j'y ai plantés prospèrent, ils sont encore si petits que je leur donne de l'ombre quand je me place entre eux et le soleil. Un jour, en me rendant cette ombre, ils protègeront mes vieux ans comme j'ai protégé leur jeunesse. Je les ai choisi autant que je l'ai pu des divers climats où j'ai erré, ils rappellent mes voyages et nourrissent au fond de mon coeur d'autres illusions...
...Ce lieu me plaît : il a remplacé pour moi les champs paternels; je l'ai payé du produit de mes rêves et de mes veilles; c'est au grand désert d'Atala que je dois le petit désert d'Aulnay; et pour me créer ce refuge, je n'ai pas, comme le le colon américain, dépouillé l'indien des Florides. Je suis attaché à mes arbres; je leur ai adressé des élégies, des sonnets, des odes. Il n'y a pas un seul d'entre eux que je n'aie soigné de mes propres mains, que je n'aie délivré du ver attaché à sa racine, de la chenille collée à sa feuille; je les connais tous par leurs noms, comme mes enfants; c'est ma famille, je n'en ai pas d'autre, j'espère mourir au milieu d'elle..." (Mémoires d'Outre-Tombe, La Pléiade, tome I, pages 5/6.)