Emmanuel Macron, mais aussi Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon : chefs à claque, par Natacha Polony.
L’intégration de la politique au spectacle, c’est-à-dire à la mécanique de destruction du sens et de transformation des idées politiques en marchandises consommables, est bien le fait des politiques eux-mêmes, rappelle Natacha Polony.
© Hannah Assouline
Si la déliquescence de notre vie publique se lit dans le geste d’un hurluberlu tout content d’exister durant quelques minutes, cette séquence vient conclure un moment politique dans lequel l’abaissement des fonctions et des institutions ne fut pas le fait des citoyens mais de leurs représentants.
Un sentiment mêlé d’indignation et de consternation. C’est sans doute ce qu’a ressenti une majorité de Français devant le spectacle d’un crétin s’offrant son quart d’heure de célébrité en giflant le président de la République au cri bouffon de « Montjoie, Saint-Denis ! ». La preuve que les fascistes sont à nos portes, comme le prétend Jean-Luc Mélenchon pour faire oublier ses propres turpitudes ? Davantage le signe inquiétant d’une absence totale de limites chez une part croissante de nos concitoyens. C’est bien la décence commune, au sens où George Orwell entendait ce terme, l’idée spontanée chez les « gens ordinaires » qu’il est des choses qui ne se font pas, qui semble s’abîmer, faisant craindre que les conditions d’existence d’une démocratie, une communauté politique constituée d’individus autonomes et responsables, ne soient plus réunies.
Au-delà des réprobations scandalisées d’une classe politique surjouant la responsabilité, au-delà des analyses ressassées sur les « deux corps du roi » – et, donc, la violence symbolique de cette humiliation infligée à celui qui incarne, qu’on le veuille ou non, les institutions –, le minimum serait de convenir que, si la déliquescence de notre vie publique se lit dans le geste d’un hurluberlu tout content d’exister durant quelques minutes et dans les commentaires, sur tous les réseaux sociaux, de ceux qui justifient le geste au nom de leur détestation d’Emmanuel Macron (oubliant qu’il y a une différence majeure entre la pensée et l’acte, et que c’est le franchissement de cette barrière qui est inacceptable), cette séquence vient conclure un moment politique dans lequel l’abaissement des fonctions et des institutions ne fut pas le fait des citoyens mais de leurs représentants.
Politique-spectacle
Une Marine Le Pen ou un Guillaume Peltier, se lançant dans le concours des propositions inconstitutionnelles et des surenchères racoleuses sur les questions de sécurité, un Jean-Luc Mélenchon qualifiant le massacre d’enfants juifs et de soldats par Mohammed Merah d’« incidents »montés en épingle pour « montrer du doigt les musulmans » puis hurlant à la menace fasciste (le fascisme commençant à la droite de LFI) contre sa personne sacrée pour noyer le poisson… Et avant cela, bien sûr, la délicieuse roulade dans la pelouse de l’Élysée de youtubeurs invités par le président pour une entreprise de communication façon « coolitude et sourires niais ».
L’intégration de la politique au spectacle, c’est-à-dire à la mécanique de destruction du sens et de transformation des idées politiques en marchandises consommables, est bien le fait des politiques eux-mêmes, non seulement parce qu’ils ont accepté les formes les plus radicales de la communication politique – ces mots creux inventés par le marketing comme ces formes exacerbées de clientélisme qui découpent la communauté nationale en segments pour mieux flatter un public acquis –, mais surtout parce qu’ils ont accepté depuis des décennies de faire passer les dogmes préservant le modèle de dérégulation et de division mondiale du travail avant le mandat que leur fixaient leurs électeurs.
Consciencieusement, ils leur ont envoyé le message que voter ne servait à rien et que les intérêts du système prévalaient sur la démocratie. Conséquence : des gouvernants nourrissant la rancœur et, de plus en plus, la haine, et des opposants, d’Éric Zemmour aux Insoumis, caricaturant toujours un peu plus leur propre discours pour occuper la scène médiatique et ravir leur fan-club.
Crise démocratique
Que Louis XIV ou Louis XV aient été vomis, leur mort saluée de « hourra ! », nous raconte la colère sourde d’un peuple excédé. Mais les parallèles pontifiants avec nos actuels présidents, sur le thème des « pulsions régicides » si typiquement françaises, oublient un détail : nous sommes censés être en démocratie, et le président est supposé n’être que l’émanation de la volonté du peuple. Que la fracture entre le peuple et les gouvernants prenne la même forme devrait réveiller les endormis quant à l’ampleur de la crise démocratique qui déstructure la France. Le sentiment, chez nombre de citoyens, d’une illégitimité des élus débouche de plus en plus sur un nihilisme qui s’abîmera dans le chaos.
Certes, les professeurs, les policiers, les médecins, les chauffeurs de bus, qui reçoivent menaces, injures et coups, livrés qu’ils sont à la libération des pulsions, auront peut-être du mal à admettre que la violence symbolique du gifleur de Tain-l’Hermitage alarme davantage la classe politique que ce qu’ils subissent quotidiennement. Une conséquence de plus du nombrilisme de ces élites douillettement protégées, à la fois géographiquement et socialement, de l’effondrement, dans les rapports sociaux, de toute limite.
La vergogne, vieux mot pour dire à la fois dignité, pudeur, honneur et honte, est désormais la chose du monde la moins bien partagée. Mais les politiques, comme quiconque a accès à une parole publique, seraient bien inspirés de la cultiver s’ils ne veulent pas être emportés par le déferlement des pulsions, produit du spectacle généralisé.
Source : https://www.marianne.net/