Crise Covid : la prise de pouvoir de la prévention sanitaire, par Jean-Michel Pradel.
Dans un précédent article, j’exprimais l’influence (délétère) de la décision politique sur la vérité scientifique. J’indiquais comment, lorsque la formulation d’une hypothèse scientifique entre dans le giron politique, celui-ci, prenant ses désirs pour des réalités, peut convertir un point d’interrogation (le masque est-il efficace en extérieur ?) en un point d’exclamation (le masque est efficace en extérieur !).
Et j’en concluais que cette propension à convertir des hypothèses scientifiques en vérités idéologiques passe par pertes et profits l’analyse du bénéfice/risque grâce à des comités scientifiques dociles et opportunistes.
Des lecteurs m’ont fait observer que les causes de ce processus n’étaient pas abordées, notamment les intérêts financiers majeurs dévoyant les processus de réflexion et de décision. Ils ont raison, mais je pense qu’il existe une explication d’arrière-plan, de nature philosophico-politique, les intérêts financiers et conflits d’intérêts venant avec beaucoup d’opportunisme se caler dessus.
Mon hypothèse repose sur l’importance respective des deux piliers fondamentaux de la médecine : la prévention (surtout primaire, celle des gens en bonne santé) et le soin. Jusqu’à récemment, le soin était plutôt priorisé, la prévention étant le parent pauvre. Or, le Covid valide un grand renversement : en effet, dans cette crise, tous les actes de prévention sont très privilégiés, le soin devenant le parent pauvre (excepté le soin d’urgence vitale).
Ce phénomène m’était déjà antérieurement apparu dans mon exercice, mais restait jusqu’ici cantonné dans les discours plutôt que les actes.
Il s’explique, si l’on appréhende prévention et soins non pas en tant que sciences mais à travers leurs soubassements idéologiques :
Le soin est, lui, d’une faible charge idéologique. On peut néanmoins y rattacher une connotation plutôt conservatrice : il ne fait pas de la santé une fin première, mais juste un moyen. Il répare, restaure l’état de santé initial. Il est plutôt individualiste : je peux consommer un bon vin, quitte à attraper une crise de goutte, le soin m’offre les moyens d’en guérir. Il peut parfois s’emballer, justifiant des contrôles de « pertinence des soins ».
« La prévention-idéologie » a elle, par contre, une visée foncièrement transformatrice. Elle s’adresse à la masse et veut agir collectivement sur les comportements : il n’est pas question que je prenne le risque d’attraper une crise de goutte, et quand bien même le vin, consommé raisonnablement, serait un bien culturel, la santé devient une fin et je dois boire de l’eau. Fumer, même modérément, devient une déviance sociale, etc.
Il ne s’agit pas de jeter le bébé « prévention-science » avec l’eau du bain « prévention-idéologie », soin et prévention peuvent et doivent rester complémentaires.
Mais imaginons un monde, nihiliste et indifférentialiste, strictement « hygiéniste », à tel point que la santé devienne une valeur de remplacement, une fin en soi, et non plus un simple moyen de demeurer en état d’exercer ses aspirations culturelles, familiales, spirituelles… Une sorte d’idéologie moderniste de l’homme nouveau, vivant pour sa santé, dont tous les comportements (car la prévention est très largement comportementaliste) seraient régulés par le pouvoir (masque, confinement, couvre-feu, distanciation…) pour une bonne citoyenneté sanitaire où le culte de la bonne santé aura remplacé nos vieilles habitudes culturelles.
Dans cette idéologie hémiplégique, il n’est bien sûr pas question, comme indiqué au début, d’être regardant sur le bénéfice/risque ou le bénéfice/inconvénient, seul le bénéfice supposé est pris en compte. Et le passeport sanitaire devient un extraordinaire vecteur de cette nouvelle « philosophie ».
Des régimes totalitaires ont esquissé ce concept. L’originalité est, ici, le rapatriement de cette bascule dans des régimes bienveillants et universalistes, démocratiques, ouverts, désireux de répandre leur bonne parole, bref, le camp du bien. Nous en sommes là…