MEDIAS • TÉLÉVISION : FAITES ENTRER L'ACCUSÉ !
Laurent Ruquier, grand pape d'On le n'est pas couché, diffusé le samedi soir sur France 2
PAR BRUNO-STÉPHANE CHAMBON
Pourquoi tant d'hommes politiques ou de culture acceptent-ils de se faire ridiculiser dans des émissions de divertissement pas faites pour eux ? Le public raffole des mises à mort. Il aime les bûchers, il jubile à l'idée d'assister à un martyre
Il entre dans le prétoire, accueilli par le Président du tribunal, jovial et avenant, qui lui désigne un siège en apparence confortable. Il est en face des deux interlocuteurs de service amènes.
Après la présentation de l'individu et l'évocation de ses ouvrages, commence l'interrogatoire avec pour principal grief, une phrase. Quelques mots, quelques lignes tout au plus, dénichées au détour d'un paragraphe sélectionné parmi les 300 pages d'un livre, les 5o interventions d'un homme politique, les trente secondes extirpées d'un film d'une durée de deux heures. La phrase qu'il ne fallait pas dire, la phrase inadmissible. Sortie de son contexte. Les deux journalistes de l'émission se sont mué en nouveaux procureurs. Ils n'ont pas l'air de maîtriser leur dossier, qu'importe, leurs assistants ont déjà sélectionné les déclarations de l'intéressé. Le juge alors s'esclaffe bruyamment aux saillies de ses acolytes, sous les huées du public-jury hostile à l'accusé. Enfin les justiciers obtiennent l'aveu du coupable : il est réac, sa phrase était ignoble et son oeuvre est qualifiée de nauséabonde.
Que des humoristes, des acteurs, des chanteurs venus faire la promotion d'un film ou d'un album se prêtent à ce genre d'émission, on ne peut leur en tenir rigueur, compte tenu de leur forte audience populaire. Mais que des philosophes reconnus, des écrivains de talent, des journalistes de haut niveau s'y compromettent, est-ce bien leur place ? D'autres émissions littéraires existent, elles sont de bonne qualité et chaque auteur a tout le loisir d'exposer ses idées, ses recherches et ses oeuvres face à un hôte courtois. Citons de manière non exhaustive Bibliothèque Médicis, présentée par Jean-Pierre Elkabbach ou La Grande Librairie, animée par François Busnel.
Le public raffole des mises à mort. Il aime les arènes, il aime les bûchers, il jubile à l'idée d'assister à un martyre. Vouloir le régaler au mépris de soi-même est le signe d'une profonde décadence intellectuelle ; penser ressortir grandi du feu roulant de questions des inquisiteurs est d'une naïveté insigne. Philosophes, écrivains et grands artistes, les corridors cathodiques vous mènent à l'abattoir quand bien même vous pensez les connaître. Vous mourrez un peu à vous-même en vous laissant cracher au visage par des journalistes qui n'ont rien de votre savoir, de votre art, de votre culture. Hommes politiques, vous sentez-vous à ce point coupables, pour accepter à longueur d'émission, les sentences gratuites de procureurs de foire ? •
Commentaires
Excellent article. Je crois qu'il faut maintenant stigmatiser les émissions et les journalistes qui travaillent à saper le moral français.
Excellent article, oui, et tout à fait pertinent. Que des saltimbanques qui ont à entretenir leur publicité ou promouvoir leur prochain spectacle se produisent dans cette émission, on le comprend : ils y sont rarement agressés et le plus souvent traités avec complaisance, surtout s'ils sont connus pour respecter les codes de la pensée correcte et de la sensiblerie du jour. Mais pourquoi des gens brillants comme Alain Finkielkraut vont-ils se prêter au jeu de cette émission dont ils savent pertinemment qu'elle est biaisée et pleine de parti-pris hostiles envers tout ce qu'ils peuvent dire et écrire.. Tout ça pour essayer de ramener sur le droit chemin des gens qui ne pensent que dans le moule étroit de la pensée formatée et qui faussent le message qu'ils tentent péniblement de transmettre aux téléspectateurs. Tout ça pour débattre avec une Léa Salamé dont la tête de brebis du Larzac métissée de Goofi colle mal avec ses prétentions intellectuelles foireuses à savoir tout sur tout, ou avec le Yan Moix dont l'érudition verbeuse affichée à tort et à travers cache mal qu'elle résulte sans doute de la lecture plus ou moins bien digérée des fiches Wikipédia préparées par les lampistes de l'émission.Ne parlons plus que pour mémoire (RIP) de son prédécesseur Caron de sinistre mémoire, le St Just à l'allure romantique mais dont le regard prétentieux montrait bien qu'il aurait volontiers coupé beaucoup de têtes pendant la Terreur : ces procureurs minables qui regardent de haut des gens qui les dépassent intellectuellement de cent coudées et dont ils réduisent la pensée à quelques citations travesties ou biaisées. Tout cela devant une galerie de spectateurs sans doute sélectionnés pour qu'il n'y ait aucun impaire dans leurs réactions attendues.
Aucun impair, désolé !
je comprends mal effectivement que des philosophes participent à ces émissions faites pour ''délasser'' le travailleur fatigué de fin de journée --ils savent pourtant que le niveau intelectuel de ces émissions est faible--peut etre perçoivent t ils un ''cachet'' ou malgré les risées , leur apparition fait vendre leurs livres malgré tout? OU cela signifie '' ne pas m'oublier surtout, j'ai besoin d'etre connu?
Je partage tout ce qui a été dit ci-dessus. Mais j'entrevois une question. Comment les gens sérieux qui acceptent l'inconvenance de participer à ces émissions dégoûtantes seraient-ils connus, vendraient-ils leurs livres, diffuseraient-ils leurs idées largement, s'ils se tenaient systématiquement à l'écart de la grande audience ? Le paradoxe serait qu'ils doivent faire le sacrifice d'y être , Il s'y salissent. Mais, volens nolens, ceux qui les invitent finissent aussi par leur ouvrir les portes d'un large public et ils acquièrent peu à peu une grande autorité dans le dit public. Cela signifie seulement qu'invitants et invités sont les uns et les autres liés par les impératifs d'audience. La vérité est peut-être que les présentateurs et les journalistes organisateurs devraient être remplacés ou sommés de se muer eux-mêmes en honnêtes hommes et en citoyens français. En cas d'autorité déterminée, ils seraient bien capables de faire leur mue..