«Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne», par Elisabeth Lévy.
Gilles-William Goldnadel © Hannah Assouline
Grand entretien avec Me Gilles-William Goldnadel
L’avocat et essayiste déplore le manque de diversité d’opinion sur une station publique dont nous sommes tous « copropriétaires », et dénonce sa position dominante qui lui permet tous les abus.
Causeur. Près de la moitié de vos nombreux tweets épinglent la radio de sévices publics. N’est-ce pas une obsession personnelle ?
Gilles-William Goldnadel. Oui, c’est une obsession que j’assume pleinement. Et je suis de moins en moins seul. Certes France Inter n’a pas perdu d’auditeurs, notamment parce que, en l’absence de publicité, on l’écoute toujours avec plaisir. Cependant, sans vouloir me vanter ou exagérer mon influence, depuis une dizaine d’années que je mets en cause le manque de pluralisme de la Maison ronde et ses tropismes, beaucoup d’auditeurs ont le décodeur.
Mettez-vous toute la radio publique et toute la télévision publique dans le même sac ?
Non. Par exemple, France 2 est infiniment plus pluraliste et plus prudente dans ses affirmations que France Inter. Mais France Inter n’est rien par rapport à Arte…
Reprochez-vous à Inter d’être une mauvaise radio ?
Pas du tout ! Il y a des gens de qualité au sein de France Inter, j’y ai même des amis. D’abord, je n’ai pas les mêmes exigences par rapport à une radio dont je suis le copropriétaire par le truchement du paiement d’une redevance obligatoire que par rapport à une radio ou télévision privée qui fait ce qu’elle veut. A fortiori aujourd’hui où on peut constater un changement dans le paysage audiovisuel privé où on trouve des îlots de liberté et de pluralisme. Je suis davantage attentif à la radio que je paye et c’est pour cela que je m’astreins au plaisir tout à fait mélangé d’écouter la matinale de France Inter.
Venons-en au fond du reproche : l’absence de pluralisme. Je vais me faire l’avocat du diable : à ce sujet, les dirigeants de France Inter brandissent les comptes du CSA supposés montrer qu’ils sont irréprochables concernant les invités.
Ce n’est pas vrai ! J’ai remarqué, et des sondages ont été faits, que la radio publique est celle qui reçoit le plus de membres de l’extrême gauche. D’autre part, c’est subjectif mais vous voyez bien qu’ils ne reçoivent pas de la même manière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Ils n’interrompent pas Geoffroy de Lagasnerie, qui n’est pas une célébrité, quand il explique qu’il faut empêcher la droite dure de parler. De même, lorsque Booba explique que Marine Le Pen est une nazie, Léa Salamé lâche simplement « c’est votre opinion ». Maintenant, s’agissant des éditorialistes, mon regard n’est plus subjectif, mais scientifique. Nicolas Demorand, qui a la maîtrise de la matinale, l’endroit stratégiquement le plus important de la radio, est un transfuge de Libération où il ne faisait pas dans la dentelle. Personne ne proteste que le représentant d’un journal d’extrême gauche prenne la tête de la matinale. Bernard Guetta, qui était tellement européiste qu’il est devenu député européen d’En Marche dès qu’il a été à la retraite, et qui n’a pas trahi les opinions qu’il véhiculait tranquillement dans la Maison ronde jusqu’à prédire le succès du oui à Maastricht, a été remplacé par Pierre Haski, transfuge de Rue89. De plus, il a tranquillement raconté sur France Culture qu’il avait touché de l’argent de Soros pour surveiller le net, pour tenter d’éviter la même catastrophe politique en Europe que celle survenue aux États-Unis avec la victoire de Trump. C’est à lui que l’on confie la politique étrangère sur France Inter ! Je peux multiplier les exemples à l’envi. La responsable des médias de France Inter, Mme Sonia Devillers, a diffusé une liste noire de mal-pensants (à laquelle nous appartenons tous deux) et qui vont se commettre sur CNews.
Elle considère qu’il est très grave de donner la parole à CNews, par contre, elle ne voit pas d’inconvénients à inviter Edwy Plenel qui, non seulement domine l’opinion islamo-gauchiste en France par le truchement de Mediapart, mais a osé écrire que Charlie Hebdo faisait la guerre aux musulmans. Sans oublier qu’il a applaudi au massacre des athlètes israéliens à Munich. L’ensemble des prétendus humoristes de France Inter reconnaissent qu’ils sont de gauche parce qu’ils considèrent que l’humour est de gauche [1]. À ce niveau d’énormité, on a le droit d’être mécontent d’être copropriétaire de cette radio d’État.
Au-delà des invités, il y a le ronronnement idéologique jusque dans la façon de poser les questions. Par exemple, s’ils parlent du mariage gay, ils diront : « Enfin, la France a rattrapé son retard ! »
Le terme « ronronnement » me convient bien parce qu’il désigne une sorte de réflexe physique. Bien sûr, il n’y a pas tous les matins une conférence où ils décident ce qu’ils vont faire pour nuire à la droite, imposer leurs idées et transformer le monde. Mais ils sont dans une pseudo-pensée pavlovienne. Ce ne sont pas des militants, c’est une coterie de gens enfermés dans un bunker physique et intellectuel. Bien sûr, il y a aussi des militants, on a assisté à un festival lors des derniers événements à Gaza. Ils ont donné le micro à une certaine Alice Froussard, que je suis avec une grande assiduité, qui a complètement épousé le récitatif palestinien. Et je vous mets au défi de me mettre sous les oreilles la moindre mise en cause du Hamas.
Quels sont les autres sujets sur lesquels ils vous agacent particulièrement ?
Aujourd’hui, ils sont dans la pensée woke. Mais ils n’ont pas attendu ces derniers mois pour épouser la convergence des luttes. Il y a déjà au moins deux ans, ils avaient donné la parole à une militante néoféministe d’un racialisme et un néoféminisme total et effrayant. En réalité, pas un sujet n’échappe à leur moulinette idéologique. Par exemple, sur les luttes syndicales, ils font la part belle à la CGT plutôt qu’à la CFDT. Et il ne leur viendrait même pas à l’idée d’interroger la partie patronale, cela ne fait pas partie de leur cahier des charges. Sur les faits divers dans lesquels des personnes d’origine étrangère s’en prennent à des Blancs – je pense à Théo tué par une personne d’origine immigrée et déjà oublié –, il est hors de question de préciser l’origine des coupables. Et bien sûr, ils ont toujours une bonne raison. Ainsi le médiateur explique que l’important, ce n’est pas la personnalité de l’agresseur, mais celle de l’agressé. Je veux bien, sauf que pour l’affaire George Floyd, on a énormément insisté sur la couleur de peau de Derek Chauvin. On n’a pas, alors, ce genre de timidité ou de précaution antiraciste, et on insiste bien davantage sur l’origine et la couleur des policiers. Il faut mettre à la même enseigne Le Monde, France Inter et d’autres : à Boulder, dans le Colorado, un Syrien a tué une dizaine de Blancs, c’est passé totalement à la trappe. Quelques jours après, un Noir tuait un policier devant le Capitole, on n’en a pas parlé. Si cela avait été le contraire, des milliers de mots auraient été prononcés. C’est l’angle idéologique qui, au-delà de la radio d’État, affecte l’ensemble de l’idéologie médiatique en Europe.
Comment expliquez-vous, dans ces conditions, que France Inter fasse des audiences formidables ?
D’abord, ils ont du personnel de qualité, que je ne méprise certainement pas. De plus, l’absence de publicité est un avantage déloyal formidable. D’ailleurs, je milite pour la fin de la redevance, ce qui les obligera à recourir à la publicité, comme la BBC (voir l’article de Jeremy Stubbs pages 68-69 du magazine).
Pourquoi est-ce que personne ne proteste ?
Pour deux raisons. La première est que le personnel politique de droite ne veut pas, par médiocrité intellectuelle et par manque de courage intellectuel, se mettre à dos cette radio qui abuse de sa position dominante. Ils veulent continuer à être invités. La tactique de Mélenchon a été bien meilleure, il les a traînés dans la boue. Pendant très longtemps, il n’a pas voulu aller sur France Inter et ils l’ont supplié de revenir. Tandis que le personnel de droite est cauteleux, prudent, courtisan. La seconde raison n’est certainement pas à l’honneur de leur intelligence. Ils ne comprennent pas que ce devrait être un des thèmes les plus importants de la campagne à venir, parce que France Inter permet à l’idéologie dominante de le rester. De plus, ce serait un thème électoral payant. Je ne pardonne pas à cette droite médiocre de ne pas lancer ce débat.
Il y a une autre raison : à France Inter, la rédaction est reine. Quand Nicolas Sarkozy est arrivé, il a nommé Philippe Val, lequel a été accueilli avec des tromblons. Certes, il a pu changer les choses, mais à la marge.
Avant Val, il y avait Cavada qui est au départ un esprit modéré, pas un gauchiste et qui, pour avoir la paix, s’est couché complètement. Philippe Val, que je respecte et estime beaucoup, c’était différent. Il a eu le courage de se séparer de Mermet qui avait eu des propos antisémites et avait diffusé une nécrologie de Sarkozy mort dans son bunker à Jérusalem, ce qui lui avait valu d’être condamné par le CSA.
Le pire, c’est que France Inter donne des leçons de maintien à toute la profession…
En effet, non contente de dominer de la tête et des pieds le paysage radiophonique français et de ne laisser aucune place au pluralisme, elle prétend en plus faire la loi dans le domaine de la télévision privée. Ces gens-là n’acceptent pas que, par exemple, Europe 1 devienne une radio d’opinion. Comme l’a fait remarquer Arnaud Lagardère dans une interview au Figaro, pour eux, la seule radio d’opinion qui aurait le droit de l’être, c’est France Inter. C’est extraordinaire ! Que CNews ou Europe 1 puissent faire parler des gens comme vous et moi serait une sorte de scandale démocratique.
Ils ont tout de même engagé quelques éditorialistes de droite comme Étienne Gernelle et Alexandre Devecchio.
Cela prouve que nous avons marqué des points. Ces gens-là ont beau faire ce qu’ils veulent dans leur Maison ronde et leurs studios capitonnés, ils n’aiment pas être critiqués. Sentant bien que leur statut n’est plus le même dans les dîners en ville, ils voudraient un peu modifier l’image. Donc, à la manière du pâté, ils ont voulu faire venir quelques alouettes solidement encadrées par les chevaux. Et même ces alouettes restent sur l’estomac des journalistes qui se sentent dérangés dans leur tranquillité idéologique. Il n’est pas question de voir une tête de droite dépasser.
Faut-il les combattre par le droit ?
Au minimum sur le droit du travail. L’affaire Le Quintrec est la plus emblématique à beaucoup d’égards. Fabrice Le Quintrec, un homme de qualité, tenait la revue de presse estivale, et il avait eu la prétention, dans un esprit de symétrie, de citer Présent, un journal vendu dans les kiosques. Il n’avait pas fini sa revue de presse qu’il était déjà viré. Nous avons fait tous les procès du monde, tandis qu’une partie de la presse prenait fait et cause pour Inter. J’ai fait condamner France Inter aux prud’hommes et les journaux qui avaient approuvé son licenciement pour diffamation. Inter a préféré placardiser Le Quintrec pendant une bonne vingtaine d’années, le payer grassement à ne rien faire ou presque plutôt que de le reprendre à la revue de presse, comme le protocole l’y obligeait, à telle enseigne qu’ils ont encore été condamnés à payer. Ils se foutent pas mal de l’argent du contribuable, mais il n’était pas question de faire revenir le blasphémateur. J’ai d’autres exemples : à ma grande surprise, j’ai fait condamner Mme Martres, responsable du Syndicat de la magistrature pour son « Mur des cons ». Quelque temps avant notre victoire judiciaire, Nathalie Hernandez m’a appelé pour m’interroger sur la question. J’étais aussi satisfait qu’étonné, je l’ai reçue avec urbanité, elle m’a posé toutes les questions et plus jamais il n’a été question de passer l’interview. J’ai rappelé plusieurs fois Nathalie Hernandez qui n’a même pas eu la correction de me prendre au téléphone : sans doute n’osait-elle pas me dire qu’on lui avait interdit non seulement de faire parler l’avocat Goldnadel, mais encore de dire du mal du Syndicat de la magistrature. Jusqu’au bout, cela a été la posture de France Inter. Sur les sujets judiciaires, c’est peu ou prou le même tropisme.
Avez-vous déjà intenté d’autres actions contre eux ?
À part ce procès Le Quintrec, j’ai pu obtenir de temps à autre du CSA des sanctions, des avertissements. Un jour, le CSA a reconnu que la façon dont ils avaient traité tel sujet du Proche-Orient n’était pas convenable, donc ils ont eu un avertissement. Une autre fois, une autre présentatrice vedette qui tient l’antenne en juillet avait affirmé qu’Adama Traoré était mort des brutalités policières. C’est non seulement faux, mais en plus une atteinte à la présomption d’innocence des gendarmes qu’aucune expertise judiciaire ne met en cause. Le CSA a daigné me donner satisfaction, mais il est infiniment moins vigilant et sévère envers France Inter qu’avec RMC. RMC a été plus condamné parce qu’ils s’étaient permis de plaisanter au sujet de Nafissatou Diallo alors qu’elle n’écoute peut-être pas « Les Grandes Gueules » tous les jours. Mieux que tout : Daniel Riolo a rappelé pendant cette émission que L’Humanité avait paru dans les premiers jours de l’Occupation et avait souhaité la bienvenue aux soldats allemands. C’est rigoureusement la vérité historique, et RMC a été sanctionnée. Souvent, France Inter n’est pas sanctionnée pour dire des mensonges, des radios privées sont sanctionnées pour dire la vérité.
Que faut-il faire pour que les citoyens français retrouvent une radio publique digne de ce nom ?
Il faut rejoindre Goldnadel dans ses obsessions et faire de ce sujet un thème de la campagne présidentielle. Le scandale en l’occurrence, c’est qu’il n’y ait pas de scandale. Si seulement l’opposition se saisissait de ce problème, il serait largement résolu..
[1] « Par Jupiter ! »