Assa Traoré, icône du Time et égérie de Stella McCartney : j’ai mal à mes forces de l’ordre…, par Gabrielle Cluzel.
Ainsi donc, Assa Traoré, sacrée par le Time « gardienne » de l’année, occupe la une du magazine. La photo, hiératique, est artistiquement travaillée. Comme un clair-obscur de Rembrandt, le visage, auréolé par la chevelure, est le seul élément éclairé.
Quasi christique. La touche de couleur est le bleu de sa tunique, comme la Vierge. Sainte Assa, priez pour nous. Si tant est que nous le méritions.
Il est vrai que le Time n’a pas toujours eu la main heureuse – Pierre Laval, homme de l’année en 1931, Hitler en 1938, Staline en 1939, Khomeini en 1979… -, ce qui aurait pu l’amener à plus d’humilité, et même à mettre un terme à ses palmarès hasardeux.
Depuis les fresques de Stains et de Noisy-le-Sec, l’icône de l’antiracisme a fait du chemin. Et si ce couronnement médiatique semble en être l’acmé, d’autres épisodes aussi glorieux qu’improbables méritent d’être cités. Il y a eu, à l’automne, son grand portrait dans les pages glacées de Paris Match, elle y faisait la promotion de la polygamie – une « expérience formidable »– mais qu’importe, n’est-ce pas, personne n’a relevé ni protesté, pas même Marlène Schiappa. Puis, il y a quelques jours, première étape internationale, elle a eu les honneurs de la presse féminine, pour son « apparition inattendue dans une campagne de Stella McCartney » (Madame Figaro) : « La créatrice britannique a choisi la sœur d’Adama Traoré, mort en 2016 lors d’une intervention policière aux circonstances troubles, pour promouvoir la lettre A de son abécédaire engagé. » Assa Traoré, « héroïne de la nouvelle collection » (Elle), pose en tee-shirt blanc. Son poing, bien sûr, est serré façon Black Lives Matter. Son torse est frappé d’une lettre sanglante : le A entouré d’« Anarchie ». Ou d’« Accountable » (« responsable »).
Sur son compte Instagram, Stella McCartney commente la photo : « Pour moi, être responsable, c’est perpétuer le souvenir de ceux dont la vie a été arrachée à cause de l’injustice » – les tribunaux français n’ont pas rendu leur verdict, mais Stella McCartney l’a fait -, « c’est rester digne et se tenir debout, coûte que coûte, pour montrer à nos enfant le chemin de la liberté et de l’égalité ». Voilà, donc, Assa Traoré promue symbole de dignité, de liberté et d’égalité, et en plus exemple pour nos enfants. Il est vrai qu’elle est déjà allée prêcher la bonne parole dans plusieurs lycées. Sans que Jean-Michel Banquer, à ma connaissance, n’ait tiqué.
On apprend dans Elle qu’une série limitée de ces t-shirts graphiques sera lancée au modique prix de… 450 euros. Mais attention, n’allez pas y voir un produit de luxe, mais une « collection de T-shirts solidaires » : « Les bénéfices de chaque vente soutiendront l’association portée par l’artiste qui se cache derrière la lettre de l’abécédaire. » Cela change tout. Pas du prêt-à-porter de luxe imaginé par une fille à papa née avec une cuillère en or dans la bouche pour vêtir des fashionistas suffisamment argentées et déjantées pour acheter à ce prix-là un tee-shirt, mais une œuvre pie, pour dames patronnesses 2.0.
Parions que les policiers et gendarmes traînés dans la fange, insultés, à chaque manifestation organisée par Assa Traoré, n’achètent pas souvent de tee-shirts à ce prix-là. Mais ce sont des ploucs, n’est-ce pas ? Il est peu probable que Stella McCartney s’intéresse à cette France d’en bas ni ne s’émeuve du fait que Bagui Traoré, le frère d’Adama et Assa, doive répondre, devant la cour d’assises du Val-d’Oise, de tentatives de meurtres sur gendarmes et policiers, en bande organisée et en récidive. Il est vrai que ces tribunaux ne sont plus tellement utiles depuis que les stylistes rendent la justice sur Instagram. Au pays des valeurs inversées, tout délinquant arrêté est un Dreyfus qui s’ignore, tout people un Zola au petit pied. Et tout flic un assassin en puissance, que le fait même d’avoir choisi ce métier rend suspect.
Mais pourquoi donc nos gouvernants qui tweetent à tort et à travers, « tiktokent » bêtement, « instagrament » dès potron-minet, « brutent » à contre-temps, bref, parlent mille fois trop… n’ont jamais eu un mot pour contester cette ubuesque et tragique canonisation d’Assa Traoré ?