Le règne technocratique, de Frédéric Winkler.
« Les dimensions de l'entreprise néo-radicaliste, avec ses ambitions, ses rouages, ses tentacules européennes, son arsenal financier, cette volonté de vampiriser les masses s'apparente beaucoup à une prise de pouvoir totalitaire » (Dominique de Roux). L'instabilité, l'hétérogénéité du personnel politique des IIIe et IVe Républiques ont en effet permis l'apparition d'une nouvelle classe dont la Ve République devait consacrer le règne et que Saint-Simon, au XIXe siècle, appelait de ses voeux : les « experts », les technocrates. Le changement régulier du personnel administratif, non seulement empêche une intégration locale de celui-ci mais rend le service parfaitement anonyme. Telle est l'origine du transfert progressif des pouvoirs aux techno¬crates. La planification devait les conduire à proposer un État apparemment plus fort et plus stable : ce fut l'origine de la Ve République.
Dans le même temps, le secteur privé devait suivre une évolu¬tion analogue avec la prise en main progressive des entreprises par les « managers ». Le capital privé, familial, dissous dans l'anonymat, leur laissait la place. Dès lors il n'y a plus de grandes différences entre les secteurs publics et privés, ni même entre les mentalités... Et l'on peut considérer avec Pierre DEBRAY qu'il n'y a qu'une bureau-technocratie qui se définit comme « le gouvernement collégial de commis irresponsables (au sens patrimonial du terme) choisis selon les critères de la compétence technique ou supposée ». Ainsi existe-t-il un groupe cohérent, puissant, permanent, privilégié, une caste dirigeante : « Le pouvoir est accaparé, la fonction publique asservie. » On ne saurait être plus clair, mais c'est le « Pays Réel » qui subit cet état de choses. L'Administration s'est substituée à ses organes et se comporte avec eux comme si elle avait affaire à des individus dotés chacun d'un conseil judiciaire, d'où le « maquis administratif et procéduriel » dans lequel l'État se débat et qui l'empêche finalement de jouer son rôle. En fait, cette mentalité technocratique se révèle radicalement opposée aux exigences de notre civilisation et de notre être national. Pierre DEBRAY le disait très bien : « La menta¬lité bureau-technocratique, qui fait passer le quantitatif avant le qualitatif, le rationnel avant le vital, le mécanique avant le volon¬taire, apparaît ainsi comme un obstacle principal au progrès humain. » Pour ce faire, on maintiendra parfois volontairement un niveau qualitatif bas de la production (voitures, pneus, immeubles...). On développera plus que de raison l'automation avec ses consé¬quences : déshumanisation du travail comme des travailleurs, seulement considérés comme « au service de la machine » (comme le remarquèrent Michelet et Bernanos), comme une variable d'ajustement. Les conséquences se déclinent facilement : ruine de l'artisanat comme de toute notion de propriété du métier, disparition de la satisfaction professionnelle, cause de profonds malaises (dépressions « burnout »), dégradation qualitative et quantitative des loisirs, etc. Enfin, le déracinement le plus inhumain est au programme. Les régions sous-développées et excen¬trées sont condamnées au dépérissement, ainsi que celles qui n'ont plus rien à offrir aux grandes industries parce que leur sous-sol est désormais vidé de ses richesses, selon la logique inévitable de la « sangsue » capitaliste. Ainsi assiste-t-on à une véritable prolétarisation de certaines régions, après jadis la Bretagne, la baie de la Somme ou le Nord par exemple, ou encore des professions toutes entières sont sacrifiées : agriculteurs, artisans, commerçants, etc. Mais « ... à vouloir tout niveler, on développe le complexe des minorités et on risque des réactions violentes », nous prévenait J.-F. GRAVIER dans « La Question Régionale ». Or la France est une Union de « minorités » et commu¬nautés où l'État dominé par la technocratie ne joue plus son rôle historique de trait d'union et de serviteur de la société : « Nous ne voulons plus être à la merci des bureaux parisiens », expliquaient les paysans qui barraient les routes. Sur les Côtes, grondent les pêcheurs contre les décisions du super-club technocratique de BRUXELLES, quand d’autres doivent changer de lieux de pêche parce qu’un gouvernement donne nos territoires aux Anglais ( Minquiers-Ecrehous ). Déjà, le 18 février 1971, cent mille viticulteurs des pays d'Oc avaient manifesté et l’un d'entre eux expliquait à Francis PANAZZA (du « MERIDIONAL- LA FRANCE ») les raisons du mécontentement, terriblement actuelles, voir visionnaires : « Le Marché Commun, n'est qu'une foire d'empoigne sans solidarité aucune, où on nous a fait entrer de force pour pouvoir signer un règlement financier qui profitait à d'autres ». Les opérations « escargots » autour de la capitale, des agriculteurs et des transporteurs routiers, dans les années 90 comme peut-être à nouveau demain, représentent les lassitudes professionnelles face à la destruction de notre économie par les financiers et hauts fonctionnaires de l'Europe. Celles-ci, aggravées par les règles imposé par la zone de libre-échange transatlantique. On pourrait ainsi passer en revue toutes les professions, y compris les professions libérales, toutes ont à souffrir de la bureaucratisation de l'État et nombreuses vivent sous la menace d'être elles-mêmes bureaucra¬tisées. Mais l’Etat semble malgré tout, rester sourd à une misère grandissante au sein de son propre peuple dont il demeure parfaitement déconnecté, un peu comme une classe en perdition avant 1789 ! Il existe donc en France des aspirations professionnelles comme il existe des aspirations fédéralistes étouffées par la centralisation de l'appareil jacobin de l'État, comme des aspirations universi-taires : défigurées par les excès minoritaires, elles n'en sont pas moins légitimes. Ces aspirations ont toutes un même but : obtenir des libertés concrètes, les arracher au pays légal, dans l'ordre traditionnel français. C'est regroupés derrière les drapeaux fran¬çais, et non derrière les drapeaux rouges, bleus, noirs ou verts de l'internationale, de l'Europe, de l'anarchie ou de l'écologie officielle (et si peu écologiste, en fait...), que défilaient les viticulteurs de BEZIERS : la leçon est à retenir, encore et toujours ! Les évènements des « Gilets jaune », montrent le climat de lassitude grandissant face à un système n’hésitant pas à réprimer des révoltes légitimes avec une répression qui ferait pâlir nombre de régimes dit « autoritaires » !
FW (Projet de Société, à suivre...)