Darmanin et la théorie du Grand Remplacement, par Georges Michel.
Les chiffres, c’est bien connu, on leur fait dire ce que l’on veut. Ou presque. Gérald Darmanin, lors du débat avec Marine Le Pen, l’a montré. Tout content de sa trouvaille, le ministre de l’Intérieur : « Quand je suis né, en 1982, il y avait 6,8 % d’étrangers en France. Aujourd’hui, il y en a 7,4 %, dont la moitié d’Européens. La théorie du Grand Remplacement de l’extrême droite n’est pas très sérieuse. Leur seul objectif est d’entretenir la peur », s’est-il empressé de tweeter après ce débat, reprenant ses propos devant la présidente du Rassemblement national.
En y ajoutant l’entretien de la peur, chose dont il s’est bien gardé de parler dans le face-à-face, de peur peut-être, justement, de se prendre un retour sur les raisons de cette peur qui n’a pas besoin de « l’extrême droite » pour être entretenue. Notons, au passage, cette façon très « darmanesque » de toujours tout ramener à lui : « Quand je suis né, en 1982 » : histoire, peut-être, de faire passer le message qu’il est un jeune ministre… et forcément brillant. Mais c’est un détail.
Donc, 6,8 % d’étrangers en 1982, 7,4 % aujourd’hui. La France comptait, à la naissance du petit Gérald 55,57 millions d’habitants. Donc, on avait 3,77 millions d’étrangers en France. Avec 67 millions d’habitants aujourd’hui, 4,95 millions d’étrangers vivraient donc dans notre pays, soit autour de 2,5 millions d’Européens et tout autant de non-Européens (principalement Afrique du Nord, Afrique subsaharienne, Turquie). Vu comme ça, au fond, tout va bien. Sauf que…
Sauf qu’il ne faut pas parler de population étrangère mais de population immigrée. L’INSEE l’explique très bien : « Selon la définition adoptée par le Haut Conseil à l’intégration, un immigré est une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. La qualité d’immigré est permanente : un individu continue à appartenir à la population immigrée, même s’il devient français par acquisition. » Or, que dit l’INSEE ? En 1982 (année de référence !), la part de la population immigrée dans la population était de 7,4 %, soit un peu plus de 4 millions de personnes. Aujourd’hui, cette part est de 10 %, soit environ 6,7 millions de personnes. Plus tout à fait pareil. Quittons l’échelle de temps de Darmanin et remontons jusqu’en 1968 (autre année de référence !) : la part de la population immigrée était, alors, de 6,6 % pour 50 millions d’habitants, soit 3,3 millions. En un demi-siècle, la population immigrée a donc plus que doublé dans notre pays. Mais tout va bien.
Sauf que, encore, Gérald Darmanin se contente de nous donner deux photographies : 1982, 2020. Mais ce n’est pas avec deux photos que l’on résume un long-métrage de près de quarante années. Pour parler plus crûment, il faut considérer le flux mais aussi le stock. Toujours selon l’INSEE, les immigrés et leurs descendants directs représenteraient 19 % de la population métropolitaine, près de 29 % de la population des villes de plus de 10.000 habitants. Entre 2000 et 2016, la part des enfants ayant au moins un parent étranger est passée de 15 à 24 %, si l’on en croit les chiffres de Michèle Tribalat rapportés en 2018 dans un article de L’Express.
Toujours selon cette démographe, le nombre de naissances a été accru de 27 % du fait de l’immigration sans laquelle l’indice conjoncturel de fécondité n’aurait été que de 1,86 enfant par femme au lieu de 2. Selon les calculs d’un autre démographe, Hervé Le Bras, réputé, lui, pour son grand optimisme immigrationniste, « la moitié de notre croissance démographique depuis cinquante ans est due à la baisse de la mortalité ; mais l’autre moitié, en effet, est représentée par l’immigration » et « en 2014, 40 % des nouveau-nés avaient au moins un grand-parent immigré ». Michèle Tribalat souligne le fait que ce phénomène est « minoré par le jeu des naturalisations ». La machine à assimiler étant en panne et celle à intégrer allant visiblement moins vite que celle à naturaliser, on comprend alors les quelques ratés de notre société…
Mais à part ça, « la théorie du Grand Remplacement de l’extrême droite n’est pas très sérieuse », comme dit Gérald Darmanin. La théorie. Et la pratique ?