Documents pour servir à illustrer une histoire de l'URP (21)...
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21 : À Martigues et Roquevaire, hauts-lieux maurrassiens... Aujourd'hui, comment la maison du Chemin de Paradis est devenue "la maison de Maurras"... (2/5)
(pour ces cinq livraisons, on pourra se reporter à notre Album (de 125 photos) : Une visite chez Charles Maurras...)
Illustration d'en-tête: pas vraiment très "jolie", cette vieille carte postale a cependant le mérite - et l'intérêt - de montrer ce qu'a été, à un certain moment, ce que nous appelons aujourd'hui "la maison de Maurras" : ce "jardin" et ce "bâtiment carré", à l'époque, bien lointaine maintenant, ou des paysans en cultivaient une partie; ce que nous voyons là doit donc correspondre, au moins en partie, et en gros, à ce que devait probablement voir le petit Charles, lorsqu'on l'emmenait "au jardin", les jeudis et les dimanches...
En réalité, nous n'allions, normalement, à Roquevaire, qu'une fois par an : le jour de notre rentrée URP...
Nous allions, par contre, beaucoup plus souvent, et beaucoup plus régulièrement, à Martigues, à la Maison du Chemin de Paradis, qui n'est donc pas celle de la famille Maurras (côté paternel) mais celle des Garnier (côté maternel).
Nous ne sommes pas, et ne voulons surtout pas être de "purs esprits", ni des gens "hors sol". Nous voulons au contraire nous enraciner dans une Terre et une Histoire pétries de sentiments, et donc il ne sera pas inutile de passer un peu de temps, de mettre un peu "de chair et d'os" sur ces noms qui, justement, pour nous ne sont pas des abstractions.
Après avoir rapidement évoqué le pourquoi et le comment du caveau des Maurras à Roquevaire, expliquons donc d'où vient cette fameuse Bastide du Chemin de Paradis, et l'amour immense que lui portait Maurras...
"...Mon Martigues, plus beau que tout !..."
On voit parfaitement la maison de Maurras et son jardin, dans le quartier de Ferrières, juste en face du bord inférieur gauche du stade...
Petit retour en arrière (notre livraison n° 20) : c'est parce que, fonctionnaire à Roquevaire, il fut muté à Martigues que Jean Maurras fit la connaissance de... Marie-Pélagie Garnier, l'une des trois filles du couple Garnier, heureux propriétaire, entre autres biens, de la célèbre Bastide du Chemin de Paradis. Ce couple n'avait pas de garçons, mais trois filles : Mathilde, Valérie et Marie-Pélagie, qui sera donc la mère de Charles Maurras, ainsi que de son frère Joseph (1) : le couple que formeront Jean et Marie-Pélagie n'eut en effet, lui, pas de filles, mais trois garçons, dont l'un qui ne vécut qu'une année environ (Romain, parfois appelé François).
C'est dans un "drôle" de petit livre que l'on apprend quand, comment et pourquoi est né l'amour immense de Maurras pour "sa" maison de Martigues...
"Sans la muraille des cyprès" est le titre de ce qui, à proprement parler, n'est d'ailleurs pas un livre, mais une sorte de fourre-tout assez invraisemblable, dans lequel Mademoiselle Gibert, secrétaire de Maurras, a réuni, en 1941, plusieurs textes différents, certains n'ayant aucun rapport entre eux.
Le titre lui-même n'en est pas un non plus, puisqu'il ne s'agit que des premiers mots du premier de ces textes, jetés là "en vrac", pourrait-on dire, ce qui n'avait, d'ailleurs, pas été du goût de Maurras...
Pourtant, si on laisse là ces considérations, la Préface de "Sans la muraille des cyprès" va nous apporter une foule de renseignements de première main, puisqu'ils sont fournis par Maurras lui-même : les uns carrément drôles, d'autres touchants, certains surprenants : on va suivre l'évolution des goûts et des désirs, dans la tête d'un enfant; puis, l'enfant ayant grandi, l'évolution de ses choix, décisions et réalisations : ce "non livre" improbable apporte ainsi, comme le diable, sa pierre à l'édifice; bien que fort surprenant, il n'est donc pas inutile, loin de là...
Marie Pélagie Garnier - née le 27 avril 1836 et décédée en 1922, à l'âge de 86 ans - était la fille de Pierre Étienne Garnier, maire de Martigues, et de Marie Antoinette Joséphine Boyer. Elle avait donc deux soeurs : Valérie et Mathilde. Et la famille Garnier possédait à Martigues une "maison", dans le quartier de l'Île (celle où est né Maurras, ci dessous), une "campagne", c'est-à-dire, en fait un terrain planté de vignes et d'oliviers; et un "jardin", l'actuelle "maison de Maurras" et son jardin.
Comme sur la maison natale de Bainville, à Vincennes, une plaque, un temps, était apposée sur la façade de cette minuscule maison (3m70 de large !) indiquant la naissance de Maurras en ce lieu. À Martigues (comme à Vincennes) les plaques ont disparu...
Maurras explique, peu après le début du texte, qu'il a commis un sacrilège, dont il se repentira toute sa vie, en faisant abattre plusieurs magnifiques cyprès dans "le jardin" ("...j'ai débuté dans ma longue carrière en offensant ces maîtres sacrés..."); et comment il se rachètera ensuite, par une sorte de frénésie de plantation de cyprès...
Mais, revenons-en au début de "l'affaire", et voyons comment "cette offense mortelle succédait, il est vrai, au plus bel exploit de mon adolescence..."
"Je n'avais pas mes quatorze ans" écrit Maurras; il y a donc huit ans qu'il a connu sa première tragédie, la mort de son père adoré, alors qu'il n'avait que six ans. Il sera frappé bientôt par la deuxième tragédie que fut sa quasi surdité, en 1882 : il aura alors ces fameux "quatorze ans" qu'il n'a pas encore quand il commence son récit...
"Je n'avais pas mes quatorze ans. On procédait à un partage de famille qui avait tardé. Selon l'usage établi chez nos bons bourgeois de Provence, notre grand-mère avait légué à ses enfants une maison de ville, une "campagne" et un jardin. La soeur aînée de notre mère annonçait son intention de se réserver la maison. Sa cadette voulait prendre le champ de vignes, d'olives et de blé. "Prends le jardin, maman ! disais-je, prends le jardin." Elle hésitait. Cette petite propriété, deux hectares et demi de fleurs, de fruits et de légumes, était moins de rapport que d'agrément; elle avait ceci d'onéreux qu'il fallait dédommager d'autres héritiers. Mais je voulais le jardin, et le voulais bien. Jadis, quand nous étions plus jeunes, avant d'aller à Aix pour nos études secondaires, on nous conduisait au "jardin", pour le moins tous les jeudis et les dimanches, et nous en revenions armés de ces grands roseaux verts qu'on appelle chez nous des cannes, et qui tournaient, comme nos têtes, à tous les vents. Puis j'aimais au jardin, le jardinier, la jardinière qui me faisaient boire le lait de leurs brebis et manger "le pain de maison" qu'ils pétrissaient eux-mêmes. Et j'aimais plus que tout le pavillon carré assis au-dessus des parterres, et qui m'avait ri de tout temps par l'or de sa façade, la broderie de ses fenêtres et les denticules de sa corniche : n'avait-il pas été bâti au XVIIIème siècle, avec le reste des pierres de l'église de l'Île ? La tradition le disait, c'était un nouveau lien de cette vieille pierre à moi..."
On sait maintenant, et de source sûre, comment "sa" maison et "son" jardin sont venus à Maurras : entre la maison de ville - où il était pourtant né... - et la campagne, c'est "le jardin" que ce petit garçon voulait : trop tôt orphelin de père, il y passait au moins des jours heureux; voilà pourquoi, comme il le dit, "il le voulait et le voulait bien"...
Ce que nous connaissons tous, aujourd'hui, comme "la maison du Chemin de Paradis" ou "le jardin de Charles Maurras", c'était, pour un petit orphelin de moins de quatorze ans un "jardin" et un "bâtiment carré", havres de paix et d'amusements, de joies simples, de jeux et de bonheur...
La chose fut d'ailleurs heureuse : "Le voeu de notre mère allait d'accord. Seulement mon désir s'exprimait tout haut avec une force d'insistance qui finirent par l'emporter. On paya ce qu'il fallut, le jardin fut à nous, et bien nous en prit.
Lorsque, ses soixante ans sonnés, un peu meurtrie par dix années de Paris brumeux, notre mère eut vu partir son second fils pour les colonies (1) et, me laissant dans la grand'ville, revint seule en Provence, cette maison rustique, ce jardin sec et chaud, cette terrasse ensoleillée et embaumée que purifient le vents qui passent, lui auront dispensé une trentaine d'années tranquilles. Nous l'aurons gardée jusqu'au bout saine, lucide, gaie, en pleine possession de ses facultés, enfin digne d'elle et de son pays. Les "prends le jardin, maman !" n'auront pas fait conclure une mauvaise affaire, ni donné un mauvais conseil. J'en triomphai, mais ce triomphe fut suivi d'une lourde chute..."
(1) : Maurras eut deux frères : l'un, François, ou Romain, qui ne vécut quasiment pas, et, en 1872 (donc, de quatre ans son cadet) Joseph, qui partit à Saïgon, où il mourut en 1924.
Joseph eut quatre filles de son premier mariage, et un fils, Jacques, de son second : c'est ce fils, Jacques, adopté par Charles Maurras, qui fit don de la maison de Maurras à la Ville de Martigues, conformément au vœu de son oncle et père adoptif, en 1997..