Le feuilleton Macron, saison II.., par Christian Vanneste.
Sous le Général de Gaulle, les gouvernements étaient en grande partie fondés sur la compétence des ministres, et sur leur stature personnelle acquise par leur parcours politique et intellectuel. Malraux à la Culture, Couve de Murville aux Affaires Etrangères, Foyer à la Justice, Messmer à la Défense, Giscard d’Estaing aux Finances, Peyrefitte à l’Information etc…. L’appartenance partisane venait au second rang, devait demeurer discrète et contribuait à l’équilibre sans être le résultat d’un savant dosage.
Par la suite, elle prit de l’importance, ce qui n’a rien d’illégitime en démocratie, quand un gouvernement s’appuie sur une majorité composite. Mais peu à peu, l’image a remplacé le réel, l’impact médiatique s’est imposé devant l’efficacité : on ne peut pas dire que Borloo ait mis fin à la dérive des quartiers perdus de la République avec une politique pourtant très coûteuse, ni même que le Kärcher de Sarkozy les ait soustraits à la domination des réseaux de la drogue ou de ceux de l’islamisme, lesquels ne sont pas sans connexion. Quant à la spécialité professionnelle des ministres, on sait qu’elle n’est nullement une garantie : le passage de l’avocat Badinter à la Justice a été calamiteux, celui du magistrat Arpaillange, dont Santini disait que « si Saint-Louis rendait justice sous un chêne, lui c’était comme un gland », a été pire encore. Belloubet, « grande juriste » place Vendôme, et le médecin Agnès Buzyn à la santé ont définitivement ruiné l’idée qu’il fallait des spécialistes professionnels à la tête des ministères. Il faut aussi et avant tout que le sens de l’Etat l’emporte sur l’idéologie, et que la volonté acharnée du Bien commun tire les titulaires d’un ministère vers le haut en les empêchant de papillonner devant micros et caméras.
Désormais, la communication, le spectacle, le simulacre ont pris l’avantage. Ce n’est plus la compétence qui est requise, mais « l’image ». D’abord, la silhouette globale de l’ensemble des ministres : il faut un « dosage », mais celui-ci n’est plus le reflet de l’Assemblée et de sa majorité, mais une projection « sociologique » appuyée davantage sur la conception que le microcosme parisien se fait de la société que sur la réalité de celle-ci. Il faut la parité entre les sexes, ce qui politiquement ne signifie rien. Il faut de la diversité, bref, du communautarisme. Il faut surtout des « coups de com » afin que le lancement du film gouvernemental soit une réussite parce que le « casting », la distribution en bon français, aura créé l’événement. C’est Sarkozy qui avait lancé cette mode, reprise par Macron, ce qui n’a rien d’étonnant puisque le nouveau gouvernement a davantage pioché dans le sarkozysme que dans le juppéisme pour faire croire aux benêts qu’il penchait à droite. En 2007, le nouveau président avait voulu une ouverture à gauche. C’était uniquement pour l’annonce. Les ministres demeurèrent ce qu’ils étaient. Le député de droite, que j’étais, savait que dans certains ministères, il était en terrain ennemi. Une politique exige de la cohérence et souffre des conséquences à long terme d’un choix uniquement motivé par son annonce. La prise de scalps dans l’autre camp fait jubiler au début, mais déchanter très vite. De même, la surface médiatique d’une personnalité qui accepte de participer à un gouvernement attire les projecteurs, mais avec le risque que son indépendance, puis son départ en inversent le bénéfice à terme. Nicolas Hulot en fournit un bon exemple.
Le gouvernement Castex confirme hélas cette dérive : il a sa vedette, l’avocat Dupond-Moretti. Avec son surnom d’Acquitator (acquitte à tort), il n’a pas ménagé les magistrats et sa nomination provoque déjà la colère de nombre d’entre eux, mais si cela peut réjouir ceux qui souhaitent bousculer une justice lente et laxiste, il risque d’y avoir un malentendu. De gauche, il s’est déjà fait applaudir par les détenus en visitant une prison. Alors que le problème français est l’insuffisance « hôtelière » du système carcéral, et non la sévérité des peines et de leur application, il veut diminuer la prétendue surpopulation pénitentiaire. Face à un ministre de l’Intérieur, qui voudra briller place Beauvau, comme son modèle, en brandissant à nouveau le Kärcher, l’affrontement semble inévitable. Par ailleurs, le premier retrouvera en quittant son ministère des affaires qu’il traitait auparavant : le conflit d’intérêts paraît évident. Quant au second, objet d’une enquête pour viol, sa nomination comme patron de la police n’est pas convenable, même en vertu de la présomption d’innocence. Veran, le ministre de la Santé garde son portefeuille. Or, lui aussi est l’objet d’une enquête judiciaire à la suite de neuf plaintes en raison de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire. Il y a dans ces choix une désinvolture qui confine au mépris. On y retrouve l’arrogance qui est l’une des signatures du macronisme, l’autre étant son progressisme. Malgré le départ de trois socialistes, mauvais, si on ose ce pléonasme, Castaner, Belloubet et Ndiaye, les électeurs de droite ne devraient pas s’esbaudir : l’arrivée spectaculaire de Bachelot à la culture confirme certes l’alternance à ces ministères lorsqu’ils sont de « droite », d’homosexuels et de femmes, comme si cela comptait dans la désignation, mais surtout, cette héritière a toujours appartenu au courant progressiste, celui qui a empêché la « droite » d’être cohérente avec elle-même, en lui donnant le visage de la gauche avec une génération de retard, comme si le progrès, à droite, c’était la décadence, mais à pas comptés. Pour ceux qui pensent que la droite, la vraie, c’est celle du redressement, et donc parfois de la réaction, l’opération de sauvetage du macronisme en vue de 2022 n’est qu’un mirage, une illusion qu’il faut dissiper au plus vite.