L’envoi massif de migrants, nouveau moyen de gestion des conflits entre États ?, par Marie Delarue.
Des milliers de points noirs sur la mer et les plages bondées où s’avancent les chars et la Guardia Civil… C’est à Ceuta, enclave espagnole sur la côte nord du Maroc, où ont débarqué, lundi, près de 8.000 Marocains arrivés à la nage ou bien en longeant à pied les digues qui bordent les plages.
La moitié des adultes ont déjà été renvoyés au Maroc, mais il est impossible d’expulser les 2.000 mineurs. Dans le même temps, plus de 300 ont aussi tenté le passage vers Melilla, l’autre enclave espagnole, à 400 km.
Ceuta et Melilla sont les frontières sud de l’Europe, le dernier mur avant l’Afrique. Alors Pedro Sánchez, le chef du gouvernement socialiste espagnol, l’a assuré : « L’intégrité territoriale de l’Espagne, de ses frontières, qui sont aussi les frontières extérieures de l’Union européenne, et surtout la sécurité de nos compatriotes et leur tranquillité, seront défendues par le gouvernement espagnol, à tout moment, face à n’importe quel défi, avec tous les moyens nécessaires et conjointement avec ses partenaires européens. » Si l’Europe y met autant d’empressement qu’elle en met à défendre les côtes italiennes, les habitants de Ceuta ne sont pas près de retrouver la paix…
Comment ces milliers de Marocains ont-ils pu prendre la mer à la nage ou en canot sans que la police marocaine n’intervienne ? Elle regardait ailleurs, tout simplement, quand elle n’a pas carrément facilité le passage.
Pour résumer d’un mot : on a sciemment « lâché » ces flots de migrants à l’assaut de l’Espagne, puis de l’Europe.
Ce n’est rien d’autre qu’un coup de semonce de la part des autorités marocaines. Une nouvelle manière de faire pression dans un conflit qui les oppose au gouvernement espagnol. En effet, comme le dit Juan Jesús Vivas, le président de Ceuta : « Notre ville a subi une invasion, ce serait une erreur de traiter la question comme un problème migratoire. »
C’est un problème politique. Le Maroc reproche à l’Espagne d’avoir accueilli le chef des indépendantistes du Front Polisario, Brahim Ghali, dans un hôpital de Logroño. Selon Jeune Afrique, « une équipe de médecins algériens a accompagné le leader sahraoui à Saragosse à bord d’un avion médicalisé affrété par la présidence algérienne ».
Le Maroc réclame le respect de la parole donnée. Voilà 45 ans que le statut du Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est au cœur du conflit. Le Polisario réclame son autonomie ; le Maroc, qui contrôle plus des deux tiers du territoire, propose un plan d’autonomie sous sa souveraineté. Comme la France le fait avec la Nouvelle-Calédonie. Or, rappelle Le Monde, « depuis que, le 10 décembre 2020, l’ancien président américain Donald Trump a décidé de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, Rabat attend de l’Espagne – et si possible de l’Europe – qu’elle fasse de même. Sans succès. Or, en échange, le Maroc avait rétabli ses relations avec Israël, une décision déjà difficile à l’époque, qui risque, dans le contexte actuel des bombardements sur Gaza, d’enflammer son opinion publique. »
S’ajoute à cela la question financière. C’est France Inter qui la résume : « Rabat a vu comment, en 2016, la Turquie a obtenu 6 milliards d’euros de l’Europe pour stopper l’arrivée massive de migrants. Même la Libye a été servie en obtenant, en 2015, plus de 350 millions d’euros ! Le Maroc, lui, walou ! » Or, « retenir les migrants a coûté à Rabat 3,5 milliards d’euros en cinq ans. L’Europe a donné 140 millions et l’Espagne a ajouté 30 petits millions par an. Le compte n’y est pas et la pandémie a rendu les histoires de gros sous très pressantes. »
Ecrivain, musicienne, plasticienne
Source : https://www.bvoltaire.fr/