Kaboul est tombée : vingt ans d’échec, par Arnaud Florac.
Le président afghan vient de l’annoncer : « Les talibans ont gagné. ». Ils vont entrer en triomphateurs dans Kaboul, aux portes de laquelle ils semblent se tenir, dans un moment suspendu, presque absurde, où l’Occident retient son souffle.
Voilà vingt ans que l’OTAN, à la remorque des États-Unis, s’est engagée dans une opération perdue d’avance. Bombardements, enlisement, formation d’une armée locale indigne de confiance, sacrifice des soldats, incompréhension de l’opinion publique : on prend les mêmes qu’au Vietnam et on recommence. Après une centaine de morts français, après la prise de conscience brutale, par l’armée française après Uzbin, de la nécessité de passer à la vitesse supérieure, quelles leçons pourrait en tirer le pouvoir politique de notre pays ?
Aujourd’hui, tous les commentateurs, tous les candidats, tous les responsables politiques français vont sans doute dire qu’ils avaient tout vu avant tout le monde. Une telle hypocrisie obscène donne presque envie d’éclater de rire. Alors, comme ça, ces cercueils, ces marches funèbres, ces déclarations d’amour à la liberté universelle, c’était du bluff ? Ils savaient depuis le début qu’on n’y arriverait pas ? Quelle farce !
Nous sommes, en vérité, allés nous casser les dents en Afghanistan selon le même paradigme que celui qui servit jadis à la colonisation. Nous n’avons rien appris. Nous y sommes allés, comme jadis en Afrique, au nom d’une idéologie stupide, d’un suprémacisme des Lumières : avant-hier comme hier, il fallait apporter les joies du progrès à des peuples que nous considérions comme arriérés. Ce mépris nous a aveuglés. Nous y sommes restés par entêtement, en dépit du bon sens et malgré les factures qui s’accumulaient (des sommes astronomiques en Afrique française, on le sait, et 83 milliards de dollars pour les seuls Américains en Afghanistan). Nous avons été chassés sans coup férir, car nous étions faibles et fonctionnarisés, appuyés sur un pouvoir incapable et corrompu. « On a mis à la porte un petit vieux en pantoufles qui se contentait de passer à la caisse », écrivait Maurice Bardèche à propos de la décolonisation (dans l’incontournable Sparte et les Sudistes). On ne saurait mieux dire à propos de la force multinationale et du pouvoir afghan que les Américains mirent en place.
Que va-t-il advenir de l’Afghanistan, désormais ? Biden s’en fiche pas mal. Macron, lui, parlera à la télévision. Incapable de se prononcer sur l’échec français au Sahel, il va probablement, sur l’Afghanistan, se livrer à un consternant mea culpa et à un pénible grand oral de géopolitique. Pendant ce temps, les réfugiés afghans se préparent à fondre sur l’Europe. Un malheur n’arrive jamais seul.
Un dernier mot sur notre carte mentale française : n’avons-nous pas, une fois encore, été victimes de notre romantisme ? Au Sahel, nous voyions les Touaregs comme de redoutables chevaliers du désert, enveloppés de mystère séculaire et de drap bleu : ce sont, on le sait maintenant, des combinards sans aucune grandeur qui trafiquent des cigarettes et de l’essence et se vendent au plus offrant, fût-il djihadiste. En Afghanistan aussi, nous voyions le « royaume de l’insolence » avec les yeux de Joseph Kessel dans Les Cavaliers : où était-il, ce peuple de seigneurs ombrageux, fiers et libres ? Nous savons aujourd’hui ce que vaut l’armée nationale afghane, ce que sont les coutumes locales et à quoi rime l’islam tolérant que l’on prête aux peuples des steppes. Peut-être sera-t-il temps, un de ces jours, de faire preuve d’un petit peu de réalisme. Ce serait, pour une fois, une vraie valeur de la République…