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Le regard vide, extrait n° 4.

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Il faut être reconnaissants à Jean-François MATTEI, avons-nous dit, d’avoir écrit « Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne ». Et, en effet, il faut lire et relire ce livre, le méditer, en faire un objet de réflexion et de discussions entre nous. Il dit, un grand nombre de choses tout à fait essentielles sur la crise qui affecte notre civilisation – et, bien-sûr, pas seulement la France – dans ce qu’elle a de plus profond.  

 Ce livre nous paraît tout à fait essentiel, car il serait illusoire et vain de tenter une quelconque restauration du Politique, en France, si la Civilisation qui est la nôtre était condamnée à s’éteindre et si ce que Jean-François MATTEI a justement nommé la barbarie du monde moderne devait l’emporter pour longtemps.

 C’est pourquoi nous publierons, ici, régulièrement, à compter d’aujourd’hui, et pendant un certain temps, différents extraits significatifs de cet ouvrage, dont, on l’aura compris, fût-ce pour le discuter, nous recommandons vivement la lecture. 

-extrait n° 4 : pages 28/29/30.

Faillite générale de tout à cause de tous !

L’esprit européen ne se lasse pas de remettre en cause les formes et les œuvres qu’il a élaborées au cours de son histoire. On peut appeler « critique » ce regard de l’âme qui, comme le faisait Pénélope, recommence chaque nuit à défaire la tapisserie dont il reprendra au matin le tissage. Le roman avoue ici sa dette envers le mythe, et ce mythe, je le montrerai plus loin, est constitutif de la culture européenne. Mais, à trop insister sur la défection de la toile, on oublie la fidélité de la reine qui use de ce procédé pour différer l’assaut des prétendants et le tenir à distance. Seul cet éloignement permet le retour de l’absent. Défaire à chaque génération la toile de l’Europe, ce n’est pas renier son identité, mais la tisser et retisser à mesure d’une avancée qui n’a pas de fin. L’identité énigmatique de l’Europe, à l’image de celle de Pénélope, tient à l’attente fidèle de celui qui, aux yeux de l’étranger, a pour nom « Personne », mais qui ne retrouve sa filiation et sa paternité qu’à son retour au foyer. Son odyssée n’est pas pour autant terminée. Selon la prédiction de Tirésias, le voyant dont le regard aveugle pressent l’avenir, Ulysse devra reprendre un jour son périple à la rencontre d’un peuple qui ne connaît pas la mer.

 Je considère l’Europe, cette figure unique de l’inquiétude dans le courant des civilisations, comme une âme à jamais insatisfaite dans la quête de son héritage et le besoin de son dépassement. En dépit des renaissances, son rythme naturel est celui des crises et des révolutions, qu’elles soient religieuses, avec l’instauration du christianisme dans le monde romain, politiques, avec l’invention de l’Etat moderne, sociales, avec l’avènement de la démocratie, économiques, avec la domination du capitalisme, mais aussi philosophiques, avec la découverte de la rationalité, scientifiques, avec le règne de l’objectivité, techniques, avec la maîtrise de l’énergie, artistiques, avec le primat de la représentation, et finalement humaines, avec l’universalisation de la subjectivité. Ces ruptures qui forment la trame continue de son histoire, ces créations et ces destructions qui stérilisent son passé et fertilisent son avenir, ces conquêtes de soi et ces renoncements qui sont l’envers de l’oubli et de la domination de la nature, tous ces facteurs indissolublement liés ont contribué à faire de la crise, et donc de la critique, le principe moteur de l’Europe. On comprend que le choc de la Première Guerre mondiale, en rappelant à l’Europe le destin de mort des civilisations, lui ait enlevé l’espoir de ses vieilles certitudes et laissé le regret de ses anciens parapets        .

 Il me faudra suivre d’abord les leçons de la géographie. Au Portugal, ce promontoire étroit juché sur le petit cap du continent asiatique, au balcon le plus éloigné d’une Europe à laquelle la façade atlantique se refuse obstinément, Fernando Pessoa annonçait, dans son Ultimatumde 1917, l’arrêt de mort de la culture européenne. Après avoir expulsé tous les mandarins de la littérature – « Dehors Anatole France, Maurice Barrès, Rudyard Kipling, H.G. Wells, G.K. Chesterton, D’Annunzio  etc.… Dehors tout cela ! Du balai ! » - le poète portugais s’élevait contre l’effondrement de la haute culture :

 Faillite générale de tout à cause de tous !

Faillite générale de tous à cause de tout !

Faillite des peuples et de leurs destins – faillite absolue !

 Pessoa suit ici les traces de l’insensé de Nietzsche qui, héraut de la mort de Dieu, annonçait la désintégration du monde et la désespérance de la terre. Mais sa plainte funèbre se conjugue bientôt avec un espoir fou, sensible, comme les penseurs qui l’ont précédé, au double thème européen de la dévastation et de l’attente. D’un côté, il lance la question qui n’appelle pas de réponse :

 Où sont donc les forces d’antan, les Anciens, les hommes, les guides et les gardiens ?

Allez dans les cimetières, ils ne sont plus que des noms sur des tombes !

De l’autre, en contrepoint du constat de décès, Pessoa entonne un vigoureux chant de victoire qui couvre la musique du Requiem :

L’Europe a faim de Création et soif d’Avenir…..

L’Europe réclame la Grande Idée dont seraient investis ces Hommes  Forts .*

 

Le regard vide - Essai sur l'épuisement de la culture européenne, de Jean-François Mattéi. Flammarion, 302 pages, 19 euros.

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Commentaires

  • La complexité toujours croissante de nos sociétés suscite des réflexes incontrôlables et irrationnels.
    Il existe un vide béant pour toute réponse aux angoisses spirituelles.
    Alors que les discours font de l'Europe un enjeu incontesté, le secours ne peut venir que d'un sauveur "européen".
    Les noeuds gordiens qui nous enserrent ne semblent plus pouvoir être tranchés que par l'épée.
    Un roi, porteur du sang de France mais issu d'une lignée négligée prendra en charge notre destin et rétablira les valeurs traditionnelles.
    La force de la nostalgie pourrait bien révéler un jour une certaine nostalgie de la force......

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