"Rente mémorielle" : sur l’Algérie, souvent, Emmanuel Macron varie…, par Natacha Polony.
"La France a vocation à se tourner vers la Méditerranée. Plutôt que de subir son histoire avec le Maghreb et l’Afrique, elle doit en faire une fierté."
Hannah Assouline
D’où vient cette impression persistante que la politique algérienne d’Emmanuel Macron relève des affaires intérieures ? Préméditée ou non, la saillie du président de la République contre un pouvoir politico-militaire perpétuant une « rente mémorielle » est très certainement un message, mais adressé à qui ?
Sur le fond, rien à dire. On peut être de ceux qui considèrent que la colonisation est une trahison absolue des idéaux portés par la France, et pour autant reconnaître que l’idée d’une « nation algérienne », avant cette colonisation, est des plus brumeuses. Et rappeler que la Turquie, puissance dominante pendant trois siècles à travers l’Empire ottoman, n’a aucune leçon à donner en matière de colonisation est même salutaire. On aimerait que ces rappels bienvenus se glissent dans les cours d’histoire que reçoivent des jeunes Français désormais imprégnés de l’idée d’une culpabilité européenne.
À ceci près que celui qui émet ces remarques tout sauf sibyllines n’en est pas à son premier coup d’éclat, ce qui jette un léger doute sur l’objectif poursuivi. Certes, après le rapport Stora et tous les signaux envoyés par la France pour montrer sa volonté de purger une mémoire encore douloureuse, il est parfaitement légitime d’affirmer, de marteler, que ce genre de cheminement se fait à deux. La France fait, c’est le moins que l’on puisse dire, sa part du travail.
On peut, évidemment, poursuivre cette œuvre de vérité, dire sans fard ce que furent les crimes commis en Algérie par un pouvoir politique dépassé, anachronique ; on peut attendre que des œuvres littéraires ou artistiques traduisent les drames vécus de part et d’autre dans la mémoire populaire. Mais la parole officielle est là. Et elle se heurte à l’hypocrisie d’un pouvoir algérien trop heureux de jouer sur la fibre victimaire que l’Occident valorise avec masochisme.
Revirement
À ceci près que ce jugement d’Emmanuel Macron vient pour le moins percuter le souvenir d’autres déclarations,aux antipodes de celles-ci. Autre campagne, autre lecture de l’histoire : en 2017, le candidat Macron était allé sur le sol algérien expliquer que la colonisation était un « crime contre l’humanité ». La garantie pour lui d’être classé parmi les progressistes, les modernes, les gens bien. Un « crime contre l’humanité » commis par la France, bien sûr, en oubliant que, depuis la nuit des temps, la colonisation, romaine, arabe, ottomane, est une propension assez universelle de toute civilisation.
Le problème n’est pas ce que déclare Emmanuel Macron mais l’impression persistante d’une absence totale de cohérence et de vision venant sous-tendre ces déclarations. Ou, plutôt, l’impression que l’unique cohérence est la constitution d’une posture adaptée à l’air du temps. Fini, le candidat moderne, « inclusif ». La campagne 2022 sera celle de la fermeté. Après quatre ans à la tête du pays, Emmanuel Macron découvre que l’impuissance face à l’immigration vient notamment du chantage aux laissez-passer consulaires exercé par des pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants. Il découvre, surtout, l’intérêt du rapport de force. Espérons qu’il découvrira aussi que, pour que de jeunes Français nés de parents immigrés ne se mettent pas à détester le pays qui est le leur, il faut cesser de leur marteler qu’il a une dette envers eux.
Un peu plus de constance
Une question vient pourtant à l’esprit. Est-il très sain que l’Algérie continue, encore et toujours, à relever de la politique intérieure française ? Et, d’un point de vue diplomatique, la France a-t-elle encore une politique ? La Chine, la Russie et la Turquie ont entrepris de nous chasser d’Afrique par tous les moyens possibles. Économiquement, les intérêts français sont attaqués de toute part. Et, sur ce champ de bataille, il est plus que nécessaire de forger des alliances et d’élaborer une stratégie.
Quelle est-elle en l’occurrence ? N’avons-nous fait que donner des gages en nous flagellant pendant quatre ans pour espérer voir le pouvoir algérien nous accorder quelques contrats, avant de taper du poing sur la table à travers quelques déclarations fracassantes dont on peine à savoir si elles étaient préméditées ou si, comme l’explique un conseiller au journal l’Opinion Emmanuel Macron a « encore pensé tout haut » ? Le moins que l’on puisse dire est qu’on espérerait un peu plus de constance et de mesure.
La question migratoire est au cœur de la campagne, qu’on le veuille ou non. Et l’immigration en provenance des pays du Maghreb est actuellement massive, plus encore depuis que le coronavirus a fragilisé des économies fondées largement sur le tourisme. Il est donc crucial de parvenir à travailler avec le Maroc, la Tunisie et l’Algérie pour que leur jeunesse ne vienne pas nourrir la masse de frustration qui s’accumule dans nos banlieues. Quitte à profiter de la dérive du pouvoir algérien en phase de raidissement vis-à-vis de son voisin marocain, comme vis-à-vis de tout ce qui met en lumière son affaiblissement et ses échecs.
La France a vocation à se tourner vers la Méditerranée. Plutôt que de subir son histoire avec le Maghreb et l’Afrique, elle doit en faire une fierté. Ce ne sera possible que si nous martelons un point : la France n’a vocation à accueillir que ceux qui l’aiment.
Source : https://www.marianne.net/