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Croisades et effacements, par Charles de Meyer.

Penchez-vous sur le Proche-Orient sans renier ni votre catholicisme, ni l’héritage de vos Pères, et l’on vous brandira immédiatement le procès en nouvelle croisade.

Nostalgiques, naïfs, esprits rétrogrades, les noms d’oiseau s’étaleront dans toute leur variété. Les fulminateurs ne s’embarrassent pas d’intelligence historique, ils ont pour eux la rumeur qui tient, depuis quelques décennies, l’épopée des croisades pour une démonstration de la barbarie du monde chrétien.

4.jpgLe château de Beaufort, la forteresse de Kérak, les splendeurs du Krak des Chevaliers, dans leurs vestiges et leur superbe, sont pourtant bien éloignés de la bestialité. À l’inverse, l’abandon des sociétés européennes de leur attachement, si féroce fut-il, à Jérusalem n’a pas conduit la ville à l’apaisement espéré. Les récents évènements le démontrent avec éclat.

Au temps du décolonialisme, la croisade jouit de moins d’attraits. Il est au Proche Orient des appropriations culturelles que chacun devrait révérer et des entreprises de préservation qui mériteraient un repentir assidu et permanent.

Le livre de de Gabriel Martinez-Gros, De l’autre côté des Croisades, vient nous permettre d’y voir plus clair. Dès l’introduction il rappelle que « Pour les historiens arabes les plus lucides, ce que nous appelons les croisades entre dans le récit plus vaste de l’effondrement de l’Empire islamique. » Il rappelle à cet égard les passionnantes méditations de deux historiens arabes : Ibn al-Athir et Ibn-Khaldun. De la théorie complète de l’un à l’effroi devant la disparition d’un monde de l’autre, le chercheur tire plusieurs leçons qui offrent, pour l’Européen, l’occasion de décentrer son regard des culpabilités que certains voudraient lui faire porter pour en arriver à la compréhension du moment. Entre la vigueur anémiée des cartels dirigeants de certains royaumes musulmans et l’énergie trépidante et sanguinaire des chevauchées mongoles, c’est tout un déplacement du pouvoir qui s’opéra dans l’Empire islamique. La Perse, puis Bagdad, Damas enfin, virent leur superbe ravie par Le Caire. Jérusalem, à cet égard, ne détenait pas l’importance que les Latins lui conféraient. Rappelons ainsi que le Sultan Al-Kamil n’offrit pas pour rien à Frédéric II Barberousse la paix en Egypte contre la domination à Jérusalem en 1229 par l’accord de Jaffa. Saint Louis ne débarqua pas non plus pour rien au pays du Nil tant les Ayyoubides opinaient nettement de l’autre côté de la Mer Rouge pour asseoir leur puissance.

L’auteur de fournir cette explication : « Ainsi considérée, l’histoire des croisades nous ôte beaucoup de notre culpabilité et beaucoup de notre importance. C’est ce qui la rend si difficile à admettre. Nous préférons être coupables, si c’est le prix à payer pour rester au centre de l’histoire. » Comme toujours, notre regard sur le passé informe notre implication dans le présent. Le rapport aux croisades dans les « élites » intellectuelles et dirigeantes frottées de Proche-Orient n’y déroge pas. Georges Corm place la chose sous le signe de l’émotion en écrivant, dans son Histoire du Moyen Orient[1] : « Les croisades constituent un moment émotionnel toujours présent aujourd’hui dans la conscience des Européens et des Moyens Orientaux ». C’est cependant une émotion qui ne vient plus de la même vibration : quelques orientaux en font un motif de revanche quand la plus grande partie des Occidentaux portent cet héritage comme une cliquette.

Là ou Corm apporte un propos essentiel c’est plutôt quand il rappelle la « coupure si irrémédiable » entre le monde latin et le monde byzantin. Déjà, le soupçon aurait pu poindre quand l’Empereur Jean Tzimicès avait détourné ses troupes de Jérusalem pour sécuriser des ports levantins en 975. Voulait-il cependant autant que les Arabes et la chrétienté latine dominer la Méditerranée tant convoitée ; et dont la maîtrise continue d’orienter nos politiques internationales ? L’Europe d’aujourd’hui ne ressemble-t-elle pas d’ailleurs à l’Empire romain d’Orient d’alors dans cet atermoiement ? Elle est sans doute trop couarde pour embrasser l’énergie d’un Urbain II dont René Grousset nous rappelle l’impressionnant défi : « on ne soulève pas l’Europe, on ne bouleverse pas la face du monde sans entraîner des remous ».[2] Qui sont les catholiques européens qui ne craignent pas les remous ?

Gabriel Martinez-Gros, De l’autre côté des croisades, 2021, Editions Passés Composés

[1]  Georges Corm, Histoire du Moyen-Orient, La Découverte

[2]  René Grousset, L’Épopée des croisades, nouvelle édition 2017, Tempus, Perrin

 

Illustration : Histoire des Mongols (vers 1440) de Rashīd al-Dīn

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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