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Une statue n’est pas un livre d’histoire, par Aristide Renou.

Revenons un peu sur ces histoires de statues vandalisées ou bien, pire encore, retirées à titre « préventif » pour ne pas risquer la colère des « antiracistes ».

Quel est le problème ?

Accordons à tous ces modernes iconoclastes qu’une statue n’est pas un livre d’histoire : elle ne vise pas simplement à rappeler tel ou tel fait ou évènement du passé, elle est une manière d’attirer l’attention sur ce fait ou cet évènement.

Statufier, c’est valoriser, c’est donner de l’importance. Et, lorsqu’il s’agit d’un personnage historique, statufier revient implicitement à donner à admirer. Eriger dans un espace public la statue, mettons, d’un homme d’Etat, est une manière de lui rendre hommage et on ne rend hommage qu’à ce qu’on considère comme bon. C’est donc affirmer implicitement que l’action de cet homme d’Etat a été essentiellement bonne, ou en tout cas suffisamment bonne pour que nous puissions l’admirer.

Bien entendu la réalité est souvent, peut-être toujours, complexe, car quel homme peut se vanter de n’avoir fait que du bien dans sa vie ? Mais le principe ne me parait pas vraiment contestable : une statue d’un personnage historique dans l’espace public est une sorte d’hommage rendu à celui-ci.

Je ne crois donc pas qu’il soit pertinent de s’opposer au déboulonnage de telle ou telle statue en disant que nous devons assumer toute notre histoire, ombres et lumières comprises. Oui, toute histoire nationale est faite d’ombres et de lumières, mais ériger une statue n’est pas une manière « d’assumer » son passé. L’évêque Cauchon, Ravaillac et le docteur Petiot, par exemple, font incontestablement partie de l’histoire de France, et cependant il ne nous viendrait pas à l’esprit de faire des statues de ces trois hommes et de les mettre au milieu de nos places ou de nos jardins publics.

Il faut donc donner raison à Olivier Duhamel lorsque celui-ci dit que les Roumains n’ont pas à garder les statues de Ceaucescu au nom du « respect de l’histoire ».

Plus pertinente, mais pas entièrement pertinente, me parait être l’objection selon laquelle l’actuel iconoclasme reviendrait à « manipuler l’histoire », comme l’a dit Marion Maréchal, et à la juger à l’aune de nos petites obsessions actuelles. En effet, l’anachronisme est souvent patent dans ces accusations portées contre tel ou tel personnage historique et il y a quelque chose d’insupportablement stupide et prétentieux dans cette manière de se placer en position de supériorité olympienne par rapport aux siècles passés, alors même qu’on les juge à partir de critères non examinés qui ne sont rien d’autre que de purs préjugés.

Cependant, le refus légitime de l’anachronisme ne doit pas nous faire sombrer dans l’historicisme. La nécessaire contextualisation d’une action, et notamment d’une action politique, ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il existe des critères objectifs, transhistoriques, du bien et du mal (je ne crois pas que Marion Maréchal me contredirait sur ce point). Le genre de critères qui nous permettent d’affirmer, par exemple, que Tamerlan a été un conquérant particulièrement cruel et un fléau du genre humain et que Staline a été l’un des plus abominables tyrans que la terre ait jamais porté.

Quel est le véritable problème ?

Une statue est toujours élevée par un peuple particulier et c’est du point de vue de ce peuple particulier qu’est jugée la bonté de l’action de celui à qui on élève la statue. En effet, la nature humaine étant ce qu’elle est et la nature de la politique, par conséquent, étant ce qu’elle est, il est impossible que les intérêts légitimes de tous les peuples puissent tout le temps s’accorder. Par conséquent, il est très difficile à un homme d’Etat, et même peut-être pratiquement impossible, d’être bon pour le peuple dont il a la charge sans causer parfois quelque préjudice ou quelque déplaisir à d’autres communautés politiques.

L’humanité a toujours été et sera toujours divisée en nations souvent rivales, parfois ennemies, et jamais amies au plein sens du terme, c’est aussi simple que cela. Le bien commun est le bien d’un corps politique en particulier, ce pourquoi Aristote affirme que la justice n’existe véritablement qu’à l’intérieur de la cité. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons aucune obligation vis-à-vis des autres peuples de la terre, simplement ces obligations passent après celles que nous avons vis-à-vis de nos concitoyens dès lors qu’il y a conflit entre les deux.

Par conséquent, il est tout à fait inapproprié, et même injuste, de reprocher à nos voisins de célébrer une victoire qui fut pour nous une cuisante défaite, ou d’ériger des statues à un brillant général qui, sur les champs de bataille, fut notre fléau. Et inversement, bien sûr.

Plus généralement, il est inapproprié de reprocher à un peuple de célébrer un homme d’Etat qui fut réellement bon pour lui, qui sut défendre ses intérêts légitimes, qui sut contribuer à sa grandeur et à son rayonnement, au motif que l’action de cet homme d’Etat ne fut pas bonne pour d’autres peuples quelque part sur la terre, que cela soit volontairement ou involontairement – pourvu, bien sûr, que cela fut en poursuivant le bien véritable de sa propre nation, et en ayant une indulgence raisonnable à la fois pour les contraintes qui limitent toute action politique et pour d’éventuelles erreurs de jugement qui peuvent difficilement être évitées dans des matières aussi complexes.

Il est donc tout à fait normal que les Français élèvent des statues à Colbert, qui fut un grand serviteur du royaume de France, quand bien même il serait l’auteur du fameux « Code Noir » (je suppose, pour les besoins de la discussion, que ce code est aussi vilain que ce que l’on nous en dit aujourd’hui, même si je sais bien que tout cela est très contestable). Le bien que Colbert avait en vue, et devait avoir en vue, était celui de la France telle qu’elle était dans la deuxième moitié du 17ème siècle. Le bien des esclaves noir présents dans les colonies françaises était nécessairement pour lui une considération très secondaire. Admettons, si l’on veut, que le Code Noir ne soit pas ce qu’il a fait de mieux : cela ne saurait en aucun cas effacer les services signalés qu’il a rendu à la France et qui justifient pleinement qu’il y ait des statues de Colbert.

De la même manière, oui, Churchill était un « impérialiste » : l’empire britannique lui paraissait une grande et belle chose, parce qu’il n’était pas un relativiste et qu’il croyait, si ce n’est à la mission civilisatrice de la Grande-Bretagne, du moins à la supériorité de sa civilisation, et d’autre part car il était un patriote fervent et qu’il considérait l’empire comme indispensable à la puissance et à la grandeur de sa patrie. Peut-être se trompait-il sur cette question de l’empire (ce qui, à mon avis, reste à prouver), mais cela n’efface aucunement les services immenses qu’il a rendu à la Grande-Bretagne, et d’ailleurs au reste du monde en rendant service à la Grande-Bretagne. Churchill est, sans doute, le plus grand Anglais du 20ème siècle et si quelqu’un mérite que les Anglais lui érigent des statues, c’est bien lui.

Or donc, ceux qui aujourd’hui prétendent détruire les statues de Colbert ou qui souillent celles de Churchill démontrent une chose par leur action : ils ne considèrent pas l’action de ces grands hommes du point de vue qui fut le leur, et qui était celui de leur patrie. Ils la considèrent d’un point de vue extérieur. Ils la considèrent comme s’ils étaient des étrangers. Ce qui leur importe, ce n’est pas le bien que Colbert a fait à la France, c’est le fait que, à leur avis, il n’ait pas été bon pour les esclaves noirs. Ce qui leur importe, ce n’est pas le bien que Churchill a fait à la Grande-Bretagne, c’est le fait, par exemple, qu’il ait eu une piètre opinion des Indiens ou qu’il ait considéré l’islam comme une religion néfaste.

Bref, nos iconoclastes démontrent qu’ils ne sont Français ou Britanniques que de nom mais que leur cœur est ailleurs. Ils démontrent que leur loyauté va à… je ne sais pas, à l’Oumma ? A la négritude ? A leur race ? Au pays de leurs ancêtres ? Mais en tout cas qu’elle ne va PAS à la France ou à la Grande-Bretagne.

L’actuelle vague d’iconoclasme n’est rien d’autre qu’une nouvelle phase dans la longue guerre menée en Occident contre l’idée de nation et, dans la mesure où elle est avant tout l’œuvre de gens qui sont censés être nos concitoyens, bien qu’à l’évidence ils ne se considèrent pas comme tels, elle est un des prodromes de la guerre civile qui vient.

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