Loi de bioéthique : « un jour, toute cette idéologie s’écroulera », par Camille Lecuit.
Hugo Ribes
Alors que les députés se préparent à adopter définitivement le projet de loi de bioéthique ce mardi 29 juin, la juriste Aude Mirkovic revient sur le bouleversement qu’il ouvre désormais. Ce texte marque pour elle l’abandon de la bioéthique à la française et l’avènement de la loi du plus fort.
Sauf surprise, les députés vont adopter en dernière lecture, ce 29 juin en fin d’après-midi, le projet de loi de bioéthique. Les transgressions permises par cette loi sont-elles désormais irrattrapables ?
Rien n’est irrattrapable, et ces folies ne dureront pas. Très rapidement, on en reparlera lorsque les enfants ainsi conçus dans des tubes à essai de donneurs dans une branche, dans une autre, dans les deux, privés de leur filiation réelle et parfois de filiation tout court, demanderont des comptes. La justice reprend toujours ses droits, mais que de souffrance entre temps, qu’on aurait préféré éviter en faisant échec à ce projet.
Olivier Véran a salué "un texte mesuré qui correspond aux attentes de la société française"… que vous inspire cette remarque ?
Il est complètement à côté de la plaque, déconnecté du pays réel, ou alors il ne veut pas entendre. Les états généraux ont vu l’expression massive des citoyens contre la généralisation de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Les sondages sont hostiles à la PMA dès que les questions sont posées du côté de l’enfant. Olivier Véran exprime une position idéologique qui n’accepte pas de se confronter à la réalité, mais cette idéologie va un jour se fissurer, et alors tout s’écroulera.
Ce texte marque-t-il la fin de la bioéthique à la française pour une bioéthique plus proche du modèle anglo-saxon, plus libérale ?
Il marque le basculement vers le règne de la loi du plus fort : tout le contraire de la justice, qui intègre précisément le respect de tous, à commencer par le plus faible qui ne peut se défendre lui-même.
Quel bouleversement génère ce texte dans la figure du père, notamment en matière juridique?
D’abord, le père devient une option, dont on peut se passer dans la filiation puisque la loi elle-même organise son éviction. Plus généralement, ce texte détache la filiation, et donc la paternité, de la réalité charnelle pour la fonder sur la seule volonté, sur l’intention des adultes. Cette filiation « nouvelle formule » livre l’enfant aux aléas des volontés des adultes et le prive délibérément de sa filiation biologique. Tout le monde sera impacté : comment justifier désormais d’imposer à un homme l’enfant qu’il a conçu à l’occasion d’une relation de passage, si cet homme n’a pas de projet parental, d’intention d’être père ? On ne peut répéter à longueur de débats parlementaires qu’un géniteur n’a rien à voir avec un père et, en même temps, imposer à un géniteur une paternité non voulue.
L’adoption de la PMA pour toutes risque-t-elle d’ouvrir les portes à une marchandisation des gamètes ?
Partout où la PMA a été généralisée, les États n’ont eu d’autre choix que de rémunérer les fournisseurs de gamètes. Ceux qui ne le font pas, comme en Belgique, achètent 90% du sperme au Danemark, et « indemnisent » les donneuses à hauteur de 3000 euros. Quand on sait qu’un ovocyte est rémunéré 900 euros en Espagne, on voit qu’on est mieux payé en étant donneuse en Belgique que vendeuse en Espagne. Bref, tous les États achètent les gamètes, que ce soit chez eux, à l’étranger ou sous la forme dissimulée de l’indemnisation.
Et les campagnes de don ne feront pas décoller le nombre de donneurs. En effet, si les Français ne donnent pas leur sperme, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas généreux, c’est parce que les gens ont l’intuition que concevoir un enfant emporte une responsabilité vis-à-vis de ce dernier, et le désengagement du donneur organisé par la loi est contre-nature. C’est pour cela qu’il n’y a pas plus de donneurs et c’est bien normal : si le don de gamètes est présenté comme un acte altruiste pour donner du bonheur, les hommes savent intuitivement que c’est en réalité un geste irresponsable et égoïste à l’égard de l’enfant.
En quoi la congélation des ovocytes est un bouleversement majeur ?
C’est un moyen de plus de diriger les personnes, y compris ceux qui pourraient procréer naturellement, vers la PMA et ici la FIV. Pourquoi ? Car la procréation naturelle ne rapporte rien, alors qu’un prélèvement d’ovocytes, suivi d’une conservation de ceux-ci et ensuite une FIV, cela rapporte gros.
Maintenant que la loi est votée, que peuvent faire ceux qui s’y opposent ?
On continue, bien sûr, à expliquer, informer, former nos jeunes. Le but est que les Français comprennent l’injustice de ces PMA et n’en fassent pas. Ce n’est pas parce que la loi permet à une femme seule de se faire inséminer par un inconnu pour avoir un enfant interdit de père qu’elle est obligée de faire cela. La loi va rendre les choses plus difficile, raison de plus pour former nos enfants car c’est à eux que l’industrie de la procréation va faire miroiter des techniques toujours plus sophistiquées, afin qu’ils aient la lucidité et la volonté suffisante pour ne pas tomber dans ces mirages.