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Dissolution de Génération identitaire : "Ceux qui en auront envie continueront à militer dans d'autres organisations", par Paul Conge.

Des militants de Génération identitaire, déployant une banderole lors d'une manifestation des soutiens du Comité Adama Place de la République, en juin 2020.
Quentin De Groeve / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP 

Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques, réagit à la décision du gouvernement de dissoudre le groupuscule d'extrême droite, qui s'est récemment fait remarquer pour ses patrouilles anti-migrants à la frontière franco-espagnole.

10.jpgTic-tac. Le temps est compté pour Génération identitaire (GI). Le groupe d’extrême droite ne dispose que de dix jours pour s’opposer à la procédure de dissolution enclenchée contre elle par Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur, ce samedi 13 février. C’est la première fois qu’un gouvernement s’engage aussi explicitement contre ce groupuscule basé à Lyon, connu pour ses actions tapageuses comme son déploiement d'une banderole hostile aux étrangers sur la façade de la CAF de Bobigny (Seine-Saint-Denis) en 2019, ou ses patrouilles anti-migrants dans les Pyrénées en 2021. Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques et spécialiste de l’extrême droite, déchiffre pour Marianne ce projet de dissolution.

Marianne : En plein débat sur le « séparatisme », Gérald Darmanin porte personnellement la procédure de dissolution contre Génération identitaire (GI). L’organisation existe depuis 2012 sous cette forme. Pourquoi s’en prend-on à elle maintenant ? 

Jean-Yves CamusIl y a des projets de dissolution qui traînaient dans les cartons. Déjà en 2013, à la suite de l’affaire Meric et de la dissolution de Troisième Voie, de l’Œuvre française et de la Jeunesse Nationaliste Révolutionnaire (JNR), ce groupuscule avait déjà une épée de Damoclès au-dessus de la tête. À l’époque les éléments n’avaient pas été jugés suffisamment probants. Pendant des années, des associations antiracistes ont demandé sa dissolution. Il y a toujours un risque que le Conseil d’Etat décide d’annuler la procédure. Dans les années 1980, il a fallu s’y reprendre à trois fois pour dissoudre un groupe néonazi accusé à tort de l’attentat de la rue Copernic. Depuis, le ministère de l’Intérieur fait très attention.

À la différence de mouvements néonazis comme « Blood and Honor Hexagone » ou« Combat 18 », tous deux dissous en juillet 2019, Génération identitaire n’en appelle pas explicitement à la violence, se rêve comme un simple Greenpeace d’extrême droite, fait attention aux lignes rouges à ne pas franchir et, en plus, gagne ses procès. Y a-t-il des bases matérielles pour une telle dissolution ?

La violence n’est qu’un des aspects possibles. Dans la loi de 1936 sur les groupes de combat et milices privées, il existe sept critères de dissolution, dont le sixième est l’encouragement à la discrimination et au racisme. C’est celui-là qui semble fonder le dossier de Gérald Darmanin. Ce n’est pas un groupe terroriste ou qui appelle à renverser la République. La question est de savoir si des gens qui brandissent sur le toit de la CAF de Bobigny une banderole « De l’argent pour les Français, pas pour les étrangers », appellent à la discrimination ? Ils signifiaient qu’un Français et un étranger éligibles à une même aide sociale soient traités différemment. Or, la loi française fonde les aides sociales sur des situations individuelles, que vous soyez français ou étranger… Cela dit, en matière de liberté publique, je pense qu’il vaut mieux poursuivre au pénal sur la base d’un délit, que de sortir le marteau-pilon de la dissolution.

Il existe d’autres organisations qui pourraient être suspectes de « séparatisme » à l’extrême droite. Pourquoi eux ?

Parce que c’est le groupe le plus important de la nébuleuse. Et c’est celui - c’est peut-être sa malchance - qui s’y prend le mieux pour médiatiser. Toute mesure de dissolution est une mesure politique. À la fin des années 1960, Raymond Marcellin, ministre de l’Intérieur, dissout à la fois la Ligue communiste et Ordre nouveau (mouvement nationaliste, N.D.L.R.), dans un parallélisme des formes.

Faut-il voir un même « parallélisme de forme » à l’œuvre aujourd’hui, cette fois entre islamisme et extrême droite, après la dissolution fin 2020 d’organisations comme le CCIF ou BarakaCity ? 

Il y a effectivement des membres du gouvernement qui croient à la théorie de la « tenaille identitaire ». On dissout des organisations islamistes, et par parallélisme, on dissout une organisation d’extrême droite qui représente une autre forme d’identitarisme — ou de séparatisme. Mais avouons que c’est un parallèle fragile. On peut ne pas être enthousiasmé par ce qui se dit dans les locaux de GI, mais cela n’a pas grand-chose à voir avec le trouble que peut occasionner une mosquée radicale, dans laquelle des gens sont incités à commettre des actes de terrorisme ou à écouter des sermons pour vivre à part du reste de la société.

Il y a quelques jours dans Libération votre confrère Nicolas Lebourg s’inquiétait cependant du danger de projets d'attentats à l'extrême droite. 

Il doit y avoir des gens qui y pensent. Mais les complots des Barjols ou AFO, les deux les plus élaborés ces dernières années, ont été déjoués en amont avec une assez grande facilité. Le stade de préparation était embryonnaire. Par rapport à l’Allemagne, le vivier n'est pas le même, l'Etat fédéral recense plus de 26.500 militants d’ultradroite, dont la moitié, 13.500 sont des militants orientés vers la violence, du terrorisme au tabassage de rue. Je ne dis pas que nous n’aurons pas en France un Brenton Tarrant, un Anders Breivik, mais les services l’ont parfaitement intégré. Et ils ont les moyens suffisants pour traiter.

Si elle est dissoute, l'organisation pourra-t-elle survivre, en se domiciliant à l'étranger ou se morcelant en petits groupuscules à l'instar du Bastion social

Oui, comme tous les groupes. La dissolution de l’Œuvre française n'a pas dissuadé Benedetti de continuer à militer. Cela a toutefois réussi dans le cas de Troisième Voie dans la mesure où Serge Ayoub (ancienne figure skinhead, NDLR) est passé à autre chose. Dans le cas de GI, un vivier de quelques centaines de militants relativement aguerris, ceux qui en auront envie continueront à militer dans d'autres organisations.

Source : https://www.marianne.net/

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