Afghanistan : la déroute des démocraties ! (II), par Christian Vanneste.
La guerre selon charlie Wilson est un excellent film américano-allemand réalisé par Mike Nichols. Son “héros” a suscité le soutien décisif des Etats-Unis aux “combattants de la liberté” afghans contre les Soviétiques.
Sa conclusion était lucide : “c’est toujours comme ça avec nous : on vient avec nos idéaux, on change le monde et puis on s’en va. Le manège n’arrête pas de tourner… ” Effectivement, les Américains sont allés en Afghanistan d’abord avec leurs armes et l’argent de leur allié saoudien. Ils avaient des intérêts plus que des idéaux, à savoir mettre les Soviétiques en difficulté. Ils ont laissé le chaos tribal s’installer après la chute du gouvernement communiste, se sont félicités que des musulmans purs et durs formés par leurs alliés pakistanais, les Talibans, mettent de l’ordre en établissant la charia, c’est-à-dire le totalitarisme islamique dans l’ensemble du pays. On voit mal le rapport avec leurs idéaux, la démocratie, la liberté et les “droits de l’homme”, mais quand à partir de ce charmant pays où on encage les femmes privées d’école, ont été organisés les attentats du 11/9, cette fois ils y sont allés eux-mêmes non sans ameuter une coalition de près de quarante pays. Vengeance, punition exemplaire : l’ennemi n°1 était devenu le terrorisme à combattre par tous les moyens et sans trop de souci pour les bagatelles juridiques de l’Etat de droit. Ce fut la grande époque de la “croisade” démocratique, censée justifier l’invasion, redonnant vigueur au projet défendu notamment par Brzezinski d’une “communauté mondiale d’intérêts partagés” dont les Etats-Unis seraient le gendarme légitime. Cette stratégie suppose d’abord un modèle : la démocratie représentative, l’Etat de droit, la liberté des affaires et du commerce. Son établissement justifie le droit d’ingérence lorsqu’un “Etat-voyou” menace un de ses membres ou fait subir à sa population une situation qui s’écarte par trop du modèle. L’Afghanistan des Talibans rentrait parfaitement dans le cadre, et après leur intervention musclée, les Américains ont donc construit une nation, mis en place des institutions. On se rend compte, vingt ans après, que ce n’était qu’un décor, un ‘village Potemkine”, que les Talibans ont renversé en soufflant dessus. En fait, tout en déversant 1000 Milliards de dollars sur le pays, Washington n’a jamais cherché à le connaître et n’a pas compris qu’il ne s’agissait ni d’une nation, ni d’un Etat, mais d’une zone tampon entre des influences rivales, habitée par des tribus jalouses de leurs particularismes, arrimées à leurs traditions, séparées par les langues et parfois la religion, pratiquant sans vergogne racisme, sexisme, voire esclavagisme, sans compter le trafic d’opium.
La “croisade” pour la liberté, la construction des nations démocratiques ne sont pas seulement des utopies juste bonnes à susciter la rhétorique creuse des BHL et Cie. Ce sont des fables, des mensonges qui masquent la volonté de puissance américaine et un mélange étonnant de calculs machiavéliques et d’épouvantables maladresses. La liste des échecs, de l’arrivée de la cavalerie suivie d’une piteuse et humiliante retraite en dépit d’un avantage démesuré de moyens face à l’adversaire est impressionnante : Saïgon 1975, Téhéran 1979 avec en 1980 le fiasco de l’opération de libération des otages ( Eagle claw) ses 8 morts, son C-130 détruit et ses 3 hélicoptères sur 8 en panne, Beyrouth 1983, avec 241morts américains, et 58 Français (!) et fin piteuse de l’intervention, Mogadiscio 1993 rendu célèbre par “La Chute du Faucon noir”, 18 morts, et comme d’habitude, retrait américain, Mossoul 2014, où l’armée irakienne formée par les Américains s’effondre sans combattre, des milliers de ses membres seront exécutés sommairement, Kaboul 2021. On peut faire trois observations : d’abord, le cinéma américain est formidable, avec ses films héroïques mais aussi ses oeuvres qui, au contraire, sont pleines de vérité, Platoon rachetant Rambo ; ensuite, “l’efficacité” américaine est inégale suivant l’adversaire idéologique, supérieure contre les nationalistes serbes ou arabes, qu’en face des islamistes ; enfin, les Etats-Unis se battent souvent par l’intermédiaire d’alliés, qui ne doivent se faire aucune illusion sur la continuité de l’engagement américain, celui-ci étant toutefois plus crédible lorsque des intérêts rejoignent les “idéaux”.
Il est remarquable de voir les Américains abandonner l’Afghanistan plus vite qu’ils ne l’avaient imaginé alors qu’ils maintiennent une base et des troupes en Syrie. Le rapport “coût-bénéfice” n’est pas le même. L’Afghanistan n’a aucun intérêt stratégique. Le pouvoir taliban est apprécié par les voisins pakistanais et par la Turquie, et peut au contraire créer des problèmes dans les anciennes républiques soviétiques turkmène, ousbeke et tadjike, et donc à la Russie, à l’Iran chiite également. Sur le plan juridique, la position américaine est scandaleuse, et montre à l’évidence la mauvaise foi de Washington : alors qu’on lâche un gouvernement internationalement reconnu et qui demande le soutien en Afghanistan, on continue à occuper une partie du territoire syrien, d’y soutenir une dissidence kurde empêchant, comme par hasard, le pays d’exploiter ses ressources pétrolières à l’est de l’Euphrate, et tout ceci à l’encontre du gouvernement légitime. Quant à l’invasion et l’occupation de l’Irak sous le fallacieux prétexte d’un lien entre ce pays affaibli, le terrorisme islamiste et de prétendues armes de destruction massive, elles ont permis à la victime du 11/09 de s’emparer du pétrole irakien et de tenter la création d’une démocratie dans la région. L’ignorance et les maladresses ont détruit ces fantasmes et définitivement ruiné la crédibilité des Etats-Unis.
L’étonnant tropisme “islamique” des Américains, essentiellement des “démocrates”, est d’ailleurs l’un des arguments pour dénoncer leur imposture en tant que chevaliers de la démocratie. Déjà, le 27 septembre 1996, les Talibans avaient pris Kaboul et la secrétaire d’État américaine Madeleine Albright avait dit que c’était un pas positif. La sélection opérée par Obama par la suite entre les “bons” islamistes “frères musulmans” ou “Al Nosra”, c’est-à-dire “Al-Qaïda” et les “mauvais” de Deash, son soutien au “Printemps arabe”, en fait la vague islamique contre le nationalisme arabe, sont également de nature à éveiller les soupçons. L’importance des liens économiques, énergétiques, entre les Etats-Unis et les Etats du Golfe tous aux antipodes du modèle démocratique, puisqu’il s’agit de monarchies absolues dans des pays où parfois la majorité de la population est étrangère et exploitée, l’emporte sur les fameux “idéaux”. En dépit de tout, l’ennemi demeure la Russie plus que l’islamisme. ( à suivre)
Source : https://www.christianvanneste.fr/