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Razzia politique Laïcité, sécurité, immigration… Tous ces sujets que droite et gauche ont laissés au RN, par Natacha Polony.

La force du RN ? Flotter au gré des courants sur l'Europe, l'économie, Schengen... Ci-dessus, Marine Le Pen et Emmanuel Macron le 3 mai 2017 lors du débat télévisé de l'entre-deux-tous de la présidentielle.
© Eric Feferberg / Pool / Reuters

Laïcité, République, protectionnisme, sécurité, immigration, nation, localisme… La gauche et la droite ont abandonné des pans entiers du champ politique au Rassemblement national. Évacuant tout débat démocratique.

Natacha Polony.jpgIl faut être lucide, on en prend pour un an. Jusqu’à l’élection présidentielle de 2022, la vie démocratique française va se résumer à des phrases pénétrées et des slogans éculés pour nous mettre en garde contre le risque d’une victoire du RN. Depuis tant d’années que le système médiatico-politique joue à se faire peur à chaque scrutin, on se croirait dans la fable du berger qui criait au loup. Les citoyens se sont lassés. Pis, certains commencent à se dire : « après tout… ». À qui la faute ?

Il faut se souvenir de ce dimanche 19 avril 2015, où François Hollande, ravi d’avoir trouvé l’arme de décrédibilisation massive contre le FN, lance benoîtement : « Marine Le Pen parle comme un tract du Parti communiste des années 1970. » Accessoirement, le grand homme de gauche a donc oublié que, à l’époque, le PCF a signé un programme commun de gouvernement avec le Parti socialiste… Il offre surtout un cadeau monumental au Front national, lui faisant crédit de défendre les ouvriers, les travailleurs, les petites gens, toutes les victimes de la désindustrialisation. Effarant. Après la nation, la sécurité, la laïcité, il ne manquait plus que le social…

Prise de conscience... ou panique ?

En 1997, Jean-François Kahn décida de fonder Marianne et de placer à sa une la Liberté guidant le peuple, flanquée de son drapeau bleu-blanc-rouge. Réaction dans le petit milieu : « Mais ce n’est pas un peu lepéniste ? » Obstiné, il persista, affirmant même – comble de la transgression – que ce journal parlerait d’immigration ou de sécurité, pour qu’enfin ces sujets ne soient plus abandonnés au Front national. C’était il y a vingt-quatre ans…

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Soulcié

Les choses ont changé, diront certains : la preuve par ces politiques de tous bords empressés de venir soutenir les policiers en colère. La preuve par les déclarations d’Olivier Faure le 23 mai sur Europe 1 : « Drapeau français, Marseillaise, laïcité, et maintenant la sécurité […] rien de tout cela n’appartient à l’extrême droite. Les républicains, c’est nous ; ceux qui ont toujours combattu la République, c’est eux. » Une prise de conscience ou une panique ? Résultat : certains cadres du RN considèrent désormais leur parti comme le centre de gravité de la vie politique et même comme un pôle de stabilité empêchant que la colère n’explose…

Il faut avouer qu’ils s’y sont mis à plusieurs pour placer, depuis des années, le FN devenu RN au centre du jeu politique. Les innombrables « castors », d’abord, qui ont fait du « barrage » leur seul programme politique. Tous ceux, ensuite, qui voient des fascistes partout pour mieux se donner des airs de résistants. Mais le FN a surtout servi, à partir des années 1990, de machine à disqualifier quiconque entendait combattre le contournement de la démocratie au nom du dogme néolibéral. Une critique du libre-échange ? De l’Union européenne, adepte de la « concurrence libre et non faussée » ? Un plaidoyer pour un peu de protectionnisme ? « Discours digne du Front national ! »

Évacuer le débat

Et hop, emballé, c’est pesé… Pour le dire simplement, le Front national a d’abord permis aux gauchistes de diaboliser la nation, le patriotisme et le drapeau, d’interdire de rappeler qu’un pays a le droit de décider qui est sur son sol et qu’un État a le devoir de protéger physiquement ses citoyens. Puis, il a offert aux néolibéraux de toute obédience la possibilité d’évacuer tout débat sur le système économique, le libre-échange, la dérégulation, la division mondiale du travail, bref, sur la protection économique.

Au fur et à mesure que gauche et droite lui abandonnaient des pans entiers du champ politique, le FN s’est construit un positionnement pour combler le vide. Le parti anti-État et anti-impôts de Jean-Marie Le Pen s’est forgé un discours de défense des ouvriers, des fonctionnaires, de l’armée et même désormais des préfets… L’exemple le plus extraordinaire de cet opportunisme multiforme concerne la laïcité, de la part d’un parti s’appuyant encore sur les catholiques intégristes.

Discours attrape-tout

Aujourd’hui, nombre de Français sont tentés de répondre : « Et alors ? Que ce soit par opportunisme, peu importe. Ce qui compte, c’est le résultat. » Si le FN devenu RN prétend défendre l’école républicaine, la protection sociale, le droit pour la France de se perpétuer comme nation et comme civilisation, et même l’écologie, à travers le localisme et les circuits courts, quand les autres abandonnent tout, pourquoi ne pas essayer ? C’est oublier, d’abord, que ce parti porte intrinsèquement une conception identitaire de la France, qui fracture la nation au lieu de la souder (comme la gauche identitaire fracture, de l’autre côté). Les habituels dérapages racistes de certains de ses membres ne sont pas que des dérives individuelles. Ils relèvent d’une vision du monde.

Mais, surtout, quand il s’agit de combattre un système porté par les puissances économiques et la haute administration, par tous les rouages de la machine institutionnelle, notamment européenne, l’absence de convictions finit toujours par se voir. Les Français ont déjà connu ces discours attrape-tout et ces promesses sans lendemain. De Nicolas Sarkozy, capable de parler avec des trémolos dans la voix de la République, du maître d’école, de l’autorité, tout en menant la politique du CAC 40 et du bling-bling, à Emmanuel Macron, dont le « en même temps » ne relève pas de la nuance mais des options contradictoires, ils ont payé pour savoir que la cohérence est la condition de l’action politique.

D’autant que le RN flotte au gré des courants. C’est d’ailleurs sa force. Sur l’Europe, sur l’économie, il se normalise pour rassurer l’électorat âgé et possédant, sans lequel on ne gagne pas. Schengen, l’euro, la CEDH… autant de sujets sur lesquels le parti se tempère et renonce à toute remise en cause. La souveraineté nationale n’est que l’instrument d’une conquête d’électorat, ce que Jordan Bardella, sur le plateau de Zemmour et Naulleau en mars 2021, traduisait ainsi : « On a peut-être commis l’erreur, durant la présidentielle de 2017, de trop parler de macroéconomie. » Pourtant, le RN ne perd pas le vote contestataire. Il agrège. Mais une chose est certaine : à ce jeu-là, les classes populaires et les petites classes moyennes, les perdants du système, se font toujours avoir à la fin.

Source : https://www.marianne.net/

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