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Le mal-être français, par Hilaire de Crémiers

        Voici l'analyse politique d'Hilaire de Crémiers, parue dans le numéro 95 de Politique magazine (avril 2011).

    Les dernières élections cantonales ont révélé un profond malaise français qui est, en fait, un mal-être.

       Il y a manière et manière de présenter les chiffres électoraux. 

       Ainsi après le second tour des élections cantonales. 36 % ou presque pour le Parti socialiste : largement en tête, a-t-il été annoncé !... 

        Ce qui n’est pas précisé, ou fort mal, c’est que ces 36 % sont calculés par rapport aux votants, aux suffrages réellement exprimés. Par rapport aux inscrits, cela ne fait que 17 %, plutôt 16,50 %. Pourquoi ne pas le dire ? Tel est le chiffre véritable qui exprime l’adhésion de l’électorat aux thèmes de la gauche socialiste, report fait à ce second tour, et d’ailleurs plutôt bien fait, des autres gauches ! 17 %, pas plus et plutôt moins ! Au premier tour, c’était 10,73 % !... Ajoutez les petits 8 % de suffrages du Front de gauche (5,1 %) et d’Europe Ecologie (2,6 %) qui ne représentent concrètement, selon les mêmes justes critères, qu’à peine 3,7 % des inscrits, voilà un tout petit 20 %, à tout casser, d’électeurs réellement de gauche dans la France d’aujourd’hui. Électeurs partisans, militants, capables de se déplacer pour signifier leur choix.

        De même à droite ou ce qu’on appelle la droite. L’UMP, en tant que parti, reports faits pareillement, si elle affiche officiellement 20,3 %, ne fait en réalité par rapport à l’ensemble du corps électoral qu’un petit 9 %. C’est le nombre vrai d’électeurs qui ont manifesté leur détermination dans ce sens. Au premier tour, c’était 7,30 %, soit 16,97 % par rapport aux suffrages exprimés. 

         7,30 %-9,30 %, c’est évidemment fort peu. S’il y avait un minimum d’honnêteté dans les analyses politiques, c’est ainsi que, pour le PS et pour l’UMP, les résultats devraient être présentés. 

        Mais on préfère mettre à part le chiffre des abstentions, plus de 54 %, en le traitant en soi avec des lamentations de pleureuses. L’astuce est trop facile !

 

Le truquage des chiffres

        En revanche, s’agissant du Front National, les calculs, comme par un fait exprès, ont été établis au second tour par rapport à l’ensemble général des votants, et non pas par rapport au votants des seuls cantons où pouvait encore se présenter un candidat FN, ce qui aurait traduit la réalité. Habile subterfuge : le procédé employé permettait de diminuer singulièrement les pourcentages de votes du FN, tout en haussant par des procédés contraires ceux des autres formations. L’annonce d’un 11 % de votes FN, mise en manchette dans les journaux, n’était ainsi pas trop accablante pour les pauvres esprits du monde politique et médiatique établi. Ces truquages de chiffres révélent assez le malaise des sphères officielles. En fait, le FN, dans les cantons où il était présent au second tour, a fait globalement, en moyenne, 20 %, soit 10 % par rapport aux inscrits, si l’on veut, mais – il faut le souligner – c’est plus que l’UMP. Il faut prendre la mesure du phénomène qui ébranle, d’ailleurs, les quelques experts qui savent lire au- delà des chiffrages officiels. La moyenne s’élève encore notablement dans les cas où le candidat FN se trouvait seul face à la gauche, 35 %, ou, mieux encore, face à l’UMP, 36,5 %. Dans certains cas, le score dépassait les 40 % jusqu’à franchir les 50 % dans deux cantons, un du Vaucluse, l’autre du Var, donnant ainsi au FN deux conseillers généraux. « Que deux ! » disent les commentateurs en soupirant de soulagement. Et, certes, le vote FN ne fait que 10 %, 15 %, 20 %, 25 % du corps électoral selon les cas, mais si vous rapprochez ces pourcentages de l’ensemble des chiffres réels des partis dits de gouvernement, il y a de quoi rester songeur.

        Ceux qui vivent dans le monde à part du pouvoir et des partis qui se partagent le pouvoir, ont une fâcheuse tendance à ne plus voir la réalité, tant ils sont préoccupés par leurs prébendes et les luttes qu’ils doivent soutenir, jusque dans leur formation, pour les conserver, les conquérir et les reconquérir. Toutefois la peur peut aiguiser la sagacité. Certains font leur compte. C’est d’autant plus enrageant pour les quelques bons esprits qui, en pareilles circonstances, gardent leur jugement, que, si l’on additionnait l’ensemble des votes de droite, ou dits de droite, entre les « divers droite », les « majorité présidentielle », les UMP vraiment de droite, populaires, patriotes et honnêtes, le Front national, à quoi il conviendrait d’ajouter tout ce qui à gauche ne vote à gauche que parce qu’ils ne veulent pas voir disparaître l’État français, il n’est pas douteux qu’il serait possible d’envisager une nouvelle configuration du corps électoral. Il échapperait aux analyses et aux pronostics du monde républicain officiel. On ne sait pourquoi ces calculs sont interdits. Ils n’apparaissent nulle part. Ce serait, pourtant, en les affinant, l’étude politique la plus intéressante du moment. Ce serait sortir des considérations de l’électoralisme brut dans lequel les Français, comme tant d’autres peuples, sont stupidement enfermés, ainsi que le prouvent, encore et une fois de plus, ces dernières élections cantonales. Il serait possible d’émerger de la crétinisation partisane où la France s’englue perpétuellement, pour se faire une idée des souhaits les plus vrais, les plus profonds des Français, y compris et surtout des classes dites populaires qui votent à l’inverse des consignes « bourgeoises » de la classe politique dominante, celle de gauche comme celle de droite, ainsi qu’il est maintenant archi-prouvé ; y compris encore de beaucoup de Français, d’origine immigrée, mais intégrés, voire assimilés, comme cela aussi semble de plus en plus prouvé par l’analyse des votes de quartiers, au grand dam des sociologues patentés qui ont colonne ouverte dans la presse bourgeoise, de gauche ou de droite.

 

Le phénomène Marine

        Il y en a une qui l’a compris : c’est Marine Le Pen. Elle s’est engagée dans cette voie et elle est déterminée à aller jusqu’au bout. Elle le fait d’autant plus naturellement et d’autant plus vigoureusement qu’elle est républicaine, qu’elle est démocrate, qu’elle entre totalement dans le jeu des institutions actuelles, dans le cadre légal fixé par l’État tel que l’ont façonné cinquante ans de Ve République. Les commentateurs auront beau glosé sur son père et sur elle, sur les hauts et les bas du Front National, sur les pourcentages et les courbes des votes aux différents scrutins des vingt dernières années, ils ne changeront rien à une réalité profonde de la France que la dynamique actuelle du FN ne fait que révéler une fois de plus : les Français aiment la France. Il suffit de leur donner la possibilité d’exprimer sincèrement cette affection qui détermine leur être, pour que les considérations idéologiques des partis s’estompent, voire soient bousculés et mises de côté. Et cela quelle que soit l’issue de l’affaire. Les sursauts, y compris électoraux, sont en France nationaux. C’est la grande règle que les politiques et les analystes patentés refusent de voir. Le régime des partis est le plus contraire qui soit à l’identité de la France et c’est malheureusement toujours lui qui s’impose finalement dans l’état de nos institutions. D’où l’amertume continuelle de la France. Faut-il rappeler que les deux candidats « finalistes » de 2007ont joué, tout le long de leur campagne électorale, la carte nationale, patriotique, voire conservatrice, même s’il y avait un côté dérisoire dans la manière de le faire. Il n’empêche : le fait est là. Et, bien sûr, aujourd’hui, malgré toutes les mutations de la société, la même réalité nationale vient perturber le jeu malsain des partis.

        Il n’y a pas un peuple de gauche, un peuple de droite ; il y a un peuple de France. Celui ou celle qui affirme fortement cette idée simple, a toute chance de trouver un fort crédit auprès des électeurs.

L’incertitude

        Marine Le Pen réussira-t-elle à marquer encore et toujours des points ? Le scénario qui se dessine pour 2012 la favorise de plus en plus. Ce n’est plus de l’inquiétude dans les officines politiques, c’est de l’angoisse. « Front républicain » ou pas, le régime se sait ébranlé, mais il ne sait pas jusqu’où, ce qui aggrave la peur. Elle suscite des mouvements de panique, surtout à l’UMP. D’où les altercations de ces derniers jours : les défaites détruisent le moral et avivent les querelles intestines, c’est bien connu. Mais le PS, lui non plus, n’ a pas à faire le glorieux. Lui aussi est touché. Des gens qui se croient intelligents font tout pour promouvoir une candidature Strauss-Kahn qui serait seule en état de contrecarrer l’ascension de Marine Le Pen. Mais l’homme du FMI franchira-t-il le pas ? Trop d’incertitudes sur l’avenir même de la France et de la zone euro feront de toute façon hésiter un homme connu pour aimer son confort. Même serait-il candidat, il ne répondrait pas aux nécessités de la nouvelle donne.

        Les hommes de parti ne semblent pas comprendre ce qui se passe réellement ou ils ne le comprennent que par rapport à eux. Pourtant le Médiateur de la République, Jean- Paul Delevoye, dans son dernier et tout récent rapport, n’a pas manqué de souligner la gravité de la crise française, financière, économique, sociale, politique et institutionnelle, bref ce qui est analysé depuis plusieurs années déjà dans Politique magazine. D’où un sentiment d’abandon du peuple français, prêt, du coup, à s’en remettre à un sauveur national. La situation internationale alarmante, la crise financière majeure qui se profile à l’horizon, l’augmentation du coût et des difficultés de la vie, le désastre nucléaire au Japon,  tout porte à alimenter ces appréhensions et donc ces espoirs sous- jacents. Toute la question est de savoir si l’homme ou la femme de 2012 sera en état de répondre à la situation dans le cadre du régime actuel. Cela dépasse infiniment Marine Le Pen et tous les candidats de quelque parti qu’ils soient. Car il apparaît, non moins évidemment que le reste du problème, mais personne ne veut s’y attarder, qu’il n’y aurait de solution nationale durable que si l’institution centrale de l’État avait pour elle la stabilité, la continuité, et que si elle était par nature hors du régime des partis. Aucun candidat actuel ne peut remplir ces conditions. L’échec, une fois de plus, sera au rendez-vous. Il ne tient qu’à la France et aux Français de n’être pas condamné à l’échec. ■

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