Impuissance diplomatique, par Charles de Meyer.
Les Français ont raison de croire qu’ils sont les fils d’une grande nation.
Aucune des vicissitudes de la politique contemporaine n’a définitivement entamé notre diplomatie. Contrairement à de nombreux voisins européens, nous n’avons jamais complètement abdiqué ni les aspirations à la fronde dans notre politique étrangère ni un appareil militaire qui appuie notre indépendance.
Certes, cela ne maintient pas la gloire d’antan. Et le bilan de nos effronteries reste famélique. Mais il demeure. À l’heure des risques afférents à l’établissement d’une administration Biden, ce n’est pas sans valeur.
Le maintien de ces parcelles de souveraineté est toutefois tributaire d’un appareil d’État dangereusement gagné par les maladies du siècle. Au Quai d’Orsay, beaucoup sont prêts à plaindre la persécution des Ouighours sans regarder l’origine et les financements des études qui les concernent. Au Quai d’Orsay, beaucoup croient sincèrement qu’il faudrait réduire nos relations avec l’Égypte au motif que le président Sissi ne correspondrait pas aux canons de la démocratie libérale. Dans le marécage des intervenants médiatiques en politique étrangère, c’est la foire aux sanctions qui est à la mode. Un dirigeant vous déplaît ? Sanctionnez son entourage. Une assemblée souveraine travaille à une loi qui ne vous sied guère ? Appelez à son renversement depuis l’étranger.
Tout se produit comme si les restes de notre influence internationale étaient mis en péril par une armée d’esprits formés à l’air du temps.
Cela pesa certainement dans deux échecs récents de la diplomatie française. En Arménie d’abord, où notre participation au groupe de Minsk, sensé surveiller le conflit du Haut-Karabagh, n’a compté pour rien dans nos réactions face à la l’invasion de l’Artsakh par l’Azerbaïdjan. Il faut dire qu’il eût alors fallu travailler avec Moscou… que nos envoyés tançaient à cause de la rocambolesque affaire Navalny – du nom de cet opposant au Kremlin qui prétend avoir été empoisonné par les services russes – et de la « révolution » en cours en Biélorussie qui passionne le haut-commandement de l’OTAN.
Au total, la France a participé au concert de provocations à l’égard de Moscou sur deux dossiers très éloignés de nos intérêts nationaux, qu’ils soient de puissance ou d’éthique, au détriment d’un organe de traitement des conflits qui aurait dû jouer un rôle d’apaisement et de sanctuarisation territoriale.
Les lectures conseillées pour les jeunes diplomates devraient comporter moins de rapports idéologiquement orientés d’Amnesty International et plus de contes comme Pierre et le loup.
C’est d’ailleurs exactement ce qui se passa à la suite de l’initiative d’Emmanuel Macron pour le Liban après la sanglante explosion du 4 août dernier. Le président de la République n’a épargné aucun effort, emmenant avec une lui une foule hétéroclite d’experts et d’obligés d’État, et rappelant le lien historique entre la France et le pays du Cèdre. Mais il a aussi entamé une course folle dans la politique intérieure libanaise qui ne pouvait qu’affaiblir la position française. Professeur fouettant les élèves turbulents, il a confondu un pays et une classe, une nation et un marché, un problème fondamental et les aléas de la vie politique. Au final, la France n’a rien gagné et le Liban non plus, désormais prisonnier du fléau de l’émigration accélérée de ses élites, notamment chrétiennes.
Servir les chrétiens d’Orient reviendra donc en 2021 à assumer un double engagement. D’une part, dénoncer les persécutions et les discriminations dont ils souffrent – c’est bien le moins – mais autant le dire : il faut le faire avec leurs morts, leurs souffrances, la violence de leurs adversaires, en refusant d’édulcorer ce qui ne doit pas l’être. D’autre part, dénoncer les fumisteries des idéologues qui ternissent le choix capétien d’une farouche indépendance. Car c’est à ce prix que la France goûtera aux joies de l’action plutôt qu’aux misères du commentaire.
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