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Sortie du Covid : des libertés toujours fragiles, par Jean Bouër.

On annonce la sortie de la crise sanitaire. On pourra sortir plus tard, aller au restaurant ou même rire au théâtre… Mais en réalité, les libertés continuent à être fragilisées. Cet article vise à recenser ces libertés publiques soumises à des conditions qui rendent leur exercice précaire.

Un nouvel épisode de « La République contre les libertés », pour reprendre le titre d’un ouvrage d’un universitaire (Jean-Pierre Machelon) qui soulevait les nombreuses restrictions aux libertés publiques appliquées par la IIIe République, contrastant ainsi avec l’image d’un régime perçu à tort comme un âge d’or de ces libertés. Et si l’état d’urgence sanitaire était une nouvelle illustration d’une politique dont le discours libéral – voire libertaire et même permissif quand il s’agit des mœurs – s’accommode sans difficultés d’une atteinte qui pourrait vider ces libertés de leur substance ? La situation de certaines libertés apporte un éclairage instructif.

Liberté d’aller et venir : les allers-retours d’une restriction

Cette liberté qui prévoit que tout citoyen peut circuler et se mouvoir librement a des fondements constitutionnels (articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 66 de la Constitution de 1958 qui mentionne la liberté individuelle auquel la liberté d’aller et venir est classiquement rattachée ou même, sans plus de précision, « principe fondamental de notre droit constitutionnel » selon la décision n°79-107 DC du 12 juillet 1979 du Conseil constitutionnel) ; mais aussi législatifs ou internationaux (article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 qui fait référence au « droit à la liberté et à la sûreté »). Pour le juge administratif, c’est une « liberté fondamentale » qui peut être invoquée à l’appui d’un référé-liberté (CE, 11 avril 2018, n°418 027). Au même titre que la liberté d’expression, elle constitue l’un des pivots d’une société dite démocratique : elle ne peut être limitée que pour des raisons relatives à l’ordre public ou pour des raisons pénales (enquête ou condamnation). Pourtant, la manière dont on y remet en cause une échelle collective ne peut que laisser songeur. En effet, la liberté d’aller et venir n’a cessé d’être régulièrement écornée depuis mars 2020, notamment par des couvre-feu aussi répétitifs qu’évolutifs (interdiction de sortie à 21h, à 20h, à 18h, à 19h, puis à nouveau à 21h…) calqués sur le caractère dramatique ou non de l’actualité sanitaire… Le plus intéressant est que si l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme envisage la restriction de la liberté pour des raisons sanitaires, c’est dans le cas d’une « détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse » et non dans un cadre collectif comme on l’a vu avec les confinements successifs, appliqués indistinctement à des personnes contaminées ou non. L’état d’urgence sanitaire est bien une expérience inédite, qui soulève la question de l’atteinte massive à une liberté classique. Peut-on vraiment affirmer que la restriction à liberté d’aller et venir a été aussi proportionnée qu’elle aurait dû l’être ?

Liberté de culte : un protocole de distanciation maintenu sans aucun calendrier sur la reprise normale du culte

La liberté de culte, dont l’exercice avait été suspendu au cours du premier confinement, avait fait l’objet de mobilisations, aboutissant au rétablissement rapide de cet exercice. Le Conseil d’État était intervenu à plusieurs reprises et certaines de ces décisions feront date dans le régime jurisprudentiel de la liberté de culte. Dans plusieurs décisions, rendues à la suite de référés-liberté déposés par plusieurs associations après le premier confinement ou pendant le deuxième, le Conseil d’État avait indiqué que « la liberté du culte présente le caractère d’une liberté fondamentale. Telle qu’elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l’ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (CE, ord., 18 mai 2020, n°440 366, cons. 11 ; CE, ord., 7 novembre 2020, n°445 825, cons. 10). Cela avait suffi à rétablir à la fin du mois de mai 2020 l’exercice du culte. En novembre 2020, le Conseil d’État avait rejeté les requêtes demandant le rétablissement de l’exercice normal du culte, mais quelques semaines plus tard, (CE, ord., 29 novembre 2020, n°446 930), il avait enjoint au Premier ministre de modifier dans un délai maximum de trois jours son décret du 29 octobre 2020 pour encadrer de manière proportionnée les rassemblements et réunions dans les établissements de culte. Les autorités publiques étaient ainsi revenues sur la limitation de 30 fidèles par rassemblement au sein d’un lieu de culte par la mise en place d’un protocole prévoyant des règles de distanciation entre fidèles. Curieusement, alors que ce protocole impose aux lieux de culte une distance d’un siège sur trois et d’un rang sur deux, aucune date de reprise du culte dans les conditions normales n’a été à ce jour indiquée. Une anomalie qui contraste avec les calendriers publiés pour d’autres activités, comme la restauration en intérieur ou les salles de sport. Faut-il en déduire que la reprise normale se fera à compter de la cessation du couvre-feu le 30 juin 2021 ?

Des libertés locales entravées par l’usage abusif des visioconférences ?

La libre administration des collectivités locales est une liberté publique, dont l’effectivité permet de jauger le respect par notre pays des droits et libertés. Pour le juge administratif, elle constitue bien une « liberté fondamentale » qui peut être invoquée dans le cadre d’un référé-liberté (CE, ord., 18 janvier 2001, Communes de Venelles). Pour le Conseil constitutionnel, elle fait aussi partie de ces droits et libertés qui peuvent être invoqués à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Pour autant, l’exigence de visioconférence dans certaines communes pourrait mettre en cause la libre administration des collectivités locales prévue par l’article 72 de la Constitution. Qui plus est, le législateur avait encadré dans le temps le recours à ces visioconférences. En effet, la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 avait ouvert jusqu’au 16 février 2021 la faculté de recourir à ces réunions virtuelles. Or quelle n’est pas notre surprise de constater qu’après cette date, certaines assemblées locales ne se sont pas privées de réunir leurs élus à distance ! Peut-on sérieusement affirmer que l’appréciation du quorum (le nombre d’élus présents pour qu’une assemblée locale puisse se tenir régulièrement) se fait aussi en fonction des élus qui sont à distance ? La notion de présence est clairement pulvérisée… Les échanges en visioconférence ne présentent pas les mêmes liberté et spontanéité que dans une situation réelle. Bref, s’il n’y a guère de débat, donc de délibération au sens plénier du terme, la « réelle capacité de décision »[1] qu’implique la libre administration des collectivités locales a-t-elle été respectée ?

[1] . Louis Favoreu et André Roux, « La libre administration des collectivités locales est-elle une liberté fondamentale ? », Cahiers du Conseil constitutionnel, n°12, mai 2002.

Illustration : La brigade des libertés veille sur nous : Bruno Le Maire (ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance), Amélie de Montchalin (ministre de la Transformation et de la Fonction publique), et Cédric O (secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques).

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Source : https://www.politiquemagazine.fr/

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